2009-01-31
La science-fiction et la réalité
Dans cet article de Simon Bréan et Clément Pieyre, « La science-fiction, une littérature à contraintes ? », les auteurs s'interrogent sur la construction par la littérature des mondes étrangers de la science-fiction, construction qui, par effet de retour, construit l'œuvre littéraire proprement dite. La démonstration s'appuie sur des exemples précis et des documents d'archives, tirés pour l'essentiel des collections réunies par Pieyre à la Bibliothèque nationale de France.
Du point de vue d'un auteur et amateur de science-fiction, ces deux aimables critiques enfoncent des portes ouvertes en affirmant que « les chaînes de l’avenir que forge la science-fiction ne sont pas les liens serviles d’une production de masse » (je n'en doutais pas!), mais la démonstration s'appuie sur des états successifs de manuscrits de Daniel Drode et de Philippe Curval. Elle est sans appel : les deux auteurs ne se pliaient pas aux diktats commerciaux de leur éditeur, mais aux impératifs de leur vision artistique. (On se demande comment feront les critiques de cet acabit à l'avenir puisque les annotations et états successifs d'un texte font désormais partie des fichiers produits par des logiciels comme Word, et sont susceptibles de disparaître au terme de quelques manips.)
Dans plusieurs des cas examinés dans cet article, l'art est en fait au service d'une esthétique, celle du réalisme — et pas seulement le réalisme mineur de la vraisemblance dans les dialogues. La grande différence par rapport à la littérature mimétique, c'est qu'il s'agit d'un réalisme gouverné par une xéno-encyclopédie plus ou moins assemblée de toutes pièces. Si la littérature mimétique s'écrit entre les lignes de l'encyclopédie mentale assemblée par le lecteur à partir de ses propres expériences du monde et de ce qu'il retire du texte, on pourrait soutenir que la science-fiction fait le contraire : la fiction apparaît entre les lignes de la xéno-encyclopédie que le texte doit mettre en place pour que la fiction soit compréhensible. Pour le lecteur, les proportions sont inversées : l'essentiel de son encyclopédie mentale est fourni par le texte et non par son vécu.
Sauf que la xéno-encyclopédie doit également filtrer entre les lignes du texte, ce qui frise le paradoxe mais qui démontre la difficulté de l'art de la science-fiction.
Du point de vue d'un auteur et amateur de science-fiction, ces deux aimables critiques enfoncent des portes ouvertes en affirmant que « les chaînes de l’avenir que forge la science-fiction ne sont pas les liens serviles d’une production de masse » (je n'en doutais pas!), mais la démonstration s'appuie sur des états successifs de manuscrits de Daniel Drode et de Philippe Curval. Elle est sans appel : les deux auteurs ne se pliaient pas aux diktats commerciaux de leur éditeur, mais aux impératifs de leur vision artistique. (On se demande comment feront les critiques de cet acabit à l'avenir puisque les annotations et états successifs d'un texte font désormais partie des fichiers produits par des logiciels comme Word, et sont susceptibles de disparaître au terme de quelques manips.)
Dans plusieurs des cas examinés dans cet article, l'art est en fait au service d'une esthétique, celle du réalisme — et pas seulement le réalisme mineur de la vraisemblance dans les dialogues. La grande différence par rapport à la littérature mimétique, c'est qu'il s'agit d'un réalisme gouverné par une xéno-encyclopédie plus ou moins assemblée de toutes pièces. Si la littérature mimétique s'écrit entre les lignes de l'encyclopédie mentale assemblée par le lecteur à partir de ses propres expériences du monde et de ce qu'il retire du texte, on pourrait soutenir que la science-fiction fait le contraire : la fiction apparaît entre les lignes de la xéno-encyclopédie que le texte doit mettre en place pour que la fiction soit compréhensible. Pour le lecteur, les proportions sont inversées : l'essentiel de son encyclopédie mentale est fourni par le texte et non par son vécu.
Sauf que la xéno-encyclopédie doit également filtrer entre les lignes du texte, ce qui frise le paradoxe mais qui démontre la difficulté de l'art de la science-fiction.
Libellés : Science-fiction
2009-01-30
Le budget de l'ignorance
À l'origine du krach boursier des six derniers mois, il y a une bulle immobilière démesurée, dont je parlais en 2007, et qui se distingue par son improductivité. Les investissements fonciers engendrent rarement de nouvelles efficacités. Le parc immobilier gagne en extension et peut-être en qualité, mais pas au point d'améliorer les capacités productives de l'économie. En fait d'investissement, il s'agit surtout d'une dépense.
Mais ceci échappe toujours aux Conservateurs canadiens, ces partisans de l'État-providence pour les gens d'affaire mais pour personne d'autre. Le budget de cette semaine déboursera des millions pour investir dans... l'immobilier! Et il coupera des millions aux chercheurs canadiens, sauf changement de cap de dernière minute. La stupidité des politiques à courte vue du gouvernement Harper est insondable, mais il fallait s'y attendre de la part de négateurs du réchauffement climatique et de croyants au créationnisme.
Jusqu'à maintenant, Ignatieff s'écrase, avec tout juste un peu plus de style dans l'art de la courbette que Stéphane Dion. Pourtant, il a recensé fort justement les carences et lacunes d'un budget qui fait le minimum pour ceux qui perdent leur emploi.
Le problème des Libéraux, c'est qu'à force de s'effacer, on ne saisit plus exactement en quoi ils croient. Ont-ils encore des principes? Hier, Ignatieff se plaignait des menaces protectionnistes des États-Unis, mais a-t-il soulevé la question de cet oubli majeur des Conservateurs? Qu'est-ce qu'il faudrait pour que les Libéraux se décident enfin à désavouer Harper? Certes, les Conservateurs sont un peu dans la même situation depuis que Harper est allé à Canossa pour rester au pouvoir, mais ils restent libres de faire beaucoup de dégâts, comme on le voit dans le cas de Génome Canada ou des conseils subventionnaires de la recherche auxquels on impose des coupures.
Marc Garneau laisse espérer des amendements pour réclamer un meilleur financement de la recherche. On verra, mais peut-être bien que j'appellerai son bureau de comté.
Mais ceci échappe toujours aux Conservateurs canadiens, ces partisans de l'État-providence pour les gens d'affaire mais pour personne d'autre. Le budget de cette semaine déboursera des millions pour investir dans... l'immobilier! Et il coupera des millions aux chercheurs canadiens, sauf changement de cap de dernière minute. La stupidité des politiques à courte vue du gouvernement Harper est insondable, mais il fallait s'y attendre de la part de négateurs du réchauffement climatique et de croyants au créationnisme.
Jusqu'à maintenant, Ignatieff s'écrase, avec tout juste un peu plus de style dans l'art de la courbette que Stéphane Dion. Pourtant, il a recensé fort justement les carences et lacunes d'un budget qui fait le minimum pour ceux qui perdent leur emploi.
Le problème des Libéraux, c'est qu'à force de s'effacer, on ne saisit plus exactement en quoi ils croient. Ont-ils encore des principes? Hier, Ignatieff se plaignait des menaces protectionnistes des États-Unis, mais a-t-il soulevé la question de cet oubli majeur des Conservateurs? Qu'est-ce qu'il faudrait pour que les Libéraux se décident enfin à désavouer Harper? Certes, les Conservateurs sont un peu dans la même situation depuis que Harper est allé à Canossa pour rester au pouvoir, mais ils restent libres de faire beaucoup de dégâts, comme on le voit dans le cas de Génome Canada ou des conseils subventionnaires de la recherche auxquels on impose des coupures.
Marc Garneau laisse espérer des amendements pour réclamer un meilleur financement de la recherche. On verra, mais peut-être bien que j'appellerai son bureau de comté.
2009-01-29
Manger local?
Dans un article paru en 2008 dans la revue Environmental Science & Technology, Christopher L. Weber et H. Scott Matthews se sont penchés sur l'importance de l'origine locale ou non de la nourriture que nous consommons en Amérique du Nord. Si on veut quantifier l'impact de la nourriture que nous mangeons sur les émissions de gaz à effet de serre, il convient de ne pas s'intéresser uniquement à la distance franchie par un aliment de son lieu de production au magasin, car il faut aussi tenir compte des conditions de production et des modes de transport.
Si on tient compte de l'intensité des émissions (en millions de tonnes d'équivalent de gaz carbonique par tonne-kilomètre), les moyens de transport usités offrent des performances très différentes. Dans la figure ci-dessous, on découvre que si on écarte le fret aérien, les émissions dues au transport par camion sont de loin plus élevées, par kilomètre parcouru et tonne déplacée, que les émissions produites par le rail (rarement électrique aux États-Unis, rappelons-le) ou les navires en mer ou empruntant les rivières et canaux du continent.Certes, les navires et les trains franchissent, d'habitude, de bien plus grandes distances que les camions, de sorte que ceci compense cela. Mais cela change la donne et modifie quelque peu les résultats que l'on attendrait naïvement d'une simple comparaison des distances parcourues.
De plus, pour élever le bétail qui mettra un bon steak dans notre assiette, il faut non seulement des étables et des pâturages, mais il faut aussi nourrir le troupeau en faisant venir les moulées et le fourrage de beaucoup plus loin, de sorte que la distance franchie de la ferme au supermarché n'est qu'une fraction (aussi basse que le quart) de toutes les distances franchies par les ingrédients et composants requis pour élever une tête de bétail. Et c'est sans parler des autres dépenses énergétiques et rejets de gaz à effet de serre. Au total, comme l'explique aussi le numéro de février du Scientific American, la viande de bœuf est la championne toutes catégories des émissions.
Au point où, selon Weber et Matthews, le passage au « tout-local » dans l'alimentation du Nord-Américain moyen ne réduirait que de 5% les émissions de gaz à effet de serre. En revanche, il suffirait de changer son régime un jour sur sept, en abandonnant la viande rouge et les produits laitiers pour du poulet, des œufs, du poissons et des légumes de substitution, et on obtiendrait la même diminution! L'abandon complet de la viande rouge et des produits laitiers représenterait l'équivalent de conduire une voiture entre 8 600 et 13 000 km de moins dans l'année...
Si on tient compte de l'intensité des émissions (en millions de tonnes d'équivalent de gaz carbonique par tonne-kilomètre), les moyens de transport usités offrent des performances très différentes. Dans la figure ci-dessous, on découvre que si on écarte le fret aérien, les émissions dues au transport par camion sont de loin plus élevées, par kilomètre parcouru et tonne déplacée, que les émissions produites par le rail (rarement électrique aux États-Unis, rappelons-le) ou les navires en mer ou empruntant les rivières et canaux du continent.Certes, les navires et les trains franchissent, d'habitude, de bien plus grandes distances que les camions, de sorte que ceci compense cela. Mais cela change la donne et modifie quelque peu les résultats que l'on attendrait naïvement d'une simple comparaison des distances parcourues.
De plus, pour élever le bétail qui mettra un bon steak dans notre assiette, il faut non seulement des étables et des pâturages, mais il faut aussi nourrir le troupeau en faisant venir les moulées et le fourrage de beaucoup plus loin, de sorte que la distance franchie de la ferme au supermarché n'est qu'une fraction (aussi basse que le quart) de toutes les distances franchies par les ingrédients et composants requis pour élever une tête de bétail. Et c'est sans parler des autres dépenses énergétiques et rejets de gaz à effet de serre. Au total, comme l'explique aussi le numéro de février du Scientific American, la viande de bœuf est la championne toutes catégories des émissions.
Au point où, selon Weber et Matthews, le passage au « tout-local » dans l'alimentation du Nord-Américain moyen ne réduirait que de 5% les émissions de gaz à effet de serre. En revanche, il suffirait de changer son régime un jour sur sept, en abandonnant la viande rouge et les produits laitiers pour du poulet, des œufs, du poissons et des légumes de substitution, et on obtiendrait la même diminution! L'abandon complet de la viande rouge et des produits laitiers représenterait l'équivalent de conduire une voiture entre 8 600 et 13 000 km de moins dans l'année...
Libellés : Effet de serre, Environnement
2009-01-28
Le point de vue d'Orion
Dans la nuit si glacée qu'elle étreint tous mes os
la neige frissonne et je ne croise qu'un chat,
noir comme le ciel et niché tel un pacha
dans son trou de la haie blanchie au bout du clos.
Quand la nuit refroidit, le sent-il dans ses os?
Je ne sais si, demain soir, il ressurgira
de son abri ou si le gel le punira
sans appel d'avoir autant chassé les oiseaux.
S'il est mort, rattrapé par le sort et la bise,
son corps durci clôt une vie ni bleue ni grise,
car il fut libre, et seul maître de ses nuits
Ah, le regard d'Orion, chasseur des cieux d'hiver
ne confond-il pas le chat et l'homme qu'il fuit,
ces deux constructions un jour promises aux vers?
la neige frissonne et je ne croise qu'un chat,
noir comme le ciel et niché tel un pacha
dans son trou de la haie blanchie au bout du clos.
Quand la nuit refroidit, le sent-il dans ses os?
Je ne sais si, demain soir, il ressurgira
de son abri ou si le gel le punira
sans appel d'avoir autant chassé les oiseaux.
S'il est mort, rattrapé par le sort et la bise,
son corps durci clôt une vie ni bleue ni grise,
car il fut libre, et seul maître de ses nuits
Ah, le regard d'Orion, chasseur des cieux d'hiver
ne confond-il pas le chat et l'homme qu'il fuit,
ces deux constructions un jour promises aux vers?
Libellés : Poème
2009-01-27
Partir pour Mars?
Ce soir, je me posais au Fox and Feather Pub d'Ottawa, où il faisait nettement plus chaud qu'à l'extérieur. Était-ce à cause de la grève des autobus que la rue Elgin semblait relativement déserte à six heures du soir? Mais la pièce tout au sommet du pub était des plus accueillantes, tout comme les gens du Musée des sciences et de la technologie, et les deux autres intervenants, Tim Cole (à gauche) et Brian McCullough (à droite). Très vite, la question était lancée : faut-il partir pour Mars?
D'abord, avant de débattre s'il faudrait envoyer ou non des humains sur Mars, il faudrait savoir si un tel voyage est possible. Pas dans l'absolu, bien sûr, puisque de nombreuses sondes et robots ont fait le voyage. Mais le trajet peut-il être complété par des humains dans l'état actuel de l'astronautique? Après tout, on ne peut pas anticiper le jugement de nos descendants dans un siècle ou deux; il s'agit donc de trancher pour les prochaines décennies.
Dans ce cas, on peut s'appuyer sur des études récentes pour évaluer les risques du voyage. Les sources d'incertitude sont nombreuses. Passons sur la technologie même des fusées, encore sujette à des défaillances majeures. Des voyageurs en partance pour Mars auraient à surmonter plusieurs obstacles. Tout d'abord, il y aurait les défis psychologiques, puisque les quatre ou six spationautes seraient les premiers à couper le cordon ombilical avec la Terre. À l'œil nu, ils verraient la Terre s'amenuiser et se réduire à un simple point lumineux. Ensuite, ils conjugueraient cet éloignement radical avec une période de solitude de plus de deux années, dont près d'une année qu'ils passeraient à l'intérieur d'un petit vaisseau. Leur équilibre mental résisterait-il à cette pression? L'internet interplanétaire suffirait-il à les sauver?
Ensuite, on peut mentionner la pesanteur réduite, en particulier sur Mars. Même si on admet qu'ils seront capables de générer une pesanteur artificielle dans l'espace, en scindant le vaisseau pour en faire une centrifuge géante, ils passeront plus d'une année à la surface de Mars. La pesanteur réduite grugera leurs os et augmentera les risques de fracture en cas de chute, mais on demandera justement aux voyageurs de se déplacer le plus possible durant leur séjour, en s'exposant d'autant plus à des accidents.
La fragilisation des os est également aggravée, selon certains résultats récents, par l'exposition aux radiations. Or, dès qu'ils auront quitté la Terre et les champs magnétiques qui l'enveloppent, les voyageurs subiront un bombardement continu qui combinera le flux de particules crachées par le Soleil et le rayonnement cosmique. La dose ordinaire augmentera le risque de cancer chez toutes les personnes exposées, encore qu'il sera possible de la réduire au moyen de blindage additionnel. Le danger proviendrait plutôt des éruptions solaires, susceptibles de multiplier le flux incident, et les risques de conséquences fâcheuses. De plus, si les chances d'un individu donné de survivre aux radiations restent bonnes, même en postulant une éruption solaire quatre fois plus intense que la pire éruption enregistrée depuis le début des mesures, les partisans d'un départ pour Mars oublient de dire que, pour un groupe allant de quatre à vingt-quatre personnes (dans le cas du projet qui prévoit quatre missions en dix ans), les chances de déces d'une personne de l'ensemble sont nettement plus grandes.
Enfin, il reste un défi technique de taille : l'alimentation des voyageurs. Nous sommes encore loin de maîtriser la vie en cycle fermé, ou l'agriculture sur Mars.
Admettons toutefois qu'il soit possible d'aller sur Mars. La question change : pourquoi faudrait-il le faire? quel avantage en retirerait-on?
Des humains feraient-ils un meilleur boulot comme explorateurs que les robots? À certains égards, ils jouissent d'avantages indubitables. Ils déplaceraient l'intelligence et les connaissances, qui sont actuellement conservées sur Terre afin de guider les robots de la NASA, pour les mettre à la surface de Mars, sans les assujettir au délai de plusieurs minutes imposé par la distance. Ils seraient donc libres de bouger plus vite et d'identifier leurs propres cibles, couvrant en quelques jours ce qui peut prendre des mois à un robot télécommandé depuis la Terre.
Par contre, si on suppose que l'on organiserait quatre missions successives en dix ans, afin de profiter des fenêtres de lancement tous les vingt-six mois (et de consacrer la première fenêtre au lancement d'un vaisseau de ravitaillement envoyé en éclaireur), ces humains passeraient moins de quatre ans et demi sur Mars, sur un total de dix ans d'efforts financiers et organisationnels. En revanche, des robots envoyés à un cinquantième du coût, mettons, serviraient à temps plein pendant la même période puisque la NASA ne serait pas obligée de les rapatrier et ferait l'économie du voyage de retour. De plus, si les robots sont lents, les humains seront aussi un peu retardés par les besoins de l'intendance et de la survie : création d'abris, préparatifs requis pour sortir, etc. La question de l'efficacité n'est donc pas entièrement à l'avantage des humains, surtout si on tient compte des coûts, tandis qu'on peut escompter des améliorations continues des robots, surtout si on leur consacrait les sommes dont il est question.
L'envoi d'humains sur Mars aurait-il au moins l'avantage de relancer l'intérêt pour l'exploration et le développement de l'espace? L'objection évidente, c'est que l'envoi d'humains sur la Lune n'a pas créé de mouvement durable. Plus de trente ans ont passé depuis la dernière visite d'humains sur la Lune.
De plus, j'ai cité l'histoire de cette expédition phénicienne envoyée par un pharaon, Néchao, vers 600 avant notre ère, selon ce que rapporte Hérodote. Cette expédition partie de la mer Rouge aurait mis trois ans à doubler l'Afrique avant de revenir en Égypte par la Méditerranée. En chemin, tout comme des hommes et femmes sur Mars, les Phéniciens auraient même été obligés de s'arrêter pour semer et récolter de quoi se nourrir. Bref, le voyage aurait été d'une durée semblable et d'une envergure semblable à ce qui est envisagé pour une expédition martienne. Mais la réussite possible des Phéniciens n'a pas été imitée avant des siècles, même si on connaît des tentatives plus ou moins crédibles, rapportées par les géographes Posidonius et Strabon dans l'Antiquité. Il a fallu attendre que les Portugais doublent le cap de Bonne-Espérance dans l'autre direction, mille ans plus tard. La différence? L'expédition de Néchao était subventionnée à fonds perdus dans un but de pure exploration. En revanche, les Portugais se rendaient en Inde et leurs cargaisons d'épices payaient le voyage. Par conséquent, on peut douter qu'un voyage sur Mars financé pour des raisons désintéressées aurait nécessairement des suites.
Pour l'instant, les humains conservent un certain avantage en matière de construction, comme on le voit dans le cas de la station spatiale. Se pourrait-il donc qu'on envoie des humains sur Mars afin de construire l'infrastructure requise pour des missions robotiques plus ambitieuses, ou pour autre chose? Par exemple, un atelier d'entretien et de réparation des robots, ou des installations de réalité virtuelle...
Dans ce dernier cas, l'amélioration des équipements sur place pourrait ouvrir l'exploration de Mars à tous... dans la réalité virtuelle. D'ailleurs, on peut même imaginer que cela deviendrait une source de profits pour des investisseurs terrestres. Sinon, s'il faut trouver des investisseurs autres que les gouvernements, il faudra peut-être se tourner vers les organismes non-gouvernementaux ou sans but lucratif, qui financent des recherches scientifiques à fonds perdus... Encore faudrait-il trouver une justification valable à leurs yeux.
Par contre, il a fallu repousser les sceptiques qui, dans la salle, remettaient en cause la valeur de toute science, de toute recherche. Certes, les cinquante à soixante milliards que coûteraient une série d'expédition sont une somme. Par contre, cela représente moins d'une année des frais d'opération de l'armée étatsunienne en Iraq. Ou encore, on peut retenir que, durant les deux dernières années du boom immobilier et financier, en 2006 et 2007, les banquiers et courtiers des seuls États-Unis auraient récolté en boni et autres suppléments de revenu environ trente-cinq milliards de dollars par année. De quoi couvrir une bonne part du budget...
En guise de conclusion, nous avons évoqué durant la discussion qui a suivi les objections éthiques. Une expédition humaine pourrait-elle contaminer Mars, au point d'éliminer toute vie indigène? Nous ne savons pas s'il y a de la vie sur Mars, malgré la détection de méthane atmosphérique. Pour envoyer des humains sur Mars, faudrait-il confirmer l'absence de vie d'abord? Mais comment fera-t-on pour démontrer une absence?
Libellés : Espace
2009-01-26
Un autre élément de bibliographie
Le nouveau numéro de la revue Québec français (pas encore annoncé sur le site) est le cent cinquante-deuxième. J'avais déjà collaboré avec cette revue ou ses publications connexes, en écrivant d'habitude sur la science-fiction, mais c'est Monique Noël-Gaudreault qui signe, cette fois, un article sur mon vécu d'écrivain, assorti de quelques anecdotes tirées d'une entrevue téléphonique. Une recension des Rescapés de Serendib (1995) par Martine Brunet accompagne ce témoignage, ce qui ne me rajeunit pas! J'espère que cela signifie que le livre est bien présent dans les bibliothèques scolaires, d'où ce choix puisque la revue est destinée aux enseignants.
Cela s'ajoute donc à la bibliographie me concernant, dont la pièce maîtresse reste l'imposant ouvrage de Sophie Beaulé. La conjonction est intéressante, puisque cette recrudescence d'écrits sur mes romans pour jeunes a lieu alors que je n'ai rien publié dans le domaine depuis 2006, voire 2004 si on s'en tient aux romans sous mon nom. (Et que la fantasy est à l'honneur depuis plusieurs années, sinon une décennie!) C'était donc ça le secret : il suffit d'arrêter de publier pour faire parler de soi! Il faudrait que je le signale aux collègues...
Cela s'ajoute donc à la bibliographie me concernant, dont la pièce maîtresse reste l'imposant ouvrage de Sophie Beaulé. La conjonction est intéressante, puisque cette recrudescence d'écrits sur mes romans pour jeunes a lieu alors que je n'ai rien publié dans le domaine depuis 2006, voire 2004 si on s'en tient aux romans sous mon nom. (Et que la fantasy est à l'honneur depuis plusieurs années, sinon une décennie!) C'était donc ça le secret : il suffit d'arrêter de publier pour faire parler de soi! Il faudrait que je le signale aux collègues...
Libellés : Livres, Science-fiction
2009-01-25
Une robinsonnade martienne en images
La trilogie martienne de Kim Stanley Robinson est un ouvrage qui a fait date dans le genre. Red Mars (1992), Green Mars (1993) et Blue Mars (1996)... C'était loin d'être une robinsonnade au sens propre, même si Mars est parfaitement déserte au début et si l'auteur lui-même s'appelle... Robinson! Dans le roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoë reconstituait sur une île lointaine un mode de vie civilisé à force d'ingéniosité; dans la trilogie martienne, l'échelle changeait et c'était la biosphère de la Terre ainsi que la civilisation humaine qui s'enracinaient dans le terreau de la planète rouge. Grande fresque riche en personnages et en incidents, la trilogie abordait de nombreux dilemmes propres à la colonisation et à la pérennité d'une société.
Puisque je parlerai mardi de l'exploration de Mars, j'en profite pour signaler le blogue fort captivant d'un artiste (et architecte?) français, Ludo de Grenoble, qui crée et collectionne des images susceptibles d'illustrer la trilogie de Robinson. Pour reconstituer certains des astronefs et établissements, il se sert de Sketchup, dont j'avais déjà parlé ici, mais il vient d'ajouter à sa panoplie un nouvel outil, Kerkythea, que je note pour mémoire puisqu'il est compatible avec Sketchup. Si jamais j'ai le temps...
Puisque je parlerai mardi de l'exploration de Mars, j'en profite pour signaler le blogue fort captivant d'un artiste (et architecte?) français, Ludo de Grenoble, qui crée et collectionne des images susceptibles d'illustrer la trilogie de Robinson. Pour reconstituer certains des astronefs et établissements, il se sert de Sketchup, dont j'avais déjà parlé ici, mais il vient d'ajouter à sa panoplie un nouvel outil, Kerkythea, que je note pour mémoire puisqu'il est compatible avec Sketchup. Si jamais j'ai le temps...
Libellés : Science-fiction
2009-01-24
Une aventure de Pétrel et Volkodave
La brume avala la petite barque comme si un Kraken avait ouvert la gueule pour la refermer d'un coup. À bord, Pétrel et Volkodave, d'un commun accord, arrêtèrent de ramer, craignant de frapper un écueil ou un autre obstacle. La brume s'était à ce point épaissie qu'ils ne voyaient pas plus loin que les plats-bords. Seule compensation, la température se réchauffait enfin.
— Où sommes-nous? demanda l'adolescent.
— Et où allons-nous? lui fit écho l'homme-loup, avec une pointe de moquerie dans la voix. Voyons, mon maître, nous ne serons jamais tout à fait perdus sur la Lente tant que le courant nous dira dans quelles directions se trouvent l'amont et l'aval.
— Mais nous ne bougeons plus! s'écria Pétrel.
Le mercenaire trempa sa main dans l'eau, puis la retira. Pétrel ne put lire l'expression de ses yeux, que la brume rendait indistincts, mais sa perplexité s'entendit dans sa voix:
— Tu as raison, comme si nous étions arrivés dans une anse ou une crique... Essayons de ramer un peu au hasard.
Quelques instants plus tard, l'étrave de la barque s'enfonça dans un sol meuble. La berge était tapissée d'algues rouges et capitonnées; Volkodave sortit son épée pour piquer ce tapis végétal. Aussitôt, l'eau de la Lente clapota, des vaguelettes ballottant leur barque. Un mugissement lointain secoua l'air.
— Je n'aime pas ça, murmura Pétrel, nerveux.
— Explorons un peu. À moins que tu ne tiennes à attendre que le brouillard se lève?
Pétrel se leva et imita son compagnon, qui venait de poser le pied sur la berge. S'accrochant aux algues pour ne pas déraper sur leur surface visqueuse, ils gravirent la pente jusqu'à une étroite corniche, mais sans pouvoir aller plus loin. Ils venaient de se heurter à une gigantesque muraille constituée de grands monolithes blancs plantés dans le sol, collés les uns aux autres sans laisser la place de glisser plus que le bras entre chacun. Ils étaient taillées dans un matériau lisse et nacré, sur lequel les griffes de l'homme-loup dérapaient sans trouver prise. Leurs sommets se perdaient dans la brume.
Pétrel et Volkodave entreprirent de longer la muraille, mais celle-ci ne donnait aucun signe de s'arrêter. Quand une saute de vent dispersa un instant la brume, ils aperçurent enfin l'extrémité supérieure des monolithes. Chacun d'eux s'effilait en montant, se réduisant à une pointe grossière, jaunie et ravinée. La muraille se prolongeait toutefois vers le haut, car une seconde série de monolithes s'encastraient dans les brèches de la première série.
— Devine à quoi je pense, dit soudain Pétrel.
— Oui, je sais, murmura Volkodave. Cela ressemble à s'y méprendre, même si je crains un peu de le dire, à une dentition. Comme si nous avions affaire à quelque créature gigantesque. Vivante ou morte, je ne sais.
— Le plus inquiétant, c'est que je crois que nous sommes à l'intérieur de cette bouche!
Dans un fracas assourdissant, la muraille se disloqua. Un vent soudain balaya la brume et les deux voyageurs purent voir la seconde série de monolithes blancs s'envoler dans les airs. Une voix mugissante s'éleva derrière eux, tandis que l'eau de la petite crique clapotait plus fort que jamais.
— Bien vu, fils d'Océan! Mais ne crains rien; votre séjour sera bref.
— Comment ça?
— Si vous ne répondez pas à l'énigme que je vais vous poser, vous passerez de ma bouche à mes entrailles.
Pétrel déglutit, nerveusement, puis se rendit compte qu'il venait d'anticiper l'action que le gigantesque démon avait évoquée. Avant ce jour, il n'avait jamais songé au sort de la salive qu'il avalait, ou des débris microscopiques qui pouvaient s'y mêler.
— Impossible, répliqua Volkodave avec assurance. La loi est claire, seigneur des démons. Toute réponse à une énigme a un prix. Tout se paie.
— Je vous paierai en vous faisant cadeau de votre vie!
— Mais nous ne sommes pas morts et il n'est pas en votre pouvoir de nous ressusciter. Par conséquent, ce cadeau n'en est pas un, car il ne change rien à notre situation présente.
— Je vous rendrai la liberté si vous répondez, insista le monstre, une note d'incertitude se glissant dans sa voix.
— Peut-on parler d'un paiement s'il ne vous coûte rien, seigneur? Nous capturer a exigé de vous un effort, ne serait-ce qu'en sortant des profondeurs de la Lente. Mais en nous libérant, vous retournerez à votre repos.
— Soit, gronda le monstre en faisant claquer ses dents. Si vous répondez à mon énigme, je vous rendrai la liberté et je vous paierai aussi. Que voulez-vous?
Volkodave se redressa et sa voix enfla, devenant presque aussi forte que celle du géant des eaux :
— Une réponse à ma propre énigme, car la coutume veut qu'on paie avant d'obtenir un bien. Alors...
Dis-moi, démon, si tu es sage
l'exact total au pâturage
des quatre troupeaux de Mithra
que jamais le dieu ne châtra
Tous sur quatre îles de la Lente,
de quatre couleurs différentes,
le premier est blanc comme lait
le second est noir comme jais
l'autre jaune comme les blés
et le dernier tout pommelé
Observe, sagace étranger
que les taureaux blancs dénombrés
sont la demie et le tiers
des beaux taureaux noirs et fiers,
ensemble avec tous les taureaux
jaunes dignes de grands héros,
tandis que le chiffre des noirs
égale, matin comme soir,
le quart avec le cinquième
des taureaux pommelés eux-mêmes
ensemble avec les gras et jaunes
taureaux de Mithra Tauroctone.
Quant aux grands taureaux pommelés,
aux terribles cornes meulées,
ils égalent la sixième
part des blancs à la septième
ajoutée, puis comptés aussi
ensemble avec les flancs roussis
des taureaux les moins combatifs,
jaunes de robe et peu rétifs.
Puis, des vaches et des génisses,
gentilles bêtes au front lisse,
vois que les blanches dénombrées
sans qu'une seule en soit sabrée
sont le tiers avec le quart
de tout le troupeau au poil noir,
tandis que les noires comptées
égalent le quart ajouté
au cinquième du troupeau
pommelé, vaches et taureaux.
Quant à ces vaches pommelées,
une fois du troupeau démêlées,
elles sont égales aussi
à la cinquième partie
avec la sixième en plus
de ce nombre total voulu
des animaux jaunes et gras
paissant dans les champs de Mithra.
Enfin, il faudrait que tu saches
que le nombre des jaunes vaches
prend une sixième part
et une septième part
aussi du troupeau au poil blanc
pour en compter l'équivalent
Si tu as tout bien compris,
et soupesé de ton esprit,
tu sauras, démon, me trouver
aisément le nombre élevé
de chacun des quatre troupeaux,
tant des vaches que des taureaux.
Mais ce sera plus difficile
si se rassemblent sur une île
à part les taureaux noirs et blancs
pour former un carré aux flancs
égaux, tous aussi longs que larges,
comme une armée avant la charge,
et si, en prime, je t'apprends
que le vaste rassemblement
sur une grande île isolée
des taureaux au cuir pommelé
et des taureaux jaunes patients
forme un troupeau à trois saillants
pourvus de trois flancs identiques
derrière son chef unique.
Volkodave se tut. Un instant, Pétrel sentit la température grimper encore, comme si l'humeur du démon était portée à ébullition. De la sueur perla à son propre front. Sa vie dépendait désormais de la sagacité du démon, ou de la difficulté du problème. L'énigme de Volkodave transcendait toutes les énigmes des légendes. L'adolescent n'avait pas la plus petite idée de la réponse au problème des troupeaux de Mithra. Mais l'intelligence des démons était censée être sans borne.
La voix du gigantesque démon éclata:
— Je vous la réciterai : sept, sept, six, nul, deux, sept, un, quatre, nul, six, quatre...
Volkodave gloussa et prit la main de Pétrel.
— Venez, mon maître. Je crois qu'il a trouvé la réponse. Nous reviendrons quand il aura fini de la dire.
Pétrel se rendit compte que l'eau montait, submergeant la berge ainsi que son tapis rouge et spongieux. Volkodave le ramenait vers l'endroit où ils avaient laissé leur barque.
— C'est comme ça que tu nous sauves? protesta l'adolescent, peu enclin à revenir dans la bouche du démon géant pour mettre sa vie en jeu.
— Il lui faudra une éternité d'éternités pour tout réciter. Sauf erreur, un trillion de trillions de trillions de trillions... et ainsi de suite onze mille fois environ... de trillions d'années. La réponse à cette énigme est un très grand chiffre.
Il ne restait plus qu'un étroit espace entre les crocs du démon et les eaux de la Lente. Leur barque s'était dégagée de la gencive et flottait désormais à deux ou trois brasses de la muraille blanche. Volkodave bondit soudain, fendant l'air avec une force que les Aériens lui auraient enviée. En atterrissant dans la barque, il s'empara des rames et revint cueillir Pétrel au moment même où la Lente submergeait la base des dents géantes. Bientôt, ils pourraient s'échapper par une brèche entre les dents et retrouver Jacquet.
— Ah! fit Pétrel. Mais qu'est-ce qu'un trillion?
— Où sommes-nous? demanda l'adolescent.
— Et où allons-nous? lui fit écho l'homme-loup, avec une pointe de moquerie dans la voix. Voyons, mon maître, nous ne serons jamais tout à fait perdus sur la Lente tant que le courant nous dira dans quelles directions se trouvent l'amont et l'aval.
— Mais nous ne bougeons plus! s'écria Pétrel.
Le mercenaire trempa sa main dans l'eau, puis la retira. Pétrel ne put lire l'expression de ses yeux, que la brume rendait indistincts, mais sa perplexité s'entendit dans sa voix:
— Tu as raison, comme si nous étions arrivés dans une anse ou une crique... Essayons de ramer un peu au hasard.
Quelques instants plus tard, l'étrave de la barque s'enfonça dans un sol meuble. La berge était tapissée d'algues rouges et capitonnées; Volkodave sortit son épée pour piquer ce tapis végétal. Aussitôt, l'eau de la Lente clapota, des vaguelettes ballottant leur barque. Un mugissement lointain secoua l'air.
— Je n'aime pas ça, murmura Pétrel, nerveux.
— Explorons un peu. À moins que tu ne tiennes à attendre que le brouillard se lève?
Pétrel se leva et imita son compagnon, qui venait de poser le pied sur la berge. S'accrochant aux algues pour ne pas déraper sur leur surface visqueuse, ils gravirent la pente jusqu'à une étroite corniche, mais sans pouvoir aller plus loin. Ils venaient de se heurter à une gigantesque muraille constituée de grands monolithes blancs plantés dans le sol, collés les uns aux autres sans laisser la place de glisser plus que le bras entre chacun. Ils étaient taillées dans un matériau lisse et nacré, sur lequel les griffes de l'homme-loup dérapaient sans trouver prise. Leurs sommets se perdaient dans la brume.
Pétrel et Volkodave entreprirent de longer la muraille, mais celle-ci ne donnait aucun signe de s'arrêter. Quand une saute de vent dispersa un instant la brume, ils aperçurent enfin l'extrémité supérieure des monolithes. Chacun d'eux s'effilait en montant, se réduisant à une pointe grossière, jaunie et ravinée. La muraille se prolongeait toutefois vers le haut, car une seconde série de monolithes s'encastraient dans les brèches de la première série.
— Devine à quoi je pense, dit soudain Pétrel.
— Oui, je sais, murmura Volkodave. Cela ressemble à s'y méprendre, même si je crains un peu de le dire, à une dentition. Comme si nous avions affaire à quelque créature gigantesque. Vivante ou morte, je ne sais.
— Le plus inquiétant, c'est que je crois que nous sommes à l'intérieur de cette bouche!
Dans un fracas assourdissant, la muraille se disloqua. Un vent soudain balaya la brume et les deux voyageurs purent voir la seconde série de monolithes blancs s'envoler dans les airs. Une voix mugissante s'éleva derrière eux, tandis que l'eau de la petite crique clapotait plus fort que jamais.
— Bien vu, fils d'Océan! Mais ne crains rien; votre séjour sera bref.
— Comment ça?
— Si vous ne répondez pas à l'énigme que je vais vous poser, vous passerez de ma bouche à mes entrailles.
Pétrel déglutit, nerveusement, puis se rendit compte qu'il venait d'anticiper l'action que le gigantesque démon avait évoquée. Avant ce jour, il n'avait jamais songé au sort de la salive qu'il avalait, ou des débris microscopiques qui pouvaient s'y mêler.
— Impossible, répliqua Volkodave avec assurance. La loi est claire, seigneur des démons. Toute réponse à une énigme a un prix. Tout se paie.
— Je vous paierai en vous faisant cadeau de votre vie!
— Mais nous ne sommes pas morts et il n'est pas en votre pouvoir de nous ressusciter. Par conséquent, ce cadeau n'en est pas un, car il ne change rien à notre situation présente.
— Je vous rendrai la liberté si vous répondez, insista le monstre, une note d'incertitude se glissant dans sa voix.
— Peut-on parler d'un paiement s'il ne vous coûte rien, seigneur? Nous capturer a exigé de vous un effort, ne serait-ce qu'en sortant des profondeurs de la Lente. Mais en nous libérant, vous retournerez à votre repos.
— Soit, gronda le monstre en faisant claquer ses dents. Si vous répondez à mon énigme, je vous rendrai la liberté et je vous paierai aussi. Que voulez-vous?
Volkodave se redressa et sa voix enfla, devenant presque aussi forte que celle du géant des eaux :
— Une réponse à ma propre énigme, car la coutume veut qu'on paie avant d'obtenir un bien. Alors...
Dis-moi, démon, si tu es sage
l'exact total au pâturage
des quatre troupeaux de Mithra
que jamais le dieu ne châtra
Tous sur quatre îles de la Lente,
de quatre couleurs différentes,
le premier est blanc comme lait
le second est noir comme jais
l'autre jaune comme les blés
et le dernier tout pommelé
Observe, sagace étranger
que les taureaux blancs dénombrés
sont la demie et le tiers
des beaux taureaux noirs et fiers,
ensemble avec tous les taureaux
jaunes dignes de grands héros,
tandis que le chiffre des noirs
égale, matin comme soir,
le quart avec le cinquième
des taureaux pommelés eux-mêmes
ensemble avec les gras et jaunes
taureaux de Mithra Tauroctone.
Quant aux grands taureaux pommelés,
aux terribles cornes meulées,
ils égalent la sixième
part des blancs à la septième
ajoutée, puis comptés aussi
ensemble avec les flancs roussis
des taureaux les moins combatifs,
jaunes de robe et peu rétifs.
Puis, des vaches et des génisses,
gentilles bêtes au front lisse,
vois que les blanches dénombrées
sans qu'une seule en soit sabrée
sont le tiers avec le quart
de tout le troupeau au poil noir,
tandis que les noires comptées
égalent le quart ajouté
au cinquième du troupeau
pommelé, vaches et taureaux.
Quant à ces vaches pommelées,
une fois du troupeau démêlées,
elles sont égales aussi
à la cinquième partie
avec la sixième en plus
de ce nombre total voulu
des animaux jaunes et gras
paissant dans les champs de Mithra.
Enfin, il faudrait que tu saches
que le nombre des jaunes vaches
prend une sixième part
et une septième part
aussi du troupeau au poil blanc
pour en compter l'équivalent
Si tu as tout bien compris,
et soupesé de ton esprit,
tu sauras, démon, me trouver
aisément le nombre élevé
de chacun des quatre troupeaux,
tant des vaches que des taureaux.
Mais ce sera plus difficile
si se rassemblent sur une île
à part les taureaux noirs et blancs
pour former un carré aux flancs
égaux, tous aussi longs que larges,
comme une armée avant la charge,
et si, en prime, je t'apprends
que le vaste rassemblement
sur une grande île isolée
des taureaux au cuir pommelé
et des taureaux jaunes patients
forme un troupeau à trois saillants
pourvus de trois flancs identiques
derrière son chef unique.
Volkodave se tut. Un instant, Pétrel sentit la température grimper encore, comme si l'humeur du démon était portée à ébullition. De la sueur perla à son propre front. Sa vie dépendait désormais de la sagacité du démon, ou de la difficulté du problème. L'énigme de Volkodave transcendait toutes les énigmes des légendes. L'adolescent n'avait pas la plus petite idée de la réponse au problème des troupeaux de Mithra. Mais l'intelligence des démons était censée être sans borne.
La voix du gigantesque démon éclata:
— Je vous la réciterai : sept, sept, six, nul, deux, sept, un, quatre, nul, six, quatre...
Volkodave gloussa et prit la main de Pétrel.
— Venez, mon maître. Je crois qu'il a trouvé la réponse. Nous reviendrons quand il aura fini de la dire.
Pétrel se rendit compte que l'eau montait, submergeant la berge ainsi que son tapis rouge et spongieux. Volkodave le ramenait vers l'endroit où ils avaient laissé leur barque.
— C'est comme ça que tu nous sauves? protesta l'adolescent, peu enclin à revenir dans la bouche du démon géant pour mettre sa vie en jeu.
— Il lui faudra une éternité d'éternités pour tout réciter. Sauf erreur, un trillion de trillions de trillions de trillions... et ainsi de suite onze mille fois environ... de trillions d'années. La réponse à cette énigme est un très grand chiffre.
Il ne restait plus qu'un étroit espace entre les crocs du démon et les eaux de la Lente. Leur barque s'était dégagée de la gencive et flottait désormais à deux ou trois brasses de la muraille blanche. Volkodave bondit soudain, fendant l'air avec une force que les Aériens lui auraient enviée. En atterrissant dans la barque, il s'empara des rames et revint cueillir Pétrel au moment même où la Lente submergeait la base des dents géantes. Bientôt, ils pourraient s'échapper par une brèche entre les dents et retrouver Jacquet.
— Ah! fit Pétrel. Mais qu'est-ce qu'un trillion?
Libellés : Prose
2009-01-23
Portraits de famille
Le système solaire reste une abstraction pour la plupart des gens. Hier, quand j'ai mentionné que je prendrais part la semaine prochaine à ce Café Scientifique d'Ottawa, on m'a demandé si Mars était bien la planète la plus proche de la Terre, puisqu'il est question d'y envoyer des explorateurs. Évidemment, la réponse dépend en partie du moment que l'on choisit pour mesurer les distances en cause, mais Vénus est plus proche de la Terre que Mars si on ne considère que les semi-grands axes majeurs des orbites.
Les portraits de famille peuvent aider à se figurer l'ensemble, comme ce poster qui englobe tous les corps connus de 320 km et plus. Les photos prises par Voyager pour composer ce portrait synthétique sont moins utiles, car trop réalistes, ce qui veut dire trop petites. D'autres portraits sont jolis, mais ils ne donnent aucune idée véritable de l'échelle relative des planètes. En cherchant, on trouve heureusement de meilleurs coups d'œil, qu'ils incluent toutes les planètes ou seulement les mondes de second ordre.
Mais le regard n'est pas le seul sens qui peut nous aider à appréhender l'échelle véritable du système solaire. Dans plusieurs parties du monde, on peut se pénétrer de ses dimensions en marchant, tout simplement. Ainsi, l'observatoire de Weikersheim en Allemagne a installé un « Planetenweg » (un des premiers, peut-être, de cette taille) qui reproduit le système solaire à l'échelle du milliardième, sur une distance de 6,5 km, ce qui permet de préserver à la fois les tailles des corps célestes et les intervalles qui les séparent. Il y a une quinzaine d'années, en remontant la Romantische Strasse, j'étais donc parti du Soleil pour me rendre jusqu'à Neptune ou Pluton...
Les portraits de famille peuvent aider à se figurer l'ensemble, comme ce poster qui englobe tous les corps connus de 320 km et plus. Les photos prises par Voyager pour composer ce portrait synthétique sont moins utiles, car trop réalistes, ce qui veut dire trop petites. D'autres portraits sont jolis, mais ils ne donnent aucune idée véritable de l'échelle relative des planètes. En cherchant, on trouve heureusement de meilleurs coups d'œil, qu'ils incluent toutes les planètes ou seulement les mondes de second ordre.
Mais le regard n'est pas le seul sens qui peut nous aider à appréhender l'échelle véritable du système solaire. Dans plusieurs parties du monde, on peut se pénétrer de ses dimensions en marchant, tout simplement. Ainsi, l'observatoire de Weikersheim en Allemagne a installé un « Planetenweg » (un des premiers, peut-être, de cette taille) qui reproduit le système solaire à l'échelle du milliardième, sur une distance de 6,5 km, ce qui permet de préserver à la fois les tailles des corps célestes et les intervalles qui les séparent. Il y a une quinzaine d'années, en remontant la Romantische Strasse, j'étais donc parti du Soleil pour me rendre jusqu'à Neptune ou Pluton...
2009-01-22
La SF en espagnol (1)
Un autre petit tour d'horizon de la science-fiction en espagnol, pour ne plus me limiter à la seule SF latino-américaine. Ailleurs dans la blogosphère, Jacques Fuentealba anime carrément un blogue, Un coin de ciel entre Salem et Midian, qui commence à offrir des billets sur la littérature en espagnol. En Argentine, Martín Cagliani a lancé le blogue des connaissances scientifiques fictives, tandis qu'un autre blogue accueille la revue littéraire Papirando dont le second numéro aura pour thème la science-fiction. Un autre blogue argentin (sauf erreur), La sonriente cocina de Peloncha, est consacré aux nouvelles brèves, de préférence sous la forme de recettes ironiques mais touchant au moins, de près ou de loin, aux travaux domestiques de la bonne ménagère. Les contes mis en-ligne ne sont donc pas nécessairement fantastiques, sauf que...
Toujours en Argentine, la blogosphère comprend aussi Breves no tan breves, dont s'occupe l'infatigable Sergio Gaut vel Hartman, qui y réunit des contes et nouvelles brèves. Mais les nouvelles les plus brèves (de 40 à 149 mots) se retrouvent sur un autre blogue de Gaut vel Hartman, Químicamente impuro. Sans compter les simples clins d'œil du blogue Ráfagas, parpadeos, qui versent autant dans le paradoxe que le bon mot et la simple pensée à retenir. C'est encore Gaut vel Hartman qui annonçait le retour d'une revue consacrée au fantastique, Artifex, cette fois au format PDF uniquement. Pour un petit catalogue d'auteurs argentins de science-fiction et de fantastique, voir ce wiki.
Par contre, c'est au Brésil que la revue Terra Incognita a été mise en orbite — et ses rédacteurs en chef ne semblent pas peu contents de l'année écoulée... mais, du coup, on sort du monde hispanophone.
De même pour le webzine Nova Fantasia, basé en Galice et rédigé en galicien. Tout ce que je connais du galicien, outre ce qu'un hispanophone peut deviner en déchiffrant, c'est la musique (celtique) du groupe galicien Milladoiro, que j'avais découverte en achetant une cassette du groupe il y a plusieurs années. (Était-ce en passant par Saint-Jacques-de-Compostelle en 1990? Était-ce dans une boutique irlandaise deux ou trois ans plus tard?) La suite, une autre fois...
Toujours en Argentine, la blogosphère comprend aussi Breves no tan breves, dont s'occupe l'infatigable Sergio Gaut vel Hartman, qui y réunit des contes et nouvelles brèves. Mais les nouvelles les plus brèves (de 40 à 149 mots) se retrouvent sur un autre blogue de Gaut vel Hartman, Químicamente impuro. Sans compter les simples clins d'œil du blogue Ráfagas, parpadeos, qui versent autant dans le paradoxe que le bon mot et la simple pensée à retenir. C'est encore Gaut vel Hartman qui annonçait le retour d'une revue consacrée au fantastique, Artifex, cette fois au format PDF uniquement. Pour un petit catalogue d'auteurs argentins de science-fiction et de fantastique, voir ce wiki.
Par contre, c'est au Brésil que la revue Terra Incognita a été mise en orbite — et ses rédacteurs en chef ne semblent pas peu contents de l'année écoulée... mais, du coup, on sort du monde hispanophone.
De même pour le webzine Nova Fantasia, basé en Galice et rédigé en galicien. Tout ce que je connais du galicien, outre ce qu'un hispanophone peut deviner en déchiffrant, c'est la musique (celtique) du groupe galicien Milladoiro, que j'avais découverte en achetant une cassette du groupe il y a plusieurs années. (Était-ce en passant par Saint-Jacques-de-Compostelle en 1990? Était-ce dans une boutique irlandaise deux ou trois ans plus tard?) La suite, une autre fois...
Libellés : Espagnol, Science-fiction
2009-01-21
Un homme en colère
Hier, Barack Obama a parlé comme un homme en colère. Non pas comme un homme noir en colère, car, au contraire, s'il avait parlé à ce titre, il aurait peut-être exprimé une certaine satisfaction et un soulagement certain de commencer à exorciser une ancienne malédiction. En fait, le ton de son discours faisait écho à celui de son discours de Denver dont le premier mot avait été proféré avec une indignation tonnante : « Enough! »
Cette fois, il livrait une critique générale des mœurs de son pays : « a collective failure to make hard choices », tout en déplorant l'irresponsabilité et la cupidité de quelques-uns. Quand il lançait « Know this, America! », c'était sur le ton d'un père qui tance un fils prodigue qui doit renoncer aux choses de l'enfance. Un peu paradoxalement, il ordonnait aux Américains d'espérer en un avenir meilleur.
S'il était en colère, on peut le comprendre, car il hérite d'un pays qui va à vau-l'eau. Et il épinglait comme un échec ce dont George W. Bush s'enorgueillissait le plus, celui d'avoir fait des choix difficiles. Mais un choix difficile pour Bush, c'était de sacrifier le sang des autres et de bafouer les lois et les conventions et les paroles données, mais jamais de remettre en cause une idée reçue. Si on se risque à lire dans les pensées d'Obama, on aura l'impression qu'il prévient son peuple que lui refusera de se laisser contraindre par les dogmes de la gauche comme de la droite.
C'est l'orgueil du centriste qui transparaît, mais la question qu'il faut se poser quand un centriste se pose en arbitre des recommandations de plusieurs écoles de pensée, c'est celle de la solidité de la base sur laquelle il se tient. Or, dans le cas de Barack Obama, qui a étudié les sciences politiques et la loi, mais pas nécessairement l'économie, l'histoire, la sociologie ou les sciences, le socle est constitué de certitudes habituelles répandues dans les officines des gens de robe mais pas toujours soumises à l'épreuve de la réalité, hors des cadres institutionnels. Or, ce qui se passe en ce moment dans le monde fait craquer les cadres conventionnels et Obama est presque un énarque à la française, même s'il s'est frotté de plus près à la vie sur le terrain dans les rues de Chicago que beaucoup d'autres. Il n'a ni l'expérience pratique du gouvernement d'un Jean Chrétien ou d'un Franklin Delano Roosevelt ni l'imprégnation intellectuelle fournie par une discipline véritablement rigoureuse.
Que fera-t-il? Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'il nous surprenne, car je crois, un peu comme Thomas Friedman, que l'heure n'est plus aux demi-mesures, mais aux plus radicales, au mépris de ce qui a passé pour le sens commun ces huit dernières années.
Cette fois, il livrait une critique générale des mœurs de son pays : « a collective failure to make hard choices », tout en déplorant l'irresponsabilité et la cupidité de quelques-uns. Quand il lançait « Know this, America! », c'était sur le ton d'un père qui tance un fils prodigue qui doit renoncer aux choses de l'enfance. Un peu paradoxalement, il ordonnait aux Américains d'espérer en un avenir meilleur.
S'il était en colère, on peut le comprendre, car il hérite d'un pays qui va à vau-l'eau. Et il épinglait comme un échec ce dont George W. Bush s'enorgueillissait le plus, celui d'avoir fait des choix difficiles. Mais un choix difficile pour Bush, c'était de sacrifier le sang des autres et de bafouer les lois et les conventions et les paroles données, mais jamais de remettre en cause une idée reçue. Si on se risque à lire dans les pensées d'Obama, on aura l'impression qu'il prévient son peuple que lui refusera de se laisser contraindre par les dogmes de la gauche comme de la droite.
C'est l'orgueil du centriste qui transparaît, mais la question qu'il faut se poser quand un centriste se pose en arbitre des recommandations de plusieurs écoles de pensée, c'est celle de la solidité de la base sur laquelle il se tient. Or, dans le cas de Barack Obama, qui a étudié les sciences politiques et la loi, mais pas nécessairement l'économie, l'histoire, la sociologie ou les sciences, le socle est constitué de certitudes habituelles répandues dans les officines des gens de robe mais pas toujours soumises à l'épreuve de la réalité, hors des cadres institutionnels. Or, ce qui se passe en ce moment dans le monde fait craquer les cadres conventionnels et Obama est presque un énarque à la française, même s'il s'est frotté de plus près à la vie sur le terrain dans les rues de Chicago que beaucoup d'autres. Il n'a ni l'expérience pratique du gouvernement d'un Jean Chrétien ou d'un Franklin Delano Roosevelt ni l'imprégnation intellectuelle fournie par une discipline véritablement rigoureuse.
Que fera-t-il? Tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'il nous surprenne, car je crois, un peu comme Thomas Friedman, que l'heure n'est plus aux demi-mesures, mais aux plus radicales, au mépris de ce qui a passé pour le sens commun ces huit dernières années.
Libellés : États-Unis, Politique
2009-01-20
Café Scientifique à Ottawa
Mardi prochain, le 27 janvier, un Café Scientifique aura lieu à Ottawa au pub Fox and Feather au 283 de la rue Elgin. Le thème de ce bar des sciences (qui se déroulera entièrement en anglais si personne ne vient intervenir en français), ce sera l'exploration de Mars : faudrait-il envoyer des humains ou des robots? J'y serai avec Brian McCullough de la Société royale canadienne d'astronomie et Tim Cole du musée pour introduire le sujet; après, nous compterons sur la participation du public.
Le tout commence à 18h et doit se terminer pour 20h. La description se lit comme suit, en traduction libre :
Faut-il envoyer des humains pour explorer Mars? En juillet 2009, nous célébrerons le quarantième anniversaire de l'alunissage de la mission Apollo 11. De nos jours, on parle plutôt d'une mission martienne. Les ressources et les technologies disponibles aujourd'hui prépareraient beaucoup mieux des explorateurs de Mars que les astronautes d'Apollo l'étaient eux-mêmes. Les facteurs politiques et sociaux rendront-ils possible un jour l'envoi d'une expédition humaine sur la planète rouge? Même si on admet que l'envie d'explorer fait fondamentalement partie de la nature humaine, le voyage jusqu'à Mars nous rembourserait-il des peines et des coûts qu'il exigerait?
La réponse la semaine prochaine.
Le tout commence à 18h et doit se terminer pour 20h. La description se lit comme suit, en traduction libre :
Faut-il envoyer des humains pour explorer Mars? En juillet 2009, nous célébrerons le quarantième anniversaire de l'alunissage de la mission Apollo 11. De nos jours, on parle plutôt d'une mission martienne. Les ressources et les technologies disponibles aujourd'hui prépareraient beaucoup mieux des explorateurs de Mars que les astronautes d'Apollo l'étaient eux-mêmes. Les facteurs politiques et sociaux rendront-ils possible un jour l'envoi d'une expédition humaine sur la planète rouge? Même si on admet que l'envie d'explorer fait fondamentalement partie de la nature humaine, le voyage jusqu'à Mars nous rembourserait-il des peines et des coûts qu'il exigerait?
La réponse la semaine prochaine.
2009-01-19
Questions et débats pour le nouveau siècle
L'importance de l'éducation en France est révélée aussi par l'importance des industries qui l'accompagnent. Combien de papeteries et d'hypermarchés passeraient l'automne sans les achats de cahiers, crayons et autres fournitures pour la rentrée, dès les dernières semaines du mois d'août? (Un des marronniers télévisuels de cette période de l'année...)
Et puis, il y a l'édition, qui comprend nécessairement le petit empire éditorial de L'Étudiant. Parmi les nouveautés, on retrouve un ouvrage réuni par N. Demoutiez et Hervé Macquart, Quels Débats pour le XXIème siècle. Il fait un tour de grandes idées qui peuvent servir à relever l'épreuve d'une rédaction impromptue ou d'une entrevue pour un emploi, un concours, etc.
J'y ai contribué quelques lignes qui apparaissent dans le chapitre 8, « Imaginer le XXIe siècle », dans la section qui porte sur l'exploration spatiale et la terraformation. On doit l'initiative de cette intégration des points de vue de la science-fiction à Lucie Chenu et Pierre Gévart.
L'ouvrage est plus ou moins bien distribué, mais il est aussi disponible sur le site de la FNAC, par exemple, quoique que ce soit sous un autre titre : Les Grandes Questions du XXIème siècle. Étrange mais vrai...
Et puis, il y a l'édition, qui comprend nécessairement le petit empire éditorial de L'Étudiant. Parmi les nouveautés, on retrouve un ouvrage réuni par N. Demoutiez et Hervé Macquart, Quels Débats pour le XXIème siècle. Il fait un tour de grandes idées qui peuvent servir à relever l'épreuve d'une rédaction impromptue ou d'une entrevue pour un emploi, un concours, etc.
J'y ai contribué quelques lignes qui apparaissent dans le chapitre 8, « Imaginer le XXIe siècle », dans la section qui porte sur l'exploration spatiale et la terraformation. On doit l'initiative de cette intégration des points de vue de la science-fiction à Lucie Chenu et Pierre Gévart.
L'ouvrage est plus ou moins bien distribué, mais il est aussi disponible sur le site de la FNAC, par exemple, quoique que ce soit sous un autre titre : Les Grandes Questions du XXIème siècle. Étrange mais vrai...
2009-01-18
L'autisme québécois
En ces temps d'obsessions québécocentriques (le Bye Bye? vraiment?), l'autisme franco-québécois devient plus évident que jamais. Et j'écoute Radio-Canada, et je lis parfois La Presse, en me demandant ce que donneraient les autres médias (TQS et cie)... Puisqu'il paraît que le Bye Bye a fait la une du Journal de Montréal, et plus d'une fois, je crois connaître la réponse : toujours plus de nombrilisme, toujours moins d'ouverture à ce qui n'est pas le point de vue consensuel des boomers blancs d'origine canadienne-française du Québec, plus ou moins nationalistes. (Stephen Harper aurait fait beaucoup plus mal s'il avait reproché à la culture québécoise non sa fréquentation de galas, mais sa capacité à ressasser sans cesse le passé, du Déserteur à Polytechnique, tout en mordant comme Falardeau la main qui la nourrit.)
Les autres médias canadiens ne sont pas toujours d'un niveau beaucoup plus élevé, mais on aura au moins l'impression de se trouver dans une Amérique du Nord qui est plus grande que la vallée du Saint-Laurent, même si elle ne descend pas au sud du Rio Grande. La seule bouffée d'air frais au Québec vient de l'ouverture sur la France et, dans une moindre mesure, sur la Belgique, tandis que le Canada anglophone reste ouvert sur les actualités de la Grande-Bretagne (mais beaucoup moins de l'Irlande, curieusement).
En tout cas, si je suis obligé de regarder à Ottawa des émissions québécoises largement subventionnées par le reste du Canada, j'aimerais au moins que les points de vue du reste du Canada et de la francophonie hors-Québec ne soient pas systématiquement exclus. Prenons Le Club des Ex de RDI; longtemps, l'émission a roulé avec trois ex-politiciens québécois. Plus récemment, elle a commencé à inclure Benoît Bouchard pour les commentaires sur la politique fédérale et pour avoir un point de vue un peu plus à droite. Donc, quatre politiciens québécois, et pas un franco-ontarien ou acadien, voire une francophile hors-Québec comme Sheila Copps. Or, de temps en temps, on entendrait peut-être dire que, non, le Québec n'est pas toujours la province la plus désavantagée de la fédération.
Hier, la radio de Radio-Canada voulait se pencher sur la concentration montréalaise des non-francophones qui se traduit aujourd'hui par la minorisation des Québécois d'origine canadienne-française. Outre les débats de démographes et les manipulations de Castonguay (qui exploite sans vergogne une variable dérivée comme la force d'attraction d'une langue pour se suspendre sans cesse à la sonnette d'alarme), on retiendra que Radio-Canada n'avait convoqué ni Québécois non-francophones ni Québécois immigrés pour intervenir. Au lieu de poser des questions sur, mettons, le manque de promotion sociale et financière des immigrants qui leur permettrait d'investir aussi les banlieues, sur le refus de la majorité d'intégrer convenablement les minorités pour les attirer vers le français ou sur la fuite des francophones (si on peut parler de « white flight » aux États-Unis, pourquoi pas au Québec?) dans les banlieues de la couronne montréalaise, on était condamné avec Gérald Larose à se replonger dans les vieilles lunes souverainistes. Comme si l'indépendance du Québec éloignerait d'un centimètre le Québec du reste de l'Amérique du Nord. (En souhaitant évidemment que la logique indépendantiste n'aille pas jusqu'à la reconduite à la frontière des non-francophones ou aux tests de citoyenneté qui hantent de toute évidence quelques cervelles nationalistes plus ou moins racornies.)
En attendant que les indépendantistes trouvent le moyen de remorquer le Québec au plein milieu de l'Atlantique, je continuerai à souhaiter pour la nouvelle année quelques points de vue différents de plus dans les médias québécois.
Les autres médias canadiens ne sont pas toujours d'un niveau beaucoup plus élevé, mais on aura au moins l'impression de se trouver dans une Amérique du Nord qui est plus grande que la vallée du Saint-Laurent, même si elle ne descend pas au sud du Rio Grande. La seule bouffée d'air frais au Québec vient de l'ouverture sur la France et, dans une moindre mesure, sur la Belgique, tandis que le Canada anglophone reste ouvert sur les actualités de la Grande-Bretagne (mais beaucoup moins de l'Irlande, curieusement).
En tout cas, si je suis obligé de regarder à Ottawa des émissions québécoises largement subventionnées par le reste du Canada, j'aimerais au moins que les points de vue du reste du Canada et de la francophonie hors-Québec ne soient pas systématiquement exclus. Prenons Le Club des Ex de RDI; longtemps, l'émission a roulé avec trois ex-politiciens québécois. Plus récemment, elle a commencé à inclure Benoît Bouchard pour les commentaires sur la politique fédérale et pour avoir un point de vue un peu plus à droite. Donc, quatre politiciens québécois, et pas un franco-ontarien ou acadien, voire une francophile hors-Québec comme Sheila Copps. Or, de temps en temps, on entendrait peut-être dire que, non, le Québec n'est pas toujours la province la plus désavantagée de la fédération.
Hier, la radio de Radio-Canada voulait se pencher sur la concentration montréalaise des non-francophones qui se traduit aujourd'hui par la minorisation des Québécois d'origine canadienne-française. Outre les débats de démographes et les manipulations de Castonguay (qui exploite sans vergogne une variable dérivée comme la force d'attraction d'une langue pour se suspendre sans cesse à la sonnette d'alarme), on retiendra que Radio-Canada n'avait convoqué ni Québécois non-francophones ni Québécois immigrés pour intervenir. Au lieu de poser des questions sur, mettons, le manque de promotion sociale et financière des immigrants qui leur permettrait d'investir aussi les banlieues, sur le refus de la majorité d'intégrer convenablement les minorités pour les attirer vers le français ou sur la fuite des francophones (si on peut parler de « white flight » aux États-Unis, pourquoi pas au Québec?) dans les banlieues de la couronne montréalaise, on était condamné avec Gérald Larose à se replonger dans les vieilles lunes souverainistes. Comme si l'indépendance du Québec éloignerait d'un centimètre le Québec du reste de l'Amérique du Nord. (En souhaitant évidemment que la logique indépendantiste n'aille pas jusqu'à la reconduite à la frontière des non-francophones ou aux tests de citoyenneté qui hantent de toute évidence quelques cervelles nationalistes plus ou moins racornies.)
En attendant que les indépendantistes trouvent le moyen de remorquer le Québec au plein milieu de l'Atlantique, je continuerai à souhaiter pour la nouvelle année quelques points de vue différents de plus dans les médias québécois.
2009-01-17
Un cas curieux de film fantastique
J'ai effleuré certaines des critiques du film The Curious Case of Benjamin Button (très vaguement inspiré d'une nouvelle éponyme de F. Scott Fitzgerald en 1921) et il me semble que fort peu de critiques ont souligné qu'il s'agissait de réalisme magique. Pourtant, le film ne se cache pas : le récit principal repose sur deux contes dont la véracité dépend de la foi accordée aux conteurs respectifs. D'une part, une vieille femme à l'agonie dans un hôpital de la Nouvelle-Orléans relate l'histoire d'un horloger de cette ville qui a orné la gare d'une horloge dont les aiguilles tournent à l'envers; d'autre part, un journal autobiographique rapporte la vie inversée de Benjamin, né vieux, à l'article de la mort, puis abandonné sur les marches d'un hospice pour personnes âgées où il va grandir et donc commencer à rajeunir. L'élément fantastique repose sur le lien implicite établi entre les deux histoires, suggérant que la vie inversée de Benjamin est liée à cette horloge à rebours, et sur le phénomène plus qu'improbable du rajeunissement du protagoniste, défiant l'entropie. Que ce phénomène ne suscite pas plus de commentaires de la part des témoins et des proches relève aussi du fantastique.
L'idée avait aussi été exploitée par Pierre Daninos dans Les Carnets du Bon Dieu en 1947, mais, selon mes souvenirs du roman (plus que vagues, au demeurant), Daninos s'intéressait beaucoup plus aux épiphénomènes de la culture des jeunes de son époque, se servant du rajeunissement du personnage pour lui faire découvrir cette culture. Mais je pourrais me tromper, cela fait longtemps...
Le film est une demi-réussite, dirais-je. Le scénario opte parfois pour des échappatoires : ainsi, Benjamin ne se souvient plus de sa Daisy quand il devient enfant. Plusieurs épisodes forcent la crédulité dans ses derniers retranchements, car un peu trop ouvertement pittoresques, mais une émotion réelle finit par se dégager de l'ensemble. C'est une fresque du vingtième siècle que le film offre, mais par le petit bout de la lorgnette.
J'ai l'impression que le film parlera tout particulièrement aux plus de quarante ans, que la déchéance physique et le terme de la vie interpellent de plus en plus. Ce que le film suggère, c'est qu'en fin de compte, la déchéance physique est moins importante que le terme fixé à nos jours. En un sens, le film explore (un peu) une hypothèse science-fictive : à quoi ressembleraient nos vies si la mortalité s'accompagnait d'un rajeunissement de nos corps et non de la dégénérescence de la chair. Et la réponse implicite, outre les symétries parfois frappantes entre l'enfance et la seconde enfance, c'est que la mortalité importe plus que l'état du corps. Benjamin voit ses proches vieillir et mourir, mais lui-même meurt à son tour, entre les bras de la femme qui l'a aimé. Il n'est plus qu'un bébé, mais il disparaît lui aussi.
C'est ce qui rend la fable émouvante — et qui explique pourquoi l'idée de départ s'avère un peu vaine, en fin de compte. Benjamin Button ne s'est pas affranchi du temps, en fin de compte.
L'idée avait aussi été exploitée par Pierre Daninos dans Les Carnets du Bon Dieu en 1947, mais, selon mes souvenirs du roman (plus que vagues, au demeurant), Daninos s'intéressait beaucoup plus aux épiphénomènes de la culture des jeunes de son époque, se servant du rajeunissement du personnage pour lui faire découvrir cette culture. Mais je pourrais me tromper, cela fait longtemps...
Le film est une demi-réussite, dirais-je. Le scénario opte parfois pour des échappatoires : ainsi, Benjamin ne se souvient plus de sa Daisy quand il devient enfant. Plusieurs épisodes forcent la crédulité dans ses derniers retranchements, car un peu trop ouvertement pittoresques, mais une émotion réelle finit par se dégager de l'ensemble. C'est une fresque du vingtième siècle que le film offre, mais par le petit bout de la lorgnette.
J'ai l'impression que le film parlera tout particulièrement aux plus de quarante ans, que la déchéance physique et le terme de la vie interpellent de plus en plus. Ce que le film suggère, c'est qu'en fin de compte, la déchéance physique est moins importante que le terme fixé à nos jours. En un sens, le film explore (un peu) une hypothèse science-fictive : à quoi ressembleraient nos vies si la mortalité s'accompagnait d'un rajeunissement de nos corps et non de la dégénérescence de la chair. Et la réponse implicite, outre les symétries parfois frappantes entre l'enfance et la seconde enfance, c'est que la mortalité importe plus que l'état du corps. Benjamin voit ses proches vieillir et mourir, mais lui-même meurt à son tour, entre les bras de la femme qui l'a aimé. Il n'est plus qu'un bébé, mais il disparaît lui aussi.
C'est ce qui rend la fable émouvante — et qui explique pourquoi l'idée de départ s'avère un peu vaine, en fin de compte. Benjamin Button ne s'est pas affranchi du temps, en fin de compte.
Libellés : Fantastique, Films
2009-01-16
L'écologie des accotements
« The road goes ever on », a écrit Tolkien dans The Lord of the Rings.
Même aux États-Unis, ce n'est pas tout à fait le cas, mais il y a quand même six millions de kilomètres de routes. (À une vitesse moyenne de 80 km/h, il faudrait pratiquement neuf ans pour toutes les parcourir en roulant nuit et jour, sans jamais s'arrêter...) Dans Assessing and Managing the Ecological Impact of Paved Roads (2005), on apprend comment ces routes pavées affectent l'écoulement des eaux, la qualité de l'air et de l'eau justement, modifient les habitats sauvages, massacrent les espèces animales qui tombent sous les roues des véhicules, répandent des espèces exotiques et dérangent les migrations de la faune. Parfois, elles créent aussi de nouvelles niches pour la faune et la flore, mais l'effet majeur est loin d'être positif. La pollution (particules et produits chimiques) peut s'étendre jusqu'à 100 ou 200 mètres d'une chaussée. Le bruit peut effrayer les animaux de passage jusqu'à 1500 mètres. Ces effets en cascade peuvent réduire la biodiversité jusqu'à 2 km d'une voie passante. Du coup, si on multiplie la longueur totale des routes par ce rayon, on obtient grosso modo quelque chose comme la surface totale des États-Unis affectée par les routes ; en ignorant les chevauchements, c'est de l'ordre de 24 millions de kilomètres carrés... Comme le pays n'est pas aussi grand, on voit tout de suite que cet impact doit être majeur, même s'il faut réviser le chiffre à la baisse.
En fait, c'est moins de la moitié d'un centième de la superficie totale des États-Unis qui est recouverte par des routes, mais ceci ne tient pas compte de tout ce qui dépasse les accotements.
En tout cas, la recommandation primordiale de ce rapport mérite d'être citée in extenso, car elle prend un relief additionnel dans le contexte des grands travaux d'infrastructure qu'on nous promet cette année afin de lutter contre la déprime économique :
« CONCLUSION: Most road projects today involve modifications to existing roadways, and the planning, operation, and maintenance of such projects often are opportunities for improving ecological conditions. A growing body of information describes such practices for improving aquatic and terrestrial habitats. »
« Recommendation: The many opportunities that arise for mitigating or reducing adverse environmental impacts in modifications and repairs to existing roads should not be overlooked. Environmental considerations should be included when plans are made to repair or modify existing roads, as well as when plans are made to build new roads. »
En effet, ce serait bête de se priver de l'occasion de modérer l'impact des routes sur l'environnement puisque l'occasion se présente de corriger le tir. Malheureusement, on entend déjà des voix s'élever pour écarter les études d'impacts environnementaux pour accélérer la mise en œuvre de ces projets. Suspense...
Même aux États-Unis, ce n'est pas tout à fait le cas, mais il y a quand même six millions de kilomètres de routes. (À une vitesse moyenne de 80 km/h, il faudrait pratiquement neuf ans pour toutes les parcourir en roulant nuit et jour, sans jamais s'arrêter...) Dans Assessing and Managing the Ecological Impact of Paved Roads (2005), on apprend comment ces routes pavées affectent l'écoulement des eaux, la qualité de l'air et de l'eau justement, modifient les habitats sauvages, massacrent les espèces animales qui tombent sous les roues des véhicules, répandent des espèces exotiques et dérangent les migrations de la faune. Parfois, elles créent aussi de nouvelles niches pour la faune et la flore, mais l'effet majeur est loin d'être positif. La pollution (particules et produits chimiques) peut s'étendre jusqu'à 100 ou 200 mètres d'une chaussée. Le bruit peut effrayer les animaux de passage jusqu'à 1500 mètres. Ces effets en cascade peuvent réduire la biodiversité jusqu'à 2 km d'une voie passante. Du coup, si on multiplie la longueur totale des routes par ce rayon, on obtient grosso modo quelque chose comme la surface totale des États-Unis affectée par les routes ; en ignorant les chevauchements, c'est de l'ordre de 24 millions de kilomètres carrés... Comme le pays n'est pas aussi grand, on voit tout de suite que cet impact doit être majeur, même s'il faut réviser le chiffre à la baisse.
En fait, c'est moins de la moitié d'un centième de la superficie totale des États-Unis qui est recouverte par des routes, mais ceci ne tient pas compte de tout ce qui dépasse les accotements.
En tout cas, la recommandation primordiale de ce rapport mérite d'être citée in extenso, car elle prend un relief additionnel dans le contexte des grands travaux d'infrastructure qu'on nous promet cette année afin de lutter contre la déprime économique :
« CONCLUSION: Most road projects today involve modifications to existing roadways, and the planning, operation, and maintenance of such projects often are opportunities for improving ecological conditions. A growing body of information describes such practices for improving aquatic and terrestrial habitats. »
« Recommendation: The many opportunities that arise for mitigating or reducing adverse environmental impacts in modifications and repairs to existing roads should not be overlooked. Environmental considerations should be included when plans are made to repair or modify existing roads, as well as when plans are made to build new roads. »
En effet, ce serait bête de se priver de l'occasion de modérer l'impact des routes sur l'environnement puisque l'occasion se présente de corriger le tir. Malheureusement, on entend déjà des voix s'élever pour écarter les études d'impacts environnementaux pour accélérer la mise en œuvre de ces projets. Suspense...
Libellés : Environnement
2009-01-15
La présidence d'Al Gore
George W. Bush inspire non seulement les utopies, comme celle de Gans que je mentionnais l'autre jour, mais aussi les uchronies.
Dans The Guardian, T. A. Frank s'est amusé à imaginer ce qui serait arrivé depuis 2000 si Gore avait obtenu la présidence. C'est d'un humour un peu facile, mais on est bien obligé de rire si on ne veut pas pleurer. Le même gag uchronique avait déjà été réalisé deux ans plus tôt avec Gore lui-même en ouverture de Saturday Night Live; ce blogue semble offrir le clip vidéo de la séquence, en plus d'inclure la retranscription du discours à la nation du président Gore.
Quand j'avais vu pour la première fois le film d'Al Gore, An Inconvenient Truth, j'avais également été ému par le destin d'Al Gore, qui avait raison, qui avait la passion, qui avait les votes... mais qui n'a pas eu la présidence. Sans doute qu'il n'aurait pas évité toutes les erreurs et empêché tous les désastres accumulés durant les années Bush, mais...
Mais qu'on aurait aimé le voir essayer!
Dans The Guardian, T. A. Frank s'est amusé à imaginer ce qui serait arrivé depuis 2000 si Gore avait obtenu la présidence. C'est d'un humour un peu facile, mais on est bien obligé de rire si on ne veut pas pleurer. Le même gag uchronique avait déjà été réalisé deux ans plus tôt avec Gore lui-même en ouverture de Saturday Night Live; ce blogue semble offrir le clip vidéo de la séquence, en plus d'inclure la retranscription du discours à la nation du président Gore.
Quand j'avais vu pour la première fois le film d'Al Gore, An Inconvenient Truth, j'avais également été ému par le destin d'Al Gore, qui avait raison, qui avait la passion, qui avait les votes... mais qui n'a pas eu la présidence. Sans doute qu'il n'aurait pas évité toutes les erreurs et empêché tous les désastres accumulés durant les années Bush, mais...
Mais qu'on aurait aimé le voir essayer!
Libellés : États-Unis, Politique
2009-01-14
Hier soir, un sapin vagabond...
Ce soir, les rafales l'ont couché dans la rue,
triste sapin coupé pour être du décor
le matin de Noël, brillant de tous ses ors,
festonné de glaçons et de souhaits émus
L'an neuf l'a condamné : l'arbre mort est exclus,
jeté dans la neige au bord d'un trottoir dehors,
saisi, ramassé, traîné par un vent du nord,
puis laissé sur la chaussée où je l'ai vu
Les autos l'évitaient quand je l'ai retiré
de la voie qu'il bloquait, comme j'aurais tiré
d'une eau blanche un homme porté jusqu'à la chute
Mais l'arbre sacrifié vif pour le solstice
a ranimé les jours et achevé sa lutte,
se rejetant à la rue pour qu'on en finisse
triste sapin coupé pour être du décor
le matin de Noël, brillant de tous ses ors,
festonné de glaçons et de souhaits émus
L'an neuf l'a condamné : l'arbre mort est exclus,
jeté dans la neige au bord d'un trottoir dehors,
saisi, ramassé, traîné par un vent du nord,
puis laissé sur la chaussée où je l'ai vu
Les autos l'évitaient quand je l'ai retiré
de la voie qu'il bloquait, comme j'aurais tiré
d'une eau blanche un homme porté jusqu'à la chute
Mais l'arbre sacrifié vif pour le solstice
a ranimé les jours et achevé sa lutte,
se rejetant à la rue pour qu'on en finisse
Libellés : Poème
2009-01-13
Prévoir le futur
« Le temps, le temps... » chantait Aznavour, inoubliable. Et il ne parlait pas des froids qu'on nous promet pour les prochains jours.
On lutte tous contre le temps qui passe, mais ni rien ni personne ne gagne à la fin. Néanmoins, si on pense à sur le long terme, on pèse sur la marche des événements pour longtemps et on peut considérer qu'on gagne un surcroît d'existence dans l'avenir. Revenir à une saine appréciation du temps long, c'est un peu l'idéal de la Fondation du Long Now, qui voudrait sortir de la bulle du présent dont parlait Sylvie Denis à l'aube de ce siècle. Maintenant qu'on a liquidé la bulle techno, puis la bulle mobilière et maintenant la bulle financière, il serait temps de faire éclater la bulle de présent qui obnubile une génération lyrique vieillissante et bâillonne ceux qui croient que le futur pourrait être différent, sera différent et peut être rendu différent.
De fait, la pensée du futur commence à esquisser un timide retour. Parfois, on a la nostalgie des futurs du passé. Bernard Cazes a sorti l'an dernier une nouvelle édition de son Histoire des futurs, parue en 1985 pour la première fois. Eric Orchard vient de lancer un blogue sur les futurs des anciennes fictions futuristes; pour l'instant, Meta Chronicles ne compte qu'un billet, toutefois. Et puis, il y a le blogue des futurs que l'on espérait hier et qui n'ont jamais été réalisés. (Ces deux blogues sont dans les liens de gauche.)
L'utopie aussi renaît : aux États-Unis, le professeur Herbert J. Gans a voulu imaginer l'Amérique de 2033, reconstruite et améliorée après les désastreuses années Bush, dans Imagining America in 2033.
La catastrophe guette aussi. En 2007, les académies nationales des États-Unis publiaient un essai prémonitoire sur la situation compétitive en sciences et en génie de ce pays, Is America Falling Off the Flat Earth?, qui confirme en un sens que j'ai toujours eu raison de croire que la mondialisation était loin de se faire à sens unique comme on l'entendait dans certains cercles gauchistes. Et, en décembre dernier, le service géologique du gouvernement des États-Unis publiait un gros rapport sur les risques de changement brutal du climat planétaire, Abrupt Climate Change. La table des matières a de quoi stimuler tous les auteurs de romans post-apocalyptiques puisqu'elle va de la montée rapide des mers à une éruption de méthane, en passant par les changements de précipitations (sécheresses, inondations) et l'affaiblissement des grands courants marins de l'Atlantique, dont le Gulf Stream...
On lutte tous contre le temps qui passe, mais ni rien ni personne ne gagne à la fin. Néanmoins, si on pense à sur le long terme, on pèse sur la marche des événements pour longtemps et on peut considérer qu'on gagne un surcroît d'existence dans l'avenir. Revenir à une saine appréciation du temps long, c'est un peu l'idéal de la Fondation du Long Now, qui voudrait sortir de la bulle du présent dont parlait Sylvie Denis à l'aube de ce siècle. Maintenant qu'on a liquidé la bulle techno, puis la bulle mobilière et maintenant la bulle financière, il serait temps de faire éclater la bulle de présent qui obnubile une génération lyrique vieillissante et bâillonne ceux qui croient que le futur pourrait être différent, sera différent et peut être rendu différent.
De fait, la pensée du futur commence à esquisser un timide retour. Parfois, on a la nostalgie des futurs du passé. Bernard Cazes a sorti l'an dernier une nouvelle édition de son Histoire des futurs, parue en 1985 pour la première fois. Eric Orchard vient de lancer un blogue sur les futurs des anciennes fictions futuristes; pour l'instant, Meta Chronicles ne compte qu'un billet, toutefois. Et puis, il y a le blogue des futurs que l'on espérait hier et qui n'ont jamais été réalisés. (Ces deux blogues sont dans les liens de gauche.)
L'utopie aussi renaît : aux États-Unis, le professeur Herbert J. Gans a voulu imaginer l'Amérique de 2033, reconstruite et améliorée après les désastreuses années Bush, dans Imagining America in 2033.
La catastrophe guette aussi. En 2007, les académies nationales des États-Unis publiaient un essai prémonitoire sur la situation compétitive en sciences et en génie de ce pays, Is America Falling Off the Flat Earth?, qui confirme en un sens que j'ai toujours eu raison de croire que la mondialisation était loin de se faire à sens unique comme on l'entendait dans certains cercles gauchistes. Et, en décembre dernier, le service géologique du gouvernement des États-Unis publiait un gros rapport sur les risques de changement brutal du climat planétaire, Abrupt Climate Change. La table des matières a de quoi stimuler tous les auteurs de romans post-apocalyptiques puisqu'elle va de la montée rapide des mers à une éruption de méthane, en passant par les changements de précipitations (sécheresses, inondations) et l'affaiblissement des grands courants marins de l'Atlantique, dont le Gulf Stream...
Libellés : Futurisme
2009-01-12
Mon plan de paix
Maintenant que je peux souffler un peu après avoir donné un grand coup de collier sur un livre, je peux rattraper mes retards dans d'autres domaines. Tiens, commençons donc par résoudre les problèmes du Proche-Orient...
Dans le cas de la Palestine, je partirais du principe qu'au lieu d'aller de l'avant, il faut parfois reculer pour se rendre où on veut se rendre. Le but étant plus ou moins consensuel, celui de deux États établis sur un même territoire, le problème qui reste, c'est celui des moyens à prendre. Les diplomates ont souvent tenté, je crois, de fonctionner avec une feuille de route qui fixe les étapes à enchaîner en assortissant de conditions le passage à l'étape suivante.
Il me semble qu'il faudrait prendre le problème par l'autre bout pour éclairer ce qui manque. Ces deux États seront dotés de constitutions : par conséquent, on pourrait commencer par rédiger le brouillon de ces constitutions pour éliminer, ou au moins illuminer, les motifs de différends, comme la question des frontières.
Ensuite, mettons que ces futures constitutions devront être approuvées par les populations respectives. L'approbation des représentants élus pourrait suffire, mais la situation sera certainement plus claire et la légitimité des résultats plus grande si on sollicite l'avis des gens.
L'exercice d'un plébiscite ou d'un référendum obligerait aussi les populations à se prononcer et, ce faisant, à prendre conscience de l'avis des majorités respectives.
En ce moment, on achoppe sur les conditions d'un accord de paix définitif et l'adoption des cadres appropriés à un état de paix reste éloigné. Ce qu'il faudrait faire, à mon avis, c'est habituer les populations de chaque bord à ce qu'il faudrait faire pour avoir la paix. L'humain est un primate; il apprend par imitation, socialisation, accoutumance... En montant des projets-pilotes, des répétitions générales et des plébiscites purement consultatifs, on aurait peut-être une chance de dédramatiser ce qui effraie encore et de mettre les uns et les autres sur la voie de la paix.
Comme rien d'autre n'a vraiment fonctionné, je propose cette idée sans la moindre hésitation.
Dans le cas de la Palestine, je partirais du principe qu'au lieu d'aller de l'avant, il faut parfois reculer pour se rendre où on veut se rendre. Le but étant plus ou moins consensuel, celui de deux États établis sur un même territoire, le problème qui reste, c'est celui des moyens à prendre. Les diplomates ont souvent tenté, je crois, de fonctionner avec une feuille de route qui fixe les étapes à enchaîner en assortissant de conditions le passage à l'étape suivante.
Il me semble qu'il faudrait prendre le problème par l'autre bout pour éclairer ce qui manque. Ces deux États seront dotés de constitutions : par conséquent, on pourrait commencer par rédiger le brouillon de ces constitutions pour éliminer, ou au moins illuminer, les motifs de différends, comme la question des frontières.
Ensuite, mettons que ces futures constitutions devront être approuvées par les populations respectives. L'approbation des représentants élus pourrait suffire, mais la situation sera certainement plus claire et la légitimité des résultats plus grande si on sollicite l'avis des gens.
L'exercice d'un plébiscite ou d'un référendum obligerait aussi les populations à se prononcer et, ce faisant, à prendre conscience de l'avis des majorités respectives.
En ce moment, on achoppe sur les conditions d'un accord de paix définitif et l'adoption des cadres appropriés à un état de paix reste éloigné. Ce qu'il faudrait faire, à mon avis, c'est habituer les populations de chaque bord à ce qu'il faudrait faire pour avoir la paix. L'humain est un primate; il apprend par imitation, socialisation, accoutumance... En montant des projets-pilotes, des répétitions générales et des plébiscites purement consultatifs, on aurait peut-être une chance de dédramatiser ce qui effraie encore et de mettre les uns et les autres sur la voie de la paix.
Comme rien d'autre n'a vraiment fonctionné, je propose cette idée sans la moindre hésitation.
2009-01-11
Pour défendre la langue française
Comme en témoigne ce billet tout récent d'un auteur néo-calédonien sur son blogue, l'Association pour la sauvegarde et l'expansion de la langue française (ASSELAF) est en train de faire sa promotion puisque j'ai reçu (moi aussi?) un courriel de leur part. Comme l'Association n'accepte que les paiements en euros par chèque postal ou bancaire, je n'ai pas l'intention d'adhérer.
Mais comme le site exprime des réserves face à la réforme de l'orthographe, j'avoue avoir un petit préjugé sympathique en faveur de cette association. La nouvelle orthographe s'est voulue si ambitieuse qu'elle finit par casser les pieds aux professionnels de la langue. Oui, la réforme des traits d'union, des pluriels parfois bien arbitraires dans les noms composés et des accents aigus parfaitement remplaçables par des accents graves s'imposait sans doute. Mais la plupart des autres changements étaient loin d'avoir ce caractère d'évidence.
Le problème est le suivant : si une difficulté de la langue française imposait à l'écrasante majorité des usagers de consulter le dictionnaire, modifier la solution de cette difficulté n'entraîne aucune perte de temps additionnelle. Par contre, si on se met à changer des règles et des graphies qui ne posait aucune difficulté à une majorité ou une minorité appréciable d'usagers, on crée une incertitude nouvelle qui les oblige à consulter les sources jusqu'à ce qu'ils ou elles aient appris la nouvelle norme. Ce qui, répercuté sur des centaines de milliers de personnes qui écrivent tous les jours, voire des millions, crée une perte de temps notable.
Peut-être qu'en fin de compte, la langue française s'en portera mieux, mais une réforme de l'orthographe fait inévitablement changer à un petit pansement posé sur une plaie béante. On a l'impression d'avoir fait quelque chose quand on a surtout évité de faire ce qui pourrait aider réellement. Améliorer les bibliothèques scolaires, disons. Éviter de se lancer dans des réformes de l'enseignement de la grammaire. S'en tenir aux méthodes éprouvées d'apprentissage de la lecture.
Mais comme le site exprime des réserves face à la réforme de l'orthographe, j'avoue avoir un petit préjugé sympathique en faveur de cette association. La nouvelle orthographe s'est voulue si ambitieuse qu'elle finit par casser les pieds aux professionnels de la langue. Oui, la réforme des traits d'union, des pluriels parfois bien arbitraires dans les noms composés et des accents aigus parfaitement remplaçables par des accents graves s'imposait sans doute. Mais la plupart des autres changements étaient loin d'avoir ce caractère d'évidence.
Le problème est le suivant : si une difficulté de la langue française imposait à l'écrasante majorité des usagers de consulter le dictionnaire, modifier la solution de cette difficulté n'entraîne aucune perte de temps additionnelle. Par contre, si on se met à changer des règles et des graphies qui ne posait aucune difficulté à une majorité ou une minorité appréciable d'usagers, on crée une incertitude nouvelle qui les oblige à consulter les sources jusqu'à ce qu'ils ou elles aient appris la nouvelle norme. Ce qui, répercuté sur des centaines de milliers de personnes qui écrivent tous les jours, voire des millions, crée une perte de temps notable.
Peut-être qu'en fin de compte, la langue française s'en portera mieux, mais une réforme de l'orthographe fait inévitablement changer à un petit pansement posé sur une plaie béante. On a l'impression d'avoir fait quelque chose quand on a surtout évité de faire ce qui pourrait aider réellement. Améliorer les bibliothèques scolaires, disons. Éviter de se lancer dans des réformes de l'enseignement de la grammaire. S'en tenir aux méthodes éprouvées d'apprentissage de la lecture.
Libellés : Société
2009-01-10
Les noms de Louis Riel
Pour plusieurs historiens et plusieurs témoins contemporains, le changement de nom de Louis Riel qui commence à signer et à se faire appeler Louis « David » Riel vers 1875 confirme son déséquilibre mental ou sa folie des grandeurs. Pourtant, il me semble qu'il avait déjà assumé d'autres noms à l'occasion. Après les événements de 1870, il voyage sous un nom d'emprunt quand il se rend à Ottawa et visite le Parlement. Et ne signe-t-il pas certains textes d'opinion dans les journaux d'un nom de plume? (Encore que cette pratique était fort répandue dans l'Amérique du Nord du XIXe siècle, tant en anglais qu'en français.)
Autant de noms autant d'identités? Du point de vue de la culture algonquienne traditionnelle, il était naturel de porter plusieurs noms dans sa vie, simultanément et successivement, dont certains noms à l'usage de la famille ou des intimes, mais aussi des sobriquets pouvant refléter tel ou tel incident marquant, ou correspondre à différentes époques de la vie. Les Métis des Plaines avaient pour proches alliés les Anishinaabé et les Crees. On ignore dans quelle mesure leurs us et coutumes auraient pu influencer Louis Riel. Néanmoins, il me semble qu'il conviendrait de se poser des questions sur l'autre versant de la personnalité de Louis Riel ; les attitudes anishinaabé face aux changements de nom et leurs croyances sur le contact avec les puissances spirituelles pourraient sous-tendre une partie de la vocation prophétique de Riel, en sus de son éducation à Montréal dans le cadre d'un catholicisme ultramontain plus ou moins fanatisé.
Quand on lit les écrits de Riel, il est clair que le contenu de ses emportements est entièrement tiré de son éducation chrétienne, mais s'il avait constaté une concordance entre les pratiques amérindiennes et les enseignements au Séminaire de Montréal, il aurait pu en retirer une assurance plus grande... Personnellement, je ne me prononcerai pas, car je n'ai pas assez fouillé la question, mais un incident pourrait être révélateur, dans un sens ou dans l'autre. Quand Riel est appelé à entrer à l'asile, soit celui de Beauport soit celui de Longue-Pointe, il refuse le faux nom dont on veut l'affubler pour lui assurer l'incognito. Parce qu'il rejetait un nom choisi par d'autres que lui? Ou parce que je fais fausse route en voulant rattacher ses délires aux croyances amérindiennes?
N'empêche que je résiste mal à l'envie de faire remarquer que le diagnostic de démence de Riel reposait, entre autres, sur sa conviction de converser avec Dieu. Plus d'une fois, le président George W. Bush semble avoir indiqué qu'il était l'instrument et le porte-parole de Dieu, mais sans se faire envoyer à l'asile...
Sauf que Riel l'a parfois revendiqué de manière plus poétique et en faisant appel à une technologie canadienne du dernier cri, vers 1877 :
« Quand je vous parle, c'est la voix de Dieu qui sonne
Et tout ce que je dis vous est essentiel
Je suis le joyeux téléphone
Qui vous transmet les chants et les discours du ciel.
Je fais communiquer de manière insigne
Le Séminaire avec la maison de la Vigne,
Quelqu'un chante d'en haut : et j'en suis le témoin :
Que vous êtes si proche et cependant si loin.
...
Je suis l'eau du Jourdain qui coule et qui murmure
Grâce à Jésus-Christ Mon humble personne Est le téléphone Du Très Saint-Esprit.
Je parle au nom de Dieu qui condamne et pardonne. »
Autant de noms autant d'identités? Du point de vue de la culture algonquienne traditionnelle, il était naturel de porter plusieurs noms dans sa vie, simultanément et successivement, dont certains noms à l'usage de la famille ou des intimes, mais aussi des sobriquets pouvant refléter tel ou tel incident marquant, ou correspondre à différentes époques de la vie. Les Métis des Plaines avaient pour proches alliés les Anishinaabé et les Crees. On ignore dans quelle mesure leurs us et coutumes auraient pu influencer Louis Riel. Néanmoins, il me semble qu'il conviendrait de se poser des questions sur l'autre versant de la personnalité de Louis Riel ; les attitudes anishinaabé face aux changements de nom et leurs croyances sur le contact avec les puissances spirituelles pourraient sous-tendre une partie de la vocation prophétique de Riel, en sus de son éducation à Montréal dans le cadre d'un catholicisme ultramontain plus ou moins fanatisé.
Quand on lit les écrits de Riel, il est clair que le contenu de ses emportements est entièrement tiré de son éducation chrétienne, mais s'il avait constaté une concordance entre les pratiques amérindiennes et les enseignements au Séminaire de Montréal, il aurait pu en retirer une assurance plus grande... Personnellement, je ne me prononcerai pas, car je n'ai pas assez fouillé la question, mais un incident pourrait être révélateur, dans un sens ou dans l'autre. Quand Riel est appelé à entrer à l'asile, soit celui de Beauport soit celui de Longue-Pointe, il refuse le faux nom dont on veut l'affubler pour lui assurer l'incognito. Parce qu'il rejetait un nom choisi par d'autres que lui? Ou parce que je fais fausse route en voulant rattacher ses délires aux croyances amérindiennes?
N'empêche que je résiste mal à l'envie de faire remarquer que le diagnostic de démence de Riel reposait, entre autres, sur sa conviction de converser avec Dieu. Plus d'une fois, le président George W. Bush semble avoir indiqué qu'il était l'instrument et le porte-parole de Dieu, mais sans se faire envoyer à l'asile...
Sauf que Riel l'a parfois revendiqué de manière plus poétique et en faisant appel à une technologie canadienne du dernier cri, vers 1877 :
« Quand je vous parle, c'est la voix de Dieu qui sonne
Et tout ce que je dis vous est essentiel
Qui vous transmet les chants et les discours du ciel.
Je fais communiquer de manière insigne
Le Séminaire avec la maison de la Vigne,
Quelqu'un chante d'en haut : et j'en suis le témoin :
Que vous êtes si proche et cependant si loin.
...
Je suis l'eau du Jourdain qui coule et qui murmure
Je parle au nom de Dieu qui condamne et pardonne. »
2009-01-09
Paradoxes énergétiques en Ontario
Dans le Bulletin of Science, Technology & Society sorti en décembre 2008, Ian Rowlands a analysé les performances de quatre parcs d'éoliennes en Ontario. Ce qu'il a découvert, c'est que leurs performances et leurs contributions au réseau électrique en Ontario étaient à leur meilleur en hiver.
À première vue, c'est un résultat intéressant, quoique un peu décourageant pour les partisans de l'énergie éolienne qui espéraient encore qu'elle était de taille à remplacer complètement les autres sources d'énergie, comme le nucléaire. Rowlands suggère que la diversification des sites pourrait améliorer la performance de l'éolien, mais il reste qu'en période de pointe, il faudra d'autres sources d'énergie pour répondre à la demande. Dans la mesure où la capacité hydro-électrique est presque complètement exploitée, il ne reste vraiment que le nucléaire (carburant à l'uranium ou au thorium) et que les centrales thermiques, en espérant qu'il sera possible de rénover celles-ci de manière à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (par stockage?).
Mais le réchauffement du climat risque d'adoucir les hivers et de réchauffer les étés. L'été, en temps de sécheresse, les centrales nucléaires refroidies à l'eau peuvent être obligées de freiner leur production d'énergie (à cause de la sécheresse ou des effets des rejets). Et, l'hiver, si les vents sont moins forts, ce sont les éoliennes qui produiront moins d'énergie.
Du coup, le ralentissement du réchauffement climatique par le passage à des énergies propres en est d'autant plus impératif. Dans une certaine mesure, plus le climat se réchauffera, moins les solutions de rechange seront efficaces (du moins, en Ontario). Un pensez-y-bien, comme on dit au Québec.
À première vue, c'est un résultat intéressant, quoique un peu décourageant pour les partisans de l'énergie éolienne qui espéraient encore qu'elle était de taille à remplacer complètement les autres sources d'énergie, comme le nucléaire. Rowlands suggère que la diversification des sites pourrait améliorer la performance de l'éolien, mais il reste qu'en période de pointe, il faudra d'autres sources d'énergie pour répondre à la demande. Dans la mesure où la capacité hydro-électrique est presque complètement exploitée, il ne reste vraiment que le nucléaire (carburant à l'uranium ou au thorium) et que les centrales thermiques, en espérant qu'il sera possible de rénover celles-ci de manière à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (par stockage?).
Mais le réchauffement du climat risque d'adoucir les hivers et de réchauffer les étés. L'été, en temps de sécheresse, les centrales nucléaires refroidies à l'eau peuvent être obligées de freiner leur production d'énergie (à cause de la sécheresse ou des effets des rejets). Et, l'hiver, si les vents sont moins forts, ce sont les éoliennes qui produiront moins d'énergie.
Du coup, le ralentissement du réchauffement climatique par le passage à des énergies propres en est d'autant plus impératif. Dans une certaine mesure, plus le climat se réchauffera, moins les solutions de rechange seront efficaces (du moins, en Ontario). Un pensez-y-bien, comme on dit au Québec.
Libellés : Effet de serre, Énergie
2009-01-08
La littératie québécoise, ou pourquoi je ne vends pas
Au Salon du Livre de Montréal en novembre dernier, j'ai ramassé le numéro de novembre de la revue Livre d'ici. Celui-ci comportait un dossier sur la littératie au Québec qui valait le détour. Il s'appuyait sur une enquête menée en 2003 pour évaluer la littératie des adultes canadiens, c'est-à-dire non seulement leur alphabétisation mais leur capacité d'appréhender tout le sens d'un texte.
Dans tous les domaines (lecture, déchiffrement d'un document, manipulation des chiffres, résolution de problèmes), la performance de la population québécoise était inférieure à la moyenne canadienne, mais de manière plus prononcée dans le domaine de la lecture. Néanmoins, il convient de remarquer que, même s'il est à la traîne, le Québec ne se démarque guère du reste du Canada ou des États-Unis et qu'il fait nettement mieux que des pays comme l'Italie ou le Mexique.
Dans Livre d'ici, Marc Ménard se basait sur les chiffres québécois pour calculer que si le niveau québécois rattrapait la moyenne canadienne, les éditeurs pourraient tabler sur 342 000 lecteurs de plus âgés de 16 à 65 ans. Et 741 000 lecteurs de plus si le Québec rattrapait les niveaux en Norvège!
En fait, cet énoncé sous-estime l'amélioration possible — et nécessaire. Tout d'abord, la performance des francophones québécois est inférieure à celle des anglophones québécois. Les analphabètes fonctionnels et faibles en littératie représentaient 42,1% des anglophones de 16 ans et plus, mais 54,7% des francophones de 16 ans et plus. Ainsi, le public potentiel de lecteurs francophones représentaient grosso modo 45,3% des 16 ans et plus. (Pour l'ensemble des répondants francophones au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario et au Manitoba, les chiffres respectifs étaient de 54,8% et 45,1%. Ces répondants francophones ne représentaient toutefois qu'un tiers environ des francophones hors-Québec dans le sondage.)
Ensuite, le but visé devrait être de rattraper le niveau moyen des anglophones. Au Québec même, les niveaux supérieurs de littératie étaient atteints par 57,8% des anglophones; en Ontario, par 59,7% des anglophones; au Nouveau-Brunswick, par 50,3%. Pour l'ensemble du pays, c'était encore plus élevé : 61,5% des répondants anglophones.
En 2001, au Québec, il y avait 5 918 390 personnes qui parlaient français le plus souvent à la maison; en 2006, ce chiffre atteignait 6 085 155 personnes. Pour 2003, prenons la moyenne : six millions en chiffres ronds. En 2001, les 15 ans et moins totalisaient 1 045 040 personnes pour un total de 5 761 765 personnes de langue maternelle française, soit 18,1% de l'ensemble. En appliquant ce pourcentage aux francophones à la maison, on obtient 4 912 000 francophones de 16 ans et plus en 2003. Supposons que l'on puisse, par un coup de baguette magique, hausser leur performance aux niveaux de littératie supérieure de manière à faire passer le total de 45,3% à 61,5% : on aurait alors 796 000 lecteurs de plus. Bref, dans ce monde imaginaire, je viens de gagner à la cause de la littérature francophone entre 50 000 et 450 000 lecteurs de plus que Marc Ménard... mais en incluant dans mes chiffres les plus de 65 ans qu'il excluait. (Pourtant, les plus de 65 ans ne sont pas les moins grands lecteurs, du moins quand ils ont les capacités nécessaires.)
Retenons que passer de 45,3% à 61,5%, c'est enregistrer une augmentation de 35,8%. Imaginons un peu une industrie du livre dopée au Québec francophone par une augmentation d'un tiers... Selon Ménard, les ventes de livres par les éditeurs de propriété québécoise en 2006 (au prix de vente final, hors secteur scolaire) s'élevaient à 238 millions de dollars. Une augmentation de 35,8% engendrerait des revenus supplémentaires de 85 millions de dollars.
Ce qui n'est pas rien et ce qui, comme le disait Ménard, justiferait qu'après avoir développé l'offre de livres au Québec, on consacre un peu d'attention à développer la demande de lecture. En améliorant les bibliothèques scolaires et publiques, par exemple. Certes, dans ce même numéro de Livre d'ici, Michel de la Durantaye souligne que 73% des Québécois utilisent peu ou pas les bibliothèques publiques. À première vue, on pourrait craindre que ceci signifie qu'on ne les gagnera pas à la lecture en améliorant les bibliothèques — mais il y a tant de place pour l'amélioration des heures d'ouverture et des collections que je trouve qu'on n'a tout simplement pas encore essayé.
Ce n'est certainement pas tout, car il faudrait sans doute revaloriser aussi la culture de l'écrit. À la télévision, notamment. Mais ce sera le sujet d'un autre billet.
Dans tous les domaines (lecture, déchiffrement d'un document, manipulation des chiffres, résolution de problèmes), la performance de la population québécoise était inférieure à la moyenne canadienne, mais de manière plus prononcée dans le domaine de la lecture. Néanmoins, il convient de remarquer que, même s'il est à la traîne, le Québec ne se démarque guère du reste du Canada ou des États-Unis et qu'il fait nettement mieux que des pays comme l'Italie ou le Mexique.
Dans Livre d'ici, Marc Ménard se basait sur les chiffres québécois pour calculer que si le niveau québécois rattrapait la moyenne canadienne, les éditeurs pourraient tabler sur 342 000 lecteurs de plus âgés de 16 à 65 ans. Et 741 000 lecteurs de plus si le Québec rattrapait les niveaux en Norvège!
En fait, cet énoncé sous-estime l'amélioration possible — et nécessaire. Tout d'abord, la performance des francophones québécois est inférieure à celle des anglophones québécois. Les analphabètes fonctionnels et faibles en littératie représentaient 42,1% des anglophones de 16 ans et plus, mais 54,7% des francophones de 16 ans et plus. Ainsi, le public potentiel de lecteurs francophones représentaient grosso modo 45,3% des 16 ans et plus. (Pour l'ensemble des répondants francophones au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario et au Manitoba, les chiffres respectifs étaient de 54,8% et 45,1%. Ces répondants francophones ne représentaient toutefois qu'un tiers environ des francophones hors-Québec dans le sondage.)
Ensuite, le but visé devrait être de rattraper le niveau moyen des anglophones. Au Québec même, les niveaux supérieurs de littératie étaient atteints par 57,8% des anglophones; en Ontario, par 59,7% des anglophones; au Nouveau-Brunswick, par 50,3%. Pour l'ensemble du pays, c'était encore plus élevé : 61,5% des répondants anglophones.
En 2001, au Québec, il y avait 5 918 390 personnes qui parlaient français le plus souvent à la maison; en 2006, ce chiffre atteignait 6 085 155 personnes. Pour 2003, prenons la moyenne : six millions en chiffres ronds. En 2001, les 15 ans et moins totalisaient 1 045 040 personnes pour un total de 5 761 765 personnes de langue maternelle française, soit 18,1% de l'ensemble. En appliquant ce pourcentage aux francophones à la maison, on obtient 4 912 000 francophones de 16 ans et plus en 2003. Supposons que l'on puisse, par un coup de baguette magique, hausser leur performance aux niveaux de littératie supérieure de manière à faire passer le total de 45,3% à 61,5% : on aurait alors 796 000 lecteurs de plus. Bref, dans ce monde imaginaire, je viens de gagner à la cause de la littérature francophone entre 50 000 et 450 000 lecteurs de plus que Marc Ménard... mais en incluant dans mes chiffres les plus de 65 ans qu'il excluait. (Pourtant, les plus de 65 ans ne sont pas les moins grands lecteurs, du moins quand ils ont les capacités nécessaires.)
Retenons que passer de 45,3% à 61,5%, c'est enregistrer une augmentation de 35,8%. Imaginons un peu une industrie du livre dopée au Québec francophone par une augmentation d'un tiers... Selon Ménard, les ventes de livres par les éditeurs de propriété québécoise en 2006 (au prix de vente final, hors secteur scolaire) s'élevaient à 238 millions de dollars. Une augmentation de 35,8% engendrerait des revenus supplémentaires de 85 millions de dollars.
Ce qui n'est pas rien et ce qui, comme le disait Ménard, justiferait qu'après avoir développé l'offre de livres au Québec, on consacre un peu d'attention à développer la demande de lecture. En améliorant les bibliothèques scolaires et publiques, par exemple. Certes, dans ce même numéro de Livre d'ici, Michel de la Durantaye souligne que 73% des Québécois utilisent peu ou pas les bibliothèques publiques. À première vue, on pourrait craindre que ceci signifie qu'on ne les gagnera pas à la lecture en améliorant les bibliothèques — mais il y a tant de place pour l'amélioration des heures d'ouverture et des collections que je trouve qu'on n'a tout simplement pas encore essayé.
Ce n'est certainement pas tout, car il faudrait sans doute revaloriser aussi la culture de l'écrit. À la télévision, notamment. Mais ce sera le sujet d'un autre billet.
Libellés : Canada, Culture, Livres, Québec, Société
2009-01-07
Retour à l'université sacrifiée
Alors que la production économique par tête en Ontario s'approche de la moyenne canadienne, le financement provincial des universités était moins élevé d'un quart que le niveau canadien, selon un rapport (.PDF) de 2007. En partie, cela reflète la contribution nette de 4% du produit intérieur brut de l'Ontario au bien-être des Canadiens hors-Ontario; là-dessus, les contribuables ontariens auraient versé presque la moitié des paiements de péréquation obtenus par le Québec ces dernières années, contribuant ainsi à payer pour les services dont les progressistes québécois s'enorgueillissent ensuite. (Si le chiffre de 21 milliards de dollars brandis par le gouvernement McGuinty pour évaluer son propre déséquilibre fiscal est nettement exagéré, ce rapport (.PDF) de l'économiste Don Drummond et de Derek Burleton ramènent à 11-12 milliards la somme dont se prive l'Ontario au profit du reste du Canada.) Dans la mesure où les règles sont les mêmes pour tout le monde, la moitié environ de cette contribution n'est pas « injuste » ou injustifiée, mais l'argent disparaît quand même.
Toutefois, en 2005, Thomas Courchesne a démontré (.PDF) que la péréquation ne tient pas compte du coût différencié des services (en particulier des salaires) dans chaque province. Pourtant, elle est justifiée par le besoin de fournir des services semblables. En fondant la péréquation uniquement sur le revenu en dollars de chaque province, les provinces où les salaires sont plus élevés paient doublement pour le privilège de contribuer aux salaires dans les provinces plus pauvres.
Ainsi, en tenant compte des salaires moyens dans chaque province, Courchesne a essayé de corriger approximativement l'évaluation des revenus effectifs par tête des gouvernements de chaque province, après les versements de péréquation, mais sans tenir compte des autres paiements de transfert (qui désavantagent l'Ontario, de toute façon). Le classement en surprendra quelques-uns :
Alberta — 11 028 $
Île-du-Prince-Édouard — 8 764 $
Saskatchewan — 7 884 $
Manitoba — 7 805 $
Nouvelle-Écosse — 7 7746 $
Nouveau-Brunswick — 7 670 $
Québec — 7 456 $
Terre-Neuve — 7 449 $
Colombie-Britannique — 7 098 $
Ontario — 6 992 $
Il s'agit des chiffres de 2005 et ils sont purement indicatifs, mais il n'y a pas eu de redressement notable depuis. Du coup, on comprend mieux pourquoi le financement ontarien des universités laisse autant à désirer. Au lieu de rétablir l'égalité, la péréquation crée de nouvelles inégalités.
Toutefois, en 2005, Thomas Courchesne a démontré (.PDF) que la péréquation ne tient pas compte du coût différencié des services (en particulier des salaires) dans chaque province. Pourtant, elle est justifiée par le besoin de fournir des services semblables. En fondant la péréquation uniquement sur le revenu en dollars de chaque province, les provinces où les salaires sont plus élevés paient doublement pour le privilège de contribuer aux salaires dans les provinces plus pauvres.
Ainsi, en tenant compte des salaires moyens dans chaque province, Courchesne a essayé de corriger approximativement l'évaluation des revenus effectifs par tête des gouvernements de chaque province, après les versements de péréquation, mais sans tenir compte des autres paiements de transfert (qui désavantagent l'Ontario, de toute façon). Le classement en surprendra quelques-uns :
Alberta — 11 028 $
Île-du-Prince-Édouard — 8 764 $
Saskatchewan — 7 884 $
Manitoba — 7 805 $
Nouvelle-Écosse — 7 7746 $
Nouveau-Brunswick — 7 670 $
Québec — 7 456 $
Terre-Neuve — 7 449 $
Colombie-Britannique — 7 098 $
Ontario — 6 992 $
Il s'agit des chiffres de 2005 et ils sont purement indicatifs, mais il n'y a pas eu de redressement notable depuis. Du coup, on comprend mieux pourquoi le financement ontarien des universités laisse autant à désirer. Au lieu de rétablir l'égalité, la péréquation crée de nouvelles inégalités.
2009-01-05
La torture des robots
L'humanité a l'animisme chevillé au corps, et depuis longtemps. Comme j'écrivais en 2007 :
« De nombreux peuples primitifs et pas si primitifs vivaient dans un univers animé, où tout était doté d'une âme. Tout ce qui bougeait, en particulier, était susceptible de se faire attribuer une âme : les animaux (comme leur nom le dit), les plantes, le vent, la rivière, les vagues et tempêtes de la mer, le feu, la foudre et même les tremblements de la terre. Le mouvement était signe de vie. Et la vie rendait possible le mouvement parce qu'il était décidé par une âme. »
Ce qui correspond aussi aux observations de Piaget dans le cas des enfants.
Dans la revue Interaction Studies, Christoph Bartneck et Jun Hu d'Eindhoven ont signé dans le troisième numéro de 2008 un article intitulé « Exploring the abuse of robots ». Ils ont conduit avec des humains et des robots deux expériences inspirées de la célèbre expérience de Stanley Milgram, mais en remplaçant les pseudo-victimes humaines par des robots et en variant le degré d'intelligence apparent des robots. Dans la première variante, les sujets humains se contentaient d'infliger des chocs électriques à des robots ; dans la seconde, ils devaient tuer un robot.
Dans le premier cas, même si les sujets humains auraient témoigné de la compassion pour le pauvre petit robt qui essayait de répondre à leurs questions, ils ont tous accepté d'infliger des chocs électriques de la plus grande intensité disponible, mais, dans quelques cas, il avait fallu que l'expérimentateur exerce son autorité pour les y obliger. Dans le cas d'une victime humaine supposée, dans l'expérience de Milgram, le tiers environ des sujets humains refusent d'aller jusqu'au bout...
Dans le second cas, les deux auteurs testaient à la fois les effets d'un niveau d'intelligence différent de la part du robot, la perception de cette intelligence par les sujets humains et l'intensité de la destruction du robot (combien de coups de marteau avaient été portés pour casser le robot en combien de pièces?). Malheureusement, l'échantillon était réduit, mais les femmes auraient été portées à surestimer, relativement aux hommes, l'intelligence du robot le plus bête. Tandis que les hommes cassaient les robots avec un peu plus de hargne, en produisant plus de pièces... De manière générale, les robots les moins intelligents étaient frappés plus souvent, mais la différence n'était pas statistiquement significative.
Ces expériences étaient, bien entendu, imparfaites. Pour des raisons financières, les robots détruits dans la seconde expérience n'étaient pas très compliqués, démontrant un niveau d'intelligence se rapprochant au mieux de celui démontré par des blattes. De plus, les participants savaient naturellement qu'aucun robot actuel n'est l'équivalent d'un humain ; la projection animiste qu'on peut opérer sur des machines qui parlent et qui bougent de manière apparemment volontaire a ses limites.
Dans ces conditions, même si on sacrifiait dans une expérience future des robots plus complexes, les sujets humains pourraient hésiter à les frapper tant parce que les robots auraient un comportement plus intelligent que parce qu'ils seraient jugés plus coûteux! Néanmoins, ces petites expériences suggèrent, pour l'instant, que la nature fabriquée et simplifiée des robots permet d'évacuer les scrupules qui paralysaient encore un tiers des participants à l'expérience de Milgram. Pour l'instant, tout le monde acceptera de torturer des robots.
Est-ce à dire qu'à Abu Ghraib et ailleurs, on avait persuadé les tortionnaires qu'ils avaient affaire à des robots? Mais ce n'est pas uniquement une question de déshumanisation des victimes — cela, Milgram l'a prouvé il y a quarante ans.
« De nombreux peuples primitifs et pas si primitifs vivaient dans un univers animé, où tout était doté d'une âme. Tout ce qui bougeait, en particulier, était susceptible de se faire attribuer une âme : les animaux (comme leur nom le dit), les plantes, le vent, la rivière, les vagues et tempêtes de la mer, le feu, la foudre et même les tremblements de la terre. Le mouvement était signe de vie. Et la vie rendait possible le mouvement parce qu'il était décidé par une âme. »
Ce qui correspond aussi aux observations de Piaget dans le cas des enfants.
Dans la revue Interaction Studies, Christoph Bartneck et Jun Hu d'Eindhoven ont signé dans le troisième numéro de 2008 un article intitulé « Exploring the abuse of robots ». Ils ont conduit avec des humains et des robots deux expériences inspirées de la célèbre expérience de Stanley Milgram, mais en remplaçant les pseudo-victimes humaines par des robots et en variant le degré d'intelligence apparent des robots. Dans la première variante, les sujets humains se contentaient d'infliger des chocs électriques à des robots ; dans la seconde, ils devaient tuer un robot.
Dans le premier cas, même si les sujets humains auraient témoigné de la compassion pour le pauvre petit robt qui essayait de répondre à leurs questions, ils ont tous accepté d'infliger des chocs électriques de la plus grande intensité disponible, mais, dans quelques cas, il avait fallu que l'expérimentateur exerce son autorité pour les y obliger. Dans le cas d'une victime humaine supposée, dans l'expérience de Milgram, le tiers environ des sujets humains refusent d'aller jusqu'au bout...
Dans le second cas, les deux auteurs testaient à la fois les effets d'un niveau d'intelligence différent de la part du robot, la perception de cette intelligence par les sujets humains et l'intensité de la destruction du robot (combien de coups de marteau avaient été portés pour casser le robot en combien de pièces?). Malheureusement, l'échantillon était réduit, mais les femmes auraient été portées à surestimer, relativement aux hommes, l'intelligence du robot le plus bête. Tandis que les hommes cassaient les robots avec un peu plus de hargne, en produisant plus de pièces... De manière générale, les robots les moins intelligents étaient frappés plus souvent, mais la différence n'était pas statistiquement significative.
Ces expériences étaient, bien entendu, imparfaites. Pour des raisons financières, les robots détruits dans la seconde expérience n'étaient pas très compliqués, démontrant un niveau d'intelligence se rapprochant au mieux de celui démontré par des blattes. De plus, les participants savaient naturellement qu'aucun robot actuel n'est l'équivalent d'un humain ; la projection animiste qu'on peut opérer sur des machines qui parlent et qui bougent de manière apparemment volontaire a ses limites.
Dans ces conditions, même si on sacrifiait dans une expérience future des robots plus complexes, les sujets humains pourraient hésiter à les frapper tant parce que les robots auraient un comportement plus intelligent que parce qu'ils seraient jugés plus coûteux! Néanmoins, ces petites expériences suggèrent, pour l'instant, que la nature fabriquée et simplifiée des robots permet d'évacuer les scrupules qui paralysaient encore un tiers des participants à l'expérience de Milgram. Pour l'instant, tout le monde acceptera de torturer des robots.
Est-ce à dire qu'à Abu Ghraib et ailleurs, on avait persuadé les tortionnaires qu'ils avaient affaire à des robots? Mais ce n'est pas uniquement une question de déshumanisation des victimes — cela, Milgram l'a prouvé il y a quarante ans.
Libellés : Futurisme, Réflexion
2009-01-04
Le nouvel opium du peuple
L'autre jour, un commentateur à la radio de Radio-Canada se lançait dans un grand sermon sur les souhaits du Nouvel An, qui incluaient autrefois le paradis à la fin de nos jours. Dorénavant, on désirerait plutôt le paradis avant la fin de nos jours.
C'est sans doute exact dans une société de plus en plus matérialiste, dont le souhait le plus cher devient souvent la retraite à la fin de nos jours. En témoigne ce que l'on pourrait appeler l'industrie de l'âge d'or : régimes de retraite, pensions privées et publiques, publicité donnée aux précautions à prendre pour se ménager une retraite agréable, promesse implicite d'une retraite dorée et stimulante pour les travailleurs, voyages organisés et activités nombreuses pour les retraités... Le paradis nous attend désormais au bout d'une vie de travail.
Mais est-ce encore le cas? L'effondrement boursier a déjà entamé les épargnes de quelques-uns et réduit les rentes espérées. De plus, des emplois devenus excessivement accaparants — la faute au dégraissage des hiérarchies, aux nouvelles technologies et au souci incessant de la productivité (motivé par des revendications salariales toujours renouvelées) — risquent d'accoucher d'une génération épuisée, en plus ou moins bonne santé. Bref, d'une génération usée et pas toujours capable de profiter autant de la retraite que les générations précédentes, qui ont bénéficié de départs anticipés, de conditions de travail moins exigeantes et de retraites pas encore écornées par les crises successives.
Que va-t-il se passer? On a fait marcher toute une génération à la baguette (métro, boulot, dodo, votez pour les baisses d'impôt!) en lui promettant une retraite à la hauteur. Que se passera-t-il si le paradis de la nouvelle religion de la consommation jusqu'à la fin ne remplit pas ses promesses?
On peut imaginer que les nouvelles générations qu'on veut faire payer pour les retraites des aînés, même si elles ne sont pas assez nombreuses pour le faire aussi facilement qu'autrefois, se montreront plus que rétives si elles constatent que le jeu n'en vaut pas la chandelle...
C'est sans doute exact dans une société de plus en plus matérialiste, dont le souhait le plus cher devient souvent la retraite à la fin de nos jours. En témoigne ce que l'on pourrait appeler l'industrie de l'âge d'or : régimes de retraite, pensions privées et publiques, publicité donnée aux précautions à prendre pour se ménager une retraite agréable, promesse implicite d'une retraite dorée et stimulante pour les travailleurs, voyages organisés et activités nombreuses pour les retraités... Le paradis nous attend désormais au bout d'une vie de travail.
Mais est-ce encore le cas? L'effondrement boursier a déjà entamé les épargnes de quelques-uns et réduit les rentes espérées. De plus, des emplois devenus excessivement accaparants — la faute au dégraissage des hiérarchies, aux nouvelles technologies et au souci incessant de la productivité (motivé par des revendications salariales toujours renouvelées) — risquent d'accoucher d'une génération épuisée, en plus ou moins bonne santé. Bref, d'une génération usée et pas toujours capable de profiter autant de la retraite que les générations précédentes, qui ont bénéficié de départs anticipés, de conditions de travail moins exigeantes et de retraites pas encore écornées par les crises successives.
Que va-t-il se passer? On a fait marcher toute une génération à la baguette (métro, boulot, dodo, votez pour les baisses d'impôt!) en lui promettant une retraite à la hauteur. Que se passera-t-il si le paradis de la nouvelle religion de la consommation jusqu'à la fin ne remplit pas ses promesses?
On peut imaginer que les nouvelles générations qu'on veut faire payer pour les retraites des aînés, même si elles ne sont pas assez nombreuses pour le faire aussi facilement qu'autrefois, se montreront plus que rétives si elles constatent que le jeu n'en vaut pas la chandelle...
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