2006-10-29

 

Pour le prof, Ottawa est un village

Alors que je songe à solliciter un poste dans une petite ville, je peux déjà imaginer ce que serait la vie pour un prof dans une petite ville.

Après avoir enseigné un peu plus de deux années à Ottawa, ce sont maintenant près de quatorze cents étudiants que j'ai eus dans mes cours, pour le meilleur et pour le pire. Compte non tenu des étudiants qui sont passés à autre chose, cela représente facilement 5% de la population universitaire. Et environ une personne sur mille dans la région d'Ottawa-Gatineau... Du coup, il n'y a rien de surprenant à ce que je croise des personnes qui me connaissent même si je ne les reconnais pas.

Ainsi, vendredi soir, je prenais l'autobus au cœur d'Ottawa. Je n'ai pas le temps de me retourner que j'y rencontre quelqu'un qui veut savoir si je travaille à la correction des examens. J'entre plus tard dans une pizzeria sur Bank et, derrière le comptoir, il y a quelqu'un qui m'a eu comme prof. Deux ou trois autres rencontres de ce genre, et j'aurais écrit un scénario pour The Twilight Zone! Évidemment, à l'époque où j'étais assistant à l'Université de Toronto, des étudiants m'avaient reconnu alors que je passais par la station d'autobus de New York... Ça, c'était fort!

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2006-10-28

 

La SFCF des années soixante

Je m'en voudrais de ne pas signaler la parution de La Décennie charnière.

Même si le titre ne l'indique pas, il s'agit bel et bien d'un prolongement vers le passé de la série des Années de la Science-Fiction et du Fantastique québécois. Cette fois, Claude Janelle et ses collaborateurs (dont je suis) s'intéressent aux productions francophones en science-fiction et en fantastique de 1960 à 1969. Celles-ci sont relativement nombreuses, même si nous sommes loin des chiffres de la production actuelle. Pour toute la décennie, Janelle recense 166 nouvelles (originales ou non), 23 romans (originaux ou non) et le feuilleton de Pierre Daigneault (alias Pierre Saurel). En 2000, Janelle recensait 114 nouvelles et 57 romans ou récits. Ainsi, on publie en une année maintenant ce qui s'étalait autrefois sur dix ans...

La préface de Janelle tient des propos avec lesquels je suis, pour une fois, presque complètement d'accord. Certes, il associe l'apparition de la science-fiction moderne à l'éveil nationaliste des années 60, ce qui est un peu exagéré, surtout si on tient compte des auteurs de science-fiction qui avaient écrit avant 1960 et qui, à l'occasion, n'étaient pas moins en prise sur la modernité de leur temps. (Je songe par exemple à Jean-Charles Harvey dont le recueil de 1929, L'homme qui va, avait justement été jugé digne d'une réédition durant les années soixante...) Mais, bon, comme on le sait, la génération du baby-boom a tout inventé au Québec.

Si le Québec est bel et bien le foyer de la SFCF, il convient de remarquer que les données biographiques fournies par l'ouvrage permettent de dire que sur 42 auteurs dont les origines sont connues, quatre viennent de la France, trois du Canada hors-Québec et un de l'Espagne. Au moins deux auteurs ont abouti à Ottawa, soit Claude Aubry et Ronald Després. La réalité de la SFCF était déjà plurielle.

La Décennie charnière offre donc des recensions des parutions originales de la décennie et aussi une anthologie des meilleures nouvelles de l'époque. Ces treize textes sont signés par douze auteurs : Adrienne Choquette, Roch Carrier, Jean Hamelin, Louis-Philippe Hébert, Claude Jasmin, Jean-Pierre Lefebvre, Claude Mathieu, Chantal Renaud, Esther Blackburn (Rochon), Jean Simard, Jean Tétreau et Yves Thériault. Dans plusieurs cas, ces textes sont porteurs pour les lecteurs actuels d'une forte nostalgie du futur. L'avenir n'est plus ce qu'il était et plusieurs recensions s'attardent à mesurer le fossé qui sépare l'anticipation des années soixante de la réalité du XXIe siècle.

Il faut cependant noter deux lacunes. D'abord, ce volume n'inclut pas une recension de la critique contemporaine. Tout au plus Janelle cite-t-il des critiques postérieures publiées dans Requiem ou le DOLQ. Les chercheurs désirant se faire une idée de la réception (différenciée ou non) de ces textes durant les années soixante devront chercher ailleurs. Janelle se disculpe d'avance en soutenant que le DOLQ « contient l'ensemble des références connues » et que, dans le cas contraire, celles-ci « sont citées ». Mais il semble oublier que le DOLQ ne recense pas les ouvrages pour jeunes; du coup, je crois me souvenir d'une critique dans Livres et auteurs canadiens du roman L'Astra I appelle la Terre (ou peut-être de Vénus via Atlantide) qui n'est pas signalée...

Ensuite, il manque certainement des textes. Au minimum, ce sont certains des fascicules de l'époque qui ne sont pas inclus. Comme je l'indiquais dans mon article pour Solaris sur ces fascicules, la série des « Exploits fantastiques de Monsieur Mystère, l'homme au cerveau diabolique » (Éditions Bigalle) s'est sûrement prolongée jusqu'aux années soixante et certains épisodes versent dans la science-fiction. Comme l'inventaire de ces fascicules reste fragmentaire et les parutions individuelles difficilement datables, on ne peut évaluer l'ampleur de cette lacune, mais elle est plus que probable. Ceci rappelle à quel point Janelle reste inféodé aux recherches menées initialement à l'Université Laval, sans qu'il donne signe de tenir compte systématiquement de travaux postérieurs ou des contributions d'autres chercheurs.

Il y a d'autres cas plus discutables, comme les deux romans d'André Ber, le livre pour enfants Jeannot fait le tour du monde de Francine Harvey ou le roman jeunesse Vol à bord du Concordia de Gaudreault-Labrecque qui ne sont pas cités. Certes, les éléments science-fictifs sont soit minces soit contredits explicitement par une fin imposant une explication onirique, mais ce sont des ouvrages qui appartiennent à ce que j'appelle la culture science-fictive. Hors de la littérature proprement dite, il aurait été aussi possible de citer la pièce de Robert Gurik, Api 2967, la chanson Bon voyage dans la Lune, «chanson pour demain» de Félix Leclerc, ou ces vers d'Alain Horic déjà repérés par Versins... On aurait pu souhaiter que Janelle les signale à défaut de les recenser.

Néanmoins, il s'agit d'un ouvrage qui fera date et que tout spécialiste du domaine se doit d'avoir sur ses tablettes.

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2006-10-27

 

Au centre du milieu

L'âge médian de la population canadienne serait maintenant de 38,8 ans, selon Statistique Canada.

Et la frontière entre le Québec et l'Ontario est maintenant devenue la ligne de démarcation entre le vieux Canada et le jeune Canada, entre les provinces de l'Atlantique et le Québec dont les habitants sont au-dessus de l'âge médian et les autres provinces dont les habitants sont en-deçà (sauf pour la Colombie-Britannique qui échappe à la tendance).

Du coup, comme je suis à quelques mois de l'âge médian, et que je me trouve aujourd'hui à Ottawa, en plein sur la ligne de démarcation, je peux certes dire que je suis le centre du monde! Ou, du moins, que j'occupe un lieu virtuel qui est quelque chose comme le centre démographique du Canada...

Est-ce un hasard si le rajeunissement progressif du pays va de l'est à l'ouest, tout comme les taux de chômage? Sans doute pas, mais le lien de cause à effet n'est pas nécessairement évident. A priori, je suis tenté de penser que cette corrélation reflète tout simplement la mobilité de la population canadienne. Les plus jeunes sont souvent les plus mobiles et ils sont aussi plus enclins à partir pour se trouver un emploi ailleurs.

Toutefois, si l'immigration ne suffit pas à rajeunir le Canada, les migrations internes ne doivent pas non plus avoir un effet significatif. Dans ce cas, il faut sans doute se tourner les taux de natalité au pays et dans chaque province. Du coup, la corrélation semble claire. À l'est de l'Ontario, toutes les provinces (sauf la minuscule Ïle-du-Prince-Édouard) affichent des taux de natalité inférieurs à la moyenne canadienne. À l'ouest de l'Ontario, toutes les provinces (sauf la Colombie-Britannique) ainsi que tous les territoires affichent des taux de natalité supérieurs à la moyenne canadienne. En Ontario même, le taux de natalité est tombé en 2005-2006 à un cheveu sous la moyenne canadienne, après avoir longtemps été supérieur d'un brin.

Serait-ce alors que le chômage décourage la natalité? Au lieu de distribuer des allocations natalistes, le gouvernement du Québec aurait peut-être eu avantage à tout simplement réduire le taux de chômage...

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2006-10-26

 

Ultimes photos de Bellaing

Deux mois plus tard, il n'est que temps d'offrir aux intéressés mes ultimes photos de la convention de Bellaing, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler... Pour les profanes, cependant, il faut sans doute présenter un peu la chose. La Convention nationale française est un rassemblement annuel d'amateurs français de science-fiction. En août 2006, il se tenait dans la commune de Bellaing, petit planétoïde verdoyant que Valenciennes retient dans son orbite nordique. En quoi consiste un tel rassemblement? Commençons par une photo...Cette vue d'ensemble permet de tout voir en un coup d'œil. À gauche, au fond, l'entrée. Le comptoir du bar se trouvait à gauche de la porte. Au sommet de la photo, on aperçoit au grenier le lieu réservé aux rôlistes et aux ateliers d'écriture. Au fond, à droite, les étagères d'un libraire venu de loin pour l'occasion d'écouler une partie de ses stocks sf — ou de rencontrer des copains. Au centre, occupant l'essentiel de la salle, des tables accueillant des bouquinistes, micro-éditeurs, auteurs, etc.

Une seconde photo, prise de la lucarne au sommet de la photo précédente, nous montre la même salle sous l'angle diamétralement opposé. Cette fois, on distingue au fond une estrade qui accueille l'exposition des œuvres d'Antonio Buondelmonte. Au pied de l'estrade, des tables dressées attirent à elles un assortiment hétéroclite d'objets qui deviendront les enjeux d'une mise aux enchères terrifiante le samedi soir... (En revanche, je n'ai pas l'impression que la table dans laquelle on fera un trou soit visible, à moins que ce soit celle qu'Alain le Bussy et Alain Huet utilisent pour un conciliabule.) Dans ces deux photos, un examen minutieux permettrait d'identifier des têtes connues, de Jean-Pierre Laigle à Jérôme Lamarque ou Pascal Thomas. Mais je laisse cet exercice aux passionnés. Il suffit que ces photos donnent une idée du principe d'une convention française, mais une idée seulement, car l'essence d'un congrès, ce sont toujours les rencontres que l'on fait, les amitiés qui se nouent, les retrouvailles avec de vieux copains, le sucre que l'on casse sur le dos des absents, les conversations avec des visiteurs venus de loin, les achats qui gonflent les sacs et dégonflent les porte-monnaie, les repas... et, bien entendu, les prix littéraires décernés sur place aux auteurs méritants.

Mais avant d'en venir au clou de la chose, parlons de charbon. Bellaing se trouve en effet à deux pas d'Arenberg, site minier exploité de la fin du dix-neuvième siècle à la fin du vingtième siècle. Les chevalements remis en état par l'État gaullien sont impressionnants. Quand j'ai rejoint le groupe qui faisait le tour du site, j'ai découvert un décor du tournage de La compagnie des glaces. La récitation d'une partie des textes composés pour la Convention (sur le thème d'une planète minière dont j'oublie déjà le nom) tirait à a sa fin. Les plus braves, qui n'ont pas reculé devant l'ascension des chevalements, ont eu droit à une visite guidée des lieux, conduite par un ancien mineur. Celui-ci avait d'ailleurs participé un peu au tournage de Germinal, le film de Berri inspiré par le roman de Zola. Gravissant à la queue leu leu les escaliers abrupts du chevalement, les Conventionnels de Bellaing avaient eu droit à une vue superbe. Le manque de relief du Nord offre du moins cette compensation : il ne faut pas monter si haut pour jouir d'un panorama. Notre guide nous expliqua que le paysage avait changé au fil des ans. Plus d'un terril avait disparu, arasé pour réduire les risques d'effondrement. L'habitat avait été rénové (et même en deux fois, puisque la première restauration des corons avait été déficiente). Et l'environnement était plus vert que jamais.Haut-lieu de la technique maintenant abandonné et même un peu délabré, la fosse d'Arenberg pouvait inspirer des pensées pessimistes sur l'état de la science-fiction française. Sauf que la science-fiction n'a pas encore fermé boutique, même si certains auteurs nostalgiques ont un peu trop tendance à nous inviter à revenir sur les réussites d'autrefois... Mais la jeunesse et la vitalité des lauréats des prix n'ont pas tardé à couper court aux réflexions déprimantes. D'ailleurs, profitant de l'absence de pluie, les remises de prix ont eu lieu à l'extérieur, au vert. (On peut voir ici quelques auteurs attendant de savoir s'ils avaient obtenu les faveurs des votants. Ils ont vraiment l'air de s'en faire!)

Citons d'abord le Prix Pépin des nouvelles ultra-courtes. Certes, il est possible de faire plus court, comme le montre ces jours-ci la revue Wired en offrant des nouvelles ne comptant que six mots. Mais les textes signés par Jérôme Lavadou (Pépin d'Or) et les autres concurrents savent aussi être percutants. Dans la photo ci-contre, Pierre Gevart lit (je crois) un des textes primés. Et si vous vous demandez quelles sont ces étranges statuettes sur la table devant lui, il faut savoir qu'il s'agit des Prix Rosny Aîné, qui n'attendent que le dévoilement du nom des gagnants. Avant, toutefois, nous avons eu droit au dévoilement du récipiendaire du Prix Merlin. Qui serait une récipiendaire, d'ailleurs, signe prémonitoire...

Si les Prix Rosny Aîné couronnent les meilleurs textes francophones de science-fiction (à comprendre parfois au sens large), les Prix Merlin sont conférés aux meilleures œuvres francophones dans le domaine de la fantasy ou du fantastique, dans les genres du roman et de la nouvelle. Cette année, le Prix Merlin du meilleur roman a été décerné à Murielle H. Essling pour Le temps de l'accomplissement (Éditions 5e Saison). Dans la catégorie de la nouvelle, le Prix Merlin est allé à Nathalie Dau pour « Le violon de la fée » (in Faeries 17). Dans la photo ci-contre, on voit justement Nathalie Dau accepter la toile qui matérialise le Prix Merlin 2006 de la meilleure nouvelle.

Enfin, ce fut le tour des Prix Rosny aîné. Dans la catégorie de la nouvelle, le prix est allé à Sylvie Lainé pour « Les yeux d'Elsa » (in Galaxies 37), une nouvelle que je n'ai pas encore eu l'occasion de lire. (Les retards accumulés durant la fin de mon doctorat ne m'ont pas encore permis de lire tous les numéros de Galaxies qui s'étaient pareillement accumulés dans l'intervalle.) Dans la photo ci-contre, Sylvie a justement enlevé ses verres fumés pour qu'on puisse voir ses yeux... À gauche, Joseph Altairac, grand secrétaire des Prix Rosny aîné, l'écoute remercier ses fans et exprimer sa joie. Dans la catégorie du meilleur roman, le prix a été décerné à Catherine Dufour pour son livre Le goût de l'immortalité (Mnémos). Je n'ai pas encore eu l'occasion de lire ce roman sur la mémoire, sa rémanence sous des formes de plus en plus technologiques et l'aventure de la recherche du temps perdu... (Après tout, c'est un sujet qui m'intéresse depuis longtemps et je me demande un peu si j'aurai l'impression que Catherine Dufour m'a anticipé. Jusqu'à maintenant, le manque de temps m'a empêché de jeter un coup d'œil au roman qui figure en bonne place dans ma pile de lectures en attente.) Dans la photo ci-dessous, Dufour prend la pose, tenant la figurine bleue du Prix Rosny aîné d'un air de dire qu'on ne la lui enlèvera pas si facilement!Enfin, les plus attentifs auront remarqué que le Prix Rosny aîné est décerné aux meilleures œuvres dans les catégories du roman et de la nouvelle — mais qu'il y avait trois statuettes sur la table ci-dessus, d'abord posées devant Pierre Gevart. Alors? Eh bien, j'ai menti. Il ne s'agissait pas seulement des trophées du Prix Rosny aîné, mais aussi du trophée du Prix Cyrano. Ce dernier est remis à une personnalité de la science-fiction (pas nécessairement francophone) pour l'ensemble de son œuvre. Cette année, on aurait pu croire que le prix avait été été créé expressément pour éviter un balayage féminin, car il a été remis à Jean-Pierre Fontana, homme-orchestre de la science-fiction française, comme en témoigne son site. Dans son cas, j'ai applaudi non seulement par amitié, mais en connaissance de cause puisque j'ai déjà eu l'occasion de lire certains de ses romans, dont les deux tomes de « La geste du Halaguen » parus chez L'Atalante en 1997 et 2001... L'an prochain, les Prix Rosny aîné et le Prix Cyrano seront remis à Montréal dans le cadre de l'hébergement par le congrès Boréal de la Convention nationale française. (Ou devrons-nous dire la Convention nationale nouvelle-française ou néo-française puisque c'est l'ancienne Nouvelle-France qui va l'accueillir?) En tout cas, nous pourrions ouvrir les paris tout de suite : à qui donc sera remis le Prix Cyrano en 2007, très exactement 350 ans après la parution de l'Histoire comique de Cyrano de Bergerac, qui inclut « Estats et Empires de la Lune », le récit par Cyrano de son voyage en Nouvelle-France d'abord et à la Lune ensuite ?

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2006-10-25

 

La Sainte-Beuve de notre temps

Pincez-moi, je rêve, je regrette Marie-France Bazzo!

L'arrivée de Christiane Charette à la barre de ce qui était auparavant l'Indicatif Présent de Bazzo, sur la radio de Radio-Canada en matinée, a suscité des réactions diverses, dont celle-ci de Michel Dumais. La blogosphère locale a également accouché de réactions çà et . En général, je suis assez d'accord avec les critiques adressées à Charette, et moins d'accord sur la vénération parfois inconditionnelle de Bazzo.

J'ai souvent trouvé que celle-ci cédait trop facilement au consensus mou de la gauche québécoise, favorisant un nombrilisme de la pensée frisant l'autisme. (Sa promotion presque avouée du parti Québec Solidaire co-fondé par Françoise David témoignait d'une déconnexion complète de la réalité politique du Québec, amplement confirmée par les piètres résultats de ce parti depuis... J'ai moi aussi mes moments d'idéalisme, mais j'essaie de ne pas prendre mes lubies pour des lanternes éclairant le monde.)

Toutefois, Bazzo faisait montre d'une curiosité assez générale pour paraître universelle et elle avait eu le temps de développer son inventivité au fil des ans. De nombreuses chroniques lui permettaient d'aller vers le public ou de convoquer des humoristes et ironistes parfaitement désopilants. Et elle avait quand même le courage d'inviter et de laisser parler des personnages qui exprimaient des opinions étrangères aux siennes.

En ce qui concerne Charette, j'ai été patient. Je n'ai pas souvent eu l'occasion d'écouter la radio le matin depuis son arrivée en poste. Ce que j'ai entendu au début, j'ai décidé de ne pas le lui reprocher. Je suis bien placé pour savoir ce que c'est que la période de rodage de quelqu'un qui crée une émission ou qui donne un cours pour la première fois. Je voulais croire que j'étais mal tombé, ou qu'il s'agissait d'erreurs de parcours.

Mais il faut bien laisser chuter le couperet un jour...

J'écoutais hier soir Charette demander au directeur d'un film sur l'inceste entre frère et sœur s'il avait fait l'expérience de la chose. (Pas tout à fait aussi crûment, mais c'était pratiquement ça.) Comme elle avouait quelques instants plus tard qu'elle savait bien qu'il n'avait pas de sœur, il s'agissait soit d'une question complètement improvisée et de la plus grande étourderie, ou d'une question soigneusement préparée pour disculper l'homme de tout soupçon. Ce faisant, Charette (ou son équipe) trahissait sa propre conception de la création artistique. Une conception de l'art qui serait inséparable de la connaissance de l'artiste...

Même si j'admets que nous vivons à l'ère de l'autofiction, il ne faudrait pas retomber dans les travers de Sainte-Beuve (lire l'extrait du Contre Sainte-Beuve de Proust ici). L'art est certes inséparable de l'artiste, mais il faut toujours se méfier du simplisme de ce genre d'analyse. Entre l'artiste et l'homme public, il peut y avoir un gouffre. Entre l'art et le vécu individuel, l'expérience personnelle, le gouffre n'est pas moins grand.

C'est dans ce précipice que Christiane Charette s'est jetée. Sa conception du monde se réduit à la connaissance de certains cercles de la culture (et de la culture du divertissement) au Québec. Sa conception de la culture se réduit, semble-t-il, à la connaissance de certains cercles d'amis et d'intimes au Québec. Et sa conception des gens... je crois que ce commentaire lâché sur les ondes suffit à nous renseigner sur sa façon de voir les autres. Cela donne le frisson.

Ajoutons que Christiane Charette, née en 1951, succède à Marie-France Bazzo, dont la date de naissance (difficile à trouver) n'est sans doute pas postérieure de beaucoup à 1960. Bref, la radio publique canadienne ne rajeunit pas, au contraire, à la faveur de ce changement. L'âge chronologique, cela dit, est moins important que l'ouverture d'esprit et j'ai bien l'impression que c'est ce dont il faudra se passer à Radio-Canada pendant encore un moment...

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2006-10-20

 

L'intelligence des bombes et la Singularité

Dans une de ses nouvelles les plus connues, « The Feeling of Power », Isaac Asimov imagine un monde futur qui a entièrement oublié le calcul manuel — un futur qui n'est peut-être pas si lointain... (Cet article de 2003 note quelques travaux antérieurs sur l'utilité des calculatrices à l'école.)

Dans cette nouvelle, la redécouverte du calcul manuel incite les bénéficiaires de cette révélation à envisager l'emploi de missiles guidés par des calculateurs humains pour venir à bout des défenses anti-missiles. Asimov écrivait à l'époque des ordinateurs qui remplissaient des salles entières, de sorte qu'il était inimaginable d'en placer à l'intérieur d'engins volants. En revanche, il était possible d'envisager qu'un être humain utilisant une règle à calcul ou du papier et un crayon pourrait conférer à un missile les capacités computationnelles requises pour résoudre en vol certains problèmes...

De nos jours, des ordinateurs microscopiques surpassent aisément les performances humaines pour tout ce qui touche à l'arithmétique. Mais l'emploi de missiles et de bombes continue de poser des problèmes que les ordinateurs ne peuvent pas résoudre. Même si on parle volontiers de bombes intelligentes, le ciblage est encore réservé à des êtres humains, qu'ils soient dans les airs ou sur le terrain. Ceci impose des contraintes : si on refuse de risquer, voire de sacrifier délibérément, la vie des pilotes et de leurs partenaires au sol chargés de sélectionner les cibles, on ouvre une brèche à l'erreur. La sélection de cibles sur la base de cartes, d'informations périmées ou de soupçons entraîne presque automatiquement des bavures comme on en a vues abondamment en Afghanistan, au Liban, au Kosovo ou en Irak.

D'autre part, dans le camp de ceux qui n'ont pas ces armes dites intelligentes et qui ne peuvent pas se permettre de gaspiller leurs munitions, la solution adoptée consiste aussi à doter les bombes d'intelligence. Soit en les faisant exploser à distance par un guerillero posté au bon endroit soit en les confiant à un kamikaze qui se chargera personnellement de la sélection de la cible... Tout comme dans la nouvelle d'Asimov, on substitue des êtres humains aux circuits électroniques, et sans manifester la même révulsion que le personnage d'Asimov qui se donnait la mort, rongé par la culpabilité.

Cette tactique, qui plus est, donne des résultats. Elle a infligé des pertes nombreuses aux troupes étatsuniennes en Irak (des centaines de morts, des milliers de blessés) et elle aura sans doute joué un rôle dans le retrait éventuel de ces troupes.

Qu'est-ce qui empêche les troupes étatsuniennes d'appliquer des tactiques semblables pour venir à bout de la résistance irakienne? En gros, on pourrait dire que le fantassin lambda de l'armée étatsunienne n'est pas assez intelligent pour discerner les bonnes cibles noyées dans la population irakienne : il ne parle pas la langue, il ne fait que passer quelques mois sur le terrain avant de revenir au pays, il se fie donc à des informateurs et il se conduit alors comme une brute sans savoir s'il tient ou non un ennemi au bout de son fusil. De plus, quand un fantassin est envoyé se frotter à des insurgés, il perd l'essentiel des avantages conférés par la technologie de pointe des États-Unis. Malgré son blindage, ses véhicules et ses armes, il devient une cible vulnérable.

La solution préconisée par les chercheurs étatsuniens éliminerait l'élément humain en lui substituant des robots ou tout autre solution technique faisant appel à une forme d'intelligence artificielle. Des engins télécommandés existent déjà, mais ils dépendent toujours de l'intelligence du fantassin lambda.

On a déjà suggéré que le développement d'intelligences artificielles comparables ou supérieures aux humains pourrait avoir lieu dans le contexte des jeux électroniques, où on veut opposer un adversaire valable au joueur humain. Mais il pourrait aussi avoir lieu dans les laboratoires militaires où on cherchera à produire des intelligences artificielles qui dépasseront la moyenne des capacités humaines aussi nettement que les ordinateurs actuels les surpassent dans le domaine de l'arithmétique, afin d'en équiper des robots de combat, des bombes intelligentes et des missiles...

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2006-10-18

 

Départ pour la Chine

Pour quelqu'un qui vient de passer six semaines à voyager quatre fois par semaine (et parfois plus) entre Ottawa et Montréal, je me sens très casanier : ma sœur est partie aujourd'hui pour un séjour en Chine. Elle enseignera à Kaifeng, mais elle compte aussi en profiter pour voyager au Yunnan et/ou au Tibet — peut-être en prenant le nouveau train de Bombardier dont je parlais l'autre fois. Nous la reverrons à Noël.

Moi qui m'intéresse depuis un moment à la participation de mon grand-père à la Grande Guerre, qui fut pour lui une expérience de dépaysement unique, je trouve vertigineux le changement dans les mœurs et les habitudes de vie qui fait d'un séjour en Chine pour l'enseignement un simple déménagement qui n'interrompra pas les échanges de nouvelles par internet — si les censeurs chinois le permettent, bien sûr.

Symptôme de la Singularité ou signe de la petitesse de notre planète?
(NASA/Manned Spacecraft Center)

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2006-10-17

 

Iconographie de la SFCF (12)


Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; et (11) les couvertures des numéros 24.

Puisque je viens de faire une présentation sur le sujet à la bibliothèque d'Orléans, j'ai maintenant de quoi jeter un autre regard aux couvertures de fantasy au Canada francophone. Même si René Beaulieu, dans son article sur « Le merveilleux boréalien » (Solaris 155), intègre les ouvrages d'Esther Rochon et Marie-José Thériault dans son recensement de la fantasy d'ici, je suis porté à dater l'apparition de la fantasy en remontant à la publication par les éditions Paulines/Médiaspaul des premières séries de « fantastique épique ». Il y a certes eu des ouvrages antérieurs qui s'inspiraient ouvertement de la fantasy des auteurs anglo-saxons comme Tolkien. J'ai déjà parlé du fantastique pour les jeunes au Canada francophone et du roman Kadel du jeune Luc Ainsley en 1986. Dès 1983, cependant, Daniel Sernine avait publié Ludovic, un roman pour jeunes dont on peut voir la couverture ci-contre. L'auteur fait d'ailleurs allusion à un maître magicien dont le nom renvoie clairement à Tolkien. L'illustration par Charles Vinh est de qualité, mais les ingrédients associent plutôt l'ouvrage au roman de chevalerie ou au conte de fées classique qu'à la fantasy contemporaine. Si le personnage féminin n'est pas humain, cela ne saute pas immédiatement aux yeux. Le château a un air très médiéval et il n'aurait pas détonné dans une aventure du Chevalier Ardent. Quant à l'inclusion d'astres supplémentaires dans le ciel, elle rattache l'iconographie à une tradition plus ancienne du space-opéra qui versait parfois dans les aventures de cape et d'épée déplacées sur une autre planète.

Outre la série des aventures de Télem par Philippe Gauthier chez Paulines dans la trilogie composée de L'Héritage de Qader (1990), du Château de fer (1991) et du Destin de Qader (1992), qui ne transcende pas toujours le thème du héros prédestiné, il convient de mentionner la série de Contremont que Joël Champetier amorce en 1991 avec La Requête de Barrad. Tout comme Gauthier et les autres auteurs de la même génération chez Paulines/Médiaspaul, dont moi-même, Champetier ne conçoit l'écriture d'ouvrages de fantasy, plus de cinquante ans après Bilbo the Hobbit de Tolkien, que si elle fait place à la subversion des poncifs. Gauthier avait tâté le terrain en amenant ses personnages aux confins de la modernité technique de la fin du Moyen-Âge (arquebuses, imprimerie). Champetier bouleverse plutôt les dichotomies habituelles qui rangent les ogres, par exemple, du côté des méchants et les elfes, ou leurs avatars, du côté des bons. De plus, dans le premier volume, il s'attache beaucoup à déconstruire les attraits de l'aventure, car son jeune héros est loin de trouver sa quête en tous points héroïque! Depuis, l'univers de Contremont a été exploré dans au moins cinq romans pour jeunes, un roman pour adultes (Les sources de la magie) et une nouvelle pour jeunes (parue dans Concerto pour six voix). Chez Paulines/Médiaspaul, les couvertures sont en général l'œuvres des illustrateurs attitrés, soit Jean-Pierre Normand et Charles Vinh.

Toutefois, les deux premiers tomes dont je reproduis ici la couverture sont signés par Vinh, dont la carrière d'illustrateur de fantasy s'étend maintenant sur plus d'une vingtaine d'années. Si la composition de la couverture de Ludovic misait sur l'inclusion d'éléments propres à séduire les lecteurs tout en leur indiquant moins la nature du récit que sa catégorie, les couvertures de Vinh pour Champetier isolent plutôt des moments de la narration. Elles exploitent alors le talent de l'artiste pour immobiliser le mouvement en suspendant des gestes qui n'attendent, en apparence, que l'ouverture du livre pour être complétés... L'iconographie de Vinh reste dominée par des motifs tirés du Moyen-Âge historique, voire de la Renaissance. Si les chevaliers en armure de La Requête de Barrad incorporent une part de fantaisie dans le dessin de l'armure, la scène illustrée pour La Prisonnière de Barrad nous montre un décor parfaitement médiéval. Exception faite de l'ogre vu de dos (et dont on ne saisit pas la taille si on choisit de croire que la chaise à côté de lui fait partie d'un mobilier pour enfants ou pour poupées), ces colonnes et ces voûtes pourraient appartenir à n'importe quel édifice un peu élaboré de l'Europe d'antan. L'habillement de la jeune princesse Melsi confirme cet enracinement, ainsi que les fenêtres à carreaux placées dans des embrasures ogivales.

On peut dire sans exagérer que l'arrivée de Julie Martel signale l'évolution d'une nouvelle génération, beaucoup plus encline à opter pour la fantasy franche que pour la science-fiction. Comme d'autres qui sont apparus dans le milieu à la même époque (Marc-André Ferguson, Claude Mercier, tous les deux disparus de la scène depuis), elle a commencé sa découverte de la SFCF en lisant des romans pour jeunes de Daniel Sernine. De plus, au fil des ans, elle va montrer qu'elle n'est pas la prisonnière d'un seul univers, ou d'une seule conception de la fantasy. Après la série en cinq volumes des « Guerres d'Eghantik», elle signe des ouvrages isolés comme La lettre de la reine ou À dos de dragon . Quand elle est revenue plus récemment en Eghantik pour composer la série de « La Guerre des Cousins», elle a adopté une approche beaucoup plus marquée par la fantasy d'auteurs comme Guy Gavriel Kay. La couverture du Château d'amitié (le troisième volume des « Guerres d'Eghantik») joue sans conteste sur les clichés des mondes médiévaux, mais si on est le moindrement acquis d'avance au charme de ces époques guerrières, on peut difficilement résister à cette scène d'assaut d'un château-fort, dans toutes les règles de l'art! Il n'y manque que les tours de siège... Flèches, échelles, poix brûlante jaillissant par les échancrures des mâchicoulis, hommes d'armes en cotte de mailles, épieu à la main — il faut regarder de près pour s'apercevoir que la monture de la jeune guerrière n'est pas un cheval, ce qui permet de rattacher le livre au genre de la fantasy.

Pour La lettre de la reine, Vinh a choisi de revenir à une composition plus éclatée, qui combine le visage du personnage principal, un oiseau de proie, un des lieux de l'action et une lettre visible en transparence, ces deux derniers éléments permettant de situer le contexte du roman. Faute de temps peut-être pour lire le roman et en ressortir une scène digne d'être illustrée? (Dans les faits, c'est parfois l'auteur ou le directeur littéraire qui n'ont pas le temps de suggérer à l'artiste telle ou telle scène.) Le résultat est loin d'être déplaisant, si ce n'est qu'en raison de la finesse des traits de la jeune fille. Vinh se sert habilement du cadre de la lettre pour nous forcer à regarder cet édifice qui évoque un monastère ou une abbaye. Et l'oiseau qui plane au sommet, toutes griffes dehors, peut faire figure de menace comme il peut être le porteur de la missive du titre, ou encore une matérialisation de la pensée voyageuse de la jeune fille aux yeux fermés, en train de dormir, voire de rêver... L'abondance de couvertures par Vinh ne doit pas masquer la réalité, toutefois. Au Québec, les couvertures de fantasy les mieux connues des lecteurs ornent les volumes de deux séries de fantasy que Médiaspaul ne publie pas : les aventures d'Amos Daragon signées par Bryan Perro et la série des « Chevaliers d'émeraude » d'Anne Robillard.

Ma collection ne me permet pas d'illustrer toute l'évolution des couvertures de fantasy en SFCF depuis dix et quinze ans. Après un premier sursaut lié à la popularité des «histoires dont vous êtes le héros » et des jeux de rôles (deux phénomènes liés), la percée réussie par J. K. Rowling et les aventures de Harry Potter a suscité l'émulation. Ou du moins a ouvert la porte à des initiatives locales. Les romans québécois de fantasy pour jeunes du début des années 1990 étaient rarement intéressants. La plupart étaient édités par des maisons qui ne connaissaient rien au genre, tandis que leurs auteurs ne connaissaient souvent pas grand-chose à l'écriture, si ce n'est celle de scénarios pour une partie de Donjons et Dragons. Toutefois, dans le sillage de Harry Potter et des autres Eragon, les éditeurs québécois ont fini par se décider à miser sur la fantasy. L'initiative la plus délibérée a été celle des Intouchables qui ont commandé à un conteur trifluvien, Bryan Perro, une série de romans pour jeunes qui est devenu la dodécalogie (sans compter un manga) des aventures d'Amos Daragon. En revanche, les Éditions de Mortagne ont eu la main heureuse en choisissant de publier la série longuement mûrie d'Anne Robillard. Depuis, ces deux maisons d'éditions profitent du succès de ces séries pour tenter d'étendre leurs parts de marché en publiant de nouveaux auteurs ou en lançant de nouvelles séries.

L'illustration du premier tome de la série de Perro mise sur une composition qui met le personnage principal en valeur tout en incluant quelques éléments supplémentaires qui permettront aux lecteurs de mieux se représenter certains des personnages et créatures du roman. La facture est quelque peu naïve, mais il s'agit sans doute d'un choix conscient par Jacques Lamontagne pour se rapprocher des jeunes lecteurs. La pose très statique (particulièrement figée si on la compare aux illustrations de Vinh) tient un peu de l'illustration de catalogue. Du coup, elle est nettement moins attirante que la couverture du premier tome (Le feu dans le ciel) des « Chevaliers d'émeraude ». Si le travail de conception par Sophie Lambert des couvertures d'Anne Robillard donne un résultat moins « parlant » que les couvertures plus « narratives » de Vinh, ce type de couverture a quand même beaucoup de gueule. Et l'épée au premier plan, ainsi que le chevalier médiéval visible sous la forme d'une ombre chinoise, coupe court à tout doute sur le sujet du livre, même si rien n'indique qu'il s'agisse nécessairement de fantasy. Il s'agit donc d'une illustration qui n'ajoute rien que le titre ne dise déjà — elle se contente de confirmer. (S'agit-il de l'artiste Sophie Lambert ou d'une autre du même nom?)

L'autre source principale de couvertures de fantasy au Québec devra attendre une autre livraison de ces chroniques. Les éditions Alire publient de la fantasy depuis déjà un moment et les couvertures de Jacques Lamontagne (également utilisées par la collection Sextant avant la fondation d'Alire) et de Guy England ont aussi contribué à définir l'esthétique de la fantasy au Canada francophone. En général, on peut indiquer que les couvertures d'Alire se rattachent surtout à la tradition de l'illustration pratiquée par Vinh : on choisit un moment fort du roman et on le reproduit. Il est plus rarement question d'évoquer le contenu par une composition habile, et parfois symboliques, d'éléments distincts. En revanche, quitte à multiplier les couvertures de Vinh, je ne me priverai pas d'inclure des ouvrages qui me tiennent plus à cœur. Paru en 1998, Un automne à Nigelle correspond à ma première incursion en fantasy sous la forme d'un livre complet. (Depuis la publication de « Satan aussi a ses miracles » dans le fanzine CSF 8 en 1990, j'avais quand même signé quelques textes dans cette veine.) La couverture de Vinh se contente d'illustrer une scène rapidement évoquée au début du premier chapitre, mais le résultat est, à mon avis, des plus frappants (sans jeu de mots). La série de mes écrits sur Nigelle est close, pour l'instant.

Quant à la couverture du premier tome de la série des « Îles du Zodiaque » de Laurent McAllister, elle renoue avec cette disposition triangulaire d'éléments marquants de l'histoire que Vinh avait adoptée auparavant pour Ludovic. Le personnage principal de Pétrel apparaît au centre et domine l'image. À gauche, Vinh donne une belle tête d'adulte au personnage du seigneur Oronte. En bas, c'est une créature surnaturelle qui signifie clairement aux lecteurs qu'il ne s'agit pas d'un roman historique qui se passerait àVenise. Il manque sans doute un élément plus dramatique, mais cela vaut bien la couverture du premier tome des aventures d'Amos Daragon. (En fait, je la trouve superbe.) On pourrait aussi noter le rôle du lettrage des titres en couverture. Les romans de Sernine et Champetier il y a quinze-vingt ans employaient des polices classiques. Mais les éditions Médiaspaul ont adopté depuis une police plus proche des écritures manuscrites, quelque part entre l'onciale et la caroline. Les Éditions de Mortagne ont fait le même choix, tandis que les Intouchables ont opté pour un lettrage plus gothique. Il faudrait aussi parler des tons et des couleurs. Vinh a souvent privilégié des teintes brunes, ocres, rousses, qui introduisent une distanciation supplémentaire. Les illustrations plus colorées, comme celle du Château d'amitié ou de Jacques Lamontagne pour Amos Daragon, n'évoquent pas aussi efficacement le dépaysement...

 

Créateurs d'hier et aujourd'hui

J'étais invité, j'avais dit que j'y serais et j'étais même assis dans un café de l'autre côté de la rue... mais je n'ai pas assisté au dévoilement des noms des finalistes des Prix littéraires du Gouverneur-général.

Pourtant, pour une fois, l'événement avait lieu dans mon quartier, à deux pas de chez moi, à la Librairie Olivieri. Mais, travail oblige, j'ai opté pour la préparation d'un cours dans le café en face... Je n'ai donc pas croisé Daniel Mativat, Dany Laferrière, Daniel Poliquin ou Jean-Marc Dalpé, pour citer quelques finalistes dont je suis la carrière depuis un moment. Sans parler des jurés comme Aristote Kavungu ou Margaret Michèle Cook, qui ne me sont pas complètement inconnus.

En revanche, j'étais dans la salle pour la remise d'un doctorat honoris causa à Michel Tremblay cet après-midi, sans parler des autres récipiendaires. L'UQÀM est la troisième université montréalaise à lui décerner un doctorat honorifique, après Concordia (1990) et McGill (1991), sans parler de l'Université Stirling en Écosse (1992), l'Université de Windsor en Ontario (1993) et la Queen Margaret University College à Édimbourg (2003). Cela explique sans doute que malgré ses mots de remerciements pour l'UQÀM, Tremblay semblait un peu blasé et plus soucieux de s'adresser aux jeunes diplômés.

Ceux-ci se sentaient d'ailleurs un peu oubliés puisque Tremblay était le septième récipiendiaire consécutif d'un doctorat honoris causa, ce qui avait accaparé une bonne partie de la collation des grades. Peut-être pour cela, ils ont réservé à Tremblay une ovation debout et l'auteur a d'ailleurs été abondamment entouré et congratulé par les professeurs présents sur scène (dont Lise Bissonnette et Raymond Duchêne).

Néanmoins, les allocutions de l'incroyable nonagénaire Fernand Leduc, de l'informaticien Maurice Nivat et du sociologue Manuel Castells, qui en est à son troisième doctorat honoris causa, justifiaient quelque peu l'attente endurée. Leduc a rappelé un incident lié à la réception du manifeste du Refus global dont il fut co-signataire, les traits burinés de son visage impassible reflétant une force de caractère comme on n'en trouve plus. Nivat rappela sa participation à la fondation de l'informatique théorique et, même si je n'y compris pas grand-chose, j'admirai qu'il eût le courage de ne pas tenter de simplifier ou de vulgariser : l'UQÀM le récompensait pour son œuvre intellectuelle, après tout. Quant à Castells, il évoqua ses débuts comme professeur à l'Université de Montréal après qu'il eût été bouté hors de France par une police qui lui reprochait sa méthodologie sociologique appliquée sur le terrain pendant les événements de mai 1968... (Il serait d'ailleurs en assez bonne compagnie.)

Après, ce fut au tour d'une nouvelle génération de diplômés d'aller chercher l'attestation de leur nouveau grade.

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2006-10-15

 

Con*Cept, la fin

Une journée complète, en quelque sorte, puisque j'étais là pour l'alpha et pour l'oméga.

Le programme commence dès 10h par une table ronde, une vraie, puisque les personnes présentes étaient si peu nombreuses qu'elles ont pu entourer la table du projecteur. En fin de compte, je me suis retrouvé à donner une sorte de mini-conférence sur la Singularité, même si le programme annonçait une table ronde avec Maxime Desruisseaux, Gautier Langevin et Élisabeth Vonarburg. Il s'agissait de se demander comment éviter la Singularité. Conclusion? Impossible de répondre pour l'instant, car il reste des sceptiques...

Je me suis éclipsé ensuite, travail oblige, pour revenir à 15h. Cette fois, je passais du français à l'anglais en abordant le sujet des grandes innovations prédites (ou non) par la science-fiction. Même si j'ai trouvé la table ronde sur la disparition des loisirs plus stimulante, celle-ci a sans doute été la plus agréable des tables rondes du congrès auxquelles j'ai assisté. Il y avait un public suffisant et les autres membres de la table ronde — Eric Choi, Mark Shainblum, Robert Charles Wilson — avaient tous des choses intéressantes à dire. Il n'y avait ni la pression d'un début de journée ni celle d'une fin de congrès.

Ce qui m'amène au dernier panel du programme, dont je citerais l'intitulé si le programme complet (et définitif...) de Con*Cept était disponible quelque part en-ligne. On posait la question de la plausibilité des planètes monoculturelles, dont tous les habitants parlent et pensent de la même façon. Les discussions n'ont pas vraiment abouti. De toute évidence, on voulait que les panélistes tapent sur Star Trek et ses planètes trop schématiques, mais on s'est entendu pour dire que les contraintes du médium et la volonté allégorique justifiaient la plupart de ces infractions à la vraisemblance. Je reste d'avis qu'il serait sans doute plus intéressant de justifier une telle planète que d'imaginer une énième planète qui serait une macédoine culturelle...

Bref, un congrès que j'aurai vécu en pointillé, mais qui m'a quand même procuré l'occasion de revoir les copains, de compter les crânes qui se dégarnissent et les dos qui se voûtent, mais aussi les ventres qui s'arrondissent fécondement et les ados qui grandissent.

Maintenant, le prochain congrès qui se rapproche dangereusement, c'est bel et bien Boréal...

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2006-10-14

 

Con*Cept, la suite

Programme moyennement chargé.

Après la table ronde de midi sur les différences entre la création de mondes dans la science-fiction et la fantasy, je suis resté — travail oblige — loin des panels jusqu'au suivant où je devais intervenir : « Where did all the leisure go? ». Si c'était un peu l'occasion de se défouler sur le sujet des conditions de travail actuellement, les panélistes — le docteur David G. Stephenson, Lloyd Penney, Glenn Grant et moi-même — ont aussi rappelé que la civilisation des loisirs promise par les extrapolations d'il y a quarante ans a sans doute avorté parce que la répartition des fruits de la croissance économique depuis 1970 a surtout favorisé la pointe de la pyramide. Je suis revenu dans la salle Saint-Laurent pour une table ronde intitulée « Space for the future » qui a fait un peu le tour des blocages et des espoirs sans nécessairement trancher.

Le reste de la soirée a été consacrée à un bon souper entre amis et au grand retour de la discussion par la bande-annonce de Christian Sauvé...

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2006-10-13

 

Vendredi 13 à Con*Cept

Lancements en cascade!

Même si la cérémonie d'ouverture n'a pas lieu avant demain, le congrès Con*Cept 2006 était lancé aujourd'hui par l'ouverture de la salle des vendeurs et les premiers événements du programme.

Je suis arrivé à temps pour participer à la table ronde sur les « Savants fous et autres mythes scientifiques », animée par Christian Sauvé, avec Yves Meynard et un quatrième larron surnommé Fingers. Si rien de très nouveau n'a été dit, ce qu'il fallait dire a été dit.

Suivait le lancement de la collection Anticipation des éditions Arion. Étaient présents Steven Goulet, Gautier Langevin (auteur du recueil Sens Uniques), Maxime Desruisseaux (auteur du roman Les Alliés-Nés) et Guillaume Fournier (auteur de Visions doubles). C'est le début d'une aventure éditoriale qui part avec des atouts (l'énergie des responsables, des volumes à la maquette soignée, une distribution assurée par Prologue) et des points d'interrogation (les conditions faites aux auteurs séduiront-elles les professionnels?).

Enfin, sans qu'il s'agisse exactement d'un lancement, quatre membres de l'équipe de rédaction de Contamination Magazine sont venus présenter leur bébé. Le premier numéro de cette revue gratuite consacrée aux produits de l'industrie horrifiante et horrifique est sorti en plein été, à l'occasion de Fantasia. Le second numéro sort pour Halloween et coïncidera aussi avec la Grande Mascarade et du Festival Spasm. Le quatrième sortira-t-il à Boréal? L'avenir le dira...

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2006-10-11

 

L'espace au bout de l'accélérateur

Un nouveau concept pour le lancement de satellites retient l'attention depuis quelques jours.

Il s'agirait de transposer la technologie des accélérateurs de particules à la propulsion de charges utiles pour leur donner la vitesse nécessaire à la mise en orbite. Évidemment, les amateurs de science-fiction connaissent depuis longtemps le principe de l'accélérateur linéaire de ce type, qui joue un grand rôle dans The Moon Is A Harsh Mistress de Robert Heinlein. Mon roman pour jeunes Un trésor sur Serendib faisait d'ailleurs décoller un astronef au moyen de cette technologie.

Dans ce cas-ci, toutefois, LaunchPoint Technologies (une compagnie californienne du complexe militaro-industriel étatsunien) propose de faire de l'accélérateur un anneau, semblable à l'anneau du CERN. Les accélérations en cause, sans parler des tours bouclés pendant des heures à une vitesse qui donnerait le tournis, excluent toute utilisation humaine. Mais il serait possible de lancer des petits satellites à l'électronique renforcée ou des denrées capables de résister à ces accélérations (de la nourriture pour les habitants de la station spatiale internationale, par exemple). Des luges à lévitation magnétique emporteraient les chargements jusqu'à la rampe de lancement.

La construction initiale d'une telle infrastructure serait coûteuse, mais les concepteurs espèrent réduire le coût des lancements individuels en misant sur la quantité. (Ce qui rappellera aux plus vieux l'argument des partisans de la navette, il y a trente ans : elle volerait si souvent que le coût des charges utiles chuterait...) Cela reste à voir. On parle tout de même d'un créneau un peu réduit en ce qui concerne les applications civiles.

Pour ce qui est des applications militaires, ce ne serait sans doute pas un moyen de propulser à des distances intercontinentales des bombes puisque le temps requis pour l'accélération se compterait en heures. Mais on peut sans doute envisager des situations où il serait intéressant de pouvoir envoyer en orbite un grand nombre de petits satellites (des « tueurs de satellites »?) en prévision d'une offensive ou d'un conflit...

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2006-10-10

 

Les ouragans et la pluie au Sahara

Quand il pleut au Sahara, fait-il beau en Louisiane?

C'est la question qui peut se poser maintenant que Amato T. Evan et ses collaborateurs ont fait paraître une étude (.PDF) sur l'activité cyclonique dans l'Atlantique (lire : la formation d'ouragans) et les tempêtes de poussière au Sahara. En gros, ces cinq chercheurs du Wisconsin, de la Floride et du Maryland ont mis en évidence un rapport entre le charroyage de poussières sablonneuses du Sahara par les vents jusqu'au milieu de l'Atlantique (ou même plus loin) et la formation d'ouragans. Quand les poussières du Sahara sont abondantes, les ouragans ne se forment pas. Quand elles se font rares, les ouragans se déchaînent.

Y a-t-il un lien direct, de cause à effet, ou s'agit-il simplement d'une corrélation dans le temps qui reflète l'opération de causes communes qui nous échappent encore? Les auteurs ne se prononcent pas, tout en indiquant quelques mécanismes possibles.

Néanmoins, l'auteur de science-fiction peut se demander si l'effet de serre pourrait multiplier ainsi les ouragans de l'Atlantique par deux mécanismes différents. L'an dernier, après la saison de Katrina et des autres cyclones qui ont frappé les côtes américaines, on a beaucoup évoqué le réchauffement des eaux de l'océan qui donneraient une force de frappe encore plus grande aux ouragans. Mais que se passera-t-il au Sahara dans le cadre du réchauffement global?

On pourrait croire que ce réchauffement entraînerait un dessèchement propice à la formation de gigantesques tempêtes de sable, de plus en plus nombreuses, ce qui contrecarrerait la formation d'ouragans. Toutefois, certaines études (.PDF) suggèrent que le réchauffement global pourrait favoriser une hausse de la pluviosité au Sahara. Si la végétation reprenait ses droits dans des parties grandissantes du désert, les tempêtes de poussières seraient-elles automatiquement moins graves? Peut-être. Auquel cas les ouragans se formeraient plus facilement dans l'Atlantique, et plus fréquemment.

Bref, quand il pleut au Sahara, il risque de venter à la Nouvelle-Orléans...

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2006-10-09

 

La bombe coréenne

L'unité de mesure du monde reste la portée des missiles intercontinentaux.

Depuis la chute du mur de Berlin, nous l'avions un peu oublié. Le développement d'une bombe nucléaire par le Pakistan ne nous l'avait pas rappelé, parce qu'elle apparaissait étroitement liée à la bombe indienne, l'une répondant à l'autre. Même si le Pakistan lorgnait du côté d'Israël ou de la Chine, ses missiles ne lui permettaient pas de menacer sérieusement des régions trop éloignées.

Mais la bombe de la Corée du Nord n'a pas cette spécificité géopolitique, et les missiles nord-coréens, malgré leurs défaillances, suffisent à effrayer la Corée du Sud, le Japon, la Chine et les États-Unis. Ce sont toutefois les cibles en première ligne — la Corée du Sud, le Japon et la Chine — dont les réactions donneront un sens à l'événement. Signal d'une nouvelle course aux armements dans cette région? Reprise de la diplomatie?

Par contre, les parties du monde hors de portée des missiles nord-coréens se sentent nettement moins concernés. Le monde, tel que mesuré par ces missiles, est encore trop grand. Mais il a rapetissé depuis hier, car la Corée du Nord a réussi de faire de son régime le problème de toute une région du globe qui, de proche en proche, nous affecte de plus en plus. L'Europe, tout comme l'est du Canada, va devoir en tenir compte.

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2006-10-08

 

Les écrivains à la pointe du futur...

Pendant longtemps, les écrivains canadiens ont pu se sentir coupables de vivre aux crochets de l'État.

Sans parler des subventions directes à l'écriture ou au voyage, ils peuvent bénéficier de cachets pour des prestations publiques (lectures, rencontres, visites d'école, etc.) et ils perçoivent des sommes variées de la Commission du droit de prêt public, ainsi que des organismes de gestion des droits de reprographie, selon les cas individuels. Dans certains cas, l'ensemble de ces versements peut dépasser allègrement les à-valoir et les droits d'auteur reçus de l'éditeur.

Mais il pourrait se révéler qu'ils étaient en avance sur leur temps.

Ainsi, William T. Fisher de l'Université Harvard pousse à la création d'organismes à but non-lucratif qui, dans divers contextes nationaux, assureraient la gestion des droits de distribution par internet (en particulier par les réseaux P2P, etc.) en faisant payer les fournisseurs d'accès et en distribuant l'argent aux créateurs et détenteurs des droits d'auteur qui auraient permis la diffusion illimitée de leurs œuvres. De telles sociétés à but non-lucratif sont encore à l'état embryonnaire, mais elles seraient sur point d'être lancées au Canada (Noank Media) et en Chine (Fei Liu), selon le témoignage de Fisher devant un comité de la Chambre des représentants du Congrès des États-Unis.

À peu de choses près, me semble-t-il, cela ferait des créateurs de films et de chansons des créateurs rémunérés selon un modèle fort proche de celui des auteurs canadiens...

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2006-10-06

 

L'islamisme, salut de l'art?

L'islamisme fondamentaliste — un pléonasme plein de prudence — sera-t-il le salut de la censure ou bien le salut de l'art?

La rapidité avec laquelle le Deutsche Oper a décommandé les représentations d'un Idomeneo qui risquait de choquer est révélatrice, même s'il pourrait être présenté en fin de compte en décembre. La censure actuelle ne se fait plus au nom d'une morale supérieure ou des bonnes mœurs, elle se fait au nom de la sécurité du public ou des créateurs. Ce n'est pas la même chose du point de vue de la société qui n'entérine pas la critique de l'œuvre — tout en venant en aide à ses dénonciateurs.

Du point de vue de l'artiste, toutefois, on en revient aux brimades d'antan. Certes, la censure occidentale a souvent pesé le plus lourdement sur les journalistes et les commentateurs politiques, volontiers embastillés, exilés ou rossés, mais les religions organisées réprimaient le blasphème en allant jusqu'à l'exécution. Les artistes, eux, devaient surtout faire face à la censure matérielle, c'est-à-dire à l'absence de moyens quand leurs créations étaient rejetées — sans doute parce que l'Occident a rarement proscrit les images ou vénéré les icônes, comme les musulmans et les chrétiens orthodoxes le pratiquaient en Orient en brouillant la frontière entre la chose et sa représentation... En Occident, dire que la carte n'est pas le territoire, c'est énoncer une banalité. La différence d'appréciation était déjà patente dans le cas des caricatures, après avoir éclaté au grand jour durant l'affaire Rushdie.

Néanmoins, la liberté de parole conquise de haute lutte, la liberté d'opinion, la liberté de religion et la libre expression artistique sont autant de caractéristiques de nos sociétés libérales qui admettent la fluidité des croyances et des institutions politiques parce qu'elles croient au changement. On ne peut pas punir aujourd'hui l'idée qui serait acceptée demain! L'interdiction ne peut donc concerner que les torts tangibles.

Ces mêmes libertés ne sont pas admises aussi facilement par les sociétés et les institutions qui s'arc-boutent pour résister au changement. Si ce désaccord demeurait sans importance tant que chacun vivait dans son coin, la coexistence complique la situation. L'ouverture même des sociétés ouvertes ne permet pas de rejeter ceux qui dénoncent la liberté tant que les appels à la violence restent suffisamment implicites.

En apparence, le libéralisme n'est tout simplement pas fait pour résister à l'illibéralisme. L'Allemagne libérale de Weimar avait succombé au fascisme hitlérien. Les États-Unis cèdent du terrain aux ennemis de la société ouverte qui, aujourd'hui comme hier, seraient des Platoniciens en politique. Les sociétés libérales s'adaptent au changement. Aujourd'hui, elles semblent prêtes à s'adapter même à l'illibéralisme.

Leur espoir secret, qui n'a pas encore été démenti par les derniers siècles d'histoire, compte sur la nature de leurs ennemis. En donnant assez de corde aux ennemis de la liberté, elles ne doutent pas que ceux-ci finiront par se perdre, et se pendre. Les citoyens d'une société libérale sont toujours libres de dire non. Et les citoyens des sociétés illibérales ont souvent fini par juger que rien, ni la Nation ancestrale ni la religion traditionnelle, ne justifie l'oppression, l'arbitraire ou la pensée unique.

En attendant, les artistes redécouvrent une vérité un peu oubliée par leurs prédécesseurs qu'avaient séduit les chants siréniens de certaines idéologies. La création n'a qu'une alliée, la liberté. Hans Neuenfels a-t-il vraiment signé une provocation gratuite en s'en prenant à des ennemis de la liberté de penser et de créer? Ou a-t-il compris quelque chose avant tout le monde?

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2006-10-05

 

La fantasy à Orléans et autres présences de l'auteur

Puisque je suis dans les annonces, j'en profite pour faire un petit récapitulatif :

Montréal, QC (Con*Cept) : du 13 au 15 octobre, je participerai sans doute (la programmation sera confirmée bientôt) à des tables rondes en français et en anglais lors du congrès montréalais de science-fiction et de fantasy, le frère cadet en quelque sorte de Boréal...

Orléans, ON (Semaine des bibliothèques publiques de l'Ontario): le 17 octobre, je parlerai de la fantasy pour jeunes et pour adultes, en particulier au Canada, à la succursale Orléans de la bibliothèque publique d'Ottawa, au 1705 du boulevard d'Orléans (heure à confirmer), bref, je parlerai de tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur J. K. Rowling, Bryan Perro, Laurent McAllister, etc.; activité pour jeunes et pour adultes

Ottawa, ON (Alliance Française) : le 16 novembre prochain, comme je l'annonçais le 10 septembre dernier, l'Alliance française d'Ottawa accueillera une soirée à double détente sur la SFCF, avec moi-même comme conférencier (je parlerai de Jules Verne, entre autres) et une table ronde subséquente avec Caroline-Isabelle Caron, Michèle Laframboise et Christian Sauvé; l'entrée sera libre

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2006-10-03

 

Iconographie de la SFCF (11)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; et (10) les couvertures de la micro-édition.

Les couvertures des publications périodiques représentent sans aucun doute la source la plus abondante d'images de SFCF. Je pourrais prolonger cette série presque indéfiniment en étudiant l'iconographie de chaque revue ou fanzine, en subdivisant les publications les plus durables... Mais commençant par une coupe transversale, complètement aléatoire. J'ai commencé par piger un numéro de Samizdat en songeant à prendre le dernier, mais la couverture n'était que moyennement attirante. Alors, je me suis rabattu sur l'avant-dernier numéro, le 24, et j'ai eu l'idée de comparer la couverture de plusieurs numéros 24. À tout seigneur, tout honneur, commençons par Requiem, qui publiait son numéro 24 en décembre 1978. La couverture est attribuée à François Mazzero et Charles Montpetit. Mazzero semble avoir fait depuis carrière en holographie — il est d'ailleurs cité sur le site de l'Atelier holographique de Paris, qui a réalisé un hologramme du triangle impossible de Penrose. La question que je me pose, c'est de savoir si la collaboration a été consciente. Mazzero sait-il qu'une de ses œuvres (présumément adaptée par Charles Montpetit) a illustré une couverture de Requiem? Pour ce qui est du sujet de la couverture, il est mystérieux à souhait. Des créatures extraterrestres (ou lovecraftiennes?) brandissent des lances ou hallebardes surmontées, dirait-on, d'un petit animal tenant du scorpion et du dragon miniature... C'est peut-être en rapport avec le Prix Dagon 1978, décerné à Élisabeth Vonarburg pour sa nouvelle « L'œil de la nuit », première brique de l'univers tyranaëlien... Bref, ce n'était déjà pas un numéro banal, et il incluait aussi un article d'Alexandre Zinoviev (mort le 10 mai dernier) sur « La soit-disant [sic] science-fiction ».

Continuons. En 1984, imagine... publiait son vingt-quatrième numéro. La rédaction était dirigée par Catherine Saouter Caya et la direction littéraire était assumée par Jean-Marc Gouanvic. La couverture est attribuée à Marius Allen, ce qui crée immédiatement un mystère autour de cette signature en bas à gauche. Louis Lafontaine? Ce nom n'apparaît pas au sommaire des illustrateurs. Ni Marius Allen (un ancien de la polyvalente des Abénaquis?) ni Louis Lafontaine (le même que le musicien contemporain?) n'ont continué à exercer professionnellement l'illustration — du moins, pas au point d'avoir une présence sur internet. Pourtant, je trouve que cette couverture avait de la gueule. Ce sourire de politicien fabriqué par et pour la télévision, hein! Évidemment, j'ai un petit faible pour ce numéro d'imagine..., qui est celui de ma première nouvelle publiée professionnellement, « Œuvre de paix ». C'était la première brique de ma principale histoire du futur, qui compte maintenant plusieurs romans pour adultes et pour jeunes, ainsi que de nombreux autres textes. On y trouvait aussi une nouvelle de Francine Pelletier, « La volière », et une entrevue avec Stéphane Nicot. Une nouvelle aussi de Guy Bouchard, qui n'est plus très présent. La nouvelle de Pelletier était sa quatrième et se passait sur le monde d'Arkadie, qui a également servi de cadre à certains de ses romans pour jeunes ultérieurs.

Il n'est pas dénué d'ironie que les numéros 24 des fanzines Samizdat et Temps Tôt soient parus le même mois, en mai 1993! En effet, Samizdat avait été lancé par Philippe Gauthier, Yves Meynard et Claude J. Pelletier... en 1986, tandis que Temps Tôt avait été fondé par Christian Martin en 1989. Ainsi, à force de régularité, Temps Tôt avait comblé un retard de trois ans. Mais il faut avouer que c'était aussi le signe de l'épuisement des animateurs de Samizdat, qui étaient à la veille de mettre un point final à l'aventure. La couverture de Samizdat 24 est pourtant fort jolie, à mon avis. La rédaction avait abandonné le lettrage cyrillique du titre des premières années et opté pour une certaine simplicité. L'illustration est d'Alexandre Racine et le personnage de l'enfant au cœur d'un tourbillon qu'il faut attribuer à un poltergeist, sans doute, nous regarde avec un mélange troublant d'innocence et de perspicacité. Comme une poupée impassible cache sa bouche, l'observateur ne peut pas se prononcer sur l'expression des grands yeux écarquillés. Effarement? Accusation? Je me demande bien ce qu'il est advenu de cet artiste. Ce numéro de mai 1993 offre deux fictions, soit « L'apparition d'une autre ville » de Julie Martel (qui publie dans la dernière livraison de Solaris) et « Procruste » de votre serviteur (idem). J'avais aussi signé un petit article d'observations et de réminiscences de mon voyage au Chili en 1992.

Enfin, c'est aussi en mai 1993 que sortait le numéro 24 de Temps Tôt, qui allait encore publier une vingtaine de numéros, d'ailleurs. La couverture est de l'infatigable Pierre Djada Lacroix, artiste, fanéditeur et personnage incontournable de la SFCF à ses débuts. S'il y a un rapprochement à faire entre certaines de ces couvertures, il se situe sans doute au niveau du désir affiché de signification des illustrations québécoises (j'exclus le dessin de Mazzero). Celle de Lacroix illustre — tente d'illustrer? — le slogan de Temps Tôt : « une brèche dans le temps ». L'horloge en forme de panneau d'arrêt québécois (un arrêt n'est-il pas une solution de continuité?) n'est peut-être pas entièrement solide. Deux des trois oiseaux dessinés par Lacroix se dirigent droit dans le... panneau. Ces volatiles savent-ils que cette horloge qui enferme le temps dans son cadran n'est qu'une illusion qu'il est possible de traverser? Au premier plan, un personnage mystérieux nous fixe de ses verres fumés qui lui aveuglent le regard. Il se dresse face au vent qui emporte sa cravate et l'ombre projetée de quelque chose assombrit le haut de son habillement. S'agit-il d'une représentation de l'artiste, qui écrivait dans le numéro précédent de Temps Tôt que le fandom était mort au Québec et qui pouvait avoir l'impression de se retrouver isolé comme jamais, le dos au temps qui s'envolait? Dans ce numéro 24, Claude Bolduc répondait en trouvant « qu'il y a quand même une certaine activité, c'est un milieu qui vit, je n'ai pas l'impression de danser sur un cadavre. » De fait, Boréal allait renaître de ses cendres deux ans plus tard et les éditions Alire allaient surgir dans le décor trois ans plus tard.

L'autre point commun de ces couvertures, c'est sans doute que celles qui sont québécoises ne se rattachent pas ouvertement à la science-fiction (elles relèvent du fantastique ou du surréalisme), l'exception étant bien entendu la couverture (quand même ambiguë) de l'artiste français Mazzero. Du coup, il n'était pas inutile pour imagine... et Samizdat de préciser en toutes lettres qu'il s'agissait de revues de science-fiction! Mais je ne reviendrai pas aujourd'hui sur l'existence difficultueuse de la science-fiction dans le contexte québécois...

2006-10-02

 

Les routes du Québec

Je sens que je vais être prévisible, mais il faut parfois regarder les choses en face.

Il est bien possible que l'effondrement d'un pan de viaduc à Laval soit un accident exceptionnel, sans cause connue ou compréhensible. En général, cependant, les esprits rationnels acceptent que les miracles n'existent pas et que les événements ont des causes qui peuvent être subtiles, obscures ou complexes, mais qui n'en existent pas moins.

Il est possible, voire relativement probable, que cet effondrement soit dû à des causes sui generis (la proximité d'une carrière procédant à de nombreux dynamitages, l'emplacement des feux de circulation, l'accroissement de la circulation en trente ans). Par conséquent, il serait inutile de généraliser. Après tout, même si c'est la seconde fois à Laval en quelques années, il n'y a pas de point commun évident entre les deux incidents (hormis le fait qu'on ait affaire à l'œuvre d'ingénieurs québécois). L'accident précédent s'est déroulé durant la construction d'un viaduc neuf; celui-ci implique une structure vieillissante.

Néanmoins, il est permis de se poser des questions sur la durabilité des infrastructures, et en particulier sur celle des infrastructures québécoises.

J'espère d'ailleurs qu'on n'osera pas affirmer, à la George Bush (après Katrina), qu'on ne savait pas. Il y a déjà dix-huit ans, je signais une nouvelle de science-fiction dans le fanzine Samizdat (« Monde retapé : À vendre ») qui apparaît comme de plus en plus prémonitoire. Non seulement elle anticipait sur la désaffection des minorités immigrées en France, mais elle prévoyait l'effondrement du stationnement de l'aéroport de Mirabel (devenu un cosmoport) en raison de l'usure du béton armé. Le problème de la corrosion des armatures du béton armé dans le contexte canadien (froid, humidité, usage du sel sur les routes) était déjà connu et envisagé il y a vingt ans.

Petite citation (p. 43) : « Il imagina l'enchevêtrement de poutrelles tordues, les gravats, les pans brisés de béton et les plaintes s'élevant des décombres. »

Un peu plus loin : « Ils lui dirent que l'armature du garage, affaiblie par des années de corrosion par le sel, n'avait pu résister à un troisième décollage de fusée. »

Si l'effondrement du viaduc me frappe, aussi, c'est qu'en août, je me souviens d'avoir eu l'occasion de regarder de près les viaducs à l'intersection de la 15, de la 20 et de l'Autoroute Ville-Marie et d'avoir été atterré par le piètre état du béton. Des pans entiers du revêtement étaient tombés et des traînées de rouille tachaient le béton. Comme il s'agit de structures massives, je doute qu'elles soient promises à un effondrement prochain, mais il était clair qu'elles accusaient leur âge... En fait, c'est assez déprimant de penser que cet échangeur Turcot est à peine plus vieux que moi, car il date de 1966-1967 — et il est d'ailleurs question de le réhabiliter.

Mais je crois effectivement qu'on doit se poser des questions sur la qualité des infrastructures québécoises, même au prix d'admettre, par exemple, que la génération d'ingénieurs de la Révolution tranquille n'a pas été à la hauteur, peut-être parce qu'ils étaient encore novices en la matière. Ou pour toute autre raison que l'on voudra invoquer.

Je ne suis pas ingénieur routier, mais lorsque la comparaison tourne systématiquement au désavantage des routes du Québec, il est permis de douter. C'est souvent un sujet de plaisanterie que de passer d'une route québécoise à une autoroute étatsunienne ou une route ontarienne. Les yeux fermés, on sait qu'on a quitté la province parce que les cahots ont cessé...

J'exagère, bien sûr, et il peut certes exister des raisons circonstancielles (le vieillissement des routes se fait à des rythmes différents selon leur âge, par exemple) qui expliqueraient la différence entre les routes du Québec et les autres. Mais quand je compare les routes du Québec à celles de l'Ontario, des États-Unis et de la France, je me pose des questions.

Le climat ne peut servir d'alibi. Il ne change pas en quelques kilomètres, entre le Québec et l'Ontario, ou le Québec et le Vermont. Même en France, j'ai roulé sur des routes alpines qui subissent le gel et le dégel chaque année, et qui ne s'en portent pas plus mal. Alors, comment se fait-il que les routes québécoises (et ontariennes aussi, dans une certaine mesure) soient uniquement sujettes à des déformations?

On sait certes que les autoroutes étatsuniennes ont été construites à une échelle pharaonique, soi-disant justifiée par des objectifs de défense civile. Les remblais ont pu être massifs, les couches d'asphalte jusqu'à deux fois plus épaisses qu'au Québec et l'entretien continu — avant même les efforts de renouvellement de ces dernières années. Le pays le plus riche du monde (et sans doute le plus entiché de ses automobiles) a sûrement dépensé plus que l'État québécois.

Mais la France n'était pas nécessairement beaucoup plus riche que le Québec au moment de construire ses autoroutes alpines. Il est vrai que celles-ci représentent une fraction du réseau autoroutier d'un État dix fois plus populeux, mais si c'est une question de coût, il faut se demander alors si le choix de rogner sur les coûts au départ est validé par les résultats à l'arrivée...

Bref, la crispation défensive de Transports Québec n'est pas la bienvenue. S'il y a de meilleures options techniques, qu'on l'admette et qu'on nous en cite le prix pour qu'on fasse le débat. Et si c'est trop cher de les appliquer à l'échelle du territoire, sachons prioriser. Dimanche, il y avait un débat à la radio sur ces pauvres régions du Québec qu'on néglige, en particulier celle du Saguenay. Or, la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean représente moins de 300 000 personnes. La seule population de Laval (sans compter les personnes qui doivent passer par Laval pour aller travailler) en compte 50% de plus. Dans le cadre québécois où le budget routier dépasse à peine le milliard par année, les centaines de millions qui seraient affectés à l'élargissement de la route 175 pour une région déjà desservie par trois routes et représentant moins de 7% de la province mériteraient réflexion, qui sait...

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