2007-12-18

 

L'avenir de l'effet de serre

Une des méthodes que j'ai toujours préconisées sur ce blogue, c'est le rapprochement de nouvelles apparemment sans rapport.

Ainsi, la Banque mondiale vient de publier un rapport (.PDF) selon lequel la taille de l'économie chinoise, calibrée selon la parité du pouvoir d'achat, serait de 40% inférieure à ce qu'on croyait jusqu'à maintenant. Du coup, le nombre de Chinois dont le revenu oscille autour d'un dollar par jour serait de l'ordre de 300 millions, et non de 100 millions... D'ailleurs, la comparaison du revenu national par habitant en 2005 révèle des différences parfois importantes selon l'adoption du dollar étatsunien comme étalon ou du dollar corrigé selon la parité du pouvoir d'achat. La figure ci-dessous compare ces deux valeurs pour quelques pays de l'OCDE; on voit tout de suite que si le revenu par habitant est révisé en fonction de ce qu'on peut acheter dans tel ou tel pays avec le revenu en question, la valeur résultante est en général inférieure au revenu en dollars étatsuniens. Du coup, un pays comme le Canada qui n'atteint pas les niveaux déclarés en dollars étatsuniens pour des pays comme la Belgique ou le Royaume-Uni se retrouve en bien meilleure posture quand son revenu est mesuré selon la parité du pouvoir d'achat. Ce qui confirmera l'impression du voyageur canadien qui aura visité ces pays : même si tout était plus cher au Canada, comme si la population était plus riche, les gens n'avaient pas l'air de vivre mieux. (Certes, la parité du pouvoir d'achat compare surtout la quantité de biens jugés équivalents, mais sans poser la question de la qualité — ce qui a son importance quand on compare un supermarché canadien et un supermarché français, disons...)Pendant ce temps, la conférence de Bali entamait la longue marche vers une décroissance des émissions de gaz à effet de serre. Le Canada a joué un rôle compliqué, répondant à des impératifs contradictoires.

D'une part, le nouveau gouvernement est plus ou moins revenu de son scepticisme initial et a admis la réalité du réchauffement climatique. Toutefois, l'économie canadienne est étroitement intégrée à celle des États-Unis (on le voit dans la figure ci-dessus, qui montre que le Canada et les États-Unis sont les deux pays dont le revenu par habitant est pratiquement identique qu'on le mesure selon le pouvoir d'achat ou l'unité monétaire); par conséquent, il n'est pas sûr que le Canada puisse se permettre de trop s'éloigner des pratiques étatsuniennes en matière de consommation d'énergie sous peine de voir la compétitivité de ses entreprises souffrir. L'argument est (éminemment) critiquable, mais il est (minimalement) défendable.

D'autre part, le gouvernement fédéral doit composer avec des provinces puissantes dans le cadre d'une fédération extrêmement décentralisée. Or, l'écart des émissions par personne au sein de la fédération canadienne est immense. Le Québec se situe dans la moyenne européenne, par exemple, tandis que l'Alberta et la Saskatchewan, des provinces productrices de pétrole, génèrent jusqu'à six ou sept fois plus par personne. C'est plus que l'écart entre les émissions par habitant des États-Unis et de la Chine! Comme ces émissions sont associées à une industrie qui fait beaucoup pour l'embellie économique et budgétaire du pays, ce n'est pas facile de les juguler. Et c'est aussi difficile de convaincre les Albertains qu'ils doivent assumer une plus grande part des réductions parce qu'ils produisent plus que de convaincre les Québécois de réduire autant que les Albertains parce que tout le monde doit faire sa part également... Comme le gouvernement conservateur de Harper assoit son pouvoir sur ces deux provinces, il a jusqu'à maintenant fait tout sauf tenter de concilier l'inconciliable.

Pour se sortir de son pétrin, le Canada a donc tenté à Bali de reporter à l'échelle internationale son dilemme interne en braquant gros émetteurs par personne contre petits émetteurs par personne au nom de la part que tout le monde doit jouer pour réduire les émissions. (Une telle position, appliquée à l'interne, obligerait le Québec à réduire ses émissions autant que l'Alberta... je continue à ne pas comprendre la popularité des Conservateurs au Québec!)

Dans un sens, il s'agissait sans doute d'une manœuvre dilatoire pour éviter d'engager le Canada dans une ronde de réductions qui, primo, risquerait de nuire à l'industrie pétrolière de l'Alberta et, secundo, risquerait d'accroître les tensions au sein de la fédération. Néanmoins, c'était aussi une manière de donner des gages à ceux qui croient que le réchauffement climatique est un problème réel, mais que la démarche suivie depuis Kyoto a balayé sous le tapis des problèmes gênants.

Or, le Canada est aussi aux prises avec un des éléments les plus gênants du problème. Les cibles fixées par pays ne tiennent pas compte de la croissance démographique. Depuis 1990, la population du Canada a augmenté de presque 20% et il est permis de croire qu'en 2012, elle aura augmenté de 24% environ depuis 1990. Le Canada s'étant fixé à Kyoto l'objectif d'une réduction à 6% en deçà des émissions de 1990, il faudrait réduire de plus de 30% les émissions par habitant en dehors de toute augmentation intrinsèque pour atteindre en 2012 l'objectif de Kyoto. Ceci est techniquement impossible, mais reste un objectif parfaitement réaliste si on a recours (comme l'Europe des quinze devra l'envisager) à des crédits internationaux.

La démographie canadienne est une des plus dynamiques en Occident, à classer avec l'Australie et les États-Unis. En guise de comparaison, la population de la France métropolitaine n'a augmenté que de 8,8% entre 1990 et 2007. (Et la France s'était fixé comme objectif à Kyoto une réduction des émissions au même niveau qu'en 1990.) La France a quand même fait mieux que le Canada pour ce qui est des réductions par tête (les mauvaises langues souligneront que c'est facile quand on maintient la population dans une pauvreté relative, puisque le revenu par habitant en France est de 29 644$ contre 35 078$ au Canada, selon la parité du pouvoir d'achat) et c'est tout à son honneur. Mais le problème demeure et il devra être abordé lors de la prochaine ronde de négociations. Les cibles de réductions ne pourront plus être fixées au petit bonheur la chance; d'un pays à l'autre, elles devront tenir compte de facteurs additionnels si elles se veulent réalistes.

La logique de Kyoto, c'était de commencer par couper dans le gras. On supposait que les économies des pays riches avaient plus de marge et qu'elles pourraient donner l'exemple tout en procédant à des expérimentations grandeur nature pour défricher les meilleures pistes à suivre après 2012. L'étape suivante imposera des réorientations plus radicales encore, mais celles-ci ne pourront plus ignorer les facteurs fondamentaux :

— la croissance de la population (et son vieillissement) : ceteris paribus, une population vieillissante et retraitée sera moins énergivore qu'une population jeune et active; compte tenu de la croissance démographique, il serait injuste d'exiger d'une population plus jeune des sacrifices plus grands (per personne) que d'une population plus âgée qui serait d'ailleurs plus directement responsable de l'augmentation passée des gaz à effet de serre...

— l'existence ou non d'industries pétrolières : leurs pratiques ordinaires génèrent des quantités énormes de gaz à effet de serre; il n'est pas impossible de les réduire, mais ceci est une tâche lourde

— la superficie de terres agricoles et boisées par personne : les pratiques agricoles et forestières sont responsables de changements massifs mais difficiles à quantifier dans la production excédentaire de gaz à effet de serre; ceci complique la gestion des gaz à effet de serre pour les grands pays

— le contexte climatique : les pays septentrionaux connaissent souvent des écarts météorologiques plus grands qu'ailleurs et qui imposent un mode de vie plus énergivore pour la simple survie; on peut penser que la consommation énergétique par personne sera toujours un peu plus élevée au Québec qu'en France rien que pour cela

Et le rapport avec la Chine? Les nouveaux chiffres de la Banque mondiale suggèrent que les émissions par personne d'une partie de la population chinoise doivent être plus proches qu'on le pensait des niveaux des pays développés, puisqu'il y a 200 millions de personnes de plus qui ne font pas partie de l'économie moderne chinoise. En revanche, il reste donc un potentiel de croissance énorme des émissions chinoises si jamais cette population (plus nombreuse que la population du Japon) commençait à jouir d'un niveau de vie plus confortable... Est-ce une raison de plus pour ménager la Chine ou pour en exiger plus? Voilà le dilemme, qui sera un peu celui de toute l'humanité en ce siècle.

Libellés : ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?