2006-06-11

 

Un film émouvant?

Un documentaire peut-il être émouvant? Au sens propre du mot, c'est parfois le but même d'un film engagé. Émouvoir, étymologiquement, c'est mettre en mouvement, voire faire sortir de soi... bref, faire sortir de ses gonds en langage imagé.

Hier soir, le documentaire de Davis Guggenheim, An Inconvenient Truth, m'a surpris par ce qu'il avait d'émouvant. Pourtant, on ne s'y attend pas — et cela explique sans doute en partie l'intensité de ma réaction. Il s'agit après tout d'une présentation de choses que n'importe quel observateur avisé connaît déjà ou peut découvrir en obtenant des cartes et des données en-ligne. Seul sur scène, l'ex-vice-président des États-Unis, Al Gore, présente une combinaison de diapositives et d'animations (depuis longtemps numérisées, naturellement). Mais, qui l'eût cru, Gore rend même les diagrammes passionnants, parce qu'il est clairement passionné par le sujet.

J'évoque dans mon cours ce même sujet, mais je dois m'incliner devant un maître. Certes, il se permet quelques facilités (il n'entre pas dans les détails, il présente des animations comiques qui n'ajoutent rien de concret à l'argument), mais sa présentation est remarquablement minutée, humoristique quand il le faut et même poignante au besoin. (Je note cependant que Gore donne cette présentation depuis plus de seize ans et qu'il estime lui-même l'avoir faite près d'un millier de fois.)

Le film n'est pas sans défaut. À deux ou trois reprises, l'argumentation est simplifiée. Par exemple, Gore discute de l'effet sur le Gulf Stream du déversement du grand lac post-glaciaire de l'Amérique du Nord dans l'Atlantique. Conséquence, il y a plusieurs millénaires? Un refroidissement rapide de l'Europe alors que le reste du monde se réchauffait. Gore fait allusion à l'effet que pourrait avoir la fonte de l'inlandsis du Groenland sur le même Gulf Stream dans un futur proche, mais le film ne donne pas suite. Je suppose que Guggenheim ne voulait pas compliquer l'argumentaire en expliquant que le réchauffement inexorable du globe pourrait causer un refroidissement « temporaire » de l'Europe et d'une partie de l'Amérique du Nord. (Il y a aussi une très curieuse addition du nombre de victimes de la canicule en Europe en 2003.)

Les intermèdes durant lesquels Guggenheim s'attache à nous présenter l'homme lui-même ne sont pas à la hauteur du reste du film. Leur faiblesse vient sans doute du fait qu'ils tentent de fournir une justification émotive au choix de Gore de se consacrer à la vulgarisation du réchauffement global. Pourtant, comme le titre du film l'indique, c'est la passion de la vérité qui anime Gore et les tentatives mélodramatiques d'expliquer son engagement ratent la cible. Quelque part, il s'agit d'un engagement intellectuel et l'industrie du divertissement semble fondamentalement incapable de comprendre la force de cette passion de la meilleure vérité qui soit.

De plus, ce ne sont pas tous les points tournants de la vie d'Al Gore qui ont la même importance. Néanmoins, je crois qu'ils aident le film à nous émouvoir parce qu'ils font de Gore un archétype antique, celui de Cassandre.

Le film tire sa force de la trajectoire personnelle de Gore parce qu'il a été en prise directe sur les débuts de l'observation de l'effet de serre anthropogénique et qu'il a essayé très tôt — il y a pratiquement trente ans — de conscientiser les politiciens des États-Unis. Il n'a pas été entendu et la bifurcation de 2000, qui a fait de George W. Bush le président et de Gore un perdant, donne une tonalité véritablement tragique au récit des dernières années marquées par la fonte des glaciers, les canicules, les inondations, les ouragans, etc. Le contraste entre le réchauffement global en constante augmentation et la mauvaise foi des négationnistes est triste à pleurer.

J'ignore si j'enseignerai à l'Université d'Ottawa cet automne, mais je songe déjà à présenter le film en classe si j'en ai l'occasion.

En revanche, je me demande si la diffusion du film ne risque pas de ruiner la carrière de Gore comme conférencier écologiste. Dans 99% des cas, ce sera plus efficace et cela coûtera moins cher de louer le DVD que de faire venir Gore lui-même, même si la présentation de Gore en personne comporte des éléments qui n'apparaissent pas dans le film. À l'en croire, Gore ne réclame aucun cachet pour sa présentation — mais je me demande s'il paie aussi ses frais de voyage et de séjour (hôtel, etc.). S'il a accepté de collaborer à la production du film, c'est peut-être parce qu'il a une autre carrière en vue qui l'occupera quand il sera au chômage technique. Président des États-Unis en 2008? On verra...

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