2005-12-30
L'histoire d'hier passe par demain
Dans l'article de Simon Schama publié aujourd'hui par The Guardian, l'historien se transforme nécessairement en futurologue pour parler du présent, c'est-à-dire pour faire le bilan de la décennie des années zéro — les noughties, comme dit Schama en anglais, avec un humour très pince-sans-rire. Car il a tendance à trouver que l'humanité a été très naughty durant ces mêmes années si on la regarde avec les yeux de l'historienne numérique Sibylle, qui vivrait au tournant du vingt-deuxième siècle...
Après tout, pour que l'historien identifie les points tournants d'une époque, il doit bénéficier d'un certain recul. Quand il écrit sur l'Antiquité, le Moyen-Âge ou le vingtième siècle, il a l'avantage de vivre à des siècles de distance, ou à quelques décennies tout au moins. Mais s'il veut traiter du présent, il n'a d'autre choix que l'anticipation d'un futur dont les transformations donneront tout leur sens aux événements des cinq ou six dernières années.
Schama rappelle les catastrophes évitées ou repoussées : le bogue de l'an 2000, la prochaine épidémie de grippe (aviaire?), l'usage de la variole par des terroristes... mais Sibylle a les yeux fixés sur la catastrophe qui est en cours et qu'on ne remarque qu'à l'occasion. Les déprédations de l'environnement et les changements climatiques altèrent notre planète et sa biosphère de manière irréversible. Mais Schama cède au travers des vertueux en mettant toute la faute sur un seul bouc émissaire, l'administration de George W. Bush, qui incarne l'insouciance d'un pays que le Hummer symbolise à la perfection.
Ce qui montre le bout de l'oreille dans ce passage, c'est l'intégrisme des puristes écologiques qui réclament non seulement que l'environnement soit sauvé mais qu'il soit sauvé de la façon exigée par eux. Si l'énergie nucléaire et la séquestration du bioxyde de carbone sous terre ou sous les mers permettaient d'atteindre les objectifs de la conférence de Montréal, ils semblent que de nombreux puristes préféreraient à ces solutions imparfaites mais efficaces un monde plus pollué si seulement les Hummers en étaient bannis et la famille Bush reléguée au complet dans un quartier pauvre de la Nouvelle-Orléans. Tant pis pour le pragmatisme...
Sibylle voit dans cette décennie incomplète l'extinction des Lumières allumées au dix-huitième siècle et la fin du progressisme. Elle est aussi frappée par la montée du religieux, même si elle ne date son triomphe — son apogée? — que des années zéro. Là où je voyais il y a quelques jours un phénomène déjà vieux de deux ou trois décennies, elle en fait quelque chose de beaucoup plus récent. Sans doute a-t-il fallu que le fanatisme religieux emprunte les jouets produits par les nouvelles technologies pour que Simon Schama se rende compte de la présence de si nombreux croyants auparavant invisibles...
Le ronchonnement est une vieille tradition britannique et Simon Schama profite de l'année qui s'achève (dans des conditions soi-disant polaires en Angleterre) pour s'en donner à cœur joie. Je soupçonne que la fin des Lumières, du progrès ou du libéralisme a été déjà proclamée plus d'une fois. Lors du Congrès de Vienne. Après la réaction européenne à 1848. Lors de la montée des fascismes après la Grande Guerre...
Mais si je crois volontiers que l'humanité est engagée dans une course au progrès qui lui permettra soit d'atteindre un développement durable soit de périr dans un monde épuisé, les meilleures études que je connaisse indique que nous marchons encore sur le fil du rasoir. Globalement, il reste des riches et des pauvres. Les riches sont plus riches, en partie parce que l'aisance n'a pas de plafond fixe, mais les pauvres sont toujours aussi pauvres, en partie parce qu'il est impossible de connaître moins que l'indigence ou le dénuement sans disparaître. Entre les deux, le sort matériel d'une partie du monde s'est amélioré, mais, comme la population a augmenté, cela ne change pas grand-chose à l'état du monde il y a quelques décennies. Ce qui est manifestement faux, toutefois, c'est d'affirmer que les choses empirent. Mais il est sans doute plus facile d'être pessimiste et de ronchonner dans un pays aussi riche que le Royaume-Uni, où il est plus simple de voir ce qu'on n'a pas que ce qu'on a.
La course continue.
Après tout, pour que l'historien identifie les points tournants d'une époque, il doit bénéficier d'un certain recul. Quand il écrit sur l'Antiquité, le Moyen-Âge ou le vingtième siècle, il a l'avantage de vivre à des siècles de distance, ou à quelques décennies tout au moins. Mais s'il veut traiter du présent, il n'a d'autre choix que l'anticipation d'un futur dont les transformations donneront tout leur sens aux événements des cinq ou six dernières années.
Schama rappelle les catastrophes évitées ou repoussées : le bogue de l'an 2000, la prochaine épidémie de grippe (aviaire?), l'usage de la variole par des terroristes... mais Sibylle a les yeux fixés sur la catastrophe qui est en cours et qu'on ne remarque qu'à l'occasion. Les déprédations de l'environnement et les changements climatiques altèrent notre planète et sa biosphère de manière irréversible. Mais Schama cède au travers des vertueux en mettant toute la faute sur un seul bouc émissaire, l'administration de George W. Bush, qui incarne l'insouciance d'un pays que le Hummer symbolise à la perfection.
Ce qui montre le bout de l'oreille dans ce passage, c'est l'intégrisme des puristes écologiques qui réclament non seulement que l'environnement soit sauvé mais qu'il soit sauvé de la façon exigée par eux. Si l'énergie nucléaire et la séquestration du bioxyde de carbone sous terre ou sous les mers permettaient d'atteindre les objectifs de la conférence de Montréal, ils semblent que de nombreux puristes préféreraient à ces solutions imparfaites mais efficaces un monde plus pollué si seulement les Hummers en étaient bannis et la famille Bush reléguée au complet dans un quartier pauvre de la Nouvelle-Orléans. Tant pis pour le pragmatisme...
Sibylle voit dans cette décennie incomplète l'extinction des Lumières allumées au dix-huitième siècle et la fin du progressisme. Elle est aussi frappée par la montée du religieux, même si elle ne date son triomphe — son apogée? — que des années zéro. Là où je voyais il y a quelques jours un phénomène déjà vieux de deux ou trois décennies, elle en fait quelque chose de beaucoup plus récent. Sans doute a-t-il fallu que le fanatisme religieux emprunte les jouets produits par les nouvelles technologies pour que Simon Schama se rende compte de la présence de si nombreux croyants auparavant invisibles...
Le ronchonnement est une vieille tradition britannique et Simon Schama profite de l'année qui s'achève (dans des conditions soi-disant polaires en Angleterre) pour s'en donner à cœur joie. Je soupçonne que la fin des Lumières, du progrès ou du libéralisme a été déjà proclamée plus d'une fois. Lors du Congrès de Vienne. Après la réaction européenne à 1848. Lors de la montée des fascismes après la Grande Guerre...
Mais si je crois volontiers que l'humanité est engagée dans une course au progrès qui lui permettra soit d'atteindre un développement durable soit de périr dans un monde épuisé, les meilleures études que je connaisse indique que nous marchons encore sur le fil du rasoir. Globalement, il reste des riches et des pauvres. Les riches sont plus riches, en partie parce que l'aisance n'a pas de plafond fixe, mais les pauvres sont toujours aussi pauvres, en partie parce qu'il est impossible de connaître moins que l'indigence ou le dénuement sans disparaître. Entre les deux, le sort matériel d'une partie du monde s'est amélioré, mais, comme la population a augmenté, cela ne change pas grand-chose à l'état du monde il y a quelques décennies. Ce qui est manifestement faux, toutefois, c'est d'affirmer que les choses empirent. Mais il est sans doute plus facile d'être pessimiste et de ronchonner dans un pays aussi riche que le Royaume-Uni, où il est plus simple de voir ce qu'on n'a pas que ce qu'on a.
La course continue.
Libellés : Effet de serre, Environnement, Futurisme