2009-09-15
Le militarisme et l'éloge de la force
Qu'est-ce que le militarisme? Est-ce nécessairement le contraire du pacifisme? Et quels sont les liens avec l'éloge de la force?
Un commentaire récent d'un vétéran de l'armée des États-Unis souligne une évolution qui a pris un virage si prononcé ces dernières années que je suis de plus en plus porté à considérer que le militarisme est une composante organique de la société étatsunienne. Ceci me saute au visage quand je voyage aux États-Unis et que les voitures arborent des autocollants en forme de rubans jaunes tandis que les drapeaux étoilés flottent un peu partout. Mais aussi quand je constate à quel point l'armée et la défense échappent à toute critique, au nom d'une sacralisation de la périlleuse servitude acceptée par les volontaires. Sans parler de l'intégration extrêmement poussée des industries militaires et de l'économie nationale, ou de la conduite d'une politique étrangère qui n'exclut jamais l'usage de la force...
Les rubans jaunes sont particulièrement révélateurs, car ils ont acquis leur popularité actuelle entre 1973 et 1981, durant cette période qui a forgé le revanchisme de droite des années Reagan-Bush (même s'ils ont sans doute des racines historiques plus anciennes). Ils ont accédé à la conscience nationale à la fin de la crise des otages de l'ambassade étatsunienne à Téhéran et ils ont repris du service depuis le 11 septembre 2001. Ils ont maintenant essaimé au Canada (ils sont très visibles dans la région d'Ottawa) et, de fait, qu'on le veuille ou non, nous sommes en guerre. Au jour le jour, cela peut s'oublier, mais on peut se demander ce que cette conscience d'être en guerre apporte...
Par exemple, au Canada comme aux États-Unis, les cas de brutalité policière ou d'abus de la loi se multiplient depuis quelques années. Dans quelle mesure les policiers se sentent-ils justifiés d'utiliser la manière forte parce que toute la culture populaire les encourage à appliquer la loi sans trop se soucier de... la loi? Sans oublier que les médias attisent aussi une certaine hystérie en exagérant les taux de criminalité. La référence au principe de réalité, dans les constructions de la culture militaire et policière qui font de la connaissance de la violence une pierre de touche du bon jugement de l'homme armé, légitime une caractérisation héroïque, voire utopique, des policiers et des soldats : parce qu'ils affrontent des situations violentes et parce qu'ils ont à exercer une violence, ils sont en mesure d'exercer cette violence parce qu'ils ont une vision plus claire des réalités de la vie. Quand on y pense, c'est une permission implicite extraordinaire...
À certains égards, la situation rappelle le contexte du roman 1984 d'Orwell : guerre perpétuelle, surveillance omniprésente et propagande en continu. Mais si on adopte une vision historique plus ample, on peut songer à la situation européenne au XIXe s. Après 1870, le continent européen a retrouvé une certaine paix, pendant près de quarante ans, mais au prix d'opter pour les guerres coloniales comme dérivatif. Dans le contexte d'une paix armée à l'intérieur et d'opérations militaires fréquentes à l'extérieur, les valeurs viriles et guerrières ont été encensées dans la plupart des pays européeens, et de manière d'autant plus insistante que, vers la fin de cette période, les jeunes générations n'avaient de la guerre qu'une connaissance théorique, inculquée par des maîtres à penser eux-mêmes épargnés par les conflits précédents. Du coup, il existait une tension sous-jacente au sein de cette civilisation qui reposait sur un essor industriel et commercial sans précédent mais qui prônait une mâle agressivité comme modèle universel. Cette tension, les Futuristes comme Marinetti l'avaient sentie, mais aussi un autre artiste, moins accompli, Adolf Hitler. Quand la Première Guerre mondiale éclate, Hitler rapporte (dans le Chapitre V de Mein Kampf) avoir exulté : « Pour moi aussi, ces heures furent comme une délivrance des pénibles impressions de ma jeunesse. Je n’ai pas non plus honte de dire aujourd’hui qu’emporté par un enthousiasme tumultueux, je tombai à genoux et remerciai de tout cœur le ciel de m’avoir donné le bonheur de pouvoir vivre à une telle époque.»
Point Godwin? Le refus d'envisager toute ressemblance de l'actualité avec les périodes passées n'est pas toujours défendable. Au minimum, la comparaison entre le présent et le passé permet de mieux comprendre le passé et pourquoi la bonne conscience des Allemands durant les deux guerres mondiales n'était pas nécessairement un mythe. Elle reposait sur un socle — de convictions vertueuses ou de désinformation, c'est selon — suffisant à assurer sa stabilité. Le défi, c'est de faire l'inverse, surtout si notre compréhension du passé se base sur notre compréhension du présent, car on se retrouve piégé dans un cercle vicieux tel qu'en fin de compte, la connaissance du passé n'apporte rien de neuf à la compréhension du présent.
Un commentaire récent d'un vétéran de l'armée des États-Unis souligne une évolution qui a pris un virage si prononcé ces dernières années que je suis de plus en plus porté à considérer que le militarisme est une composante organique de la société étatsunienne. Ceci me saute au visage quand je voyage aux États-Unis et que les voitures arborent des autocollants en forme de rubans jaunes tandis que les drapeaux étoilés flottent un peu partout. Mais aussi quand je constate à quel point l'armée et la défense échappent à toute critique, au nom d'une sacralisation de la périlleuse servitude acceptée par les volontaires. Sans parler de l'intégration extrêmement poussée des industries militaires et de l'économie nationale, ou de la conduite d'une politique étrangère qui n'exclut jamais l'usage de la force...
Les rubans jaunes sont particulièrement révélateurs, car ils ont acquis leur popularité actuelle entre 1973 et 1981, durant cette période qui a forgé le revanchisme de droite des années Reagan-Bush (même s'ils ont sans doute des racines historiques plus anciennes). Ils ont accédé à la conscience nationale à la fin de la crise des otages de l'ambassade étatsunienne à Téhéran et ils ont repris du service depuis le 11 septembre 2001. Ils ont maintenant essaimé au Canada (ils sont très visibles dans la région d'Ottawa) et, de fait, qu'on le veuille ou non, nous sommes en guerre. Au jour le jour, cela peut s'oublier, mais on peut se demander ce que cette conscience d'être en guerre apporte...
Par exemple, au Canada comme aux États-Unis, les cas de brutalité policière ou d'abus de la loi se multiplient depuis quelques années. Dans quelle mesure les policiers se sentent-ils justifiés d'utiliser la manière forte parce que toute la culture populaire les encourage à appliquer la loi sans trop se soucier de... la loi? Sans oublier que les médias attisent aussi une certaine hystérie en exagérant les taux de criminalité. La référence au principe de réalité, dans les constructions de la culture militaire et policière qui font de la connaissance de la violence une pierre de touche du bon jugement de l'homme armé, légitime une caractérisation héroïque, voire utopique, des policiers et des soldats : parce qu'ils affrontent des situations violentes et parce qu'ils ont à exercer une violence, ils sont en mesure d'exercer cette violence parce qu'ils ont une vision plus claire des réalités de la vie. Quand on y pense, c'est une permission implicite extraordinaire...
À certains égards, la situation rappelle le contexte du roman 1984 d'Orwell : guerre perpétuelle, surveillance omniprésente et propagande en continu. Mais si on adopte une vision historique plus ample, on peut songer à la situation européenne au XIXe s. Après 1870, le continent européen a retrouvé une certaine paix, pendant près de quarante ans, mais au prix d'opter pour les guerres coloniales comme dérivatif. Dans le contexte d'une paix armée à l'intérieur et d'opérations militaires fréquentes à l'extérieur, les valeurs viriles et guerrières ont été encensées dans la plupart des pays européeens, et de manière d'autant plus insistante que, vers la fin de cette période, les jeunes générations n'avaient de la guerre qu'une connaissance théorique, inculquée par des maîtres à penser eux-mêmes épargnés par les conflits précédents. Du coup, il existait une tension sous-jacente au sein de cette civilisation qui reposait sur un essor industriel et commercial sans précédent mais qui prônait une mâle agressivité comme modèle universel. Cette tension, les Futuristes comme Marinetti l'avaient sentie, mais aussi un autre artiste, moins accompli, Adolf Hitler. Quand la Première Guerre mondiale éclate, Hitler rapporte (dans le Chapitre V de Mein Kampf) avoir exulté : « Pour moi aussi, ces heures furent comme une délivrance des pénibles impressions de ma jeunesse. Je n’ai pas non plus honte de dire aujourd’hui qu’emporté par un enthousiasme tumultueux, je tombai à genoux et remerciai de tout cœur le ciel de m’avoir donné le bonheur de pouvoir vivre à une telle époque.»
Point Godwin? Le refus d'envisager toute ressemblance de l'actualité avec les périodes passées n'est pas toujours défendable. Au minimum, la comparaison entre le présent et le passé permet de mieux comprendre le passé et pourquoi la bonne conscience des Allemands durant les deux guerres mondiales n'était pas nécessairement un mythe. Elle reposait sur un socle — de convictions vertueuses ou de désinformation, c'est selon — suffisant à assurer sa stabilité. Le défi, c'est de faire l'inverse, surtout si notre compréhension du passé se base sur notre compréhension du présent, car on se retrouve piégé dans un cercle vicieux tel qu'en fin de compte, la connaissance du passé n'apporte rien de neuf à la compréhension du présent.
Libellés : États-Unis, Société