2007-12-10
Fragments d'histoire familiale (4)
J'évoque régulièrement sur ce blogue le passé de ma famille, au gré des découvertes que je fais dans les vieux albums et dossiers hérités de mon père. Il m'arrive aussi de traquer des lieux, comme la maison habitéee par mon arrière-grand-père, Edmond Trudel (1860-1933), à Ottawa, au 80 de la rue Spruce. La seule photo ancienne que j'ai pour l'instant avait beaucoup pâli, de sorte qu'il est assez difficile de distinguer les détails de la construction dans ce cliché daté de 1906. Si je suppose que c'est mon grand-père Jean-Joseph Trudel (1888-1968) qui prenait la photo, étrennant un nouvel appareil photo à l'âge de dix-huit ans environ, j'en conclus que l'adolescent au centre est forcément Paul-Émile Trudel (1892-1952), alors âgé de quatorze ans environ. L'autre garçon, à l'extrême-gauche, serait nécessairement le jeune Alexandre Antonin Trudel (1893-1970), qui aurait eu treize ans environ. Du côté des filles, Anne-Marie Trudel (1898-1986) se tient à droite de Paul-Émile, et il ne reste plus que Henriette, debout entre les deux garçons. Derrière elle et Alexandre Antonin, c'est l'aïeul Edmond en personne qui se dresse devant le perron. Derrière Anne-Marie, on distingue un couple, dos au mur. Le visage du personnage féminin est complètement brouillé, mais il pourrait s'agir de Jeanne Trudel, âgée de seize ou dix-sept ans, en compagnie d'un galant quelconque — peut-être même son futur mari, Anatole Drouin, qu'elle épouserait en 1913... Toutefois, une indication écrite que j'avais négligée suggère que ce serait en fait Jean-Joseph — mais si la photo a été prise par un photographe professionnel, je ne le félicite pas pour la qualité de l'épreuve!
En décembre dernier, j'ai photographié l'édifice qui se trouve actuellement au 80 de la rue Spruce. À première vue, il s'agit de la même maison, mais le portique du perron a changé de manière plus ou moins subtile, en conservant toutefois son apparence générale. Les fenêtres ont aussi perdu leurs volets d'origine. Certes, les saisons ne sont pas les mêmes et l'angle non plus, mais la ressemblance est frappante, tout compte fait. Si la numérotation des maisons n'a pas été changée dans cette partie de la ville, l'identité ne fait aucun doute. De nos jours, on fait grand état de la mobilité de la population canadienne. Ne déménage-t-on pas souvent, à l'intérieur de la même ville ou d'un océan à l'autre quand une occasion se présente? On déménage pour recommencer à neuf ou pour changer le mal de place. Mais c'était déjà une réalité pour certains au début du siècle dernier. Edmond avait déjà fait l'aller retour entre le Québec et les Territoires du Nord-Ouest avant de s'installer à Ottawa. Quelques années plus tard, la famille s'établirait dans une nouvelle demeure, plus près du centre-ville.
Mon arrière-grand-mère, Marie-Adeline Augustine Trudel, née Raby, a eu au moins neuf enfants. Deux sont morts en bas âge, Édouard (1896-1897) et Rose-Marguerite-Marie-Louise (1905-1906), surnommée « Rosette ». Cette dernière était née à Régina, mais elle n'a pas survécu à un retour dans l'est du pays, succombant à Saint-André-Avellin. De même, la jeune Henriette est née en novembre 1900 à Régina et baptisée à la résidence du lieutenant-gouverneur Amédée-Emmanuel Forget (1847-1923) — elle porte d'ailleurs le même prénom que la femme du lieutenant-gouverneur. Elle aussi succombera dans l'est du pays, mais elle avait neuf ans quand elle s'éteint en juin 1910. Elle aussi est enterrée à Saint-André-Avellin. Était-elle une enfant bien portante? De cette photo prise en 1907 à l'Hôpital général d'Ottawa, on ne peut pas conclure grand-chose. Plus d'une maladie d'enfance pouvait justifier un séjour à l'hôpital. La pauvreté n'est sans doute pas en cause dans la mort de ces trois enfants, puisque le père gagnait bien sa vie, mais la mortalité infantile chez les Canadiens-Français d'Ottawa à cette époque est aussi imputée parfois au sevrage précoce.
Les familles nombreuses étaient encouragées de plusieurs façons. En se normalisant, l'écourtement de l'allaitement permettait des naissances plus rapprochées. Néanmoins, Augustine a survécu à son mari; on la voit ci-dessus dans un cliché daté des années quarante, alors qu'elle approchait des quatre-vingts ans. Était-elle contente d'avoir vécu la vie qu'on attendait d'elle? Neuf enfants. L'aîné devenu un docteur. Une fille qui avait pris le voile. Un autre fils qui était devenu fonctionnaire, comme son père. Des petits-enfants nombreux, quoique éparpillés dans toute l'Amérique du Nord, de l'Outaouais à Détroit au Michigan, de Saint-Boniface au Manitoba à Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest... C'était en quelque sorte l'idéal qu'on avait fixé à sa génération dans certains milieux obsédés par la survivance. Avait-elle craint pour ses fils quand ils avaient rejoint l'armée durant la Première Guerre mondiale, comme on le voit ci-contre? (Ironiquement, même si Jean-Joseph et Paul-Émile étaient en France dès 1916, ni l'un ni l'autre ne semblent avoir vu le feu de près puisqu'ils faisaient partie de la même unité médicale qui s'occupaient des blessés et des malades, d'abord à Troyes, puis à Joinville-le-Pont. Quant à Alexandre Antonin, il n'aurait jamais quitté Valcartier...) Ou avait-elle craint pour Paul-Émile quand il obtint des postes de plus en plus éloignés dans le Grand Nord, de sorte qu'on le voit dans la photo ci-dessous en août 1934, sur un bateau qui remonte les rapides de la rivière de l'Ours qui relie le Grand Lac de l'Ours au fleuve Mackenzie, par 65 degrés de latitude nord...
En décembre dernier, j'ai photographié l'édifice qui se trouve actuellement au 80 de la rue Spruce. À première vue, il s'agit de la même maison, mais le portique du perron a changé de manière plus ou moins subtile, en conservant toutefois son apparence générale. Les fenêtres ont aussi perdu leurs volets d'origine. Certes, les saisons ne sont pas les mêmes et l'angle non plus, mais la ressemblance est frappante, tout compte fait. Si la numérotation des maisons n'a pas été changée dans cette partie de la ville, l'identité ne fait aucun doute. De nos jours, on fait grand état de la mobilité de la population canadienne. Ne déménage-t-on pas souvent, à l'intérieur de la même ville ou d'un océan à l'autre quand une occasion se présente? On déménage pour recommencer à neuf ou pour changer le mal de place. Mais c'était déjà une réalité pour certains au début du siècle dernier. Edmond avait déjà fait l'aller retour entre le Québec et les Territoires du Nord-Ouest avant de s'installer à Ottawa. Quelques années plus tard, la famille s'établirait dans une nouvelle demeure, plus près du centre-ville.
Mon arrière-grand-mère, Marie-Adeline Augustine Trudel, née Raby, a eu au moins neuf enfants. Deux sont morts en bas âge, Édouard (1896-1897) et Rose-Marguerite-Marie-Louise (1905-1906), surnommée « Rosette ». Cette dernière était née à Régina, mais elle n'a pas survécu à un retour dans l'est du pays, succombant à Saint-André-Avellin. De même, la jeune Henriette est née en novembre 1900 à Régina et baptisée à la résidence du lieutenant-gouverneur Amédée-Emmanuel Forget (1847-1923) — elle porte d'ailleurs le même prénom que la femme du lieutenant-gouverneur. Elle aussi succombera dans l'est du pays, mais elle avait neuf ans quand elle s'éteint en juin 1910. Elle aussi est enterrée à Saint-André-Avellin. Était-elle une enfant bien portante? De cette photo prise en 1907 à l'Hôpital général d'Ottawa, on ne peut pas conclure grand-chose. Plus d'une maladie d'enfance pouvait justifier un séjour à l'hôpital. La pauvreté n'est sans doute pas en cause dans la mort de ces trois enfants, puisque le père gagnait bien sa vie, mais la mortalité infantile chez les Canadiens-Français d'Ottawa à cette époque est aussi imputée parfois au sevrage précoce.
Les familles nombreuses étaient encouragées de plusieurs façons. En se normalisant, l'écourtement de l'allaitement permettait des naissances plus rapprochées. Néanmoins, Augustine a survécu à son mari; on la voit ci-dessus dans un cliché daté des années quarante, alors qu'elle approchait des quatre-vingts ans. Était-elle contente d'avoir vécu la vie qu'on attendait d'elle? Neuf enfants. L'aîné devenu un docteur. Une fille qui avait pris le voile. Un autre fils qui était devenu fonctionnaire, comme son père. Des petits-enfants nombreux, quoique éparpillés dans toute l'Amérique du Nord, de l'Outaouais à Détroit au Michigan, de Saint-Boniface au Manitoba à Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest... C'était en quelque sorte l'idéal qu'on avait fixé à sa génération dans certains milieux obsédés par la survivance. Avait-elle craint pour ses fils quand ils avaient rejoint l'armée durant la Première Guerre mondiale, comme on le voit ci-contre? (Ironiquement, même si Jean-Joseph et Paul-Émile étaient en France dès 1916, ni l'un ni l'autre ne semblent avoir vu le feu de près puisqu'ils faisaient partie de la même unité médicale qui s'occupaient des blessés et des malades, d'abord à Troyes, puis à Joinville-le-Pont. Quant à Alexandre Antonin, il n'aurait jamais quitté Valcartier...) Ou avait-elle craint pour Paul-Émile quand il obtint des postes de plus en plus éloignés dans le Grand Nord, de sorte qu'on le voit dans la photo ci-dessous en août 1934, sur un bateau qui remonte les rapides de la rivière de l'Ours qui relie le Grand Lac de l'Ours au fleuve Mackenzie, par 65 degrés de latitude nord...