2007-04-23

 

Avant l'aube

L'ancienneté de l'histoire de l'humanité dépend de la définition de cette dernière. C'est ce que rappelle Nicholas Wade dans son panorama de l'histoire humaine, un panorama qui pourrait être en quelque sorte l'ouvrage à lire avant Guns, Germs, and Steel de Jared Diamond... N'empêche que je ressens à l'arrivée une légère déception. La publicité de l'ouvrage promettait des révélations sur les apports de la génétique à la compréhension de l'histoire humaine. Toutefois, il y a bien peu d'éléments nouveaux pour qui lit, plus ou moins assidûment, les grandes revues de vulgarisation. Et je me rappelle certains articles de vulgarisation dans Pour la Science, par exemple, qui approfondissait drôlement mieux des sujets comme l'histoire des groupements humains en Europe depuis (et même avant) la dernière glaciation. (Je songe ici aux articles parus en 2002 sur les origines controversées des Basques, « Le vascon, première langue d'Europe » ou « L'épopée du génome basque » .) Un défaut de ces livres pour le grand public, c'est de ne pas avoir les moyens techniques de reproduire les cartes ou les diagrammes en couleurs sur papier glacé comme on les retrouve dans les revues à grande diffusion, de sorte que la richesse et le détail de ces documents ne sont qu'imparfaitement reproduits par les figures en noir et blanc sur le mauvais papier de tels livres. Néanmoins, à défaut d'apporter du nouveau (ou du très nouveau), Wade a le mérite de signer une synthèse extrêmement efficace — et annotée, pour ceux qui voudraient consulter les sources originales.

Wade complète Jared Diamond, dans la mesure où ce dernier se concentre sur l'histoire relativement récente de l'humanité alors que Wade remonte aux origines de notre lignée, lorsqu'elle se distingue de celles des gorilles et des chimpanzés. Mais Wade est aussi l'anti-Diamond, dans la mesure où il tend à privilégier des facteurs génétiques pour expliquer les grandes transitions, et surtout la différenciation socio-technique des différents rameaux de l'humanité.

En particulier, l'ouvrage attribue une composante génétique à l'agressivité humaine, en comparant les humains et les bonobos aux chimpanzés dont les rapports interpersonnels sont d’une grande férocité.

Plus nous sommes sociaux, plus nous pouvons former de grandes sociétés. Contre ces sociétés populeuses et prospères, les sociétés tribales sont impuissantes, surtout si elles pratiquent toujours une agriculture primitive, plus ou moins de subsistance, voire la chasse et la cueillette. Malgré l'agressivité de leurs hommes, ce qui se traduit par des traditions dites « guerrières », ces sociétés tribales n'ont jamais réussi à combattre les grandes sociétés organisées (les nations) sur leur propre terrain. Tout au plus sont-elles en mesure de résister sur le terrain qui leur est propre, surtout si elles peuvent acquérir les moyens techniques de le faire. (L'Afghanistan n'est pas un contre-exemple. Malgré toute la pugnacité des tribus afghanes, ce sont des nations étrangères qui forcent les Afghans à lutter sur leurs propres territoires, et non le contraire. Que les Britanniques, les Soviétiques ou les Américains soient venus de si loin pour combattre en Afghanistan, c'est la preuve la plus évidente de leur supériorité matérielle et technique. Il a fallu des circonstances exceptionnelles pour que les attentats du 11 septembre soient guidés depuis l'Afghanistan, et ce n'était pas par des représentants des sociétés tribales du pays.)

Mais si les humains ont dû apprendre à vivre en groupe sans se massacrer les uns et les autres, les distinctions plus récentes entre les groupements humains sont-elles attribuables pour autant à des bagages génétiques différents? Wade suggère entre les lignes qu’il pourrait y avoir un gène de la coopération, voire de la tolérance ou de la docilité, qui ferait la différence entre les grandes civilisations de l’Antiquité et la sauvagerie xénophobes des sociétés tribales qui se retrouvent dans des coins perdus du monde d’hier à aujourd’hui, dont l'Afghanistan.

A priori, il s’agit surtout d’une extrapolation qui s’appuie sur l’apparition, il y a quelques millénaires à peine, de gènes (ou d’allèles) susceptibles de favoriser l’intelligence. Du coup, on frise l’explication de l’Histoire par la génétique et la réification des différences ethnoculturelles. Ce retour par la petite porte des thèses qui ont inspiré l'eugénisme a quelque chose d'inquiétant. L'explication génétique, qui invoque une sorte de boîte noire magique, ne devrait être adoptée qu'en dernier recours, quand toutes les autres ont été écartées.

En définitive, le principal atout de ce livre, c'est non pas d'offrir une thèse maîtresse ou un grand récit, mais plutôt une anthologie synthétique à peine déguisée des meilleurs articles sur le même sujet.

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