2007-02-28

 

Jean-Louis Trudel, vidéaste

Mon premier film!

Évidemment, il n'y a pas une image qui soit de moi. Ce que j'ai fait, c'est un montage d'une vingtaine de minutes qui combine les éléments les plus intéressants de deux séries de courts films réalisés par Frank B. Gilbreth entre 1910 et 1924, mis à la disposition du public par la collection Prelinger et le site Internet Archive. Comme les films sont libres de droits, j'ai pu faire ce que j'ai souvent envie de faire avec les films que je montre en classe : supprimer ce qu'il y a de plus ennuyeux ou répétitif et conserver uniquement ce qui est pertinent pour ma classe. Les séquences en-ligne totalisent 32 minutes, mais ma version remaniée ne fait plus que 22 minutes environ.

Je ne le mettrai pas en-ligne. D'abord, le fichier résultant pèse plus de six cents mégaoctets. Le téléchargement prendrait beaucoup trop de temps. Ensuite, il faut dire que je ne suis pas entièrement content du produit fini, qui pourrait encore être amélioré. Je n'y retoucherai pas du semestre, mais si je donne de nouveau le même cours sur l'histoire des techniques, j'envisagerai la chose. Le plus ironique, certes, c'est qu'en fin de compte, je n'ai pas eu le temps de montrer mon film en classe aujourd'hui. Ce sera donc pour la semaine prochaine...

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2007-02-27

 

Plus dangereux qu'un kirpan

Qui? Asmahan Mansour, 11 ans

Quoi? Durant un tournoi de soccer réunissant des équipes de jeunes filles du Québec et de l'Ontario, un arbitre ordonne à Asmahan de retirer son hijab sous peine d'expulsion; comme elle refuse, son équipe se retire du tournoi et quatre autres équipes ontariennes aussi en signe de solidarité.

Quand? Le samedi 24 février 2007

Où? À Laval...

Pourquoi? C'est ici que ça devient intéressant. Officiellement, c'était au nom de la sécurité des joueuses, parce que le foulard aurait pu étrangler par mégarde la jeune Mansoor.

Pourtant, deux arbitres avaient déjà laissé passer ce dangereux accessoire (et les bandeaux de tête de certaines joueuses). Pour trouver l'équivalent d'une telle exclusion, il semble qu'il faille aller jusqu'en Australie. Ailleurs au Canada, les jeunes joueuses portent occasionnellement le hijab sans se faire expulser. Et la FIFA ne s'opposerait pas formellement au port du hijab dans certains pays musulmans, en partant du principe qu'il vaut mieux que les filles jouent, au prix d'un léger accroc au code vestimentaire. Les forcer à rester à la maison n'est pas la solution la plus intelligente.

Bref, la décision semble typique de la difficulté québécoise à s'ouvrir aux autres cultures. La tolérance, oui, passe encore : on ne se soucie pas trop de ce que font les autres dans leur coin. Mais s'ils s'affirment en public, c'est pratiquement vécu comme une agression. Et si cela heurte les nouvelles orthodoxies, gare! Les Québécois de toutes origines (l'arbitre en question étant musulman) défendront volontiers certaines valeurs avec le zèle des nouveaux convertis. La dernière province à donner le droit de vote aux femmes est maintenant sur la brèche quand il s'agit de proscrire la lapidation des femmes. La province encore dominée par le cléricalisme catholique à l'aube des années 1960 est aujourd'hui la plus opposée à certaines immixtions de la religion dans la sphère publique (sauf quand il s'agit du crucifix à l'Assemblée nationale).

C'est évidemment louable, mais trop de féminisme ne tue-t-il pas le féminisme? Est-ce si progressiste de renvoyer dans les gradins ou à la maison les filles portant le hijab? Est-ce bien la meilleure façon d'encourager l'intégration?

Il n'y a qu'au Québec qu'on réponde oui et il entre dans cette réaction une peur clairement perceptible dans l'amplification d'une poignée d'incidents. À en croire certains, seule la charte de Zéroville pourrait empêcher des hordes étrangères de faire disparaître du Québec alcool, crucifix et sapins de Noël. (Comme si c'était le plus important...)

Au contraire, moi, je suis porté à croire qu'à la longue, il est moins tentant de porter le foulard ou le voile quand on sait qu'on en a la possibilité et qu'il ne signifie rien de plus que son adhésion à un code d'origine médiévale, que lorsque le porter devient un signe de rejet d'un modèle de société, voire de défi des normes et de défi d'autorités clairement injustes ou excessives. Mais il faudrait savoir quelles valeurs on défend, et ne pas confondre féminisme et liberté de culte, par exemple, ou liberté de culte et censure, dans l'autre sens.

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2007-02-26

 

Un pont vers ailleurs

J'évoquais l'autre jour l'évolution des récits à la gloire de l'imagination. Au temps d'Anne of Green Gables, les jeunes filles avaient le droit de rêver et d'imaginer, même quand elles étaient rarement en mesure de quitter la propriété de leur père ou de leur mari, comme les sœurs Brontë ou Emily Dickinson.

Puis vint le temps des rêves à demi réels — le Neverland de Peter Pan (encore une incarnation du Pan antique...) que l'on ne visite plus passé un certain âge. Narnia aussi, au tout début, n'est plus accessible pour ceux qui ont perdu la foi.

Mais quand tout le monde perd la foi, dans un monde désenchanté par la science, il faut que les mondes de l'imaginaire deviennent réels. Ce sont ces mondes de l'autre côté du mur que les personnages de la fiction visitent, en doutant de moins en moins de leur réalité, comme Fionavar chez Guy Gavriel Kay. Certes, il reste des auteurs comme Donaldson qui font de leurs univers magiques (« The Land » dans The Chronicles of Thomas Covenant) des métaphores plus ou moins ouvertes , mais la tendance lourde, depuis Gormenghast de Peake et la Terre du Milieu de Tolkien, favorise la création secondaire pleinement autonome.

Le roman pour jeunes Bridge to Terabithia (1977) de Katherine Paterson dérogeait donc à cette tendance dès sa parution. La contrée de Terabithia qu'on visite en traversant un ruisseau demeure un jeu pour les jeunes personnages. Quand j'ai vu le téléfilm en 1985, j'avais déjà trouvé moins intéressant ce choix narratif, conquis que j'étais par la fantasy contemporaine. Le dénouement tragique de l'histoire des deux amis, dans le téléfilm, m'avait semblé triste, je crois, mais il ne m'avait pas bouleversé.

Le nouveau film tiré du roman est une production de Walt Disney. Comme adulte, j'y ai vu une réalisation pleine de finesse. Le personnage du garçon, Jess, a beau être un peu rêveur, un peu artiste, un peu souffre-douleur, il n'est pas un héros exempt de défauts. On peut comprendre qu'il exaspère son père, et son amitié avec la jeune Leslie lui fait négliger sa petite sœur. C'est d'ailleurs la conclusion du film, où Jess partage le royaume imaginaire de Terabithia avec sa petite sœur, qui m'a surpris et touché, car je ne m'en souvenais pas et elle témoigne du changement opéré chez Jess par le deuil.

La gestion du deuil (par le film, si ce n'est par le livre, que je n'ai pas lu) est d'ailleurs empreinte d'une maturité que je n'avais pas retrouvée chez Dorsey. Dans un premier temps, j'ai été horrifié par la culpabilité dont le récit charge le jeune Jess. Puis, réflexion faite, j'ai trouvé que c'était parfaitement réaliste. Les deuils mettent souvent en lumière les petites compromissions du quotidien qui sont rarement tragiques, mais qui peuvent obséder et tourmenter lorsqu'elles coïncident avec un drame. Et Jess, justement, se fait dire par quelqu'un de plus sage que c'est une rationalité trompeuse que d'attribuer à un manquement passager l'entière responsabilité d'une mort. Mais ce n'est pas non plus une raison pour ne pas chercher à s'améliorer.

Mais si j'ai trouvé que le film était réussi, dans son genre bien particulier, il m'a semble également clair sur le moment qu'il est complètement décalé dans l'univers médiatique des Eragon et autres produits formatés. La salle était pratiquement vide quand je suis allé le voir... Cela dit, le film est au troisième rang du box-office, et ses revenus le classent au vingt-deuxième rang, juste derrière Apocalypto. Le film a donc trouvé son public et c'est ce que je lui souhaite.

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2007-02-25

 

La voix de l'oubli

Un reportage fascinant de NPR permet d'entendre la voix d'un patient uniquement connu sous les initiales H. M. En 1953, il avait subi l'ablation d'une partie du cerveau dans l'espoir de venir à bout de son épilepsie, mais l'opération avait retiré entièrement l'hippocampe, détruisant presque complètement sa faculté de mémorisation épisodique et sémantique. Autrement dit, comme dans le film Memento (2000) de Christopher Nolan, H. M. a conservé ses souvenirs d'avant l'opération et sa mémoire de travail est intacte, mais sa mémoire à long terme ne fonctionne pratiquement plus. (Il peut aussi apprendre de nouvelles habiletés manuelles, sans se souvenir qu'il les a apprises.)

Ainsi, il ne se souvient de pratiquement rien depuis 1953. Il y a quelques exceptions, comme on l'entend durant le reportage, mais on se demande aussitôt s'il s'agit de véritables souvenirs structurés ou de simples associations d'idées. H. M. se souvient qu'un président est mort en 1963 et, si on lui fournit les initiales J. F. K., il répond Kennedy. Dans un article de 2002, la spécialiste Suzanne Corkin se demande si ses souvenirs les plus anciens sont désormais entièrement sémantiques, sans rien de charnel ou d'expérientiel — mais faudrait-il l'attribuer à l'opération ou aux effets de l'âge? Dirait-on alors qu'on entend parler un homme qui a désormais perdu toute sa vie? Encore qu'il serait plus juste de dire qu'il n'a rien retenu des cinquante-quatre années depuis 1953...

Né en février 1926, Henry M. avait un père issu d'une famille francophone de la Louisiane, prénommé Gustave et né en 1892, selon Memory's Ghost de Philip J. Hilts, un ouvrage qui fournit suffisamment d'indices pour identifier Henry si on y tient.

Son père, donc, Gustave Henry M., s'était établi au Connecticut avant la naissance de son fils, épousant une jeune femme de Manchester, Connecticut. Certaines sources affirment que Henry M. est Canadien, peut-être parce que son cas a été étudié tout particulièrement par Brenda Milner de McGill (qui l'avait fait venir à Montréal pendant une semaine) et par une ancienne étudiante de Milner, Suzanne Corkin. Sa mère était-elle...? Il s'avèrerait, bien entendu, très humain que des francophones se trouvent et s'éprennent dans le contexte des années 1920, dans cette Nouvelle-Angleterre qui comptait plus d'un quartier appelé « Little Canada ».

Mais il n'est pas nécessaire de supposer que la mère de Henry M. était canadienne-française pour se poser des questions sur la décision du docteur Bill Scoville de procéder à une amputation sans précédent d'une partie du cerveau d'un patient épileptique mais sain d'esprit. Les autres sujets d'opérations semblables (quoique moins extrêmes) avant lui étaient franchement psychotiques. Le docteur montréalais Wilder Penfield a été horrifié en apprenant la procédure de Scoville, que lui-même a reconnu comme « frankly experimental » dans son article de 1957 avec Milner. Geste quasi criminel? Mais on l'a ignoré, si on n'a pas tout simplement fermé les yeux. La décision aurait-elle été la même si Henry avait appartenu à une classe sociale plus élevée, ou à un groupe ethnique moins marginal?

Son père est mort treize ans après l'opération, en 1966. Sa mère, qui aurait accepté l'opération quand son père se dérobait et refusait de décider, a vécu avec son fils jusqu'à la fin des années 1970. Henry M. sait sans doute qu'ils sont morts, mais sans pouvoir fixer le temps qui a passé depuis. Si le personnage de Morgan dans le roman A Paradigm of Earth de Candas Jane Dorsey pouvait choisir entre le chagrin et le sentiment de la perte, et l'oubli de la mort — au prix de l'oubli d'années de vie, je me demande bien ce qu'elle choisirait...

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2007-02-24

 

Paradigme terrestre

Le temps que je consacre à l'organisation des congrès Boréal m'empêche, ironiquement, de lire les ouvrages des auteurs que j'invite.

Ainsi, je viens à peine de terminer ma lecture du roman A Paradigm of Earth (Tor, 2001) de Candas Jane Dorsey. Je m'y suis lancé à l'aveuglette; je n'avais pas lu les recommandations en exergue ou le résumé qui, après-coup, frappe par sa banalité. Or, Candas a toujours eu le don d'éviter la banalité, le cliché, l'éculé. La science-fiction a de nombreux visages, mais quand elle s'offre comme littérature populaire, elle ne s'écarte jamais beaucoup des voies tracées par les grands pionniers du genre. Candas privilégie la mise en scène des personnages dont les points de vue sont exprimés avec une force et une originalité qui nous obligent à prendre parti. Et si nous adhérons, nous sommes désormais captivés au sens propre du mot.

Mais la place prise par un personnage rogne celle de l'histoire ou de la réflexion sur le monde. L'histoire est la structure du texte qui nous porte jusqu'à la fin parce que nous sommes curieux, parce que l'auteur a eu l'habileté de nous faire une promesse implicite dès les premières lignes (promesse d'une surprise, d'une révélation, etc.) ou parce que l'engrenage des événements est minuté de manière à ne pas nous perdre en cours de route. Et la science-fiction est une façon de remettre en jeu notre connaissance du monde. Ainsi, plus les personnages s'imposent, plus l'histoire pâtit et plus la science-fiction passe en second.

De fait, la science-fiction n'est pas ce qui retient l'attention dans ce roman, au contraire. Même si le récit est censé se dérouler vers 2010, ou un peu plus tard si je calcule bien, on a parfois l'impression de se retrouver en 1990. Le principal élément d'altérité est fourni par l'omniprésence de la surveillance vidéo, ainsi que par la manipulation et la création de vidéos. Il est brièvement question d'équiper une maison d'une installation domotique à jour, mais nous n'en voyons jamais le moindre signe. Les personnages utilisent-ils internet, le courriel, des cellulaires? Ce n'est pas toujours évident. Les habitants de cette maison pourraient tout aussi bien faire partie d'une co-op des années 70. Le personnage principal tient même un journal écrit à la main!

Quant aux émissaires humanoïdes d'une civilisation extraterrestre, apparus sur Terre dans des corps bleus avec des cerveaux réduits à l'état de tabula rasa, ils sont loin d'être post-humains. Au contraire, les pouvoirs que l'un d'eux affiche sont de ceux que la science-fiction emploie depuis un demi-siècle : télépathie, dons de guérison, force inexpliquée... La combinaison de la candeur et de forces cachées est propre à de nombreux personnages semblables. Sans remonter au Huron de Voltaire, on peut citer le Martien de Stranger in a Strange Land ou l'extraterrestre de Starman (1984).

Il y a certes un élément d'anticipation politique. Le premier ministre du Canada est une femme, mais elle fait partie d'une vague néo-conservatrice que les principaux protagonistes déplorent plus ou moins ouvertement. (Du coup, on se demande si les origines du roman pourraient s'enraciner dans la vague conservatrice des années 80, ce qui correspondrait au contexte paléo-technologique, de sorte que cette première ministre serait lointainement inspirée par Kim Campbell.) Il y a même un personnage antipathique qui se prénomme Rahim, comme Rahim Jaffer, membre albertain de l'ancien parti Réformiste et représentant d'Edmonton... (En revanche, un personnage éminemment sympathique s'appelle Delany, comme l'écrivain.)

Quant à l'histoire, elle tient visiblement du bricolage a posteriori. Trois morts mystérieuses ponctuent l'intrigue, et quelques péripéties supplémentaires. Mais l'intrigue policière est clairement plaquée sur le récit et le personnage le plus antipathique est en fin de compte le coupable.

Bref, le roman repose tout entier sur ses personnages. Tout commence, pour Constance Morgan, par une fin. L'un après l'autre, ses parents décèdent et la combinaison du chagrin et de la culpabilité, voire du ressentiment, la dévaste. Elle abandonne son travail auprès d'enfants défigurés dans un hôpital et elle emménage dans une maison qu'elle a héritée de ses parents.

Dorsey évoque avec une concision aussi cruelle qu'authentique les émotions du deuil, mais elle n'arrive pourtant pas à me convaincre de la transformation de Constance. Dans un autre genre de livre, on s'attendrait à une ultime révélation de quelque terrible geste posé autrefois par Constance, qui expliquerait l'ampleur de son dégoût d'elle-même. Mais il n'y a rien de tel; cela ne peut s'expliquer que par la très haute opinion qu'elle avait d'elle-même auparavant et c'est sans doute le cas. Dans la suite du livre, quand le naturel revient au galop, il apparaît clairement que Morgan (comme Constance se fait appeler) est d'autant plus sûre d'elle qu'elle se dévoue pour les autres et qu'elle leur est supérieure par sa tolérance et son ouverture.

Ce qui n'empêche pas les premiers chapitres d'être absolument prenants. Quand Morgan se fait offrir un travail comme préceptrice de l'extraterrestre apparu au Canada, elle s'en fout. Elle vit encore son deuil, et nous trouvons parfaitement raisonnable que ce qui prendrait une importance démesurée dans un roman de science-fiction ordinaire, qui prêche toujours un peu aux convertis, passe en second. Quand un parent est mort, il y a plus important qu'un extraterrestre retombé en enfance, qu'elle baptisera elle-même, un peu par inadvertance, d'un nom évoquant sa coloration — Blue.

Lorsque Blue s'enfuit pour habiter chez Morgan, le roman change de direction. Morgan doit faire cohabiter ses pensionnaires (déjà assez hétérogènes), un extraterrestre qui n'a pas de souvenir d'avant son arrivée sur Terre et les mesures de sécurité voulues par les services secrets, sous la direction d'un bureaucrate que Morgan appelle Mr Grey.

Rappelant en cela certains romans d'Ayerdhal ou Natasha Beaulieu, Candas excelle dans l'évocation de familles singulières. Dans L'Eau noire et L'Ombre pourpre, Beaulieu avait décrit la constitution d'une famille composée (et recomposée) d'êtres singuliers venus d'horizons différents mais qui acceptaient leurs différences et finissaient par s'entendre fort bien. Dans Parleur, Ayerdhal nous faisait aimer la petite communauté formée par des personnages colorés et marginaux. J'aurais toutefois tendance à dire que la personnalité de Morgan prend trop de place pour que son roman devienne une histoire collective. Nous voyons ses pensionnaires par ses yeux et, même avec l'aide de la télépathie de Blue, ils lui restent étrangers. Plus étrangers que l'extraterrestre qu'elle a adopté.

Ce qu'il y a de plus dérangeant chez Dorsey, en particulier dans un roman qui se plaint de l'intolérance et de l'incapacité des uns à accepter les différences des autres, c'est l'intolérance des intolérants. Les personnages les plus antipathiques sont condamnés sans appel. De ce point de vue, même un romancier comme David Weber a quelque chose de plus généreux quand il accorde une part d'autonomie et de raison à tous ses personnages, y compris aux salauds. Le roman de Dorsey est si vertueusement de gauche qu'il est plus insupportable que la fiction d'Ayerdhal, pourtant de loin plus militante.

La conclusion était plus ou moins annoncée. Blue devait repartir. Il était dit que Morgan émergerait de son deuil. Et l'amour de tous pour tous (un autre aspect qui rappelle Stranger in a Strange Land de Heinlein) scelle le dénouement des intrigues nouées pendant deux années palpitantes.

Bref, c'est un roman qui me laisse partagé. L'écriture de Candas est percutante, ses personnages sont souvent fascinants et les rebondissements soutiennent l'intérêt jusqu'à la fin. À la limite, c'est peut-être son roman le plus accessible. Mais j'ai été moins convaincu ou renversé par la fin que par le début. Il aurait fallu que ce soit l'inverse.

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2007-02-23

 

Anneau de fumée cosmique

Je rattrape peu à peu mes lectures d'une actualité scientifique parfois bien démodée du fait du retard accumulé. Je tombe sur des choses intéressantes, comme cet article de Schild, Masnyak, Hnatyk et Zhdanov paru dans le numéro d'août 2004 de la revue Astronomy and Astrophysics, dont le titre pose la question : « Smoking Gun of a Cosmic String? »

Les cordes cosmiques, comprises comme des défauts de structure de l'espace-temps, apparues lors d'un changement de phase au tout début de l'Univers, avaient soulevé beaucoup d'intérêt il y a une dizaine d'années. J'en avais tiré le décor d'une nouvelle, « L'arche de tous les temps », parue dans Escales 2000 (Fleuve Noir, 1999). Comme les cordes cosmiques primordiales sont si massives qu'elles étaient censées expliquer l'agglomération de la matière durant les premiers temps de l'expansion de l'Univers, j'avais dû postuler une corde cosmique considérablement allégée pour en faire un objet que des êtres humains pouvaient côtoyer. Cela contredisait légèrement le scénario imaginé par certains théoriciens et que j'avais incorporé à la nouvelle, selon lequel l'interaction antérieure de deux cordes cosmiques massives avait pu engendrer une trajectoire spatio-temporelle remontant dans le passé...

Depuis cette époque, la vogue de l'énergie sombre avait entraîné la défaveur de l'hypothèse des cordes cosmiques. Toutefois, l'article de Rudolph Schild et de ses collaborateurs apporte rétrospectivement de l'eau à mon moulin. En se basant sur l'observation d'un double quasar, ils concluent qu'il faut admettre l'existence d'une corde cosmique qui joue le rôle de lentille gravitationnelle.

Si j'interprète bien leur article, que je n'ai parcouru que superficiellement, ils évoquent une corde cosmique fermée qui aurait une longueur totale de 0,4 années-lumière. Elle voyagerait à un vitesse représentant 70% environ de la vitesse de la lumière, un peu plus lentement que dans ma nouvelle. À une distance d'environ 3 kiloparsecs, elle se situerait carrément à l'intérieur des limites de notre Galaxie. Si la boucle était circulaire (comme dans ma nouvelle), elle aurait un rayon d'environ 4000 unités astronomiques. Dans notre système solaire, ceci la placerait loin au-delà de la ceinture de Kuiper, mais bien en-deçà du nuage d'Oort, à 20 000 ou 50 000 unités astronomiques du Soleil. La masse linéique de cette corde cosmique serait très proche des valeurs primordiales, de sorte qu'un segment de 7,5 km de la corde aurait la même masse que la Terre!

L'objet est donc nettement plus impressionnant que la corde cosmique de ma nouvelle, mais il est nettement plus modeste que les objets prévus par la théorie. Cela permet de croire à des objets encore plus petits et encore plus proches. Et je suis particulièrement satisfait de voir que la première observation convaincante aille plutôt dans le sens de ma nouvelle d'autrefois...

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2007-02-22

 

Cogestion boréalienne

Au fil des ans, le congrès Boréal est devenu une création collective des organisateurs et des participants. Suivant en cela une tradition inaugurée par Readercon, cela fait une dizaine d'années que l'organisation de chaque congrès Boréal successif soumet aux participants éventuels une liste de sujets potentiels pour les tables rondes en les invitant à indiquer lesquels ils préfèrent, lesquels les indiffèrent et lesquels ils tiennent à fuir, en rampant sur des tessons de verre au besoin.

Cette année, le congrès a lieu les 27, 28 et 29 avril à l'Université Concordia. Le responsable de la programmation, Christian Sauvé, vient de mettre en-ligne son questionnaire patenté et il invite tous les intéressés à donner leur avis. La liste des sujets de tables rondes, pourtant affolante, n'épuise pas les surprises de la programmation que nous vous préparons. Outre un colloque sur l'uchronie, qui réunira des participants de l'Europe et de l'Amérique du Nord, le congrès offrira aussi une table ronde rétrospective sur 1974, une année décisive pour l'évolution de la science-fiction au Canada francophone, et plusieurs occasions de rencontrer de nombreux directeurs littéraires professionnels, représentant des éditeurs ou des revues du Canada (Alire, Médiaspaul), de la France (Bélial, Bragelonne, Seuil, Univers Poche) et des États-Unis (Tor), ainsi que des micro-éditeurs d'ici (Six Brumes).

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2007-02-21

 

Le printemps, saison de la guerre?

Dans les nouvelles du moment, on peut relever l'arrivée d'un second porte-avions étatsunien à portée de frappe de l'Iran, l'explication de l'ampleur potentielle des plans pour une attaque de l'Iran et les efforts du président Bush pour attiser les hostilités verbales, car il fait de son mieux pour convaincre ses concitoyens que le gouvernement iranien est responsable de tout ce que feraient des Iraniens en Irak, que ce gouvernement le veuille ou non, qu'il le sache ou non. (Ceci permettrait de condamner George W. Bush pour tout ce que ses soldats font en Irak, curieusement...)

S'agit-il d'un nouveau bluff? En avril dernier, les États-Unis avaient orchestré une campagne diplomatique, sans doute doublée de tentatives d'intoxication médiatique, pour faire pression sur l'Iran, voire sur ses propres alliés. La menace d'une guerre nucléaire avait filtré, dans un contexte qui rappelait furieusement les préparatifs de l'invasion de l'Irak. À l'époque, j'avais parlé de bluff. Une façon de ne pas m'engager, mais aussi une façon de reconnaître la dimension spectaculaire de la combinaison d'annonces officielles et de fuites montées en épingle. Cette année, le printemps sera-t-il la saison de la guerre, comme en 2003, ou la saison des bluffs, comme en 2006?

S'il y a une raison de s'inquiéter, c'est à cause du syndrome du marteau qui fait que, lorsqu'on a un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous. Personne n'échappe à la tentation de se servir des outils à sa disposition. (La principale exception serait les armes nucléaires : plus on en a, moins c'est pour s'en servir. Sauf contre ceux qui n'en ont pas.) On se souvient parfois avec une certaine affection de l'administration Clinton aux États-Unis, mais il convient de rappeler la question posée par sa secrétaire d'État, Madeleine Albright, à Colin Powell : « What's the point of having this superb military you're always talking about if we can't use it? » Le chat sortait du sac, révélant cette prédisposition sans doute commune aux gens de pouvoir qui sont avant des praticiens à la recherche de solutions.

L'administration Bush actuelle a-t-elle la discipline requise pour manier l'arme du bluff sans jamais céder à la tentation d'aller jusqu'au bout? Contre la Corée du Nord, peut-être bien. Mais contre l'Iran, la bête noire des néo-conservateurs étatsuniens depuis 1979, ce n'est pas si sûr et la question demeure posée.

2007-02-20

 

Le siècle des immigrants

J'ai fini par lire Farthing de Jo Walton. J'avais assisté au lancement montréalais il y a longtemps et l'ouvrage a été critiqué çà et , entre autres par Christian Sauvé.

Le roman nous transporte dans un manoir anglais, vers 1948, mais le cours des événements historiques a divergé du nôtre. La mission de Rudolf Hess en 1941 conduit à la négociation d'un traité de paix entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne, ce qui permet à Hitler de faire la guerre à l'Union Soviétique et cette guerre dure encore en 1948. (Dans la mesure où l'Union Soviétique aurait été en mauvaise posture sans le ravitaillement par ses Alliés occidentaux, qui sont absents de ce scénario, on se demande comment les Soviétiques ont fait pour résister si longtemps.) Dans cette version, Winston Churchill a été écarté par une faction plus à droite du parti Conservateur, inspirée du Cliveden Set.

Pendant ce temps, la Grande-Bretagne devient l'équivalent de la Suède ou de la Suisse, un État plus ou moins ami, qui ne gêne pas les entreprises nazies et qui accepte les pratiques nazies comme une nouvelle norme. Cet état d'esprit favorise la montée de partisans des méthodes nazies. Qui en fera les frais? Les minorités du pays — Juifs, immigrés, homosexuels — et les libertés britanniques.

C'est ce que découvre progressivement la jeune Lucy Kahn, épouse de fraîche date d'un banquier juif honni par le reste de sa famille aristocratique, les Eversley, châtelains de Farthing. C'est un meurtre au manoir qui déclenche l'engrenage. La mort de l'homme qui a négocié la paix avec Hitler sera le prélude d'une prise du pouvoir par une faction extrémiste, car la scène du crime fait croire à un assassinat par un Juif ou un « terroriste » plus ou moins anarchisant ou communiste. Le principal suspect est naturellement David Kahn, qui est sur les lieux.

Un détective de Scotland Yard qui mène l'enquête n'est pas d'accord, mais le récit de l'investigation par ce Carmichael, qui occupe un chapitre sur deux, éclaircira trop tard le mystère. Lucy et son mari doivent prendre la fuite pour éviter d'être arrêtés et l'histoire se termine alors qu'ils vont tenter de quitter l'Angleterre, un rappel d'une réalité si répandue au siècle dernier qu'on l'a souvent appelé le siècle des personnes déplacées.

Ainsi, ce qui commence comme un mystère au manoir devient une conspiration politique. Les personnages principaux s'en aperçoivent trop tard, mais je crois que c'est délibéré de la part de Jo Walton, qui suggère (suivant la litanie attribuée à Martin Niemöller) que si on ferme les yeux trop longtemps, il sera trop tard.

Toutefois, cet aveuglement mine la vraisemblance de la conclusion parce que le lecteur n'est pas convaincu que le meurtre d'un politicien dans une demeure privée suffirait à mobiliser les opinions en faveur d'un durcissement des lois, tout simplement parce que les personnages principaux ne sont vraiment émus ni par la mort de la victime ni par les conséquences politiques ou le battage médiatique ou l'émotion publique à l'extérieur du manoir de Farthing. Mais il s'agit d'un prétexte, que le roman rapproche sciemment de l'incendie du Reichstag. Et, après tout, la mort d'un homme à Sarajevo le 28 juin 1914 a déclenché une guerre justement parce que les aristocrates qui gouvernaient l'Europe ont été bouleversés par la mort d'un homme comme eux...

En fait, ceci met en lumière la principale déficience du roman, et de son intention politique. Clairement, Walton entend suggérer un parallèle entre la dérive fascisante de son Angleterre uchronique et les événements de ces dernières années en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pour rejoindre ses lecteurs, elle fait de ses personnages principaux des gens comme ses lecteurs : blancs, de culture européenne, rattachables à la classe moyenne. Mais les minorités comme nous et les libertés démocratiques sont-elles les principales victimes des idéologues et mouvances politiques qu'elle dénonce? Ce n'est pas si sûr. L'hystérie mobilisée par les politiciens néo-conservateurs en Grande-Bretagne ou aux États-Unis ne donne toujours pas signe de dépasser les bornes traditionnelles des États policiers d'allégeance démocratique. Que ces pays diminuent à l'intérieur les libertés de leurs citoyens au point de tomber au niveau de... la France, ce n'est quand même pas si dramatique. En revanche, la politique étrangère et néo-impérialiste de ces pays est bel et bien celle qui a tué des centaines de milliers de personnes, ruiné des millions de vie et contribué à réduire encore les libertés dans les pays qui profitent de nouvelles exemptions tacites...

Les Anglais aiment se souvenir de la Seconde Guerre mondiale et de la petite Angleterre tenant tête au monstre nazi. En fait, même pendant les heures les plus sombres de la guerre, l'Allemagne nazie faisait face à un empire qui était loin de se limiter à la seule Grande-Bretagne. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a amplement profité de la cote de crédit canadienne aux États-Unis, des ressources achetées avec le caoutchouc et l'étain de la Malaisie, du pétrole de la Birmanie ainsi que du Proche- et Moyen-Orient, et d'une armée indienne de 2-3 millions d'hommes, sans parler des 2,6 millions d'hommes fournis par les dominions ou des 400 000 Africains enrôlés dans l'armée britannique.

Ce que Indigènes rappelle dans le cas français vaut également, sinon plus, pour la Grande-Bretagne. Les soldats britanniques représentaient moins de la moitié des forces du Commonwealth durant la Seconde Guerre mondiale. Le Cliveden Set ne l'ignorait pas; loin d'être d'abord des fascistes, des Nazis ou des Germanophiles, les membres du groupe étaient surtout unis par leur impérialisme. Mais le roman de Walton élude presque entièrement le sujet.

C'est la lézarde cachée qui affaiblit tout le livre, et j'avais déjà soulevé la question lors du lancement. L'Angleterre évoquée par Jo Walton est a priori entièrement blanche et presque rien ne rappelle (hormis quelques allusions au thé des Indes, et une mention des revendications indiennes du statut de dominion) que l'Empire britannique tirait une grande partie de sa puissance de son hégémonie impériale. Le projet sous-entendu d'introduire l'étoile jaune des Nazis en Angleterre est-il fasciste ou représente-t-il un moyen d'étendre à l'Angleterre les avantages de la ségrégation raciale imposée par les colonisateurs britanniques en Inde et en Afrique, quand la couleur de la peau ne suffit plus à distinguer les gens comme nous de ceux qui ne le sont pas?

Sur une note plus légère, on retiendra que le Canada aussi prend une coloration uchronique : le pays qui refusait d'accepter des immigrants ou réfugiés juifs est devenu l'ultime havre pour Lucy Kahn et son mari.

J'ai fini la journée au Cœur des Sciences de l'UQÀM pour assister à un débat avec Yves Gingras, Philippe Mabilleau et Alan Sokal : « Quand la science flirte avec le mysticisme : Attention danger ?» Comme il s'agissait de trois intervenants d'une redoutable intelligence, on n'a pas entendu de bêtises. Même Philippe Mabilleau, qui s'intéresse au paranormal à ses moments perdus, a surtout plaidé pour un peu plus d'ouverture à l'étude des phénomènes inexpliqués, mais sans se commettre sur les causes des anomalies observées. Difficile de ne pas être d'accord!

Sokal avait commencé par distinguer la science comme démarche (approche, méthode), la science comme ensemble de connaissances, la science comme communauté humaine et la science appliquée (sous la forme de la technologie). Il recommande Prophets Facing Backward de Meera Nanda sur la science nationaliste hindoue. En évoquant le désenchantement du monde par la science, Gingras cite plutôt le film The Prestige pour illustrer que le dévoilement d'un secret nuit toujours à son attrait.

La question que j'aurais posée pour remettre en question la condamnation du mysticisme scientifique, de la science instrumentalisée par le mysticisme et de la confusion de la science et de la religion aurait concerné l'utilité objective de ce mysticisme... Après tout, les repoussoirs cités — les États-Unis, l'Angleterre de Hawking, l'Allemagne (nazie) de Planck et de Heisenberg, et même l'Inde des ultra-nationalistes actuels ou l'Union soviétique de Lyssenko — sont des pays qui, toutes proportions gardées, ont été ou sont parmi les plus performants de leur catégorie en matière de recherche scientifique. Le flirt de la science et du mysticisme est-il uniquement une stratégie de positionnement des scientifiques dans la culture du moment? Ou faut-il y voir un mouvement conquérant de la science triomphante, qui n'hésite pas à empiéter sur les plates-bandes de la religion quand elle s'est déjà imposé dans tous les autres domaines? Inversement, quand le mysticisme ou le nationalisme font appel au prestige de la science, n'est-ce pas la preuve de la légitimité acquise auparavant par la science et les scientifiques? Par conséquent, au vu du nombre de Prix Nobel et de succès obtenus par la recherche scientifique dans ces pays, faut-il s'inquiéter de la présence de dérives mystico-scientifiques... ou de leur absence?

Autrement dit, si le nationalisme québécois s'associait plus souvent à la science québécoise, si les atomes étaient fleurdelysés, serait-ce un motif d'inquiétude... ou le signe d'une identification populaire aux réussites scientifiques québécoises? Les deux, peut-être.

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2007-02-19

 

La hiérarchie des prix

Quelle est la valeur d'un prix littéraire? Si on fait abstraction de la bourse qui accompagne (parfois) un prix, ce n'est pas si facile de le savoir. Les retombées postérieures ne seront pas toujours associées à la remise d'un prix si elles se font attendre. Sans nier les avantages moins tangibles, dont la satisfaction d'amour-propre, il faut sans doute s'intéresser au retentissement des prix.

Mais comment l'évaluer? Les bases de données qui prétendent recenser le contenu des journaux sur le long terme sont lacunaires. Et que vaut l'annonce de la remise d'un prix dans un journal lu par quelques dizaines de milliers de personnes, puis oublié le lendemain? De plus, ce ne sont souvent pas les mêmes bases qui contiennent les journaux et les revues ou périodiques culturels qui seraient plus susceptibles de parler de prix littéraires, en supposant même que ces périodiques aient été numérisés. Mieux vaut donc se tourner vers un support plus durables et plus universel : internet.

Le palmarès Google donne les résultats suivants pour les prix de la SFCF :

« Prix Aurora », « science-fiction » : 9 110 mentions
« Prix Boréal », « science-fiction » : 771 mentions
« Prix Solaris », « science-fiction » : 510 mentions
« Grand Prix de la Science-Fiction et du Fantastique québécois » : 431 mentions
« Prix Dagon », « science-fiction » : 226 mentions
« Prix Septième Continent » : 192 mentions

Comme une recherche avec « Prix Dagon », « Prix Solaris » et « science-fiction » obtient 145 mentions, on peut évaluer le nombre de mentions distinctes obtenues par le Prix Dagon/Solaris à 591 au total.

Comme il faut ajouter le mot-clé « science-fiction » dans le cas des Prix Aurora, Boréal, Dagon et Solaris pour minimiser les risques de confusion avec des prix du même nom (et les génératrices de sites de vente), les résultats obtenus dans ces trois cas sous-estiment probablement le nombre de mentions obtenues par Google. Comme on le sait, Google est loin de recenser l'ensemble de ce qui est accessible par internet, mais quand le nombre de résultats dépasse la centaine, je crois qu'on peut raisonnablement dire que les chiffres sont représentatifs, de sorte que l'ordre du classement des prix de la SFCF est sans doute correct.

Ce classement peut sembler paradoxal. Le milieu de la SFCF tient le Grand Prix comme le plus prestigieux des prix disponibles; pourtant, il arrive ici en quatrième place.

Certes, la première place des Prix Aurora s'explique par le fait qu'ils ont un volet anglophone, de sorte que la Toile encore dominée par l'anglais répercute beaucoup plus volontiers les informations liées à des créateurs anglophones. Dans les autres cas, l'hypothèse qui se présente rapidement, c'est que ces résultats sont une fonction du nombre de lauréats distincts, puisque ceux-ci seront amenés à faire état des prix qu'ils ont remporté dans plusieurs circonstances propices au transfert en-ligne de l'information.

Mais est-ce le cas? Heureusement, il est assez facile de réunir les chiffres requis.

Depuis 1977, les Prix Solaris (anciennement Dagon) ont récompensé, dans la seule catégorie de la création littéraire, vingt-deux auteurs différents, soit 23 personnes en tout. Si on inclut aussi la catégorie de la bande dessinée, ce sont 38 personnes distinctes qui ont obtenu au moins un Prix Solaris.

Depuis 1980, les Prix Boréal ont récompensé, dans les seules catégories du livre, de la nouvelle et de la production critique, trente-quatre auteurs différents, soit 33 personnes en tout. Si on inclut aussi les autres catégories, ce sont 52 personnes distinctes qui ont obtenu au moins un Prix Boréal.

Depuis 1980, les Prix Aurora (anciennement Casper) ont récompensé, dans les seules catégories professionnelles francophones, vingt-deux personnes. En fait, la première catégorie distincte pour les francophones ne datant que de 1986, il n'y a pas de lauréat francophone avant cette date.

Depuis 1984, le Grand Prix de la Science-Fiction et du Fantastique québécois a récompensé dix-sept auteurs différents, soit 18 personnes en tout. Ceci inclut les deux récipiendaires du prix pour la nouvelle, mais il exclut le lauréat du prix jeunesse que je n'ai pas trouvé sur le site officiel. L'âge moyen des récipiendaires est de 41 ans. Éric Gauthier détient le record de la jeunesse et Élisabeth Vonarburg celui de l'âge. Au moins cinq des récipiendaires sont nés en France ou de parent(s) français.

On peut alors calculer deux séries de rapports. La première série donnera le nombre de mentions sur internet rapporté au nombre de personnes ayant remporté au moins un prix. La seconde donnera le nombre de mentions sur internet rapporté au nombre d'écrivains (ou d'écrivants) ayant remporté au moins un des prix d'écriture. Cela donne le tableau ci-dessous.


Les résultats sont parlants. Les chiffres affichés dans la première colonne varient beaucoup en raison de l'inclusion des lauréats dans les catégories non-littéraires des Prix Boréal et Solaris. En revanche, exception faite des Prix Aurora, les résultats se ressemblent énormément dans la seconde colonne (les différences ne sont probablement pas significatives). On peut supposer que les auteurs sont bien plus systématiquement portés à faire état de ces prix que les autres récipiendaires et qu'ils dominent donc les variations du classement.

Ainsi, les écrivants (auteurs, directeurs littéraires et critiques compris) paraissent revendiquer chacun des prix dans les mêmes proportions, à très peu de chose près, et les principales différences tiennent au nombre différent de récipiendaires de chaque prix.

Et quelle est la valeur d'un prix littéraire dans le milieu de la SFCF? Eh bien, non sans surprise, je constate que le Prix Solaris a le meilleur retentissement, mais cela tient à si peu qu'il serait plus juste de dire que les trois prix québécois ont le même retentissement.

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2007-02-18

 

Note de recherche (1)

Le Canada et la technologie : l'adoption d'un mot

Technologie. On n'a que ce mot à la bouche de nos jours. Des biotechnologies aux zootechnologies, en passant par les génotechnologies et les nanotechnologies, les produits de l'ingéniosité humaine envahissent nos vies et se taillent une place dans les discours publics. Objets de peur et objets d'espoir, les technologies sont synonymes de modernité, même si le grand public ne saisit plus exactement à quand remonte ce lien.

Ce mot qui envahit les discours était pourtant loin de désigner à l'origine ce qu'il désigne aujourd'hui. En fait, quand Aristote accouple les racines technê et logos dans sa Rhétorique (1.1, 1.2), il l'utilise cinq fois dans un sens que certaines traductions esquivent carrément, rendent par des circonlocutions ou résument en parlant des « règles de l'art » ou de « l'art de plaider », ou encore de l'exposition ou analyse d'un sujet, nommément la rhétorique. Quand Épictète reprend le terme deux fois dans un discours sur le caractère des hommes et des philosophes, des siècles plus tard, il semble se moquer explicitement du jargon des philosophes, mais il emploie toujours l'expression dans le même sens. Il s'agit toujours de systématiser une connaissance ou un domaine, et de soumettre le tout aux meilleures règles de l'art. C'est toujours la base de la définition du mot dans la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1832-1835) : « Traité des arts en général ».

Or, l'exposition rigoureuse d'un sujet ou la définition de la façon de l'analyser n'a pas grand-chose à voir avec la technologie moderne, faite de réalisations concrètes et d'une maîtrise de la technique proche de la rigueur des sciences.

Pourtant, c'est encore dans le sens premier que François-Xavier Garneau emploie ce mot dans une note de son Histoire du Canada en 1845 (p. 331) :

« Ces décisions qui prennent dans la technologie légale anglaise le nom de précédents, peuvent être aussi diverses qu'il y a de jugemens »

En apparence, Garneau l'utilise comme équivalent de système terminologique ou de vocabulaire spécialisé. Toutefois, l'Encyclopédie de Diderot parlait déjà au siècle précédent de la technologie comme de la catégorie des lettres qui traite de tout ce qui regarde les arts, qu'ils aient pour but de pourvoir aux besoins réels ou imaginaires de l'être humain, de plaire aux sens ou d'exercer sa puissance de travail. Le terme apparaît dans un article sur le catalogage par un libraire qui se base sur la classification de l'abbé Gabriel Girard (1677-1748). La technologie inclut les ouvrages qui traite des arts civiques, qui « sont ceux que la politique adopte par préférence dans la constitution du gouvernement ».

Garneau est resté plus fidèle à l'acception de l'Encyclopédie, mais le mot allait effectivement prendre le sens de terminologie spécialisée au dix-neuvième siècle, ce dont témoigne la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1932-1935) : « Ensemble des termes propres à un art, à une science, à un métier. »

Les distinctions restent mouvantes. Ainsi, en 1809, Lamarck distingue la technologie de la nomenclature dans sa Philosophie zoologique : « Afin de désigner clairement l'objet de la nomenclature, qui n'embrasse que les noms donnés aux espèces, aux genres, aux familles et aux classes, on doit distinguer la nomenclature de cette autre partie de l'art que l'on nomme technologie, celle-ci étant uniquement relative aux dénominations que l'on donne aux parties des corps naturels. » (p. 34)

Ce souci de précision du scientifique reste étranger aux hommes de lettres. En 1832, dans Mademoiselle de Marsan, Charles Nodier reste assez général : « Cependant le renouvellement journalier de ces rapports devait finir par établir entre quelques-uns de mes commensaux et moi une espèce d'intimité. Il s'en trouvait deux parmi eux qui parlaient d'ailleurs français avec une grande élégance, et qui étaient plus versés que moi-même dans la technologie des sciences physiques, mon principal objet d'étude et d'affection. » (p. 44) En 1842, dans Jérôme Pâturot à la recherche d'une position sociale, Louis Reybaud utilise quatre fois le mot. Peut-être par préciosité ou dans un but de satire feutrée, il s'en sert pour critiquer... le jargon dans les sciences, et même dans la politique : « J'avais remarqué, en effet, que la chambre change de temps en temps de technologie, et adopte certaines expressions, certains mots pour leur donner une popularité triomphante. » (p. 360)

Dans sa correspondance, vers 1839, Balzac reste également assez vague : « Mais vous savez que je ne le croyais pas moi-même, et que j'étais, il y a six mois, d'une ignorance hybride en fait de technologie musicale. Un livre de musique s'est toujours offert à mes regards comme un grimoire de sorcier; un orchestre n'a jamais été pour moi qu'un rassemblement malentendu, bizarre, de bois contournés, plus ou moins garnis de boyaux tordus, de têtes plus ou moins jeunes, poudrées ou à la titus, surmontées de manches de basse, ou barricadées de lunettes, ou adaptées à des cercles de cuivre, ou attachées à des tonneaux improprement nommés grosses caisses, le tout entremêlé de lumières à réflecteurs, lardé par des cahiers, et où il se fait des mouvements inexplicables, où l'on se mouchait, où l'on toussait en temps plus ou moins égaux. »

Si Nodier et Reybaud semblent bien parler du vocabulaire (et les hommes de lettres en France s'en tiendront à cette acception jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle), Balzac laisse apercevoir un glissement dans la direction de la connaissance non seulement des termes mais des choses d'un domaine.

De fait, c'est dès le dix-huitième siècle qu'on associe de plus en plus la technologie aux arts productifs. En 1706, le Phillips Dictionary définit la technologie comme « A Description of Arts, especially Mechanical ». En 1728, le philosophe allemand Christian Wolff fait d'elle la « Scientia artis et operum artis ». En 1777, l'Anleitung zur Technologie du professeur allemand Johann Beckmann fait de la technologie la science des métiers et des transformations des matières premières. En 1793, Jean-Henri Hassenfratz emploie le mot dans l'intitulé d'un cours sur les arts, métiers, machines et manufactures au Conservatoire national des Arts et Métiers à Paris. En 1800, Jean-Antoine Chaptal propose un cours de technologie qui portera sur la mécanique appliquée et la chimie appliquée.

En français, dès 1803, le neuvième numéro du Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale paru en floréal, an XI, inclut ce passage (p. 178) : « La Technologie, d'ailleurs, n'étant point une science proprement dite, mais l'application des sciences, en général, aux besoins de la vie, nécessite une connaissance plus qu'élémentaire de ces même sciences ». Bref, entre Beckmann en 1777 et 1803, la technologie a commencé à désigner plus particulièrement l'application (utilitaire) d'un savoir.

En 1851, dans son Essai sur les fondements de nos connaissances, Antoine Augustin Cournot confirme cette nouvelle équivalence : « À vrai dire, il n'y a de très digne d'attention dans l'essai de Bacon que l'idée fondamentale de sa division tripartite. Voyons comment d'Alembert l'a acceptée et modifiée. D'abord il change l'ordre des facultés principales, en faisant systématiquement violence à toutes les inductions psychologiques et historiques, et il les dispose ainsi: mémoire, raison, imagination; les rubriques correspondantes sont: l'histoire, la philosophie, la poésie; mais la substitution du mot de philosophie au mot de science n'est qu'une affaire de style, et au fond, pour D'Alembert comme pour Bacon, ces deux termes ont la même valeur. L'histoire et la poésie se subdivisent à peu près comme dans l'arbre baconien, mais avec des additions considérables: car la technologie (ou, comme on disait alors, les arts, métiers et manufactures) se trouve faire partie de l'histoire naturelle ; tandis que les beaux-arts (la musique, la peinture, l'architecture, etc. ) Sont rattachés sous la même rubrique à l'imagination, avec la poésie proprement dite. »

Ce sont les plus anciens de ces développements français dont témoigne, dans son Cours abrégé de chymie (1833), le médecin canadien Jean-Baptiste Meilleur quand il parle ainsi de technologie, unissant la connaissance des arts et de leur terminologie (p. 144) :

«TECHNOLOGIE, s. f. de Technê, art, et de Logos, traité, la science qui traite des arts et de leurs termes particuliers.
«TECHNOLOGIQUE, adj., qui a rapport à la technologie. »

Toutefois, dans son inventaire des sortes de chimie, il inclut (p. 11) :

« La chymie technologique, qui nous guide dans les divers procédés des arts et les simplifie »

En 1833, un voyageur français au Canada, Isidore Lebrun évoque lui aussi la chimie technologique dans une note de son Tableau statistique et politique des deux Canadas (p. 189)

« M. Girod, auteur de divers articles sur l'instruction dans les journaux de Québec, a demandé en vain une allocation pour établir une école d'agriculture sur le modèle de celle d'Hofwyl en Suisse. Les mathématiques, le dessin linéaire, la géographie et l'histoire commerciale, l'histoire naturelle, la physique et la partie technologique de la chimie devraient être enseignées avec application à l'agriculture et aux arts mécanique, bases de l'instruction qui aurait compris aussi l'étude du français et de l'anglais, et la tenue des livres. »

C'est peut-être de Girod que se moque Michel Bibaud (1782-1857) dans un texte d'octobre 1825 (Bibliothèque canadienne, tome 1, p. 144) en critiquant un certain pédant appelé «M. G***» qui abuse de termes scientifiques et qui aime étaler sa mémoire des mots :

« Mais placez-le en face d'un homme de quelque savoir, d'un érudit enfin. Oh! n'ayez pas peur qu'il déroule son vocabulaire; il écoute au contraire avec une sorte de recueillement; il est tout oreille : chaque parole qu'il entend, il la corrobore d'un mouvement de tête admiratif; il semble retenir son haleine. Mais peu à peu l'enthousiasme le gagne, le surmonte; G*** n'y tient plus, il éclate : divin ! charmant ! délicieux ! s'écrie-t-il d'une voix à dominer toutes les conversations particulières; et tous les yeux de se tourner vers lui. On s'étonne, on le presse, on l'interroge : G*** triomphe; il a fixé l'attention; il saisit les professeurs au passage, et à la faveur de quelques louanges hyperboliques, et sous prétexte d'éclaircir un doute, il leur répète mot à mot la leçon qu'il vient d'entendre : sa mémoire technologique est le fléau de la société. »

Avant 1850, ce sont les seuls cas d'emploi de ce mot retrouvés dans la littérature canadienne d'expression française. Ainsi, Bibeau (1825) et Garneau (1845) conçoivent la technologie comme désignant la maîtrise d'un lexique, voire d'un texte, tandis que Girod et Meilleur (vers 1833) la comprennent — au moins un peu — comme une connaissance de certaines applications pratiques.

En anglais, on repère la mention de « Bigelow's Technology » dans la liste des livres achetés pour la bibliothèque de l'Assemblée législative lors de la mise en vente de la collection privé du défunt juge John Fletcher (1767-1844), dans le procès-verbal du 20 mars 1845 du Parlement du Canada-Uni. Dans la liste des livres à acheter à la même date figure aussi « Crabb's Technological Dictionary ».

La présence des Elements of Technology (1829) de Jacob Bigelow (1786-1879) dans la bibliothèque du juge Fletcher n'est pas surprenante puisque celui-ci s'était distingué par ses articles et ses conférences sur des sujets scientifiques en Grande-Bretagne avant son arrivée au Canada en 1810. Quant à l'ouvrage de Bigelow, son sous-titre explicitait son sujet, « the Application of the Sciences to the Useful Arts ». En avril 1830, la recension dans The North American Review se plaignait d'ailleurs de l'emploi d'un mot aussi inusité : « The word Technology gives but an imperfect idea of the contents of this volume. The end of a name would have been better answered by some title showing, that it treated of the scientific and practical principles of many of the useful, curious, and elegant arts. »

Dans la revue The British American Cultivator, l'école d'Hofwyl est de nouveau citée en novembre 1844, cette fois comme modèle de l'Institut de Templemoyle en Irlande, qui accueillait en 1837 un total de soixante-six étudiants de 15 à 17 ans, « preparing themselves for the thorough management of farms. » Si cette institution enseignait aussi bien l'anglais et les mathématiques que les principes et la pratique de l'agriculture, la revue présentait aussi un établissement plus spécialisé, l'Institut agricole du Württemberg fondé en 1818, devenu depuis l'Universität Hohenheim à Stuttgart. Le programme inclut (p. 165) :

« 2. Forestry — Encyclopedia of forestry, botany of forests, culture and superintendence of forests, hunting, taxation, uses of forests, technology, laws and regulations, accounts, and technical correspondence relating to forests.

« 3. Accessory Branches — Veterinary art, agricultural technology, especially the manufacture of beet sugar, brewing, vinegar making, and distilling. The construction of roads and hydraulic works »

Dans le premier cas, la technologie s'insère entre des activités pratiques et des techniques de gestion. Cela ne facilite pas l'interprétation du terme, mais on peut remarquer qu'elle se place dans une énumération qui commence avec la taxation et les utilisations de la forêt, et qui se poursuit avec les lois et règlements, la comptabilité et la correspondance technique. Cela fait pencher pour une référence à une théorie générale quelconque ou une introduction à un glossaire spécialisé.

Dans le second cas, l'auteur a levé l'ambiguïté en dressant la liste de ce qu'il entend par technologie agricole, soit la production de bière, de vinaigre, de sucre de betteraves ou d'alcool distillé. La connaissance théorique se rapproche de la connaissance pratique, mais le mot semble conserver une certaine labilité.

Comme le Canada est une colonie britannique, il serait possible d'éclairer la compréhension du mot en examinant l'emploi du mot « technology » dans un organe de la presse britannique tel que le Times de Londres, un journal de référence. Jusqu'en 1850, le mot ne sert que quatre fois.

Le 21 novembre 1825, un article s'intéresse à l'éducation en Russie et annonce la fondation d'un établissement « technologique » : « Some months ago, the Emperor approved of the plan of a technological institution, to be established at Moscow, for the dissemination of useful knowledge relative to the manufacturing arts. Young men, of free condition, from the age of 16 to 24, are to be admitted into this institution, where they will receive instruction gratis. The subjects to which the attention of the students will be directed are commerce, manufacturing statistics, chymistry, technology, mechanics, hydrotechnics as applicable to manufacture and drawing. » Le contexte ne permet pas vraiment d'éclairer le sens donné au mot ici.

Le 27 décembre 1838, une revue de la presse française cite Le Moniteur au sujet de nouveaux cours publics qui doivent être donnés au Conservatoire des Arts et Métiers : « The lectures to be delivered in the amphitheatre of the institution are recommended to consist of the application of geometry; application of mechanics; mechanical technology; descriptive geometry; application of inorganic chymistry; application of organic chymistry; application of physics; agriculture; industrial economy; and industrial legislation. » Dans ce cas, il est sans doute question d'une théorie et terminologie des arts pratiques dans le sens où l'entendaient Beckmann et ses successeurs.

Le 4 août 1848, un long article reproduit une partie des débats à la Chambre des Lords. Au sujet de l'Irlande, les Lords discutent de l'opposition qui s'organise : « They had allowed things to go on under the notion—and a very laudable notion—of not interfering with the right of the people to meet in public and discuss their grievances. They were afraid to trespass upon the right of discussion, or what was now called, by a new technology, agitation, which he (Lord Brougham) understood in a meeker and milder sense to mean only discussion, but which in the stronger and major sense meant something like resistance. » Le passage inclut non seulement un emploi périmé du mot « technologie », employé ici dans le sens de terminologie, mais un emploi précoce du mot « agitation » tel qu'il entrera au fil des décennies suivantes dans des mots comme « agit-prop ».

Enfin, le 3 janvier 1850, il est question dans le Times des travaux terminologiques des savants britanniques en Inde : « In addition to the great mass of words gathered from the Hindustani poets and other approved writers, much attention has been paid to the collecting of scientific terms, especially botanical ones, as well as to the correct rendering of them into the technology of Europe; but, much as has been gained from various works found at the India-house and elsewhere, both printed and manuscript, yet, from no other source has so much been derived as from the manuscripts left by the late Dr. Harris, of Madras, who, with the assistance of learned natives, had been long making preparations for a very extensive and general dictionary of the Hindustani, Dakhni, and English. »

Bref, en anglais comme en français, il existe jusqu'au milieu du XIXe siècle, deux acceptions du mot. Les gens de lettres, s'ils connaissent le terme, s'en servent presque exclusivement pour désigner un vocabulaire spécialisé, voire un jargon professionnel. Les savants et techniciens hésitent encore entre la désignation d'une terminologie spécifique et celle d'une théorie ou connaissance générale des arts pratiques. Du coup, on comprend mieux pourquoi le mot a mis autant de temps à s'affirmer, ce qui, paradoxalement, en a fait un terme disponible quand s'est développé au XXe siècle un sentiment répandu de la nouveauté des techniques utilisées pour transformer l'économie et le milieu de vie, et un sentiment du besoin d'un terme susceptible de recouvrir l'ensemble des techniques actuelles et à venir.

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2007-02-17

 

La province la plus indépendante

Vendredi, un article de Claude Picher dans La Presse présentait un travail de Stephen West dans L'Observateur économique canadien de Statistique Canada et Picher concluait : « Il s'agit sans doute du travail le plus rigoureux jamais effectué sur le sujet. » Ce qui permettait à Picher de faire la manchette avec l'affirmation que les Québécois sortent gagnants de leurs rapports avec le gouvernement fédéral, en sous-entendant que la démonstration était nouvelle et sans appel.

Or, je me demande si Picher a lu le même article que moi. West ne propose nullement un nouveau décompte des gains et des pertes par province; il se contente d'analyser les composantes utilisées actuellement par les comptes économiques provinciaux (CEP) et il en fait ressortir les aspects plus douteux. Dans son paragraphe d'introduction, West dit bien :

« Le présent document porte sur les concepts, les sources et les méthodes qui sous-tendent ces estimations et montre les nombreuses lacunes que comporte leur utilisation pour déterminer qui profite des activités fédérales. »

Et West conclut, au terme de son tour d'horizon :

« Le problème qui sous-tend la mesure des coûts et des avantages de la Confédération, à partir des CEP ou autrement, est que l'ensemble des activités fédérales comporte à la fois des coûts et des avantages. Les coûts sont relativement faciles à mesurer, tandis que les avantages plus généraux et largement partagés sont, malheureusement, beaucoup moins faciles à quantifier, tant du point de vue de leur étendue que de leur situation géographique.

« Les CEP visent à estimer la valeur de la production de biens et de services dans chaque province et territoire, ainsi que les sources et les utilisations des revenus découlant de cette production. Par conséquent, les responsables des comptes économiques provinciaux ont été amenés à adopter des conventions et des méthodes d'imputation des revenus et des dépenses de l'administration fédérale qui sont considérées comme les meilleures disponibles à cette fin. Même si ces conventions et méthodes peuvent sembler raisonnables pour certaines fins, il se peut qu'elles ne le soient pas pour d'autres. Statistique Canada n'a pas choisi ces méthodes et conventions dans le but d’analyser la répartition provinciale des coûts et avantages des mesures et des politiques de l'administration fédérale. Par conséquent, les utilisateurs devraient être sensibilisés aux méthodes et aux conventions utilisées pour produire ces estimations avant d’y avoir recours pour procéder à un moyen de mesurer avec précision les coûts-avantages de la Confédération. »

De plus, La Presse reproduit un tableau dont la troisième colonne correspond (au signe près) à la seconde colonne du Tableau 1 de West, à l'exception de quelques montants qui diffèrent d'un dollar et, fort curieusement, des chiffres pour le Manitoba. Les deux premières colonnes de ce tableau de La Presse semblent correspondre aux rangées finales des Tableaux 2 et 3 de West, exception faite encore une fois des chiffres pour le Manitoba. (Je soupçonne que les différences d'un dollar s'expliquent par l'opération faite sur les deux premières colonnes de La Presse pour obtenir la troisième, alors que West avait obtenu la sienne en utilisant des chiffres tenant compte des dollars et des cents, puis arrondis au dollar près.)

L'erreur dans le cas du Manitoba s'explique par une coquille. Tout part d'une retranscription erronée du Tableau 3 de West, qui donne 8276$ de dépenses fédérales par personne. La Presse cite plutôt 9276$. Comme la population du Manitoba était 1,170 millions de personnes en 2004, le faux chiffre de 9276$ permet à Picher de calculer que le fédéral a dépensé 10,9 milliards de dollars au Manitoba, chiffre parfaitement fictif. En partant du vrai chiffre des recettes de 5131$, Picher obtient des recettes de six milliards, chiffre réel. Ce qui confirme le chiffre erroné de 4145$ en dépenses fédérales par personne au Manitoba alors que le vrai chiffre est de 3145$...

Bref, le travail de West était peut-être rigoureux, mais pas celui de Picher.

Enfin, ce que je retiens du tableau des comptes économiques provinciaux, c'est que le Québec est la province centrale de la fédération, celle dont le niveau de contribution nette se rapproche le plus de zéro (la contribution nette de l'administration fédérale au Québec est de 281$ par personne). Toutes les autres provinces soit donnent nettement plus soit reçoivent nettement plus. Dans un certain sens, on pourrait soutenir que le Québec est d'ores et déjà la province la plus indépendante du Canada (si ces chiffres représentent bien la réalité, comme le rappelle Stephen West). En même temps, si le but du Québec, c'est nécessairement d'aller chercher du butin, il faudrait sans doute se demander si les gouvernements québécois successifs ont adopté la bonne stratégie. En réclamant leur part sur tous les tons et en déchirant leur chemise en public, ont-ils au contraire obligé le gouvernement fédéral à calculer le plus étroitement possible sa contribution au Québec afin de ne pas donner l'impression qu'il récompensait le bébé gâté de la fédération? Ou bien, si les différents niveaux de contribution reflètent bien la réalité, il faudrait conclure que le Québec est la province moyenne par excellence et la province la plus représentative du Canada dans son ensemble.

Ce qui ne serait pas dénué d'ironie.

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2007-02-16

 

Iconographie du fantastique

Ce site de la bibliothèque de l'Université de Cornell offre un assortiment un peu hétérogène mais très intéressant d'images insolites tirées de plusieurs siècles d'ésotérisme. Dans la même veine, on peut feuilleter, dans la galerie des livres en-ligne de la British Library, l'original d'Alice in Wonderland ou des croquis par Léonard de Vinci. Mieux encore, la Bibliothèque nationale de France offre la possibilité de visiter une exposition virtuelles sur les contes de fées, une autre sur les bestiaires médiévaux ou encore celle sur l'utopie.


Mais sinon, il n'existe pas, à ma connaissance, un site central qui offrirait un aperçu global de l'iconographie du fantastique. Il faut se résigner à faire des recherches au cas par cas. On tombera alors sur la série des Carceri du Piranèse, ou sur les dessins d'Aubrey Beardsley, ou sur les illustrations de Tenniel pour Alice in Wonderland. (En hommage au « Pierrot diffracté » de Laurent McAllister, j'inclus une gravure de Beardsley sur le pierrot classique...)

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2007-02-15

 

L'hystérie anti-Kyoto

La propagande anti-Kyoto au Canada continue à faire des siennes, grâce en grande partie à l'innombrisme des médias.

En novembre dernier, Jayson Myers des Manufacturiers et exportateurs du Canada affirmait qu'atteindre les objectifs de Kyoto exigerait la réduction d'un tiers de la production économique canadienne ou coûterait vingt milliards de dollars sur cinq ans. Depuis, c'est la base du consensus des négationnistes apparemment repentis qui acceptent la réalité de l'effet de serre anthropogénique mais qui affirment aussitôt que le protocole de Kyoto n'est pas réaliste. Après tout, n'est-ce pas évident qu'on ne peut pas demander à un travailleur sur trois de se mettre au chômage du jour au lendemain?

Selon Margaret Wente, les capacités de calcul des jeunes Canadiens, qui n'avait jamais été particulièrement brillantes, auraient souffert de certaines réformes récentes. C'est à voir, mais cela semble confirmé par la décision de la CBC de reprendre les chiffres de Jayson Myers sans aucun effort de compréhension. Les cerveaux des journalistes, c'est bien connu, ont tendance à court-circuiter dès qu'il est question de chiffres. (Dans l'article de Paul Vieira, il est même dit que la dépense de vingt milliards, ce serait l'achat de crédits d'émission pour « the equivalent of about $5-billion a year, between 2008 and 2012 ». À moins d'enlever six mois aux deux bouts de cette période, ce serait l'équivalent de quatre milliards par an...) Un milliard, c'est aussi énorme que le tiers de l'économie canadienne, c'est donc impensable d'en dépenser dix ou vingt — tel semble être le raisonnement des journalistes...

Eh bien, examinons la question. Tout d'abord, dans l'état actuel des choses, les prévisions du gouvernement Harper lui-même annoncent des excédents annuels de 2008 à 2012 qui ne sont jamais inférieurs à 2 milliards (et totalisent onze milliards de dollars en quatre ans). Ces chiffres tiennent compte des réductions d'impôts et des réductions de la dette qui sont planifiées. Ergo, les seuls excédents prévus pourraient acheter la moitié de la réduction des émissions requise pour atteindre les cibles de Kyoto.

Ensuite, comme l'indique La mise à jour économique et financière 2006 du gouvernement fédéral, ces projections incorporent une réduction annuelle de la dette de trois milliards de dollars. Je m'arrête là; il n'y a même pas besoin de chipoter sur les réductions d'impôts prévus, nous tenons déjà les vingt milliards de dollars requis pour respecter les cibles du protocole de Kyoto. Sur les quatre années fiscales en cause, le Canada disposerait de presque vingt-trois milliards de dollars. (Les trois milliards en trop seraient peut-être rattrapés par les économies non-réalisées en raison de la non-réduction de la dette, sans parler des imprévus ou des augmentations des frais de programme, que les Conservateurs rêvent de ramener sous le niveau de l'inflation, mais notons bien que cela n'exigerait pas un dollar en nouvelles taxes.)

Je ne dis pas que ce serait la meilleure façon d'atteindre les objectifs de Kyoto, je dis seulement que c'est loin d'être impensable ou irréaliste de les atteindre, et ce sans vraiment affecter l'économie canadienne.

Objections?

Il y a l'objection morale des écolos les plus fanatiques selon lesquels il serait injuste de faire porter tout le poids de la réduction des émissions aux pays pauvres. Mais ce ne seraient pas les seuls en cause; ces sommes pourraient financer aussi les entreprises des pays riches qui décideraient de remplacer une centrale au mazout ou au charbon par une centrale nucléaire ou une ferme d'éoliennes. Et soyons francs : d'ici 2012, ce serait difficile de générer les réductions requises au Canada. À terme, une politique favorisant les transports en commun, la séquestration du gaz carbonique, l'électrification des trains, le passage au nucléaire et la concentration urbaine pourrait renverser la vapeur, mais ce sont des projets qui prennent des années.

Il y a l'objection de l'incertitude des projections financières. Le coût présumé pour les crédits de réductions d'émissions (les unités de réductions des émissions dans le jargon officiel) pourrait grimper si tous les pays riches se les arrachaient et la surenchère pourrait augmenter de beaucoup le coût envisagé ci-dessus. C'est indéniable, mais il est également possible que cette crainte soit sans fondement. On ne le saura pas avant d'avoir essayé. (Et une augmentation du prix des URE pourrait rendre économique de nouvelles méthodes de réductions des émissions, entraînant une stabilisation des cours à un niveau plus élevé mais plus rentable, un peu comme on le voit dans les marchés pétroliers.)

Il y a l'objection du gaspillage, puisque l'argent sortirait du pays. D'une part, ceci n'a de sens que si on refuse l'existence de l'effet de serre. Le Canada n'a pas un secteur bien délimité de l'atmosphère terrestre; le gaz carbonique injecté dans l'atmosphère au-dessus de l'Inde affecte toute la planète; par conséquent, le gaz carbonique retiré de l'atmosphère au-dessus de l'Inde bénéficie à toute la planète, y compris au Canada. Ensuite, d'un point de vue comptable, il est relativement certain qu'il coûtera moins cher à l'unité d'acheter une réduction des émissions en Inde ou en Chine (où on peut appliquer des recettes déjà éprouvées) qu'au Canada, où il faudra investir en partie dans des techniques expérimentales. Toutefois, comme le soutient Stéphane Dion, c'est ce genre d'investissement plus risqué au Canada même qui pourrait rapporter gros plus tard.

On peut également faire remarquer que le budget actuel de l'aide internationale canadienne est de l'ordre de 3,8 milliards de dollars pour 2006-2007 et de 0,26% du PIB prévu de 1451 milliards. En ajouter quatre ou cinq milliards par année, en admettant qu'ils puissent compter comme des aides, ne porterait même pas l'aide internationale canadienne au niveau de 0,7% du PIB suggéré par l'ONU et déjà atteint par plusieurs pays occidentaux.

Bref, le refus d'envisager l'atteinte des objectifs de Kyoto relève soit de l'hystérie, de la malhonnêteté intellectuelle ou de l'incapacité mathématique la plus crasse. Ou des trois en même temps.

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2007-02-14

 

Éternelle Saint-Valentin

On a tout dit sur la Saint-Valentin. Le sujet est sûrement épuisé, et pourtant il est toujours neuf. Néanmoins, on peut aussi l'aborder sous le point de vue des techniques médiatiques, et plus précisément des techniques d'antan. J'ai déjà reproduit les cartes de la Saint-Valentin collectionnées par la tante de mon grand-père paternel, Valérie Mailhot (1864-1950), mais il reste encore de nombreuses cartes qui portent sur l'amitié ou sur l'amour. Une carte comme celle-ci doit s'interpréter avec prudence. Je n'ai pas réussi à retrouver la trace de l'imprimeur ou éditeur dénommé Allys, mais l'élégante en question est clairement française. Et elle s'exprime au moyen du langage des fleurs, preuve de sa pudeur qui l'empêchait d'exprimer même ses sentiments les plus innocents. Cependant, il ne fallait pas se tromper, car se méprendre sur la nature d'une fleur pouvait changer du tout au tout le message des « fleurs ». Ainsi, le bouquet de cette jolie amie comprend trois marguerites ou pâquerettes. S'il s'agit d'une pâquerette, c'est le message de la beauté innocente qui dit que sa pensée ou son affection est vouée au destinataire. S'il s'agit d'une marguerite des prés, l'intention est plus exclusive — « je ne vois que vous », selon une des grilles d'interprétation du langage des fleurs. Expression de fidélité de l'amoureuse conquise ou déclaration d'un amour qui n'a pas encore eu de réponse? Si ces deux fleurs expriment un peu la même chose, qu'en est-il des autres fleurs du bouquet? et, en particulier, des fleurs tout au sommet, sur lesquelles se baladent quelques touches de rose? S'agit-il de reines marguerites qui disent que « vous êtes la plus aimée » ? Et il y a aussi cette troisième espèce dans le bouquet, coloriée en rouge, ou du moins d'un rose plus sombre. Des chrysanthèmes rouges qui disent carrément : « Je t'aime ». Dans ce cas, il faudrait effectivement voir dans cette amie quelqu'un qui se réjouit d'être aimée et qui l'exprime...

Cela dit, je doute fort qu'on se servait toujours de ces cartes dans le sens voulu par l'illustrateur ou l'éditeur. Quand des lots de cartes en français se rendaient jusqu'au Manitoba, il était sans doute plus rapide de piger les cartes les plus attrayantes en attendant une occasion de s'en servir. La note griffonnée au revers de la carte ci-dessus est des plus simples : « Contente de vous savoir en bonne santé. Ici, ça va bien. » Adressée à une Mademoiselle Bélanger de Somerset au Manitoba, est-ce bien la carte d'un amoureux? ou simplement un mot de circonstance échangé entre amies? D'autres cartes, qui prennent l'amour pour sujet, se contentent également de porter des messages parfaitement prosaïques. Ainsi, la carte ci-contre parle d'un voyage ou d'une excursion remise à une autre fois. C'est la première d'une série de trois, toutes envoyées le 18 janvier d'une année qui reste à identifier. Si on se fie aux dates indiquées sur les autres cartes, il s'agirait de 1907 ou 1908. Cette collection de cartes commencée fin 1907 était-elle une distraction essentielle pour cette mère dont le fils était mort en 1905? Si ses proches en étaient convaincus, cela expliquerait l'empressement avec lequel ils se prêtent au jeu de la constitution d'une collection. C'est sans doute la même personne, Joséphine, qui envoie cette carte et les deux suivantes en sachant bien qu'elles plairaient à la destinataire.

La progression des postures, des couleurs et des fleurs dans ce trio de photos est fort parlante. La carte ci-dessus représente la jeune femme en bleue, couleur de l'amitié, mais sa robe est rehaussée de rose, couleur de l'amour ou de la passion, histoire de confirmer qu'une histoire d'amour commence. De fait, la jeune femme devise encore bien sagement avec son soupirant, même si la petite sculpture placée sous le guéridon (sous la ceinture...) trahit peut-être les pensées de l'un, de l'autre ou des deux. L'éventail symbolise aussi un reste de pudeur et de bienséance, mais tout change dans la carte suivante. Le couple n'est plus amoureux, il est maintenant fiancé. La robe est entièrement rose et la posture plus ou moins abandonnée de la fiancée trahit le début d'un émoi dont l'aboutissement est suggéré par le buste du guéridon. Sa mine ambigüe pourrait exprimer un refus de voir ce qui se passe si la tête se détournait du couple, mais ce n'est pas le cas et les yeux apparemment fermés ainsi que l'inclinaison de la tête font penser à autre chose. Le socle du buste porte d'ailleurs une inscription en partie cachée par une patte du guéridon, composée d'un TH initial et d'un S final. Si ce n'est pas le nom du fabricant ou du photographe qui est ainsi mutilé, on songe inévitablement à Thaïs, le nom de deux courtisanes célèbres, qui évoque, étymologiquement, le bandeau serré autour de la tête — et ce buste ne porte-t-il justement pas un bandeau, tout juste visible, qui crée l'illusion d'un front dégarni?

La troisième carte de la série conclut l'historiette sur un retournement de la situation. Le couple est maintenant marié, mais il ne file pas le parfait bonheur. Les signes sont nombreux. Pour la première fois, ils ne se regardent plus. L'homme, assis et les jambes croisées, lit son journal. La femme, assise, est pensive. La robe à dominante jaune — le jaune étant la couleur de l'infidélité, voire de l'amour secret — ne conserve plus que quelques touches de rose et de bleu : la passion et l'amitié s'étiolent. Et l'épouse tient un livre sur ses genoux. Or, on sait bien, depuis le Madame Bovary de Flaubert, que la lecture est un passe-temps dangereux pour les femmes mariées. Si seulement elle avait le nez plongé dans sa lecture, on pourrait se rassurer qu'il s'agit d'un loisir sérieux, mais on la voit plutôt en train de rêvasser, l'esprit occupé par les pensées que sa lecture a pu lui inspirer... C'est donc l'annonce d'un recommencement possible, qui bouclerait la boucle en revenant à la case départ... Mais si l'invitation à l'amour et au libertinage est présente dans chaque carte, sous telle ou telle forme, elle n'émeut pas beaucoup l'expéditrice qui écrit au revers de cette troisième carte un message rapide : « Pour votre album. Comment trouvez-vous ces personnages? » Certes, la dénommée Joséphine ne s'engage pas. Condamnation implicite? Sans doute pas tout à fait, sinon elle n'aurait pas posté ces cartes. Identification partielle à l'amour et au désamour? Peut-être, mais il faudrait en savoir plus sur la signataire de ces lignes...

En tout cas, l'histoire de la carte postale ne se comprend pas entièrement si on ignore l'existence parallèle d'un marché de la photo érotique. On date de 1846 environ le premier daguerréotype pornographique, moins de sept ans après l'invention par Daguerre. Le temps d'exposition des premiers daguerréotypes allant de vingt à trente minutes, on admirera l'endurance du modèle masculin qui tient non seulement la pose mais son érection pendant tout ce temps (ou on soupçonnera un subterfuge). Mais l'intérêt de la photographie érotique était réduit dans ces conditions : temps d'exposition prolongé et aucune possibilité de reproduire la photo résultante... Le passage à la photographie sur papier a changé la donne et, en 1874, quand la police londonienne fait une descente dans le studio de Henry Hayler dans le quartier de Pimlico, elle aurait découvert cinq mille originaux et cent trente-mille épreuves de photos pornographiques mettant en valeur Hayler, sa femme et leurs deux fils. (Hayler réussit à s'enfuir, s'établit à Berlin et relance son entreprise.) Le total des tirages avant 1900 avoisinerait facilement les millions, sur la base des saisies policières en Occident, et révèle l'intérêt d'une industrie qui se confondait partiellement avec la production de cartes postales comiques ou coquines. Le collage ci-dessous est daté de 1907 et réalisé par la firme de James Bamforth à Holmfirth qui fut aussi une pionnière du cinéma. L'endos porte quelques lignes datées du 7 octobre 1907, ce qui indique la vitesse de circulation des cartes à cette époque (supérieure à celle de certains films qui, aujourd'hui, mettront une bonne année à traverser l'Atlantique!). Une telle carte (déclaration d'amour par antiphrase?) s'inscrivait dans un spectre qui allait de la carte romantique au cliché pornographique, qui exploitait les nouvelles techniques du temps tout en habituant les consommateurs à la conversion picturale de toutes leurs humeurs.

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2007-02-13

 

Iconographie de la SFCF (14)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; et (13) une boule de feu historique.

L'horreur est un drôle de nom pour un genre littéraire quand on y pense. C'est comme si on avait appelé la science-fiction l'étonnement et la fantasy le ravissement. Autrement dit, le trait distinctif de l'horreur n'est pas un rapport à la réalité comme dans le cas de la fantasy, la littérature de la rêverie et de l'imagination, ou le jeu avec la connaissance comme dans le cas de la science-fiction. Non, il s'agit clairement d'une réaction, d'une émotion forte suscitée par la lecture. Du coup, l'horreur peut se nicher partout. Le compte de dépenses de la lieutenante-gouverneure du Québec ou de l'armée des États-Unis en Irak frappera d'horreur un comptable. La vue d'un VUS (avec chauffeur parlant dans un cellulaire) fera frémir un écolo. Et un kirpan incitera André Drouin à demander qu'on décrète l'état d'urgence au Québec.

De même, en littérature, l'horreur peut naître du récit d'un fait divers parfaitement véridique comme elle peut être sécrétée par la fiction, qu'elle relève du surnaturel ou non. Et les deux se nourrissent mutuellement. Le roman Les Racines du mal de Dantec doit beaucoup de sa force à la description des forfaits de meurtriers en série semblables à ceux qu'évoquent les médias. Ainsi, l'horreur inclut des ouvrages fantastiques tout comme elle inclut des ouvrages parfaitement réalistes. Au Canada francophone, il existe certes quelques ouvrages sur l'horreur, mais il n'existe à ma connaissance aucune histoire un tant soit peu développée du genre. Les débuts de l'horreur se confondent avec le conte fantastique québécois du XIXe s., qui compte son lot d'histoire de revenants et de transformations monstrueuses. Le thème du loup-garou est déjà connu et exploité, entre autres par Honoré Beaugrand (1848-1906), dont la nouvelle « The Werwolves » (1898) aurait inspiré (lointainement) le film The Werewolf (1913), réalisé par le Canadien Henry MacRae qui allait aussi porter à l'écran les premiers Flash Gordon.

Au Québec, l'horreur littéraire connaît une nouvelle vie avec l'essor de la littérature en fascicules essentiellement née en 1941. Dès le début, la mise en marché de ces pulps québécois va miser sur l'attrait angoissant de l'horrifique. Et, dès le début, ce sont des auteurs ayant touché à la science-fiction qui sont présents dans ce nouveau créneau. Ainsi, Emmanuel Desrosiers (qui a maintenant droit à sa rue à La Prairie) est l'auteur des aventures du détective Johnny Steel, qui confinent à l'horreur dans l'épisode du 8 avril 1941, intitulé Le monstre de Gravenstein. En mars 1941, Alexandre Huot, auteur de L'impératrice de l'Ungava (1927), se met à signer les aventures d'un détective rival, Albert Brien, dans le périodique Le Bavard d'Adjutor Ménard. Celles-ci sont ensuite reprises sous la forme de fascicules distincts, publiés par « A. Huot, B.A. » et imprimés par les frères Antonio et Edgar Lespérance. C'est une de ces aventures d'Albert Brien dont je reproduis ici la couverture. Le fascicule semble dater de 1944 et il est assorti de la recommandation suivante : « Le lecteur est prié de ne pas détruire le papier de ce fascicule, mais de le conserver. C'est une arme de guerre. » Le titre et la couverture de ce « roman d'aventure et de détective » encouragent à croire à quelque récit horrifique et surnaturel, mais c'est parfaitement trompeur. La fille du diable en question n'est autre que Rosette, la femme d'Albert Brien, qui infiltre une bande de criminels qui lui ont décerné ce surnom improbable. (On se demande si le récit a été écrit après qu'on ait trouvé le titre...)

Le mécanisme est assez semblable dans une des livraisons des Aventures extraordinaires de Phantasma, Détective Privé. Cette série publiée par Les Éditions Populaires (tombée sous le contrôle d'Antonio Lespérance en 1949) doit-elle quelque chose au personnage du Phantom? Les liens de parenté entre ce héros de la BD étatsunienne créé en 1936 et le détective canadien Phantasma sont loin d'être évidents, mais ce nom de Phantasma semble bien indiquer une intention de s'acoquiner avec l'horreur et le fantastique. Quoi qu'il en soit, un dénommé Charles Plantagenet signe un épisode intitulé Le Spectre justicier. Encore une fois, malgré le titre et malgré l'illustration de couverture, le surnaturel n'est qu'illusoire. Le spectre en question est celui d'une jeune fille que le détective Phantasma fait passer pour morte. Mais cela permet à l'auteur de signer une scène qui voit celle-ci incarner une revenante qui accuse son meurtrier :

— Dieu ! implora Mme Millette, protège-moi!... un esprit!... un véritable esprit.
— L'esprit de celle que vous avez noyée dans le fleuve... misérables assassins d'enfants ! Je viens vous annoncer votre mort prochaine.
Et lentement, bien lentement, le fantôme s'avança vers les criminels. Le bandit montréalais, qui avait si souvent bravé la police de la métropole, se jeta la face contre terre en s'écriant:
— Grâce, grâce ! Je jure de ne jamais plus assassiner ni voler personne.
— Trop tard! Il te faut maintenant expier tes fautes. Je vais te toucher de ma froide main de noyée et tu t'en iras en poussière, misérable tueur!
Un petit bras, qui paraissait tout décharné sous les rayons lunaires, s'étendit vers lui et...
Un instant après, Clément sentit, sur sa tempe, le froid canon d'un revolver, tandis qu'une voix toute différente lui criait :
— Ne bouge pas gredin, ou je fais feu! Je suis Phantasma et j'arrête ici ta vie criminelle.

La neuvième aventure de Phantasma nous transporte loin des berges du Saint-Laurent puisque l'action se déplace en Saskatchewan. Le nom de l'auteur de l'épisode Le flambeau du spectre n'est pas donné, mais l'épisode suivant, L'Assassinée du souterrain, est attribué à Charles Plantagenet et les deux sont étroitement liés, de sorte qu'il est logique de croire que c'est Plantagenet qui signe également le premier volet, usant d'un pseudonyme ou non. Encore une fois, il est question de spectre. Un personnage s'est aventuré dans un repaire sous terre lorsqu'il aperçoit « avec une épouvante indicible, dans le fond de ce sinistre souterrain, une main spectrale qui tenait un flambeau ! ». C'est ce que représente évidemment l'illustration de couverture, mais cette fois l'explication ne nous est pas donnée immédiatement. Par contre, elle est assez explicitement promise au lecteur (et partiellement dévoilée) dans les lignes qui terminent l'épisode :

Hélas! s'il avait su, le malheureux PHANTASMA, les horribles découvertes qu'il allait faire en visitant la ville souterraine!
S'il avait pu prévoir les dangers sans nombre que lui et ses deux lieutenants courraient dans l'affaire de L'ASSASSINEE DU SOUTERRAIN, il eût sûrement pris certaines précautions extraordinaires...
S'il avait su de surcroît, que les trois frères Labrie, finiraient par s'évader, il ne se fût pas cru si en sûreté dans ces sortes de catacombes diaboliques, où Red Devil avait été remplacé par la plus monstrueuse bande de criminels de tous les temps! Que n'aurait-il pas fait pour être sûr de mettre un frein aux vols et aux assassinats sans nombre perpétrés par ces bandits toujours sans peur, mais jamais sans reproches!
Qu'on ne manque pas de lire notre prochain récit : L'ASSASSINEE DU SOUTERRAIN, que nous conseillons aux personnes cardiaques ou nerveuses de ne pas acheter...
Les autres se sentiront sans doute passer des frissons sur le corps en lisant ces horribles aventures, les plus terribles jamais vécues par un détective sur cette planète!
Jamais on ne pourra s'imaginer, avant d'avoir lu cet extraordinaire fascicule, les horreurs sans nom que découvrit PHANTASMA, en même temps que le cadavre de L'ASSASSINEE DU SOUTERRAIN, une jeune femme blonde d'une merveilleuse beauté, allongée sans vie avec l'apparence du sommeil, près d'un lit à colonnes et à baldaquin d'une richesse inouïe...
Un autre que PHANTASMA fut devenu fou de terreur à la vue des invraisemblables scènes d'outre-tombe qu'avaient préparées les astucieux bandits comme arme de protection de leur repaire, contre un ou des intrus éventuels.
B R R R R !

L'industrie des fascicules allait continuer à tourner pendant près de vingt-cinq ans. Cependant, on connaît relativement peu de séries carrément horrifiques après 1950. Outre la série des aventures de Phantasma, il faut sans doute classer dans la même catégorie Les Drames du Grand Guignol aux Éditions du Bavard (qui utilise aussi le titre La fille du diable, avec une couverture différente) et les deux séries des aventures de Rapax, dont j'inclus ici une réclame parue au revers du Flambeau du spectre. J'ai pu lire quelques épisodes des Aventures diaboliques de Rapax 2 et l'horreur y est présente sous des formes encore frappantes aujourd'hui. Pourtant, le genre horrifique est évacué de la littérature en fascicules après 1950 environ, du moins comme atout principal d'une série. La censure cléricale a-t-elle découragé les éditeurs et imprimeurs de toucher à un genre considéré comme frisant le satanisme? Ou l'horreur ne faisait-elle tout simplement pas recette? La recherche nous le dira peut-être un jour.

Par la suite, on repère assez peu d'ouvrages carrément horrifiques. Certains auteurs ont pu pratiquer une forme plus littéraire de l'horreur, dans La Belle Bête (1959) de Marie-Claire Blais, par exemple. On pourrait également citer quelques romans épars, plus outrancier ou sanguignolent que la moyenne, comme Le scalpel ininterrompu (1962) de Ronald Després (un roman qui a été revendiqué comme acadien, franco-ontarien et québécois tout à la fois!). Il serait sans doute également possible de citer quelques textes d'Yves Thériault, dont sa célèbre nouvelle « Le sac» (1944), quelques nouvelles de Michel Tremblay dans Contes pour buveurs attardés (1966), Jos Carbone (1967) de Jacques Benoit ou encore Les Enfants du sabbat (1975) d'Anne Hébert. Dans de nombreux cas, cependant, les auteurs sont loin de s'attarder sur les moments les plus palpitants ou de gérer consciemment la montée de la terreur. On peut également citer dans cette même veine le roman de Claude Mac Duff, La Mort... de toutes façons (1979). Les morts à répétition n'inspirent pas nécessairement l'horreur, mais la maquette de la couverture par Jean Provencher utilise le noir pour rattacher le livre aux genres plus glauques, voire plus sombres. Vers 1980, toutefois, Daniel Sernine est nettement plus conscient de s'inscrire dans une tradition horrifique quand il signe certains des textes qui seront réunis dans Les contes de l'ombre (1979) ou Quand vient la nuit (1983).

Dans le contexte de la vogue mondiale de l'horreur de cette nouvelle décennie, plusieurs auteurs canadiens s'essaient à l'écriture de récits horrifiques en français. Des nouvelles ouvertement horrifiques paraissent dans Solaris ou dans les autres revues littéraires, comme Stop ou XYZ. Les éditions Le Palindrome font paraître un ouvrage collectif en 1989, L'horreur est humaine — onze récits d'angoisse, d'épouvante et d'humour noir. La même année paraît une incursion dans le genre de Jean-François Somain, La nuit du chien-loup, aux Éditions Pierre-Tisseyre. Mais un roman de Somain, même lorsqu'il met en scène la violence et la bestialité, perd rarement un minimum de tendresse pour ses personnages. Du coup, c'est le choix de la couverture par Sylvain Bellemare qui fait beaucoup pour rattacher l'ouvrage au genre, en particulier le choix d'une dominante noire, comme dans le cas du roman de Claude Mac Duff. L'horreur en français s'installe pour de bon dans le paysage littéraire canadien durant les années suivantes. On peut signaler par exemple le lancement de fanzines comme Fenêtre secrète sur Stephen King (1995), publié par Hugues Morin jusqu'en 1999, et Horrifique (1993), encore publié de nos jours par André Lejeune. De nouveaux auteurs apparaissent ou s'affirment, comme Stanley Péan, qui publie Le Tumulte de mon sang en 1991 et Zombi Blues en 1996, entre autres ouvrages se rangeant dans l'horreur.

En 1994, Daniel Sernine livre un roman d'horreur qui représente peut-être le point culminant de son évolution littéraire dans le genre, Manuscrit trouvé dans un secrétaire, aux Éditions Pierre Tisseyre. La même année, Joël Champetier signe La Mémoire du lac aux Éditions Québec/Amérique. Ce sont deux auteurs chevronnés et leurs romans reflètent leur sens du métier. Sernine pousse d'ailleurs le vice jusqu'à inclure des passages d'un roman horrifique écrit durant ses jeunes années, que l'on peut lire en parallèle avec le récit plus feutré qu'il a composé pour porter le roman. Champetier privilégie plutôt les recettes du thriller, livrant un ouvrage qui se lit d'une traite. Mais ces deux auteurs ne doivent pas occulter l'apparition d'une nouvelle génération d'auteurs acquis aux charmes vénéneux de l'horreur. Deux noms se détachent à cette époque, ceux de Natasha Beaulieu et Claude Bolduc. Toutefois, quand Claude Bolduc réunit en 1996 un collectif de nouvelles d'épouvante pour les jeunes, La Maison douleur et autres histoires de peur, pour Vents d'Ouest, il se retrouve à faire appel à des auteurs aguerris pour la plupart , dont Francine Pelletier, Daniel Sernine, Joël Champetier et Alain Bergeron, qui a signé trois romans d'horreur pour jeunes en 1994 à 1997 sous le pseudonyme-anagramme de Brian Eaglenor. L'illustration de couverture par Paul Roux, intitulée L'État du monde (1995), choque d'ailleurs les bonnes âmes et, comme on peut le voir ici, le bébé cloué au mur dans cette composition évoquant les guerres yougoslaves sera remplacé par une image moins dérangeante...

Bolduc et Beaulieu avaient commencé tous les deux par signer des nouvelles, et il faudra attendre jusqu'en 2000 pour voir sortir le premier roman de Natasha Beaulieu, L'Ange écarlate. En revanche, exception faite de son recueil Visages de l'après-vie publié par un micro-éditeur, Claude Bolduc se lance dès 1995 avec un roman pour jeunes, Dans la maison de Müller, chez Médiaspaul, et il va poursuivre sur cette lancée pendant plusieurs années. Son recueil Les Yeux troubles (1998) chez Vents d'Ouest sera d'ailleurs salué par la critique. Mais il continue également à creuser le filon de l'horreur pour les jeunes, avec des romans comme Le maître des goules (1997) dont on voit ici la couverture illustrée par Ève Legris et Mathieu Larocque, peut-être inspirée quelque peu par Le Cri d'Edvard Munch. Entre temps, Patrick Senécal était devenu la nouvelle supervedette de l'horreur au Québec avec des romans Sur le seuil et Aliss. Depuis, d'autres auteurs ont pris la relève dans le rôle de... relève. L'écrivain trifluvien Frédérick Durand a signé des romans saisissants chez La Veuve noire, dont le très efficace Au rendez-vous des courtisans glacés. Depuis 2003, cette jeune maison d'édition dirigée par Édith Madore se spécialise avec succès dans les genres policiers et fantastiques. Si Madore avait de l'expérience au départ, ce n'était pas le cas des jeunes fondateurs de la maison d'édition Les Six Brumes, qui fait un peu de tout : fantasy, fantastique, policier, science-fiction... Outre Dominic Bellavance, son auteur phare est sans doute Jonathan Reynolds, dont la plume prolifique a contribué de nombreux textes au fanzine Brins d'éternité, par exemple et qui se spécialise dans l'horreur. Enfin, un nouvel auteur prometteur, Michel J. Lévesque, lance aux Intouchables une nouvelle série, Arielle Queen, qui combinera, semble-t-il, l'aventure et des éléments relevant plutôt de l'horreur traditionnelle. Je reproduis ci-dessous la couverture du premier tome qu'il m'a transmise.

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