2009-01-08

 

La littératie québécoise, ou pourquoi je ne vends pas

Au Salon du Livre de Montréal en novembre dernier, j'ai ramassé le numéro de novembre de la revue Livre d'ici. Celui-ci comportait un dossier sur la littératie au Québec qui valait le détour. Il s'appuyait sur une enquête menée en 2003 pour évaluer la littératie des adultes canadiens, c'est-à-dire non seulement leur alphabétisation mais leur capacité d'appréhender tout le sens d'un texte.

Dans tous les domaines (lecture, déchiffrement d'un document, manipulation des chiffres, résolution de problèmes), la performance de la population québécoise était inférieure à la moyenne canadienne, mais de manière plus prononcée dans le domaine de la lecture. Néanmoins, il convient de remarquer que, même s'il est à la traîne, le Québec ne se démarque guère du reste du Canada ou des États-Unis et qu'il fait nettement mieux que des pays comme l'Italie ou le Mexique.

Dans Livre d'ici, Marc Ménard se basait sur les chiffres québécois pour calculer que si le niveau québécois rattrapait la moyenne canadienne, les éditeurs pourraient tabler sur 342 000 lecteurs de plus âgés de 16 à 65 ans. Et 741 000 lecteurs de plus si le Québec rattrapait les niveaux en Norvège!

En fait, cet énoncé sous-estime l'amélioration possible — et nécessaire. Tout d'abord, la performance des francophones québécois est inférieure à celle des anglophones québécois. Les analphabètes fonctionnels et faibles en littératie représentaient 42,1% des anglophones de 16 ans et plus, mais 54,7% des francophones de 16 ans et plus. Ainsi, le public potentiel de lecteurs francophones représentaient grosso modo 45,3% des 16 ans et plus. (Pour l'ensemble des répondants francophones au Nouveau-Brunswick, au Québec, en Ontario et au Manitoba, les chiffres respectifs étaient de 54,8% et 45,1%. Ces répondants francophones ne représentaient toutefois qu'un tiers environ des francophones hors-Québec dans le sondage.)

Ensuite, le but visé devrait être de rattraper le niveau moyen des anglophones. Au Québec même, les niveaux supérieurs de littératie étaient atteints par 57,8% des anglophones; en Ontario, par 59,7% des anglophones; au Nouveau-Brunswick, par 50,3%. Pour l'ensemble du pays, c'était encore plus élevé : 61,5% des répondants anglophones.

En 2001, au Québec, il y avait 5 918 390 personnes qui parlaient français le plus souvent à la maison; en 2006, ce chiffre atteignait 6 085 155 personnes. Pour 2003, prenons la moyenne : six millions en chiffres ronds. En 2001, les 15 ans et moins totalisaient 1 045 040 personnes pour un total de 5 761 765 personnes de langue maternelle française, soit 18,1% de l'ensemble. En appliquant ce pourcentage aux francophones à la maison, on obtient 4 912 000 francophones de 16 ans et plus en 2003. Supposons que l'on puisse, par un coup de baguette magique, hausser leur performance aux niveaux de littératie supérieure de manière à faire passer le total de 45,3% à 61,5% : on aurait alors 796 000 lecteurs de plus. Bref, dans ce monde imaginaire, je viens de gagner à la cause de la littérature francophone entre 50 000 et 450 000 lecteurs de plus que Marc Ménard... mais en incluant dans mes chiffres les plus de 65 ans qu'il excluait. (Pourtant, les plus de 65 ans ne sont pas les moins grands lecteurs, du moins quand ils ont les capacités nécessaires.)

Retenons que passer de 45,3% à 61,5%, c'est enregistrer une augmentation de 35,8%. Imaginons un peu une industrie du livre dopée au Québec francophone par une augmentation d'un tiers... Selon Ménard, les ventes de livres par les éditeurs de propriété québécoise en 2006 (au prix de vente final, hors secteur scolaire) s'élevaient à 238 millions de dollars. Une augmentation de 35,8% engendrerait des revenus supplémentaires de 85 millions de dollars.

Ce qui n'est pas rien et ce qui, comme le disait Ménard, justiferait qu'après avoir développé l'offre de livres au Québec, on consacre un peu d'attention à développer la demande de lecture. En améliorant les bibliothèques scolaires et publiques, par exemple. Certes, dans ce même numéro de Livre d'ici, Michel de la Durantaye souligne que 73% des Québécois utilisent peu ou pas les bibliothèques publiques. À première vue, on pourrait craindre que ceci signifie qu'on ne les gagnera pas à la lecture en améliorant les bibliothèques — mais il y a tant de place pour l'amélioration des heures d'ouverture et des collections que je trouve qu'on n'a tout simplement pas encore essayé.

Ce n'est certainement pas tout, car il faudrait sans doute revaloriser aussi la culture de l'écrit. À la télévision, notamment. Mais ce sera le sujet d'un autre billet.

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