2007-02-15

 

L'hystérie anti-Kyoto

La propagande anti-Kyoto au Canada continue à faire des siennes, grâce en grande partie à l'innombrisme des médias.

En novembre dernier, Jayson Myers des Manufacturiers et exportateurs du Canada affirmait qu'atteindre les objectifs de Kyoto exigerait la réduction d'un tiers de la production économique canadienne ou coûterait vingt milliards de dollars sur cinq ans. Depuis, c'est la base du consensus des négationnistes apparemment repentis qui acceptent la réalité de l'effet de serre anthropogénique mais qui affirment aussitôt que le protocole de Kyoto n'est pas réaliste. Après tout, n'est-ce pas évident qu'on ne peut pas demander à un travailleur sur trois de se mettre au chômage du jour au lendemain?

Selon Margaret Wente, les capacités de calcul des jeunes Canadiens, qui n'avait jamais été particulièrement brillantes, auraient souffert de certaines réformes récentes. C'est à voir, mais cela semble confirmé par la décision de la CBC de reprendre les chiffres de Jayson Myers sans aucun effort de compréhension. Les cerveaux des journalistes, c'est bien connu, ont tendance à court-circuiter dès qu'il est question de chiffres. (Dans l'article de Paul Vieira, il est même dit que la dépense de vingt milliards, ce serait l'achat de crédits d'émission pour « the equivalent of about $5-billion a year, between 2008 and 2012 ». À moins d'enlever six mois aux deux bouts de cette période, ce serait l'équivalent de quatre milliards par an...) Un milliard, c'est aussi énorme que le tiers de l'économie canadienne, c'est donc impensable d'en dépenser dix ou vingt — tel semble être le raisonnement des journalistes...

Eh bien, examinons la question. Tout d'abord, dans l'état actuel des choses, les prévisions du gouvernement Harper lui-même annoncent des excédents annuels de 2008 à 2012 qui ne sont jamais inférieurs à 2 milliards (et totalisent onze milliards de dollars en quatre ans). Ces chiffres tiennent compte des réductions d'impôts et des réductions de la dette qui sont planifiées. Ergo, les seuls excédents prévus pourraient acheter la moitié de la réduction des émissions requise pour atteindre les cibles de Kyoto.

Ensuite, comme l'indique La mise à jour économique et financière 2006 du gouvernement fédéral, ces projections incorporent une réduction annuelle de la dette de trois milliards de dollars. Je m'arrête là; il n'y a même pas besoin de chipoter sur les réductions d'impôts prévus, nous tenons déjà les vingt milliards de dollars requis pour respecter les cibles du protocole de Kyoto. Sur les quatre années fiscales en cause, le Canada disposerait de presque vingt-trois milliards de dollars. (Les trois milliards en trop seraient peut-être rattrapés par les économies non-réalisées en raison de la non-réduction de la dette, sans parler des imprévus ou des augmentations des frais de programme, que les Conservateurs rêvent de ramener sous le niveau de l'inflation, mais notons bien que cela n'exigerait pas un dollar en nouvelles taxes.)

Je ne dis pas que ce serait la meilleure façon d'atteindre les objectifs de Kyoto, je dis seulement que c'est loin d'être impensable ou irréaliste de les atteindre, et ce sans vraiment affecter l'économie canadienne.

Objections?

Il y a l'objection morale des écolos les plus fanatiques selon lesquels il serait injuste de faire porter tout le poids de la réduction des émissions aux pays pauvres. Mais ce ne seraient pas les seuls en cause; ces sommes pourraient financer aussi les entreprises des pays riches qui décideraient de remplacer une centrale au mazout ou au charbon par une centrale nucléaire ou une ferme d'éoliennes. Et soyons francs : d'ici 2012, ce serait difficile de générer les réductions requises au Canada. À terme, une politique favorisant les transports en commun, la séquestration du gaz carbonique, l'électrification des trains, le passage au nucléaire et la concentration urbaine pourrait renverser la vapeur, mais ce sont des projets qui prennent des années.

Il y a l'objection de l'incertitude des projections financières. Le coût présumé pour les crédits de réductions d'émissions (les unités de réductions des émissions dans le jargon officiel) pourrait grimper si tous les pays riches se les arrachaient et la surenchère pourrait augmenter de beaucoup le coût envisagé ci-dessus. C'est indéniable, mais il est également possible que cette crainte soit sans fondement. On ne le saura pas avant d'avoir essayé. (Et une augmentation du prix des URE pourrait rendre économique de nouvelles méthodes de réductions des émissions, entraînant une stabilisation des cours à un niveau plus élevé mais plus rentable, un peu comme on le voit dans les marchés pétroliers.)

Il y a l'objection du gaspillage, puisque l'argent sortirait du pays. D'une part, ceci n'a de sens que si on refuse l'existence de l'effet de serre. Le Canada n'a pas un secteur bien délimité de l'atmosphère terrestre; le gaz carbonique injecté dans l'atmosphère au-dessus de l'Inde affecte toute la planète; par conséquent, le gaz carbonique retiré de l'atmosphère au-dessus de l'Inde bénéficie à toute la planète, y compris au Canada. Ensuite, d'un point de vue comptable, il est relativement certain qu'il coûtera moins cher à l'unité d'acheter une réduction des émissions en Inde ou en Chine (où on peut appliquer des recettes déjà éprouvées) qu'au Canada, où il faudra investir en partie dans des techniques expérimentales. Toutefois, comme le soutient Stéphane Dion, c'est ce genre d'investissement plus risqué au Canada même qui pourrait rapporter gros plus tard.

On peut également faire remarquer que le budget actuel de l'aide internationale canadienne est de l'ordre de 3,8 milliards de dollars pour 2006-2007 et de 0,26% du PIB prévu de 1451 milliards. En ajouter quatre ou cinq milliards par année, en admettant qu'ils puissent compter comme des aides, ne porterait même pas l'aide internationale canadienne au niveau de 0,7% du PIB suggéré par l'ONU et déjà atteint par plusieurs pays occidentaux.

Bref, le refus d'envisager l'atteinte des objectifs de Kyoto relève soit de l'hystérie, de la malhonnêteté intellectuelle ou de l'incapacité mathématique la plus crasse. Ou des trois en même temps.

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