2007-01-30

 

Comment peut-on être singulariste ?

Dans le numéro de décembre du Scientific American, Rodger Doyle s'en prend, sans la nommer, à la Singularité de Kurzweil : « A widespread notion is that computers, the Internet, nanotechnology, bioengineering, and so forth represent a fundamental change in human affairs. » Parmi les sources qu'il cite, il y a cet article (.PDF) de Robert J. Gordon, un économiste que j'ai déjà cité, article paru depuis dans The Journal of Economic Perspectives à l'automne 2000.

Cet article est toutefois moins enclin à rejeter la réalité de la croissance économique à la fin du siècle dernier qu'on pourrait le croire. Même Gordon se voit forcé d'admettre que l'accélération de la productivité de 1995 à 1999 se compare favorablement aux chiffres enregistrés durant la période dorée qui va de 1913 à 1972. Toutefois, il finit par calculer que le gros de cet accroissement de la productivité, compte tenu de facteurs cycliques, reste étroitement lié au secteur de l'informatique en général et à une partie du secteur manufacturier. C'est ce qui différencie cette période, selon Gordon, de la seconde révolutions industrielle (1860-1900) durant laquelle de « grandes inventions » ont radicalement amélioré le mode de vie des pays qui en ont bénéficié. L'électricité, le moteur à explosion, la chimie synthétique, les technologies des communications et les technologies sanitaires ont transformé presque tous les aspects de la vie quotidienne si on se rapporte à la situation en 1850 ou 1750.

En particulier, Gordon éreinte l'ordinateur qui, selon lui, a d'ores et déjà donné tout ce qu'il pouvait donner en améliorations réelles de la productivité du travail. (Notons toutefois que les limites qu'il cite aux apports des ordinateurs incapables de supplanter les humains sont justement celles que la Singularité vingienne ferait exploser.) Quant aux bénéfices d'internet, ils restaient suffisamment incertains en 1999 pour qu'ils n'imposent pas la conviction.

Doyle s'inspire en grande partie de Gordon, mais son essai d'une page intitulé « Not So Revolutionary (Recent advances are no third industrial revolution) » n'est pas une démonstration particulièrement étoffée. Il se contente surtout de signaler les changements dans la nature des occupations de la population, l'agriculture n'exigeant plus qu'une poignée relative de travailleurs tandis que les entrepreneurs, cadres et travailleurs modernes ont supplanté les propriétaires fonciers, marchands et artisans d'autrefois.

Il s'est écoulé plus de cinq ans depuis la parution de l'article de Gordon, mais la situation n'a pas fondamentalement changé. Certes, la réseautique actuelle permet de perfectionner la gestion de nombreux procédés et stocks, mais les gains ne sont-ils pas marginaux, relativement aux investissements? Les gains de productivité demeurent bien réels aux États-Unis, mais résultent-ils d'un écrémage apparenté à celui qu'on connaît en France, en partie lié aux délocalisations des emplois les moins productifs? Quant aux équivalents des grandes inventions d'antan, dans le genre des voitures volantes ou des cabines de téléportation, nous les attendons encore.

Toutefois, il suffit de suivre l'actualité des technologies pour savoir que les progrès techniques n'arrêtent pas. Au ras du sol, c'est difficile d'évaluer le rythme exact, mais l'absence de percées substantielles dans les domaines autres que ceux de l'informatique et des communications n'exclut pas la possibilité d'atteindre un seuil critique. Si l'informatique avancée ou les biotechnologiques permettent de créer de nouvelles façons de penser, ou d'expérimenter la réalité (en plusieurs versions parallèles?), ce serait aussi significatif que l'allongement de la journée permis par l'invention de l'éclairage électrique ou le rétrécissement du globe induit par le train, l'automobile, l'autoroute et l'avion.

Seulement rien ne sera acquis avant cette heure, et c'est bien le problème de la Singularité.

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