2006-05-31

 

La part des autres

Qu'est-ce qu'un blogue, exactement? Exutoire des humeurs de son auteur? Exploration thématique? Nul ne le sait encore, et il pourrait s'agir d'une phase de l'évolution d'internet soumise à une sélection darwinienne qui entraînera la disparition des formules les moins réussies et l'occupation de tout le terrain par les formules préférées.

Les blogues qui sont des journaux personnels risquent de survivre, à mon avis, parce qu'ils répondent à un besoin. Pas nécessairement à un besoin généralisé, mais au besoin d'une personne, l'auteur lui-même. Celui-ci peut vouloir conserver la trace de ses faits et gestes, ou de ses réflexions, au jour le jour. Je me sers en partie de mon blogue pour accumuler des brouillons et des ébauches, qui pourront fonder des textes ou travaux définitifs à terme. La publication en-ligne, même si elle ne rejoint qu'une poignée de personnes, justifie l'effort représenté par une simple esquisse d'un argument. L'effort de la synthèse peut suivre en temps et lieu. En attendant, rien ne m'empêche de regrouper de temps en temps quelques éléments du blogue pour voir s'il est possible de les agencer à l'intérieur d'un tout.

Un des problèmes auquel je reviens sans cesse est celui-là même que John Kenneth Galbraith avait identifié l'année de ma naissance et qui devient particulièrement criant au Canada, celui du contraste entre la richesse du secteur privé et la pauvreté du secteur public. Galbraith les avait opposé en parlant de « private affluence » et de « public squalor ».

En gros, le secteur privé tend à accaparer ce qui rapporte et à faire de la production des biens privés une source de richesses, ainsi qu'un élément de la richesse des individus. Le secteur public, lui, dépend du financement de la communauté et ce qui profite à tous n'est souvent financé qu'à contrecœur. C'est une version de ce qu'on appelle « the tragedy of the commons ». Ainsi, en Amérique du Nord, les routes et autoroutes qui profitent aux détenteurs d'un moyen individuel de transport (l'automobile) sont favorisées au détriment des usagers des transports en commun, et l'écart entre le confort d'une voiture et le confort des transports en commun se creuse énormément. Mais cela se vérifie aussi dans la construction et l'aménagement des villes (les maisons individuelles sont souvent luxueuses, les rues de Montréal ou d'Ottawa sont truffées de nids-de-poule), etc.

Il ne s'agit pas d'en revenir aux anciens schémas. L'enrichissement privé ou individuel des uns en Amérique du Nord n'a pas entraîné un appauvrissement des autres. Même la confiscation des fruits de la croissance a été en partie camouflée par l'augmentation du pouvoir d'achat rendue possible par l'arrivée de technologies plus efficaces, dans certains domaines. Néanmoins, il y a un discours immobiliste que j'aimerais pouvoir démonter de la manière la plus convaincante possible afin de pouvoir argumenter qu'une autre répartition est possible.

Ce que je veux faire comprendre, c'est qu'il y a la part des riches... et il y a la part des autres.

En mars, je rappelais que les économistes Ian Dew-Becker et Robert J. Gordon estiment (.PDF) que, depuis 1966, l'essentiel des fruits de la croissance aux États-Unis a profité aux personnes occupant le dixième supérieur de la distribution des revenus. La situation est fondamentalement la même au Canada : de 1989 à 2003, le PIB par habitant a grimpé de 22%, mais les salaires réels n'ont augmenté que de 4%, selon Anthony Giles (.PDF). En novembre dernier, j'avais déjà suggéré que l'augmentation de la productivité pourrait profiter d'une répartition plus équilibrée des fruits de la croissance, contrairement au discours des tenants d'un certain productivisme à outrance.

Ceci jusqu'à preuve du contraire devrait passer par l'imposition, et sans en faire tout un plat. Une augmentation de l'imposition des riches, jusqu'à des niveaux européens, disons, pourrait même les rendre heureux, si elle était faite adroitement... Mais il s'agirait d'employer avec intelligence les fruits de l'impôt (et de la croissance). La simple redistribution de revenus, telle que préconisée par les socialistes, a son utilité, mais le siècle passé a clairement démontré qu'elle a aussi ses limites.

Je crois plutôt qu'il faudrait privilégier les investissements productifs, ceux qui réduiraient cet écart inquiétant entre le privé et le public afin de construire le futur le plus concrètement du monde.

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