2009-01-27

 

Partir pour Mars?


Ce soir, je me posais au Fox and Feather Pub d'Ottawa, où il faisait nettement plus chaud qu'à l'extérieur. Était-ce à cause de la grève des autobus que la rue Elgin semblait relativement déserte à six heures du soir? Mais la pièce tout au sommet du pub était des plus accueillantes, tout comme les gens du Musée des sciences et de la technologie, et les deux autres intervenants, Tim Cole (à gauche) et Brian McCullough (à droite). Très vite, la question était lancée : faut-il partir pour Mars?

D'abord, avant de débattre s'il faudrait envoyer ou non des humains sur Mars, il faudrait savoir si un tel voyage est possible. Pas dans l'absolu, bien sûr, puisque de nombreuses sondes et robots ont fait le voyage. Mais le trajet peut-il être complété par des humains dans l'état actuel de l'astronautique? Après tout, on ne peut pas anticiper le jugement de nos descendants dans un siècle ou deux; il s'agit donc de trancher pour les prochaines décennies.

Dans ce cas, on peut s'appuyer sur des études récentes pour évaluer les risques du voyage. Les sources d'incertitude sont nombreuses. Passons sur la technologie même des fusées, encore sujette à des défaillances majeures. Des voyageurs en partance pour Mars auraient à surmonter plusieurs obstacles. Tout d'abord, il y aurait les défis psychologiques, puisque les quatre ou six spationautes seraient les premiers à couper le cordon ombilical avec la Terre. À l'œil nu, ils verraient la Terre s'amenuiser et se réduire à un simple point lumineux. Ensuite, ils conjugueraient cet éloignement radical avec une période de solitude de plus de deux années, dont près d'une année qu'ils passeraient à l'intérieur d'un petit vaisseau. Leur équilibre mental résisterait-il à cette pression? L'internet interplanétaire suffirait-il à les sauver?

Ensuite, on peut mentionner la pesanteur réduite, en particulier sur Mars. Même si on admet qu'ils seront capables de générer une pesanteur artificielle dans l'espace, en scindant le vaisseau pour en faire une centrifuge géante, ils passeront plus d'une année à la surface de Mars. La pesanteur réduite grugera leurs os et augmentera les risques de fracture en cas de chute, mais on demandera justement aux voyageurs de se déplacer le plus possible durant leur séjour, en s'exposant d'autant plus à des accidents.

La fragilisation des os est également aggravée, selon certains résultats récents, par l'exposition aux radiations. Or, dès qu'ils auront quitté la Terre et les champs magnétiques qui l'enveloppent, les voyageurs subiront un bombardement continu qui combinera le flux de particules crachées par le Soleil et le rayonnement cosmique. La dose ordinaire augmentera le risque de cancer chez toutes les personnes exposées, encore qu'il sera possible de la réduire au moyen de blindage additionnel. Le danger proviendrait plutôt des éruptions solaires, susceptibles de multiplier le flux incident, et les risques de conséquences fâcheuses. De plus, si les chances d'un individu donné de survivre aux radiations restent bonnes, même en postulant une éruption solaire quatre fois plus intense que la pire éruption enregistrée depuis le début des mesures, les partisans d'un départ pour Mars oublient de dire que, pour un groupe allant de quatre à vingt-quatre personnes (dans le cas du projet qui prévoit quatre missions en dix ans), les chances de déces d'une personne de l'ensemble sont nettement plus grandes.

Enfin, il reste un défi technique de taille : l'alimentation des voyageurs. Nous sommes encore loin de maîtriser la vie en cycle fermé, ou l'agriculture sur Mars.

Admettons toutefois qu'il soit possible d'aller sur Mars. La question change : pourquoi faudrait-il le faire? quel avantage en retirerait-on?

Des humains feraient-ils un meilleur boulot comme explorateurs que les robots? À certains égards, ils jouissent d'avantages indubitables. Ils déplaceraient l'intelligence et les connaissances, qui sont actuellement conservées sur Terre afin de guider les robots de la NASA, pour les mettre à la surface de Mars, sans les assujettir au délai de plusieurs minutes imposé par la distance. Ils seraient donc libres de bouger plus vite et d'identifier leurs propres cibles, couvrant en quelques jours ce qui peut prendre des mois à un robot télécommandé depuis la Terre.

Par contre, si on suppose que l'on organiserait quatre missions successives en dix ans, afin de profiter des fenêtres de lancement tous les vingt-six mois (et de consacrer la première fenêtre au lancement d'un vaisseau de ravitaillement envoyé en éclaireur), ces humains passeraient moins de quatre ans et demi sur Mars, sur un total de dix ans d'efforts financiers et organisationnels. En revanche, des robots envoyés à un cinquantième du coût, mettons, serviraient à temps plein pendant la même période puisque la NASA ne serait pas obligée de les rapatrier et ferait l'économie du voyage de retour. De plus, si les robots sont lents, les humains seront aussi un peu retardés par les besoins de l'intendance et de la survie : création d'abris, préparatifs requis pour sortir, etc. La question de l'efficacité n'est donc pas entièrement à l'avantage des humains, surtout si on tient compte des coûts, tandis qu'on peut escompter des améliorations continues des robots, surtout si on leur consacrait les sommes dont il est question.

L'envoi d'humains sur Mars aurait-il au moins l'avantage de relancer l'intérêt pour l'exploration et le développement de l'espace? L'objection évidente, c'est que l'envoi d'humains sur la Lune n'a pas créé de mouvement durable. Plus de trente ans ont passé depuis la dernière visite d'humains sur la Lune.

De plus, j'ai cité l'histoire de cette expédition phénicienne envoyée par un pharaon, Néchao, vers 600 avant notre ère, selon ce que rapporte Hérodote. Cette expédition partie de la mer Rouge aurait mis trois ans à doubler l'Afrique avant de revenir en Égypte par la Méditerranée. En chemin, tout comme des hommes et femmes sur Mars, les Phéniciens auraient même été obligés de s'arrêter pour semer et récolter de quoi se nourrir. Bref, le voyage aurait été d'une durée semblable et d'une envergure semblable à ce qui est envisagé pour une expédition martienne. Mais la réussite possible des Phéniciens n'a pas été imitée avant des siècles, même si on connaît des tentatives plus ou moins crédibles, rapportées par les géographes Posidonius et Strabon dans l'Antiquité. Il a fallu attendre que les Portugais doublent le cap de Bonne-Espérance dans l'autre direction, mille ans plus tard. La différence? L'expédition de Néchao était subventionnée à fonds perdus dans un but de pure exploration. En revanche, les Portugais se rendaient en Inde et leurs cargaisons d'épices payaient le voyage. Par conséquent, on peut douter qu'un voyage sur Mars financé pour des raisons désintéressées aurait nécessairement des suites.

Pour l'instant, les humains conservent un certain avantage en matière de construction, comme on le voit dans le cas de la station spatiale. Se pourrait-il donc qu'on envoie des humains sur Mars afin de construire l'infrastructure requise pour des missions robotiques plus ambitieuses, ou pour autre chose? Par exemple, un atelier d'entretien et de réparation des robots, ou des installations de réalité virtuelle...

Dans ce dernier cas, l'amélioration des équipements sur place pourrait ouvrir l'exploration de Mars à tous... dans la réalité virtuelle. D'ailleurs, on peut même imaginer que cela deviendrait une source de profits pour des investisseurs terrestres. Sinon, s'il faut trouver des investisseurs autres que les gouvernements, il faudra peut-être se tourner vers les organismes non-gouvernementaux ou sans but lucratif, qui financent des recherches scientifiques à fonds perdus... Encore faudrait-il trouver une justification valable à leurs yeux.

Par contre, il a fallu repousser les sceptiques qui, dans la salle, remettaient en cause la valeur de toute science, de toute recherche. Certes, les cinquante à soixante milliards que coûteraient une série d'expédition sont une somme. Par contre, cela représente moins d'une année des frais d'opération de l'armée étatsunienne en Iraq. Ou encore, on peut retenir que, durant les deux dernières années du boom immobilier et financier, en 2006 et 2007, les banquiers et courtiers des seuls États-Unis auraient récolté en boni et autres suppléments de revenu environ trente-cinq milliards de dollars par année. De quoi couvrir une bonne part du budget...

En guise de conclusion, nous avons évoqué durant la discussion qui a suivi les objections éthiques. Une expédition humaine pourrait-elle contaminer Mars, au point d'éliminer toute vie indigène? Nous ne savons pas s'il y a de la vie sur Mars, malgré la détection de méthane atmosphérique. Pour envoyer des humains sur Mars, faudrait-il confirmer l'absence de vie d'abord? Mais comment fera-t-on pour démontrer une absence?

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