2009-01-31

 

La science-fiction et la réalité

Dans cet article de Simon Bréan et Clément Pieyre, « La science-fiction, une littérature à contraintes ? », les auteurs s'interrogent sur la construction par la littérature des mondes étrangers de la science-fiction, construction qui, par effet de retour, construit l'œuvre littéraire proprement dite. La démonstration s'appuie sur des exemples précis et des documents d'archives, tirés pour l'essentiel des collections réunies par Pieyre à la Bibliothèque nationale de France.

Du point de vue d'un auteur et amateur de science-fiction, ces deux aimables critiques enfoncent des portes ouvertes en affirmant que « les chaînes de l’avenir que forge la science-fiction ne sont pas les liens serviles d’une production de masse » (je n'en doutais pas!), mais la démonstration s'appuie sur des états successifs de manuscrits de Daniel Drode et de Philippe Curval. Elle est sans appel : les deux auteurs ne se pliaient pas aux diktats commerciaux de leur éditeur, mais aux impératifs de leur vision artistique. (On se demande comment feront les critiques de cet acabit à l'avenir puisque les annotations et états successifs d'un texte font désormais partie des fichiers produits par des logiciels comme Word, et sont susceptibles de disparaître au terme de quelques manips.)

Dans plusieurs des cas examinés dans cet article, l'art est en fait au service d'une esthétique, celle du réalisme — et pas seulement le réalisme mineur de la vraisemblance dans les dialogues. La grande différence par rapport à la littérature mimétique, c'est qu'il s'agit d'un réalisme gouverné par une xéno-encyclopédie plus ou moins assemblée de toutes pièces. Si la littérature mimétique s'écrit entre les lignes de l'encyclopédie mentale assemblée par le lecteur à partir de ses propres expériences du monde et de ce qu'il retire du texte, on pourrait soutenir que la science-fiction fait le contraire : la fiction apparaît entre les lignes de la xéno-encyclopédie que le texte doit mettre en place pour que la fiction soit compréhensible. Pour le lecteur, les proportions sont inversées : l'essentiel de son encyclopédie mentale est fourni par le texte et non par son vécu.

Sauf que la xéno-encyclopédie doit également filtrer entre les lignes du texte, ce qui frise le paradoxe mais qui démontre la difficulté de l'art de la science-fiction.

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