2005-12-21
Le retour du religieux, une chance pour le futur?
Malraux n'aurait jamais dit que le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas, mais s'il l'a bien dit en 1968, il aurait parfaitement saisi le changement de sens du vent. Jusqu'à cette date, les grandes religions du monde subissaient le vent du changement soufflé par la modernité et elles pliaient. Le pape Jean XXIII avait convoqué le concile Vatican II (1962-1965) et mis en branle de vastes transformations liturgiques. Dans le monde arabe, le marxisme était plus à la mode que l'islamisme. Il existait encore un vaste ensemble de nations se réclamant officiellement du communisme. Au Québec de la Révolution tranquille, les églises se vidaient...
Mais tout allait changer avec la décennie suivante. En 1968, le pape Paul VI signait l'encyclique Humanæ vitæ qui fixait une borne inamovible à la modernisation de l'Église catholique. Les sectes néo-religieuses montaient en force (culminant, en un sens, avec le massacre de Jonestown en 1978). En 1978, le pape Jean-Paul II, nouvellement élu, annonçait un retour à un respect plus strict du dogme catholique; les Soviétiques n'oseraient pas l'empêcher de visiter la Pologne à un moment critique du déclin du communisme, tandis que les Chinois n'oseraient jamais le laisser mettre le pied en Chine... En Iran, la prise du pouvoir par Khomeini en 1979 aboutit à l'instauration du premier État islamiste, une théocratie chiite. Aux États-Unis, enfin, l'élection de Jimmy Carter en 1976 avait déjà signalé la recherche d'un retour aux valeurs chrétiennes de la part d'un électorat déboussolé par le cynisme de l'administration Nixon qui avait succédé à la Realpolitik des Démocrates. (Je rappelle que Carter, un Baptiste du Sud, professait le dimanche le catéchisme de sa confession depuis sa jeunesse, comme son propre père.) Le début de l'ascension des conservateurs chrétiens aux États-Unis sera confirmé par l'élection de Ronald Reagan et l'extension de leur influence ne sera interrompue que par la division du vote qui a permis l'élection de Bill Clinton; pendant ce temps, leurs missionnaires resteront actifs sur le terrain en Amérique du Sud et en Afrique.
Dans la mesure où les attentats du 11 septembre ont été religieux, le vingt-et-unième siècle a bel et bien commencé sous des auspices religieux. À l'islamisme de Ben Laden a répondu la foi affichée de George W. Bush et de Tony Blair. À Jean-Paul II a succédé Benoît XVI. En Iran, la pouvoir est maintenant aux mains d'une secte millénariste au sein même du chiisme.
Si c'est un retour du religieux, c'est parce qu'il était parti, ou avait fait mine de partir. Mais quand? Il faut remonter aux Lumières, bien entendu, puis au dix-neuvième siècle, qui fait la démonstration pratique des avantages du matérialisme. De manière assez intéressante, c'est à cette époque qu'on commence vraiment à imaginer le futur. En France, Mercier imagine la France dans quelques siècles. En Angleterre, Mary Shelley verse aussi dans l'anticipation et elle fait parler de futurity aux personnages de Valperga. Tout au long du dix-neuvième siècle, les progressistes fixeront à l'avenir la tâche de réaliser les espérances d'un monde meilleur et la culmination de cette tendance se verra bien sûr dans le marxisme.
L'avenir entre donc dans les esprits quand la religion en sort. Est-ce donc un substitut? Le futur est-il nécessairement une eschatologie laïque? Dans un essai célèbre, Vernor Vinge a diagnostiqué une hésitation à se projeter dans l'avenir chez les auteurs de science-fiction et il l'a attribué à la Singularité. Mais se pourrait-il que la Zeitgeist soit hostile à l'avenir parce que l'air du temps est aux passions religieuses?
Peut-être. Quand le futur est annoncé comme différent, il peut fixer les espérances et orienter les existences. Mais quand le futur est annoncé comme pareil au présent, on est rejeté vers soi-même et son existence présente, souvent jugée déficiente. La religion peut alors fournir des réponses — et un sens. Or, les anticipations les plus grandioses du vingtième siècke n'ont pas été réalisées. L'an 2000 n'a pas rempli ses promesses et le futur est tellement balisé par la planification qu'il apparaît maintenant comme une simple annexe du présent; il sera sans doute différent, mais pas au point de permettre tous les fantasmes.
Je suis conscient que cette analyse est un peu courte. Les croyants les plus militants n'ont sans doute jamais été des sceptiques ou des progressistes, et de nombreux citoyens, en particulier dans les pays industrialisés, vivent suspendus entre le mode de la croyance religieuses et le mode du scepticisme sans nécessairement prendre parti.
Sauf que le monde n'appartient pas à ceux qui s'abstiennent et il suffit d'un Osama Ben Laden, d'un George W. Bush, d'un Mahmoud Ahmadinejad pour changer le destin des nations. Leurs mots et leurs gestes peuvent faire froid dans le dos, mais je crois au retour du balancier. Pour se méfier du religieux, il faut faire de temps en temps l'expérience d'un monde gouverné par des croyants. L'humanisme et le progressisme ayant été discrédité par les excès du communisme ou par les hypocrisies des pays occidentaux, il faut maintenant donner au «religionnisme» le chance de se couler pour changer l'évaluation des autres options. En espérant que le monde ne sera pas détruit d'ici le retour inéluctable du balancier...
Mais tout allait changer avec la décennie suivante. En 1968, le pape Paul VI signait l'encyclique Humanæ vitæ qui fixait une borne inamovible à la modernisation de l'Église catholique. Les sectes néo-religieuses montaient en force (culminant, en un sens, avec le massacre de Jonestown en 1978). En 1978, le pape Jean-Paul II, nouvellement élu, annonçait un retour à un respect plus strict du dogme catholique; les Soviétiques n'oseraient pas l'empêcher de visiter la Pologne à un moment critique du déclin du communisme, tandis que les Chinois n'oseraient jamais le laisser mettre le pied en Chine... En Iran, la prise du pouvoir par Khomeini en 1979 aboutit à l'instauration du premier État islamiste, une théocratie chiite. Aux États-Unis, enfin, l'élection de Jimmy Carter en 1976 avait déjà signalé la recherche d'un retour aux valeurs chrétiennes de la part d'un électorat déboussolé par le cynisme de l'administration Nixon qui avait succédé à la Realpolitik des Démocrates. (Je rappelle que Carter, un Baptiste du Sud, professait le dimanche le catéchisme de sa confession depuis sa jeunesse, comme son propre père.) Le début de l'ascension des conservateurs chrétiens aux États-Unis sera confirmé par l'élection de Ronald Reagan et l'extension de leur influence ne sera interrompue que par la division du vote qui a permis l'élection de Bill Clinton; pendant ce temps, leurs missionnaires resteront actifs sur le terrain en Amérique du Sud et en Afrique.
Dans la mesure où les attentats du 11 septembre ont été religieux, le vingt-et-unième siècle a bel et bien commencé sous des auspices religieux. À l'islamisme de Ben Laden a répondu la foi affichée de George W. Bush et de Tony Blair. À Jean-Paul II a succédé Benoît XVI. En Iran, la pouvoir est maintenant aux mains d'une secte millénariste au sein même du chiisme.
Si c'est un retour du religieux, c'est parce qu'il était parti, ou avait fait mine de partir. Mais quand? Il faut remonter aux Lumières, bien entendu, puis au dix-neuvième siècle, qui fait la démonstration pratique des avantages du matérialisme. De manière assez intéressante, c'est à cette époque qu'on commence vraiment à imaginer le futur. En France, Mercier imagine la France dans quelques siècles. En Angleterre, Mary Shelley verse aussi dans l'anticipation et elle fait parler de futurity aux personnages de Valperga. Tout au long du dix-neuvième siècle, les progressistes fixeront à l'avenir la tâche de réaliser les espérances d'un monde meilleur et la culmination de cette tendance se verra bien sûr dans le marxisme.
L'avenir entre donc dans les esprits quand la religion en sort. Est-ce donc un substitut? Le futur est-il nécessairement une eschatologie laïque? Dans un essai célèbre, Vernor Vinge a diagnostiqué une hésitation à se projeter dans l'avenir chez les auteurs de science-fiction et il l'a attribué à la Singularité. Mais se pourrait-il que la Zeitgeist soit hostile à l'avenir parce que l'air du temps est aux passions religieuses?
Peut-être. Quand le futur est annoncé comme différent, il peut fixer les espérances et orienter les existences. Mais quand le futur est annoncé comme pareil au présent, on est rejeté vers soi-même et son existence présente, souvent jugée déficiente. La religion peut alors fournir des réponses — et un sens. Or, les anticipations les plus grandioses du vingtième siècke n'ont pas été réalisées. L'an 2000 n'a pas rempli ses promesses et le futur est tellement balisé par la planification qu'il apparaît maintenant comme une simple annexe du présent; il sera sans doute différent, mais pas au point de permettre tous les fantasmes.
Je suis conscient que cette analyse est un peu courte. Les croyants les plus militants n'ont sans doute jamais été des sceptiques ou des progressistes, et de nombreux citoyens, en particulier dans les pays industrialisés, vivent suspendus entre le mode de la croyance religieuses et le mode du scepticisme sans nécessairement prendre parti.
Sauf que le monde n'appartient pas à ceux qui s'abstiennent et il suffit d'un Osama Ben Laden, d'un George W. Bush, d'un Mahmoud Ahmadinejad pour changer le destin des nations. Leurs mots et leurs gestes peuvent faire froid dans le dos, mais je crois au retour du balancier. Pour se méfier du religieux, il faut faire de temps en temps l'expérience d'un monde gouverné par des croyants. L'humanisme et le progressisme ayant été discrédité par les excès du communisme ou par les hypocrisies des pays occidentaux, il faut maintenant donner au «religionnisme» le chance de se couler pour changer l'évaluation des autres options. En espérant que le monde ne sera pas détruit d'ici le retour inéluctable du balancier...
Libellés : Futurisme, Histoire, Religion