2007-05-12
Civis romanus sum
En France et ailleurs en Europe, j'aime commencer mes séjours touristiques par la visite des ruines romaines du lieu, voire du musée archéologique qui est d'habitude dominé par les vestiges romains. Même réflexe à Nice, dont le passé se partage en fait entre l'acropole grecque sur la butte du château qui surplombe la Méditerranée et les ruines de Cemelanum, la colonie romaine construite sur un éperon appartenant aux contreforts des montagnes, à deux ou trois kilomètres de la mer. L'endroit était plus facile à approvisionner en eau au moyen d'aqueducs et il offrait sans doute plus d'espace pour un véritable développement urbain à la manière romaine que la petite butte au bord de la mer, entre les bras de l'oued du Paillon. (Toutefois, comme la ville moderne a recouvert Cimiez, avatar moderne de Cemelanum, d'un quadrillage impressionnant de villas cossues et de palaces pour touristes, comme l'Hôtel Regina ci-contre), il n'y a jamais eu de fouilles systématiques susceptibles de bien circonscrire les limites de l'ancienne Cemelanum.)
Le musée d'antiquités offrait donc les vitrines obligatoires de vases grecs ou romains, de vestiges divers, de sarcophages et autres stèles anciennes, de cartes et de maquettes. Ce qui était déjà plus intéressant, c'était l'exposition des jeux romains. Plus ou moins destinée aux jeunes visiteurs, elle regroupait plusieurs objets archéologiques, reconstitutions des jeux romains et cartons expliquant les règles (connues ou hypothétiques) de ces jeux qui permettent souvent d'établir un lien entre notre civilisation et celle des Romains... Outre les dés (alea) et l'ancêtre du jacquet, il y avait les osselets et les versions romaines de la marelle. En l'absence des échecs ou du jeu de go, les Romains disposaient du jeu des latroncules. La visite du musée n'était pas complète sans la visite du jardin, qui contient les principales ruines de la Cemenalum romaine, à part les arènes voisines intégrées au jardin public. Les thermes sont moins complètes qu'ailleurs, mais leurs ruines demeurent impressionnantes, deux mille ans plus tard. Dans la photo, on aperçoit la coupole de l'observatoire de Nice au ras des ruines, rapprochant en un seul cliché deux mille ans d'histoire et de changements.
J'ai fini la journée dans un lieu fort différent et fort éloigné, du moins en apparence, des ruines romaines de Cimiez : le musée d'art moderne et contemporain de Nice. Pourtant, il s'agit simplement d'un autre type de dépaysement. Une immersion dans l'avenir plutôt que dans le passé. Je fréquente ce type de musée moins en connaisseur qu'en curieux. Mais je retire souvent de mes visites des idées parfaitement appropriées à mes textes de science-fiction. Ces artistes défrichent souvent les marges de l'inusité, de l'impensé, bref, de ce qui reste à imaginer et à placer dans des mondes à venir. Influence du cyberpunk dans mon approche de l'écriture? On se souviendra que William Gibson avait employé les boîtes de Joseph Cornell, comme celle que j'ai photographiée dans le musée, à la fois comme élément et comme métaphore concrète dans sa trilogie cyberpunk. Inversement, l'ère spatiale a pu inspirer des artistes contemporains, comme on le voit dans cette création astronautique d'Yves Klein, mieux connu pour son utilisation d'une teinte de bleu de sa composition (impossible à reproduire au moyen des affichages standards sur les écrans d'ordinateur). La combinaison d'une fusée/tuyère et de réservoirs renflés ne suffit pas à en faire un engin spatial très convaincant, mais l'hommage rendu à la conquête de l'espace souligne que les liens entre l'art et les techniques n'existent pas que dans la littérature. En revanche, ce ne sont pas tous les projets artistiques du vingtième siècle qui se laissent photographier. Certains doivent être visités et examinés en personne, que ce soit en raison de la richesse des détails et des messages, ou en raison de l'effet purement sensuel des objets. Et d'autres frappent par l'originalité de leur inspiration, plus que par ce qu'ils peuvent véhiculer. Concluons donc sur ce buste de Borghini, qui reproduit la Vénus de Milo tout en la tapissant de faux ongles laqués de rouge...
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