2006-10-28

 

La SFCF des années soixante

Je m'en voudrais de ne pas signaler la parution de La Décennie charnière.

Même si le titre ne l'indique pas, il s'agit bel et bien d'un prolongement vers le passé de la série des Années de la Science-Fiction et du Fantastique québécois. Cette fois, Claude Janelle et ses collaborateurs (dont je suis) s'intéressent aux productions francophones en science-fiction et en fantastique de 1960 à 1969. Celles-ci sont relativement nombreuses, même si nous sommes loin des chiffres de la production actuelle. Pour toute la décennie, Janelle recense 166 nouvelles (originales ou non), 23 romans (originaux ou non) et le feuilleton de Pierre Daigneault (alias Pierre Saurel). En 2000, Janelle recensait 114 nouvelles et 57 romans ou récits. Ainsi, on publie en une année maintenant ce qui s'étalait autrefois sur dix ans...

La préface de Janelle tient des propos avec lesquels je suis, pour une fois, presque complètement d'accord. Certes, il associe l'apparition de la science-fiction moderne à l'éveil nationaliste des années 60, ce qui est un peu exagéré, surtout si on tient compte des auteurs de science-fiction qui avaient écrit avant 1960 et qui, à l'occasion, n'étaient pas moins en prise sur la modernité de leur temps. (Je songe par exemple à Jean-Charles Harvey dont le recueil de 1929, L'homme qui va, avait justement été jugé digne d'une réédition durant les années soixante...) Mais, bon, comme on le sait, la génération du baby-boom a tout inventé au Québec.

Si le Québec est bel et bien le foyer de la SFCF, il convient de remarquer que les données biographiques fournies par l'ouvrage permettent de dire que sur 42 auteurs dont les origines sont connues, quatre viennent de la France, trois du Canada hors-Québec et un de l'Espagne. Au moins deux auteurs ont abouti à Ottawa, soit Claude Aubry et Ronald Després. La réalité de la SFCF était déjà plurielle.

La Décennie charnière offre donc des recensions des parutions originales de la décennie et aussi une anthologie des meilleures nouvelles de l'époque. Ces treize textes sont signés par douze auteurs : Adrienne Choquette, Roch Carrier, Jean Hamelin, Louis-Philippe Hébert, Claude Jasmin, Jean-Pierre Lefebvre, Claude Mathieu, Chantal Renaud, Esther Blackburn (Rochon), Jean Simard, Jean Tétreau et Yves Thériault. Dans plusieurs cas, ces textes sont porteurs pour les lecteurs actuels d'une forte nostalgie du futur. L'avenir n'est plus ce qu'il était et plusieurs recensions s'attardent à mesurer le fossé qui sépare l'anticipation des années soixante de la réalité du XXIe siècle.

Il faut cependant noter deux lacunes. D'abord, ce volume n'inclut pas une recension de la critique contemporaine. Tout au plus Janelle cite-t-il des critiques postérieures publiées dans Requiem ou le DOLQ. Les chercheurs désirant se faire une idée de la réception (différenciée ou non) de ces textes durant les années soixante devront chercher ailleurs. Janelle se disculpe d'avance en soutenant que le DOLQ « contient l'ensemble des références connues » et que, dans le cas contraire, celles-ci « sont citées ». Mais il semble oublier que le DOLQ ne recense pas les ouvrages pour jeunes; du coup, je crois me souvenir d'une critique dans Livres et auteurs canadiens du roman L'Astra I appelle la Terre (ou peut-être de Vénus via Atlantide) qui n'est pas signalée...

Ensuite, il manque certainement des textes. Au minimum, ce sont certains des fascicules de l'époque qui ne sont pas inclus. Comme je l'indiquais dans mon article pour Solaris sur ces fascicules, la série des « Exploits fantastiques de Monsieur Mystère, l'homme au cerveau diabolique » (Éditions Bigalle) s'est sûrement prolongée jusqu'aux années soixante et certains épisodes versent dans la science-fiction. Comme l'inventaire de ces fascicules reste fragmentaire et les parutions individuelles difficilement datables, on ne peut évaluer l'ampleur de cette lacune, mais elle est plus que probable. Ceci rappelle à quel point Janelle reste inféodé aux recherches menées initialement à l'Université Laval, sans qu'il donne signe de tenir compte systématiquement de travaux postérieurs ou des contributions d'autres chercheurs.

Il y a d'autres cas plus discutables, comme les deux romans d'André Ber, le livre pour enfants Jeannot fait le tour du monde de Francine Harvey ou le roman jeunesse Vol à bord du Concordia de Gaudreault-Labrecque qui ne sont pas cités. Certes, les éléments science-fictifs sont soit minces soit contredits explicitement par une fin imposant une explication onirique, mais ce sont des ouvrages qui appartiennent à ce que j'appelle la culture science-fictive. Hors de la littérature proprement dite, il aurait été aussi possible de citer la pièce de Robert Gurik, Api 2967, la chanson Bon voyage dans la Lune, «chanson pour demain» de Félix Leclerc, ou ces vers d'Alain Horic déjà repérés par Versins... On aurait pu souhaiter que Janelle les signale à défaut de les recenser.

Néanmoins, il s'agit d'un ouvrage qui fera date et que tout spécialiste du domaine se doit d'avoir sur ses tablettes.

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Comments:
Concernant Ségoldiah! d'André Ber, comme un des livres qui ne sont pas recensés, je dois admettre, l'ayant lu (et critiqué) qu'il rejette en fin de compte l'étiquette de SF, et que ce rejet, à ce que j'ai compris, le place en-dehors des limites que s'est toujours donné l'ASFFQ. On peut (et on a) argumenté sur la pertinence de ces limites, mais dans la mesure où elles existaient depuis belle lurette, on ne va pas reprocher à l'ASFFQ d'être cohérente avec elle-même. Il ne nous reste qu'à créer un site web complémentaire à l'ASFFQ imprimée -- et je suis plus qu'à demi sérieux.
 
Je suis d'accord que Ségoldiah! et Jeannot fait le tour du monde ne répondent pas aux critères adoptés de longue date par L'ASFFQ. (Restent les autres cas que je soulève.) Je demeure toutefois dubitatif; la fin d'une œuvre suffit-elle vraiment à occulter tout ce qui a précédé? Pas sûr.

Pour ce qui est d'un site complémentaire, que crois-tu que j'essaie de faire avec ma série d'articles sur la SFCF? Sans prétendre à la rigueur d'une publication savante, j'essaie de fournir des pistes additionnelles (que l'emploi systématique du sigle SFCF doit rendre faciles à retrouver avec un moteur de recherche). À terme, je n'exclus pas un travail plus ambitieux, bien sûr.
 
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