2008-01-25

 

Immigration surnaturelle

J'avais acheté à Saratoga Springs le roman d'Hiromi Goto, The Kappa Child (2001), car je garde un excellent souvenir de ses premières nouvelles dans On Spec. Le roman (qui a remporté le Prix Tiptree) vaut le détour, même s'il a commencé par me prendre au dépourvu. La narratrice est l'une des quatre sœurs d'une famille japonaise immigrée au Canada qui tente de s'établir dans les Prairies. Le paternel est un tyran domestique qui mène sa famille à coups de gifles et d'insultes. Pis encore, il a conçu le projet insensé de faire pousser du riz dans les plaines de l'Alberta, et sans eau pour irriguer les semis, ce qui condamne les siens à des années de misère.

Ce portrait de la vie difficile d'une famille égarée au cœur des Prairies rappelle plus les romans de Margaret Laurence ou les épreuve des deux sœurs dans Madeleine & the Angel (1989) de Jacqueline Dumas que Little House on the Prairie de Laura Ingalls Wilder — mais la jeune narratrice dévore les aventures de Laura Ingalls, que ce soit sur la page ou au petit écran, car elle a tout juste l'âge qu'il faut pour apprécier la série télévisée qui a également captivé mon enfance. (Hiromi Goto a un an de plus que moi...)

Goto mêle le surnaturel au récit d'une désintégration familiale parfois plus consternante qu'intéressante. Comme elle laisse planer une certaine incertitude sur la réalité des événements fantastiques, le roman se rattache au fantastique todorovien, mais ce sont les personnages qui paraissent parfois les plus étranges. Même si on finit par être touché par eux, j'ai eu du mal à les prendre au sérieux. Une des tendances malheureuses de la fiction récente, c'est de mettre en scène des excentriques et des obsédés, comme dans The Stone Diaries de Carol Shields. Ils symbolisent en partie la passion artistique, je suppose, mais c'est peut-être parce que la société canadienne traite trop souvent l'art comme une marotte de dilettantes... Souvent, ces originaux et détraqués sont des hommes dont les lubies pathétiques et les débordements de violence servent de faire-valoir au réalisme des femmes. On me pardonnera de ne pas adhérer à plein...

The Kappa Child est un roman qui finit bien, plusieurs couples lesbiens trouvant le bonheur plus ou moins en même temps. Goto sait nous faire partager leur joie et leur soulagement d'échapper enfin à la solitude ou au poids du passé. Néanmoins, cette conclusion semble reléguer le fantastique dans les coulisses, comme s'il n'avait été qu'un défouloir ou qu'une traduction du désarroi des personnages. Du coup, l'histoire est privée a posteriori d'une partie de sa saveur particulière et on peut le ressentir comme une mutilation de sa trame profonde.

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