2008-05-19

 

Quand la traduction ne suffit pas

Edward Willett est un écrivain canadien des plus actifs, qui a signé des ouvrages pour les jeunes et des ouvrages de vulgarisation pour le grand public sur de nombreux sujets. Dans une certaine mesure, Lost in Translation (DAW, 2006) représentait pour lui une percée dans le monde de l'édition professionnelle de science-fiction aux États-Unis pour lecteurs adultes, même si je jurerais avoir entendu Ed parler en fin de semaine de ce roman comme d'un ouvrage pour jeunes lecteurs... Les critiques ont été parfois tièdes ou mitigées. De fait, en refermant le livre, je me suis demandé pourquoi j'étais plus soulagé que content de l'avoir terminé. Après tout, je l'avais lu d'une traite depuis son achat sur place à Winnipeg samedi — compte tenu de quelques interruptions mineures comme la remise des Prix Aurora ou mon retour en avion à Montréal. Si la première partie se borne à nous présenter les deux personnages principaux, Jarrikk et Kathryn, les péripéties s'enchaînent ensuite sans discontinuer et engendrent un suspense authentique. Jarrikk et Kathryn appartiennent à deux espèces intelligentes ennemies. Si la seconde est humaine, le premier est un S'sinn, membre d'une espèce carnivore et prédatrice. Ce qu'un long retour en arrière établit au début du roman, c'est que tous les deux ont souffert de la guerre qui a opposé les humains et les S'sinn. Kathryn a perdu ses parents et Jarrikk a perdu ses frères de chasse avant qu'une blessure le prive de toute possibilité de voler, l'acculant selon la tradition au suicide rituel... La Guilde des Traducteurs d'un Commonwealth interstellaire les a recueillis après la conclusion d'une paix imposée aux belligérents par les autres espèces au sein du Commonwealth, mais leurs loyautés vont être mises à rude épreuve par les menées de factions bellicistes tant chez les humains que chez les S'sinn.

Willett ne renouvelle pas le space-opéra. Les espèces, les planètes et les technologies mises en scène sont assez typées, voire stéréotypées (la colonie humaine qui rappelle beaucoup une petite ville du Midwest étatsunien, une espèce carnivore qui obéit à un code guerrier, etc.), de sorte que la vraisemblance n'est pas toujours au rendez-vous. La société des S'sinn pourrait-elle se passer de tous les individus qu'un accident (ou l'âge) empêche de voler? Et les différentes facultés empathiques ou télépathiques des personnages ne sont que moyennement convaincantes.

Mais le principal défaut du roman, c'est sans doute de rendre les protagonistes fort peu sympathiques. Je ne songe pas à Jarrikk et Kathryn, qui sont nobles, sages, courageux, etc. Mais nos deux héros se battent pour sauver les humains et les S'sinn d'un conflit meurtrier et, franchement, à voir aller humains et S'sinn dans le reste de l'histoire, on se demande bien en quoi ils méritent autant de dévouement. Willett décrit des sociétés dont l'aveuglement, les préjugés et la bêtise le disputent à la soif de sang et de vengeance. En quoi valent-elles d'être sauvées? Ses personnages sauvent la paix, mais ils n'achètent pas forcément un avenir meilleur pour leurs sociétés d'origine. Du coup, on a du mal à être content de leur triomphe.

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