2007-05-28

 

Science-fiction philosophique

J'ai fini dans l'avion la lecture du l'essai I Am A Strange Loop. L'ouvrage de Hofstadter souffre de sa richesse même, car il a tendance à vouloir tout étreindre au risque de mal embrasser. Une digression sur le sujet de Bach et d'Albert Schweitzer, afin d'illustrer le concept de grandeur d'âme, frise le radotage de l'enthousiaste qui veut tout rattacher, de Bach au végétarianisme, à son idée centrale. (Ce qui ne m'empêche pas d'être d'accord avec l'idée que la grandeur d'âme s'identifie parfaitement à l'empathie qui permet de simuler un grand nombre d'autres consciences, humaines ou non, bref de sympathiser avec autrui.)

Est-ce un signe de sénescence ou est-ce la preuve que le cerveau humain, en vieillissant, devient plus sensible aux liens multiples susceptibles de rapprocher des réalités multiples? L'hétérogénéité (certes relative) du texte tient de l'inventaire avant-décès ou du rabâchage du vétéran revenant sur ses vieilles gloires. Surtout que Hofstadter n'approfondit pas certaines questions, se bornant à les rejeter comme inadmissibles ou ridicules.

Pourtant, si j'adhère volontiers à l'idée d'une personnalité édifiée par une panoplie de symboles accumulés au fil des ans, reconnus comme tels, perçus, maniés et modifiés en fonction des résultats obtenus par l'action ou la réflexionm je ne suis pas aussi prompt à identifier cette boucle étrange au phénomène de la conscience de soi. Suffit-il vraiment de générer des configurations de symboles qui se mordent la queue en s'incorporant elles-mêmes dans les représentations appréhendées? Cette boucle étrange suffit-elle à expliquer la conscience, ou plus exactement son mouvement tout autant que sa nature? Explique-t-elle en définitive l'expérience de la conscience? À quel moment la conscience intervient-elle? Hofstadter critique efficacement les autres solutions, mais une solution par défaut n'est convaincante que si toutes les autres ont été éliminées à coup sûr.

Or, si la multiplicité de l'identité et même l'inexistence de l'identité unique dans le temps s'acceptent facilement, on souhaiterait une explication plus approfondie du processus dont surgit la conscience. Les détails de l'explication soumise par Damasio s'estompent, mais elle avait le mérite d'être plus concrète et plus suivie, il me semble.

La synthèse de Hofstadter n'est donnée que dans les deux dernières pages. Il suggère, sans le dire tout à fait, que la conscience apparaît quand nous transformons le picotement dans des jambes ankylosées en une analogie imagée, « J'ai des fourmis dans les jambes », que nous sommes ensuite capables de reconnaître comme une métaphore et d'apprécier pour le rapport (surprenant) établi entre une réalité physique et une sensation hypothétique. Cela se passe ainsi, certes. Mais il m'a toujours semblé que la succession de ces événements avait un spectateur, puisque j'ai toujours senti que mon écriture avait un spectateur qui assistait un peu en retrait au surgissement du texte. Cette dichotomie entre fonctionnement observable de l'esprit et conscience de l'observateur s'expliquerait par la conscience de base postulée par Damasio, qui s'intéresse nettement moins aux manipulations de symboles en tant que telles.

Pour le profane que je suis, la comparaison entre Damasio et Hosftadter n'est pas nécessairement à l'avantage de ce dernier, car les arguments de Damasio paraissent plus scientifiques parce qu'ils s'enracinent plus directement dans les découvertes concrètes de la neurologie. Ce qui n'empêche pas le dernier pas de la démonstration de relever d'une forme d'induction dans les deux cas.

Mais Hofstadter fait intervenir un certain nombre d'expériences par la pensée qui exigent parfois d'imaginer des univers étranges et des possibilités inusitées. Souvent, il décrit des situations qui relèvent de la science-fiction, mais ceci le gêne :

« I am hesitant to adduce too many science-fiction-like scenarios in order to explain and justify my ideas about soul and consciousness, because doing so might give the impression that my viewpoint is essentially tied to the indiscriminate mentality of an inveterate science-fiction junkie, which I am anything but. Nonetheless, I think such examples are often helpful in getting one to break free of ancient, deeply rooted prejudices. »

On reparlera une autre fois des préjugés... En tout cas, on peut aussi y voir une preuve de la proximité entre la science-fiction et la philosophie. La science-fiction a des racines dans le terreau du conte philosophique, mais sa démarche est de plus en plus souvent assimilée à celle du Gedankenexperiment. Littérature de la conjecture, à base de « Et si ? », la science-fiction formule volontiers des hypothèses dont elle explore ensuite les conséquences et plusieurs des scénarios de Hofstadter posant la question de l'identité ressemblent à des scénarios bel et bien employés en science-fiction, tant dans les séries de Star Trek que dans les textes d'auteurs comme Greg Egan ou Jean-Jacques Girardot.

Ce qui me conforte dans mon idée que la science-fiction est un genre littéraire hybride, qui s'éloigne beaucoup plus qu'on veut bien le dire des autres formes narratives.

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