2006-04-22

 

Retour à Québec

C'est la nuit qu'elle est belle, Québec. Quand l'autobus arrive par la 40 et que les lumières de la ville brûlent au cœur de la nuit comme une éruption allumant un incendie au creux d'un bol de roche noire. Quand l'autobus plonge dans la ville et morcelle ses feux en mille étincelles individuelles. Quand on a encore le souffle coupé par l'entrée dans cette citadelle de lumière.

Mieux vaut ne pas découvrir ces lotissements à perte de vue en plein jour. Ou sinon, il faut rester sur les hauteurs qui nous donnent le coup d'œil de l'aigle qui règne sur tout ce que ses ailes embrassent.

Cela fait longtemps que je viens à Québec. Très jeune, j'ai fréquenté le couvent des Ursulines au cœur de la ville haute. Une vieille tante de mon père s'y était retirée après une longue carrière dans l'enseignement. Je longeais des couloirs aux murs de pierre épais comme des remparts, construits aux premiers temps de la colonie pour se défendre du froid, et je me disais que des catéchumènes hurons ou algonquins avaient sans doute longé les mêmes murs trois siècles plus tôt. L'historien ne croit pas aux fantômes; il met ses pas dans les leurs.

L'auberge de jeunesse dans le vieux Québec n'est pas aussi ancienne, mais elle occupe un ancien pensionnat (de jeunes filles?). Lors de mes premiers séjours, il y a une quinzaine d'années, les chambres avaient conservé leur cloisons de bois d'origine. Je me souviens même d'être tombé une fois sur une ouverture qui donnait soit sur la chambre voisine soit sur un espace interstitiel. Ce qui m'a rappelé La Dame en couleurs, le dernier film de Claude Jutra, où de jeunes orphelins enfermés dans un asile découvraient des passages condamnés et des cachettes... (Un peu comme dans Girl, Interrupted aussi.)

Les rénovations ont amélioré le confort tout en faisant disparaître beaucoup de traces de l'ancien pensionnat. Il ne reste guère plus que l'ancienne chapelle qui faisait aussi office de théâtre, je crois... et les fenêtres. Les doubles fenêtres aux croisées assorties de sections et de poignées variées permettent une multitude de configurations ouvertes. En principe, seulement, car le bois gonflé par les ans, les gonds rouillés et la peinture qui s'écaille opposent une résistance plus ou moins grande aux tentatives d'aération. Mais c'est d'époque.

Le matin, j'ai aperçu Christ Oliver dans le réfectoire de l'auberge. Il ne m'a pas vu, je crois, et je ne l'ai pas vu au Salon.

Le Salon international du Livre de Québec est présidé par Bryan Perro, qui joue son rôle avec bonhomie. Le succès rend plus détendu quand il est sans ambiguïté, et Perro accumule les honneurs, les prix et les gains. Durant ma séance de dédicaces, j'ai repéré des jeunes avec un tee-shirt au nom d'Amos Daragon ou un exemplaire de l'adaptation en BD.

Ce que je regrette en définitive, c'est que le succès des incarnations actuelles de la fantasy québécoise, Bryan Perro et Anne Robillard, ne profite pas aux maisons spécialisées. Aux États-Unis, le succès de Robert Jordan, par exemple, profite à tous les auteurs des éditions Tor. (Si Jordan n'augmente pas leurs ventes, il finance au moins leur publication.) Au Québec, leur succès inspire surtout les imitateurs; de nombreuses maisons d'édition s'essaient à publier de la fantasy pour jeunes. Quand la vague retombera, qu'en restera-t-il?

Les journalistes s'extasieront sur d'autres succès de librairie et les éditeurs (s'il en reste dans le domaine du livre en bois mort) s'élanceront comme une meute sur les traces de la nouvelle recette infaillible pour attirer de l'or dans leurs coffres.

Après ma visite au Salon, j'ai poussé une pointe jusqu'à l'Anse-au-Foulon, le Ground Zero de l'histoire canadienne. Il existe maintenant une route en pente douce qui grimpe de la berge du fleuve jusqu'aux plaines d'Abraham, mais la route aménagée pour les besoins de la circulation automobile ne permet pas de juger de l'état antérieur des lieux. Je me suis aventuré dans le sous-bois pour gravir les autres pentes et c'est assurément plus abrupt, et plus difficultueux. La fonte encore récente des neiges a détrempé le sol et la terre mouillée cède sous mes pas. Je parviens au sommet, apparemment dans la cour arrière d'une demeure inhabitée, et je redescends, ce qui n'est pas moins difficile...

La journée s'achève au Boudoir Lounge avec Pat et quelques autres habitués des salons du livre, dont un fils du ministre des finances du Québec. C'est l'occasion de parler politique après avoir parlé femmes et hockey (pas nécessairement dans cet ordre).

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