2006-10-25

 

La Sainte-Beuve de notre temps

Pincez-moi, je rêve, je regrette Marie-France Bazzo!

L'arrivée de Christiane Charette à la barre de ce qui était auparavant l'Indicatif Présent de Bazzo, sur la radio de Radio-Canada en matinée, a suscité des réactions diverses, dont celle-ci de Michel Dumais. La blogosphère locale a également accouché de réactions çà et . En général, je suis assez d'accord avec les critiques adressées à Charette, et moins d'accord sur la vénération parfois inconditionnelle de Bazzo.

J'ai souvent trouvé que celle-ci cédait trop facilement au consensus mou de la gauche québécoise, favorisant un nombrilisme de la pensée frisant l'autisme. (Sa promotion presque avouée du parti Québec Solidaire co-fondé par Françoise David témoignait d'une déconnexion complète de la réalité politique du Québec, amplement confirmée par les piètres résultats de ce parti depuis... J'ai moi aussi mes moments d'idéalisme, mais j'essaie de ne pas prendre mes lubies pour des lanternes éclairant le monde.)

Toutefois, Bazzo faisait montre d'une curiosité assez générale pour paraître universelle et elle avait eu le temps de développer son inventivité au fil des ans. De nombreuses chroniques lui permettaient d'aller vers le public ou de convoquer des humoristes et ironistes parfaitement désopilants. Et elle avait quand même le courage d'inviter et de laisser parler des personnages qui exprimaient des opinions étrangères aux siennes.

En ce qui concerne Charette, j'ai été patient. Je n'ai pas souvent eu l'occasion d'écouter la radio le matin depuis son arrivée en poste. Ce que j'ai entendu au début, j'ai décidé de ne pas le lui reprocher. Je suis bien placé pour savoir ce que c'est que la période de rodage de quelqu'un qui crée une émission ou qui donne un cours pour la première fois. Je voulais croire que j'étais mal tombé, ou qu'il s'agissait d'erreurs de parcours.

Mais il faut bien laisser chuter le couperet un jour...

J'écoutais hier soir Charette demander au directeur d'un film sur l'inceste entre frère et sœur s'il avait fait l'expérience de la chose. (Pas tout à fait aussi crûment, mais c'était pratiquement ça.) Comme elle avouait quelques instants plus tard qu'elle savait bien qu'il n'avait pas de sœur, il s'agissait soit d'une question complètement improvisée et de la plus grande étourderie, ou d'une question soigneusement préparée pour disculper l'homme de tout soupçon. Ce faisant, Charette (ou son équipe) trahissait sa propre conception de la création artistique. Une conception de l'art qui serait inséparable de la connaissance de l'artiste...

Même si j'admets que nous vivons à l'ère de l'autofiction, il ne faudrait pas retomber dans les travers de Sainte-Beuve (lire l'extrait du Contre Sainte-Beuve de Proust ici). L'art est certes inséparable de l'artiste, mais il faut toujours se méfier du simplisme de ce genre d'analyse. Entre l'artiste et l'homme public, il peut y avoir un gouffre. Entre l'art et le vécu individuel, l'expérience personnelle, le gouffre n'est pas moins grand.

C'est dans ce précipice que Christiane Charette s'est jetée. Sa conception du monde se réduit à la connaissance de certains cercles de la culture (et de la culture du divertissement) au Québec. Sa conception de la culture se réduit, semble-t-il, à la connaissance de certains cercles d'amis et d'intimes au Québec. Et sa conception des gens... je crois que ce commentaire lâché sur les ondes suffit à nous renseigner sur sa façon de voir les autres. Cela donne le frisson.

Ajoutons que Christiane Charette, née en 1951, succède à Marie-France Bazzo, dont la date de naissance (difficile à trouver) n'est sans doute pas postérieure de beaucoup à 1960. Bref, la radio publique canadienne ne rajeunit pas, au contraire, à la faveur de ce changement. L'âge chronologique, cela dit, est moins important que l'ouverture d'esprit et j'ai bien l'impression que c'est ce dont il faudra se passer à Radio-Canada pendant encore un moment...

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Comments:
Cher Jean-Louis,
Je suis entièrement d'accord avec toi.
Personnellement, la seule fois où j'ai pu expérimenter les intérêts de Mme Charette de première main, c'est lors de la publication de mon livre sur l'oeuvre de S. King. Les recherchistes de son émission télé de l'époque (C.Charette en direct) avaient tout fait pour savoir si je révélais dans ce bouquin des détails croustillants ou des scandals sur la vie de l'auteur. Ayant échoué à trouver dans mon livre de tels propos, ils avaient décidé de ne pas m'inviter pour en parler :).
Il ne s'agissait que d'un cas, mais il était pour moi révélateur du genre de contenu culturel dont on voulait traiter alors.
Ayant expérimenté personnellement l'approche de Bazzo lors d'un passage à son émission, j'avais remarqué qu'elle n'était pas nécessairement en accord avec moi (ou d'autres invités) sur divers points, mais que la discussion sur la chose l'intéressait, ce qui faisait montre d'une plus grande ouverture d'esprit.
 
Un peu par hasard, je suis tombé ce soir sur l'émission de Bazzo à Télé-Québec. Expérience curieuse : j'avais l'impression d'assister à une émission de radio filmée... On retrouvait d'ailleurs quelques habitués d'Indicatif Présent. Mais les circonstances ne sont pas les mêmes; c'est plus difficile de retenir mon intérêt le soir. De plus, l'écran cathodique exerce une attraction physique que n'exerce pas la radio. On peut écouter en s'éloignant du poste, mais on est un peu pris au piège de l'écran...
 
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