2006-07-29

 

Frère Untel, au secours!

Imaginez un tableau noir, fabriqué d'ardoise ou d'un matériau apparenté, et le crissement d'une pointe de compas que l'on traîne à la surface du tableau... Ou imaginez le barreau métallique d'une grille quelconque, d'un grillage de protection pour une fenêtre dans un quartier difficile, par exemple, et le bruit que font les dents d'une fourchette quand elles sont appliquées de part et d'autre d'un barreau tandis qu'on promène la fourchette de haut en bas...

Le râclement du métal sur l'ardoise ou du métal sur le métal est pour la plupart des gens un son désagréable à l'extrême, qui provoque une réaction instinctive.

Quand on me prend à l'improviste, certaines fautes de français ont le même effet sur moi. Ce matin, j'entendais René Homier-Roy parler avec quelqu'un, à la radio de Radio-Canada, « des problèmes que vous n'avez plus à vous préoccuper de. » Crispation immédiate et douloureuse. Il aurait fallu dont; on aurait admis desquels.

D'où sort donc une construction aussi fautive? L'anglais est naturellement la première coupable présumée, car, en anglais, il est courant de placer la préposition en bout de phrase. (On attribue à Winston Churchill, sans doute faussement, une riposte cinglante au purisme des grammairiens anglais refusant cette facilité.) L'importance en anglais des pronoms relatifs les plus simples (that, which) et l'absence d'un équivalent du dont français se traduirait forcément chez les personnes les plus influencées par l'anglais par cet emploi d'un « de que » disjoint, démembré et d'une suprême inélégance.

C'est sans doute la source première de l'erreur, mais je crois qu'il existe aussi une cause plus immédiate : l'apprentissage déficient du français au Québec, qui n'a guère changé depuis l'époque de la première lettre de Frère Untel. (Évidemment, Homier-Roy a plus ou moins l'âge d'avoir été un des élèves joualisants du Frère Untel...) Entendons-nous : je ne doute pas que les élèves québécois apprennent l'usage du dont à la petite école (encore que). Mais il est sans doute trop tard pour que cela devienne naturel. Au point où je soupçonne que l'emploi correct de dont devient le signe d'un « parler bien » encore stigmatisé aujourd'hui comme élitiste et snobinard, voire comme une trahison de la québécitude.

Si le dont était la seule victime de cette attitude, on pourrait enterrer Jean-Paul Desbiens avec un minimum de sérénité. Malgré l'équanimité qu'il affectionnait, il était loin d'être serein et on aurait peut-être besoin de sa force d'indignation encore aujourd'hui. Quand j'ai lu Les insolences du Frère Untel dans mon enfance, c'était surtout comme un document historique, et aussi comme un pendant local des recueils de perles de Jean-Charles. Force m'est de reconnaître actuellement que si on honnit l'anglais au Québec, on reste loin de faire honneur au français. Ma sœur, qui enseigne occasionnellement au collégial à Montréal, est renversée par le nombre de fautes de français de ses étudiants. Je suis plus optimiste; mes étudiants en histoire des sciences à l'UQAM, l'an dernier, ne s'en tiraient pas si mal.

Néanmoins, comme auteur, je regrette que la piètre maîtrise du français par les jeunes québécois les empêche parfois d'apprécier les romans que j'ai écrits pour eux, et qui n'ont pas pour but d'être des exercices de français. Seulement, pour créer et décrire des mondes plus compliqués que les royaumes de contes de fées de la fantasy, il faut parfois une langue un peu plus riche que la moyenne.

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Comments:
J'ai souvent la même réaction en lisant les commentaires qu'on laisse sur mon blogue. Brrr... J'en ai des frissons dans le dos.
 
J'avoue que je ne sais toujours pas quoi penser des jeunes qui écrivent en-ligne dans la langue des "textos". Est-ce une simple convention? Ou sont-ils incapables d'écrire autrement?

S'ils croient être en règle avec les habitudes de la communication en-ligne tout en demeurant capable d'écrire autrement, ce n'est pas si grave.

Mais c'est parfois tellement anarchique que je me pose des questions...
 
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