2006-02-06

 

Après l'intelligence

Dans un essai (.PDF) de Milan M. Ćirković, celui-ci s'intéresse au roman Permanence de Karl Schroeder. En effet, le roman propose, entre autres, une solution au paradoxe de Fermi.

Rappelons que le paradoxe de Fermi part des principes que l'univers est depuis longtemps capable d'entretenir la vie, que l'évolution de la vie mène à l'intelligence et que les distances interstellaires ne sont pas à ce point grandes qu'avec un peu de temps, les émissaires d'une collectivité douée d'intelligence ne pourraient pas atteindre pratiquement toutes les étoiles à leur portée. Par conséquent, comme disait Fermi, des représentants de ces autres sociétés devraient déjà se trouver sur Terre et s'être faits connaître. Or, délires ufologiques à part, ils ne sont pas là. Où sont-ils?

De nombreuses solutions ont été proposées. Dans Permanence, Schroeder défendait une idée pas tout à fait nouvelle, mais quand même frappante, selon laquelle l'intelligence n'était qu'un atout transitoire dans l'évolution du vivant (et certainement pas le préalable à une forme supérieure de conscience). En gros, ses personnages étaient obligés d'envisager la possibilité d'une adaptation supplémentaire, voire d'une méta-adaptation, aux conditions de vie, cette adaptation permettant à des espèces anciennement intelligentes d'assimiler sous forme d'automatismes toutes les habiletés nécessaires à leur survie.

Autrement dit, et c'est ce qui est stimulant, l'intelligence est le signe d'une adaptation imparfaite à son environnement dans la mesure où l'intelligence est définie (uniquement) comme le moyen d'acquérir les extensions technologiques qui permettent la survie dans des environnements étrangers (vêtements, maisons, etc.). La poursuite du processus évolutif devrait, dans un environnement donné, pousser une espèce à s'adapter suffisamment bien pour ne pas avoir besoin de cette forme d'intelligence.

J'ai classé une idée de ce genre non dans mes réflexions sur le paradoxe de Fermi, mais dans celles sur la nature de l'intelligence. M'inspirant de Douglas Hofstadter, je me suis demandé si les comportements intelligents n'étaient pas réductibles à des règles (à des algorithmes, si l'on préfère) qui seraient excessivement nombreuses et excessivement compliquées, mais non pas infinies. Je ne parle pas de la nature de l'intelligence humaine, mais d'une forme d'intelligence qui serait capable de passer le test de Turing mais qui ne serait pas nécessairement consciente pour autant. Et qui s'appuierait non sur une mémoire épisodique, mais sur une capacité d'abstraction de pratiquement toutes les situations envisageables. Les Mérakiens de mon histoire du futur seraient dotés d'une telle forme d'intelligence.

Quant à l'idée de Schroeder, elle semble plausible dans un contexte où les altérations d'un environnement donné seraient suffisamment lentes ou incomplètes pour ne jamais forcer l'intelligence à émerger de nouveau. (Ici, on se rapproche de certaines idées abordées par Niven dans Protector et par Niven et Pournelle dans The Mote in God's Eye.) Mais il me semble que toute espèce devant survivre dans un environnement dont le taux de changement est lui-même changeant trouverait un avantage à conserver une capacité de réflexion pour gérer les imprévus.

Cette théorie adaptationniste n'affirme pas, au contraire, que la culture et les techniques humaines actuelles sont le résultat d'adaptations biologiques, mais qu'elles pourraient l'être, dans un autre contexte. Ou du moins que des équivalents pourraient l'être, tandis que la capacité humaine à échafauder soit une culture soit un complexe technique aurait certes un substrat biologique... Dans le temps, l'anthropologue Bernard Campbell avait donné le nom de prototechnology aux utilisations animales d'outils primitifs. La technique n'est pas exclusivement humaine ou réservée aux plus hautes formes d'intelligence et de conscience.

Est-ce une solution valable du paradoxe de Fermi? Même si elle n'a jamais été observée, la disparition de l'intelligence ne me semble pas exclure non plus son retour, c'est-à-dire sa réapparition. À l'échelle de l'Univers, si on compte en milliards d'années, les deux phénomènes pourraient opérer et, après un certain temps, quand la complexité de la vie a atteint un point qui rend l'émergence de l'intelligence facile en cinq millions d'années environ, on pourrait imaginer que les deux transformations pourraient sinon s'équilibrer du moins se stabiliser autour de certaines valeurs stables...

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