2007-05-31

 

De la rivière à l'océan

Hier, le nouveau roman d'Esther Rochon, La rivière des morts, connaissait son lancement montréalais au Centre Shambhala. Arrivé en retard, j'ai assisté à la lecture d'un long extrait du début par l'autrice. Comme j'ai déjà lu le livre mais que je ne l'ai pas relu, j'ai été frappé par les indices semés dès les premières pages pour préparer la révélation majeure du roman. En fait, il s'agit moins d'un indice que d'un écho par avance, la constitution d'un ensemble de motifs qui prendront tout leur sens avec cette révélation, tout en rendant celle-ci un tantinet moins surprenante ou étrangère dans le cadre de notre monde.
Après, j'ai embarqué sur les sept mers. La troisième livraison de Pirates of the Caribbean est trop frénétique pour avoir le charme du premier et, dans une moindre mesure, du deuxième. Ce qui n'en fait quand même pas un film à dédaigner. La dimension fantastique des premiers films s'amplifie encore plus et nous fait verser dans un univers qui prend de l'épaisseur. À la limite, l'action est légèrement plus lisible que dans les scènes fort affairées du film précédent. La fin laisse prévoir une suite possible, si les profits le justifient, et elle permet de juxtaposer le capitaine Jack qui vogue à la recherche de la fontaine de Jouvence pour accéder à l'immortalité personnelle et, dans la dernière scène insérée après le générique, l'enfant d'Elizabeth, autre moyen de défier la mort. La fraîcheur des débuts n'y est plus, mais, dans la catégorie des grands machins hollywoodiens, c'est un film qui conserve beaucoup d'inventivité et quelques bons gags.

Libellés : , , ,


2007-05-30

 

Option Canada

Le Québec est en train de se payer une nouvelle ronde de prospection de son nombril collectif, le tout mené par les membres d'une certaine génération qui ne se fatigue pas d'avoir tout raté, d'un référendum à l'autre, de reculs économiques en reculs démographiques. L'affaire Option Canada avait été lancée il y a un moment; le rapport Grenier la remet sur le tapis.

Sur ce blogue, je privilégie les choses qu'on ne dit pas ou qu'on n'entend pas. Pour tout le reste, il y a les grands médias et l'essentiel de la blogosphère.

D'abord, j'observe que les indépendantistes s'en donnent à cœur joie parce que la balance, en 1995, a penché du côté du statu quo. La marge était si serrée qu'on peut incriminer n'importe quoi comme facteur responsable de la défaite. L'argent et des votes ethniques, par exemple. Les votes des militaires ou des citoyens de fraîche date. Ou les dépenses non comptabilisées d'Option Canada... Mais je me demande toujours si les plus réalistes parmi ceux qui ont voté oui ne sont pas soulagés de ne pas avoir eu à se lancer dans la marche à l'indépendance — de se jeter dans la cage à homards de Parizeau — avec un résultat également serré, mais dans l'autre sens. Si le statu quo nous vaut autant de récriminations, qu'est-ce que ce serait s'il avait fallu que ce soit l'indépendance, avec tous ses bouleversements? Imaginez un peu où nous en serions... Alors, franchement, on a du mal à prendre au sérieux Robin Philpot et consorts en vierges offensées. Réclament-ils sérieusement qu'on invalide le résultat du référendum en 1995 et qu'on fasse l'indépendance? Ce serait pourtant l'aboutissement logique de la démonstration, mais, bien sûr que non, il ne s'agit en réalité que d'une opération de basse politique, pour salir l'adversaire et marquer des points.

Ensuite, sur le principe, je trouve qu'il faudrait admettre que la loi québécoise trouve sa limite dans le cas précis d'un référendum menant à l'indépendance. La loi québécoise sur le contrôle des dépenses pendant les élections et les référendums est parfaitement fondée dans le cas d'élections provinciales et de référendums portant sur des enjeux provinciaux. Mais l'indépendance du Québec est un enjeu qui implique tout le Canada. Ce sont des millions de Canadiens qui seraient séparés des leurs par une frontière ou un État étranger en cas d'indépendance. Alors, si des compagnies aériennes permettent à des Canadiens de se rendre à Montréal pour une grande manifestation à prix réduit, cela doit-il être réellement compté dans les dépenses des deux camps québécois?

En cas de référendum engageant l'avenir du Canada tout entier, la loi référendaire est une absurdité (ou une trouvaille fort ingénieuse) parce qu'elle pose comme acquise l'existence distincte du Québec qui est précisément en cause. Bref, qui s'attarde un moment sur cette situation dont les règles avaient été fixées et étaient appliquées par une administration et un gouvernement contrôlés par une seule des parties en lice doit finir par admettre que c'était loin d'être idéalement démocratique. En 1995 comme aujourd'hui, je pense qu'un autre référendum québécois sur la question souverainiste ne devrait pas se passer sans la présence d'observateurs internationaux. L'affaire Option Canada confirme que ni les uns ni les autres n'ont prouvé qu'ils seraient capables de se plier aux règles sans une supervision extérieure.

Libellés : , ,


2007-05-29

 

Remonter à la source (2)

Cela fait longtemps que je voulais donner suite à la première livraison de cette série, mais il est si facile désormais de trouver des informations en-ligne que je doutais un peu de son utilité.

Je profite cependant du dernier billet de l'excellent blogue sur le réchauffement climatique, RealClimate, pour réunir certains des sites fournissant des données fondamentales sur les glaciers de la planète, et en particulier les glaciers de montagne, dits alpins.

D'abord, il faut connaître le site du service de surveillance des glaciers du monde (World Glacier Monitoring Service), domicilié à l'Université de Zurich. Du côté des États-Unis, le National Snow and Ice Data Center est hébergé par l'Université du Colorado à Boulder et offre de nombreux services et sources d'informations, y compris une section sur l'état de ce qu'on appelle la cryosphère. On peut y retrouver des paires de photos de glaciers comparant l'état ancien et l'état présent, comme on peut en voir dans le film d'Al Gore.

À ce sujet, je signale l'article de James E. Hansen qui rappelle que, si l'histoire des sciences permet de croire que la communauté scientifique se trompe, cela pourrait tout aussi bien concerner une sous-estimation des risques du réchauffement climatique que leur exagération. Cela s'ajoute à la description du problème de la fonte mondiale des glaces par la revue National Geographic. Les scénarios du GIEC envisagent pour 2100 une montée des océans se situant entre 20 et 60 cm, sans compter la possibilité de 20 cm supplémentaires correspondant à la désintégration dynamique des glaciers... Mais une montée de 80 cm ne serait pas le pire des cas; il faudrait peut-être envisager la fonte quasi complète des glaces alpines, du Groenland et de l'Antarctique occidental, ce qui donnerait une montée potentielle de l'ordre de 20 mètres en tenant compte de l'expansion thermique des océans gonflés par ces eaux additionnelles.

Quel serait l'effet d'une hausse de 20 mètres? Au Canada, jetons un coup d'œil à la ville de Vancouver, la troisième du pays en importance. En ce moment, une carte du centre-ville ressemble à ceci :Si on refait la carte en incluant une hausse de 20 mètres des océans, le centre-ville de Vancouver est radicalement transformé. L'île de Granville, qui sert de décor à une nouvelle de science-fiction de William Gibson, « Winter Market », disparaîtrait sous les flots, ainsi que le site de l'Exposition universelle en 1986 au bout de False Creek. Le parc Stanley se réduit à un archipel de trois îles boisées, tandis que le centre-ville de Vancouver est également réduit à un trio d'îles. Et il ne reste pas grand-chose des principaux quartiers de North Van...

Libellés : , , ,


2007-05-28

 

Science-fiction philosophique

J'ai fini dans l'avion la lecture du l'essai I Am A Strange Loop. L'ouvrage de Hofstadter souffre de sa richesse même, car il a tendance à vouloir tout étreindre au risque de mal embrasser. Une digression sur le sujet de Bach et d'Albert Schweitzer, afin d'illustrer le concept de grandeur d'âme, frise le radotage de l'enthousiaste qui veut tout rattacher, de Bach au végétarianisme, à son idée centrale. (Ce qui ne m'empêche pas d'être d'accord avec l'idée que la grandeur d'âme s'identifie parfaitement à l'empathie qui permet de simuler un grand nombre d'autres consciences, humaines ou non, bref de sympathiser avec autrui.)

Est-ce un signe de sénescence ou est-ce la preuve que le cerveau humain, en vieillissant, devient plus sensible aux liens multiples susceptibles de rapprocher des réalités multiples? L'hétérogénéité (certes relative) du texte tient de l'inventaire avant-décès ou du rabâchage du vétéran revenant sur ses vieilles gloires. Surtout que Hofstadter n'approfondit pas certaines questions, se bornant à les rejeter comme inadmissibles ou ridicules.

Pourtant, si j'adhère volontiers à l'idée d'une personnalité édifiée par une panoplie de symboles accumulés au fil des ans, reconnus comme tels, perçus, maniés et modifiés en fonction des résultats obtenus par l'action ou la réflexionm je ne suis pas aussi prompt à identifier cette boucle étrange au phénomène de la conscience de soi. Suffit-il vraiment de générer des configurations de symboles qui se mordent la queue en s'incorporant elles-mêmes dans les représentations appréhendées? Cette boucle étrange suffit-elle à expliquer la conscience, ou plus exactement son mouvement tout autant que sa nature? Explique-t-elle en définitive l'expérience de la conscience? À quel moment la conscience intervient-elle? Hofstadter critique efficacement les autres solutions, mais une solution par défaut n'est convaincante que si toutes les autres ont été éliminées à coup sûr.

Or, si la multiplicité de l'identité et même l'inexistence de l'identité unique dans le temps s'acceptent facilement, on souhaiterait une explication plus approfondie du processus dont surgit la conscience. Les détails de l'explication soumise par Damasio s'estompent, mais elle avait le mérite d'être plus concrète et plus suivie, il me semble.

La synthèse de Hofstadter n'est donnée que dans les deux dernières pages. Il suggère, sans le dire tout à fait, que la conscience apparaît quand nous transformons le picotement dans des jambes ankylosées en une analogie imagée, « J'ai des fourmis dans les jambes », que nous sommes ensuite capables de reconnaître comme une métaphore et d'apprécier pour le rapport (surprenant) établi entre une réalité physique et une sensation hypothétique. Cela se passe ainsi, certes. Mais il m'a toujours semblé que la succession de ces événements avait un spectateur, puisque j'ai toujours senti que mon écriture avait un spectateur qui assistait un peu en retrait au surgissement du texte. Cette dichotomie entre fonctionnement observable de l'esprit et conscience de l'observateur s'expliquerait par la conscience de base postulée par Damasio, qui s'intéresse nettement moins aux manipulations de symboles en tant que telles.

Pour le profane que je suis, la comparaison entre Damasio et Hosftadter n'est pas nécessairement à l'avantage de ce dernier, car les arguments de Damasio paraissent plus scientifiques parce qu'ils s'enracinent plus directement dans les découvertes concrètes de la neurologie. Ce qui n'empêche pas le dernier pas de la démonstration de relever d'une forme d'induction dans les deux cas.

Mais Hofstadter fait intervenir un certain nombre d'expériences par la pensée qui exigent parfois d'imaginer des univers étranges et des possibilités inusitées. Souvent, il décrit des situations qui relèvent de la science-fiction, mais ceci le gêne :

« I am hesitant to adduce too many science-fiction-like scenarios in order to explain and justify my ideas about soul and consciousness, because doing so might give the impression that my viewpoint is essentially tied to the indiscriminate mentality of an inveterate science-fiction junkie, which I am anything but. Nonetheless, I think such examples are often helpful in getting one to break free of ancient, deeply rooted prejudices. »

On reparlera une autre fois des préjugés... En tout cas, on peut aussi y voir une preuve de la proximité entre la science-fiction et la philosophie. La science-fiction a des racines dans le terreau du conte philosophique, mais sa démarche est de plus en plus souvent assimilée à celle du Gedankenexperiment. Littérature de la conjecture, à base de « Et si ? », la science-fiction formule volontiers des hypothèses dont elle explore ensuite les conséquences et plusieurs des scénarios de Hofstadter posant la question de l'identité ressemblent à des scénarios bel et bien employés en science-fiction, tant dans les séries de Star Trek que dans les textes d'auteurs comme Greg Egan ou Jean-Jacques Girardot.

Ce qui me conforte dans mon idée que la science-fiction est un genre littéraire hybride, qui s'éloigne beaucoup plus qu'on veut bien le dire des autres formes narratives.

Libellés : , , ,


2007-05-27

 

Bouclant la boucle

Le bleu de la Méditerranée

Prenons un ciel bleu du Languedoc-Roussillon, sans un nuage, posé comme un couvercle sur un village au milieu des vignes et des garrigues, si pur qu'il semble aspirer, diluer et dissoudre les toitures... Puis, prenons un autre ciel bleu, également pur et sans nuage, mais tendu au-dessus d'un village au bord de la Méditerranée. Pourquoi le second est-il plus absolument, plus intensément bleu et céleste que le premier?

Est-ce l'heure de la journée, qui nous fait voir les couleurs autrement selon que les rayons du Soleil nous tombent dessus de haut ou qu'ils s'allongent paresseusement en travers du paysage? Ou est-ce la présence de la mer qui réverbère la lumière de manière à ce qu'elle éclaire deux fois l'air?

Je penche pour la puissance de l'illumination directe, qui s'abat du zénith sur les façades ocrées et les toits roux des maisons de telle sorte que chaque édifice brille d'une lueur dure et réfractaire, qui s'impose si fort aux regards que le ciel n'en apparaît que plus parfaitement bleu. Si le soleil qui éclaire le ciel qui éclaire la mer qui éclaire le ciel est un exemple de boucle, l'intervention de notre perception de l'inaltérabilité des maisons chargées de lumière, perception qui agit sur notre perception du ciel bleu, pourrait être un exemple d'une boucle étrange au sens de Hofstadter.

En fait, c'est le cas sans l'être. Pour Hofstadter, une boucle étrange intercale des catégories et des concepts dans la ronde des perceptions. Ces classifications automatiques n'interviendraient pas nécessairement dans ma perception de la lumière méditerranéenne vantée par les peintres (et qui a pu inspirer d'autres artistes, comme Klein), mais plutôt dans ma description de ce ciel bleu, où on ne peut y échapper. La boucle véritable serait donc celle qui me fait observer le ciel en songeant à la mer, même quand elle se cache au-delà des collines, et à la luminosité légendaire de la Provence comme si elle était une entité en soi, si bien enracinée au bord des calanques qu'elle ne pourrait être retrouvée en Californie, au Chilie ou en Australie. De sorte qu'en parlant de la lumière du ciel aujourd'hui entre Marseille et Cannes, je parle de ma capacité de penser cette lumière.

Boucle étrange, décidément, que celle dont la réalité est exclue! Mais c'est la garantie de son autonomie. Au cœur de son livre, Hofstadter s'interroge d'ailleurs sur ce qui survit de l'autre après sa mort. La personne disparue survit chez les autres, qui ont plus ou moins édifié un modèle de ses gestes, de ses habitudes de parole, de ses idées, bref, de toute sa personnalité. Lorsque les expériences formatrices de cette personnalité ont été partagées, Hofstadter se demande sérieusement si cette personnalité attribuée à l'autre dans notre tête, si ce modèle plus ou moins minutieux, si cet homoncule virtuel ne mérite pas d'être, au contraire, identifié en partie à la personnalité logée naguère dans la tête de la personne disparue? La carte serait le territoire.

Et le pouvoir d'une photo ou d'une autre trace tangible de la disparue serait grand, car il ne ressusciterait pas de simples souvenirs personnel ou « photographiques », mais une entité fruste et incroyablement complexe à la fois... et aussi capable de souffrir d'être morte?

Quand les primitifs tiennent une photo pour un piège de l'âme, c'est-à-dire un moyen de dérober une partie de l'identité essentielle, serait-ce parce que la photo de la personne défunte informerait notre petite version interne de celle-ci qu'elle est morte, lui faisant porter le deuil d'elle-même et la tuant par le fait même, une fois de plus — au moins un peu? Je trouve douloureuses les photos de mes disparus et je ne suis pas (encore) porté à m'attarder dessus : est-ce dans l'espoir de conserver à mes morts une forme de vie? Et si c'était le fait de regarder ces photos qui, à chaque fois, dérobait une partie des âmes d'autrui que nous portons en nous? Jusqu'à ce qu'il ne reste plus en nous que des souvenirs vécus et ressassés par nous seuls, parce que nous sommes désormais seuls dans nos têtes...

Ce n'est pas exactement ce que Hofstadter propose dans un chapitre consacré au deuil de sa femme Carol en 1994, mais ce n'en est pas trop éloigné. Et c'est un sujet que j'ai parfois abordé auparavant.

En un sens, il ne dit pourtant rien de neuf. Les créateurs de tout acabit (artistes, ouvriers, écrivains, politiciens, généraux, danseurs, etc.) ont toujours désiré produire quelque chose qui leur survivrait, ou plutôt qui permettrait à une partie d'eux de survivre : œuvre ou ouvrage d'art, œuvre littéraire ou constitutionnelle, chef-d'œuvre de stratégie, performance aussi inoubliable qu'éphémère... Hofstadter croit simplement pouvoir affirmer que ces vestiges de nos existences contiennent réellement une partie des schémas à la base de notre identité.

Ce concept de l'âme et de l'individualité peut sembler, d'une part, extrêmement réducteur et minimaliste. La personnalité n'est plus qu'un ensemble de schémas et de références, flottant à la surface d'une mer de processus biologiques aveugles et dépourvus de sens. Cette dématérialisation complète de l'âme peut également sembler, d'autre part, plus optimiste que les visions plus incarnées. Si l'esprit n'est que pure information, il peut exister sous la forme de copies partielles ailleurs que sous notre crâne et même conserver certaines caractéristiques propres au sein d'échos d'une existence telles que les créations artistiques ou littéraires.

Il s'agit d'une vision des choses particulièrement intéressante pour les écrivains et les historiens, qui seront entièrement prêts à entendre qu'ils travaillent non seulement sur la matière de la mémoire, mais sur la matière même de l'identité humaine. Les médecins qui s'occupent du substrat des individualités particulières et les parents qui investissent dans leur descendance verront sans doute les choses autrement.

Bref, dans I Am A Strange Loop, Douglas Hofstadter revient à ses premières amours (et premières obsessions). Ses arguments ne sont pas toujours convaincants, car il tient pour acquises des préférences qui lui semblent étayer certaines choses. Sauf qu'on en vient à se demander si l'étude de la conscience de soi n'est pas réservée à d'incurables égocentristes... (Comme Descartes, qui a presque dit : Ego cogito ergo sum!) Hofstadter semble croire que tout le monde accorde une plus grande réalité à son soi, mental et corporel, qu'aux objets et phénomènes extérieurs, en particulier s'ils sont lointains ou étrangers. Comme je viens de marcher 110 km en longeant le canal du Midi, au mépris de certaines réalités corporelles, je n'en ferais pas une loi universelle. Mais la boucle que je boucle en revenant à Nice est aussi l'occasion de me pencher, fort étrangement, sur mon voyage qui s'achève. Les lieux vers lesquels je reviens — Nice, Villefranche-sur-Mer — ont maintenant acquis cette patine de familiarité qui m'empêche de les voir aussi clairement qu'au début tout en facilitant mes déplacements. À moins, au contraire, que je puisse consacrer à l'observation plus de temps maintenant que je ne suis plus forcé de réfléchir au chemin que je dois suivre... Les voyages sont-ils des matérialisations de ces boucles à l'origine de la conscience de soi? Quand nous retournons chez nous, les voyages nous forcent à revoir et à revisiter des lieux connus avec un regard neuf, ce qui ferait d'eux une exacerbation même de la conscience.

Mais il me reste encore à terminer le livre de Hofstadter...

Libellés : , , ,


2007-05-26

 

Carcassonne en ses murs...

Si la Cité de Carcassonne apparaît comme une sorte de Disneyland médiéval reconstitué par Viollet-le-Duc au prix de quelques approximations et entassant les restaurants, boutiques et touristes de passage dans les mêmes rues étroites, cela ne m'empêche pas d'avoir longtemps voulu visiter Carcassonne. Tout enfant, ma curiosité (ou un goût pour une forme de rêverie centrée sur les ailleurs inaccessibles) avait été piquée par un roman pour jeunes d'Huguette Carrière, Tony et le garçon de l'autre planète. Il reste toujours une trace de ces tropismes fixés dans la jeunesse...


Depuis, j'ai eu l'occasion de visiter Carcassonne deux ou trois fois, ou de la voir de loin. (Une visite en compagnie de JCD m'avait permis de prendre quelques notes utiles pour deux romans de la série des saisons de Nigelle.) Et je ne me lasse pas de sa silhouette médiévale surgissant sur une crête au-dessus des toitures de la ville moderne. Mais, hier, je couchais à l'intérieur des remparts de la ville fortifiée pour la première fois.

J'ai donc pu faire le tour des remparts à la nuit tombée. Il n'y avait presque personne sous les murs et les tours, à part quelques touristes (dont un couple de Québécois déjà croisés à l'auberge de jeunesse.) Malgré la présence de batteries de projecteurs qui font de la Cité fortifiée un spectacle son et lumière permanent, j'ai trouvé un charme particulier à la circumnavigation des murs, que j'ai inspectés en essayant de distinguer la maçonnerie d'origine des ajouts postérieurs, en particulier ceux de Viollet-le-Duc. Mon ombre grossie par les projecteurs s'étirait jusqu'au sommet des courtines, rasant les créneaux imaginés par l'architecte de jadis. Et la nuit permettait tous les voyages dans le temps...L'auberge de jeunesse de Carcassonne n'est pas particulièrement grande ou accueillante, mais elle jouit d'un emplacement remarquable. Au lieu de se trouver hors les murs, elle se dresse à deux pas du château des Trencavel. Outre quelques touristes britanniques et français (d'un certain âge, dans la plupart des cas), elle accueillait surtout de nombreux jeunes du Canada et de l'Australie. Parmi ceux avec qui j'ai fini la soirée, il n'y avait pas un seul voyageur originaire des États-Unis. Coïncidence? J'en avais croisé plusieurs à l'auberge de Nice, alors leur absence à Carcassonne n'est peut-être qu'un hasard. Mais cela pourrait aussi être le signe d'une désaffection des jeunes touristes étatsuniens pour les destinations européennes trop éloignées des sentiers battus.

Parmi les visiteurs canadiens se trouvaient deux étudiantes en art de la région torontoise qui s'étaient lancées dans un grand tour de dix semaines en Europe de l'Ouest, munies d'un laissez-passer Eurailpass limité. Je n'ai pu résister, malgré des efforts héroïques, à l'envie d'évoquer mon propre voyage dans les mêmes conditions, presque vingt ans plus tôt. J'ai quand même beaucoup écouté et il y a des choses qui ne changent décidément pas : l'horreur suscitée chez les Nord-Américains par les toilettes européennes, les files aux portes des grands musées, le syndrome de Stendhal qui guette une fois à l'intérieur...

Libellés : ,


2007-05-25

 

De Puichéric à Trèbes

Moins de vingt kilomètres de marche : c'est la météo qui me fait renoncer avant d'arriver à Carcassonne. On annonce de la pluie, ce qu'une boulangère de Trèbes transforme, non sans un brin d'exagération méridionale, en orages au pluriel. Comme le ciel s'est couvert et a donné quelques gouttes ainsi qu'un coup de vent qui a renversé les parasols du café, je commets l'erreur de croire aux augures de malheur, et je prends le car pour Carcassonne.

Toutefois, comme le canal de Riquet s'arrêtait autrefois à Trèbes sans passer par Carcassonne (les notables ayant refusé de participer aux frais requis pour les ouvrages d'art), je me permets de considérer que j'ai rempli le contrat fixé avec moi-même en remontant la moitié du canal à pied. Pour le reste, il attendra que je revienne.

Il m'aura quand même manqué quelques jours de plus pour que je retrouve l'habitude de la marche, et ses plaisirs une fois que l'effort physique passe au second plan. Mais cela faisait quelques années que je n'étais pas parti ainsi, sac au dos, et je suis soulagé au moins de constater que je ne suis pas trop décati...

Libellés : ,


2007-05-24

 

De Mirepeisset à Puichéric

Presque trente kilomètres dans la journée. Une halte à Ventenac-en-Minervois pour pique-niquer sous un arbre au bord de l'eau, guetté par un couple de canards. Une autre à Paraza pour profiter d'un petit café qui surplombe le canal et quelques bateaux à l'amarrage.

J'y couche sur papier la relation de ma trouvaille dans un hangar au bord du chemin de halage : une note du 6 mai laissée sur une vieille chaise poussiéreuse. Deux randonneurs à vélo, Marie-Jo et Jean-Marie du Tarn, y expliquaient qu'ils avaient passé la nuit dans le petit local au sol bétonné, ouvert à tous vents, et ils remerciaient le propriétaire. Ne pouvant laisser quelque chose en échange, ils promettaient d'offrir l'hospitalité au fermier si jamais il passait par chez eux, numéro de téléphone à l'appui.

Il y avait de quoi réfléchir sur la courtoisie des voyageurs. Encore une fois, quand la situation s'y prête, ce n'est pas forcément l'impudence ou la désobligeance qui l'emporte. La lettre était restée dans le hangar depuis deux semaines et demie sans que le propriétaire ne l'y trouve. Les deux cyclistes n'avaient donc pas eu besoin de s'inquiéter ou de s'excuser d'avoir utilisé un abri aussi peu employé par le proprio; ils le soupçonnaient sans doute, mais ils avaient fait l'effort quand même d'être polis, tout en sachant également que leur offre ne trouverait sans doute pas preneur.

En fait, j'aurais dû noter le numéro de téléphone pour l'essayer et voir si c'était un vrai...

Après avoir coupé par les champs en partant de Mirepeisset, j'aurai donc longé le canal de la jolie halte du Somail jusqu'au village viticole de Puichéric, profitant d'une chambre d'hôte au mas des Fontanelles. Le souper est bien arrosé par les crus du domaine et je commence à lire I Am A Strange Loop de Douglas Hofstadter. De manière assez curieuse, la discussion par celui-ci des sources de l'individualité et de la conscience de soi commence par établir qu'il s'est converti à un végétarianisme pratiquement intégral. Ce qui, dans un pays aussi amateur de chair fraîche que la France, m'inspire un sonnet.

Les mangeurs et les meurtriers

Mange-t-on l'acte de tuer, le meurtre en fait,
qui est l'exécution d'une âme presque soeur,
humaine non par ses pensées mais par son coeur,
transformant en assassin cruel le gourmet?

Ou ne mange-t-on que son résultat concret
(vraiment savoureux avec une sauce au beurre),
matière saignée, devenue triste leurre,
simple chair désâmée, tournedos ou magret?

La main du convive qui manie la fourchette
et la main du boucher qui égorge la bête
ne sont-elles pas également coupables?

Le cannibale qui mange un frère ou ami
sait qu'il fait le repas sacré d'un semblable,
tel le chrétien qui mange de son dieu l'hostie...

Libellés : , ,


2007-05-23

 

De Colombiers à Mirepeisset

Presque trente kilomètres, cette fois. Je fais la course pour la dernière fois à une péniche retapée, baptisée Tango, que je regarde me précéder sous l'arche du tunnel du Malpas. Je l'avais dépassée le premier jour, entre Agde et Béziers. Je l'avais précédée la veille quand elle avait commencé la remonte des écluses de Fonsérannes. Mais c'était à son tour de me dépasser.
Tout cela pour dire qu'une pénichette qui prend son temps ne sera pas nécessairement plus rapide qu'un marcheur. Le contraste est d'ailleurs marqué entre les mouvements le long du canal et l'allure de la vie moderne. Quand on a passé la journée à marcher en ne se faisant dépasser que par des cyclistes et des plaisanciers, voire une cavalière en infraction, retrouver une route parcourue par des camions et des voitures, c'est subir un choc immédiat, qui repousse comme la rencontre d'un pôle de charge contraire. Il suffit donc de quelques heures pour que le corps oublie qu'il a déjà co-existé avec de telles vitesses, de tels véhicules vrombissants...


Malgré des moments magiques dans la solitude de l'après-midi ou en fin de journée, quand le soleil décline et que j'enfile la grande ligne droite après Argeliers (photo ci-dessus), c'est une journée harassante. Le corps n'est pas encore rompu à cette fatigue et les rencontres de la journée m'inspirent un sonnet vindicatif.

La solution coréenne au problème canin

Je déteste les chiens, qu'ils aboient le français
ou le poméranien, et s'ils me font la tête,
je ne voudrais les voir que dans mon assiette
afin que, tous les soirs, tombe le couperet !

Avec des épinards, je les rissolerais
Une sauce au pinard, des côtes de bette,
une barde de lard, tout est bon, j'achète!
pour servir le clébard tel que je l'aimerais

Les chiens, j'en vois dans ma soupe — et dans mon ragoût
Ces cabots jappeurs et hargneux vont avec tout...
une fois pelés, vidés, salés et rôtis!

En côtelette, j'adore, ou en gigot
c'est encore mieux : mettez un clafoutis
pour dessert, un bon vin, et dansons le tango!

Libellés : , ,


2007-05-22

 

De Béziers à Colombiers

Petite journée de marche après la visite de Béziers, qui conserve de beaux restes de sa prospérité comme capitale viticole. J'en profite pour bien photographier les nombreux ouvrages d'art égrenés le long de cette première véritable étape : le pont-canal (photo ci-dessus) aux portes de Béziers, les sept (autrefois neuf) écluses de Fonsérannes, la pente d'eau et, en fin de journée, l'entrée du tunnel du Malpas (photo ci-dessous).Au revers des talus fleurissent les coquelicots, ces taches de sang qui poussent aussi sur les tombes des morts, comme si leurs cadavres pouvaient encore saigner. Mais quelles dépouilles la terre labourée contient-elle donc pour que les coquelicots la décorent au printemps? Les lapins sortent à la brunante. J'en dérange deux en descendant de l'oppidum d'Ensérune. Sur un bout de route désert, ils s'enfuient. Leur pelage gris-brun les rendrait presque invisible sur l'étendue d'asphalte grise, si ce n'était de la touffe de poils blancs à la naissance de la queue levée qui trahit leurs mouvements désordonnés. Drôle de manière de se soustraire à l'attention des prédateurs...

Du haut de l'oppidum, occupé par tant de cultures et réduit à ne plus accueillir qu'un musée doublé d'un belvédère, on aperçoit ce qui est sûrement le plus grand des agroglyphes, bien plus grand que celui-ci, mais cette formation est parfaitement artificielle, bien entendu, puisqu'il s'agit de l'étang de Montmady, c'est-à-dire de ce qui reste d'un marécage drainé au Moyen Âge par des fossés et même un conduit passant sous la crête du Malpas.

Libellés : , ,


2007-05-21

 

De Marseille à Béziers

Si je m'étais pressé un peu plus ce matin, je n'aurais pas été obligé de me presser autant ce soir... Mais il faut quand même dire que les retards de la SNCF n'ont pas aidé.

Si j'ai raté de peu le premier train pour Agde, j'ai pris le second à l'heure dite et j'ai même eu le temps de me promener entre deux trains à Avignon. Mais le train que j'ai pris à Avignon m'a déposé en gare d'Agde peu avant 16h, avec trois quarts d'heure de retard. Si je voulais être à Béziers avant le coucher du soleil, ce serait serré.

Ce le fut, car j'ai découvert que les chemins de halage du canal du Midi souffrent de quelques solutions de continuité. Ceci m'a fait faire des détours imprévus; du coup, une vingtaine de kilomètres à pied plus loin, le soleil se couchait justement quand je suis entré dans Béziers.

Mes souvenirs de la journée? Les bambous qui poussent çà et là, les pistes de halage qui se perdent dans l'herbe, l'alignement des arbres qui ombragent les péniches et autres embarcations de plaisance amarrées aux berges... Et la course avec le soleil qui se rapproche de l'horizon, le détour par l'autoroute bruyante, les marches forcées entrecoupées de pauses, la bouteille d'eau qui se vide et, enfin, l'arrivée à Béziers, dont la photo ci-dessous a été prise le jour suivant. Transition, donc...

Libellés : ,


2007-05-20

 

De la montagne à la civilisation

Fin des vacances, aurait laissé échapper un certain Red Deff hier au retour de Peyresq. C'est que, pour l'auteur de science-fiction, discuter de son genre de prédilection dans un cadre où on prend le sujet au sérieux a quelque chose d'infiniment gratifiant. Et pour le connaisseur, avoir l'occasion d'en parler sans avoir à expliquer les choses les plus simples parce que l'auditoire est également au courant relève du plaisir plus que du travail.

De retour à Nice, donc, et aussi à Villefranche-sur-Mer, que commencent à fréquenter les jetsetters du festival de Cannes. De nouveau branché sur internet, c'est le travail qui reprend ses droits. Sans compter les courriels accumulés et le blogue qui va bénéficier de quelques ajouts a posteriori, en copiant des notes prises sur le coup à la main.

En même temps, il est plus que temps de préparer la suite du voyage. J'hésite entre partir à pied d'Avignon pour Nyons, en passant par Fontaine de Vaucluse, le Mont Ventoux et Vaison la Romaine, et la remontée à pied d'une partie du canal du Midi. Comme mes genoux se souviennent encore des sentiers alpins, je penche pour les chemins de halage parfaitement plats du canal...

Libellés : ,


2007-05-19

 

Les adieux à Peyresq

Les discussions entamées sous le regard de Nicolas-Claude Fabri, ancien seigneur de Peyresq, prennent fin en début d'après-midi. Je prépare vite fait une petite présentation PowerPoint pour aider à faire le point sur les rencontres autour de Robert A. Heinlein. Difficile de savoir ce qu'en pense le buste figé, mais il a l'air un peu sévère... La discussion porte vite sur les suites à donner aux Journées interdisciplinaires 2007. L'assemblée est plutôt favorable à une nouvelle édition en 2008. De fait, pour un début, il me semble que ce fut une édition fort utile. Cela établi, la salle se vide...Après, les survivants se rencontrent sur les marches de l'église pour attendre l'arrivée du car sur la petite place du village. Dans la photo ci-dessous, on reconnaît (de gauche à droite) Jean-Luc Gautero, Roland C. Wagner, Sylvie Bérard, Sylvie Allouche et Simon Bréan.Mais quand l'attente se prolonge, l'ennui menace. Ou est-ce l'inquiétude que suscite la pensée de la descente imminente en autobus des petites routes alpines? Les mines semblent songeuses... Pourtant, comme j'avais pu le constater à l'aller, on passe par de forts beaux paysages. Si l'autorail offre de meilleures vues d'ensemble, l'autocar (photo ci-dessous) a l'avantage de traverser les villes et les villages, qu'on voit de plus près. En chemin, on peut aussi admirer les ouvrages d'art construits pour le percement de la route dans ces montagnes... Puis, c'est l'arrivée à Nice, la multiplication des voitures, les maisons et les immeubles qui s'étalent jusqu'à l'horizon. La pollution comme une brume légère? En fin de compte, tout le monde allait regagner Nice sans encombre en milieu d'après-midi et le seul incident notable concernerait la voiture d'un certain organisateur, remorquée jusqu'à la fourrière par les forces de l'ordre niçoises. Ce fut surtout l'occasion d'apprendre à mieux connaître le quartier de la gare, de café en brasserie en restaurant...

Libellés : , ,


2007-05-18

 

Galeries

Le village de Peyresq, dont le nom s'écrit aussi Peiresc ou Peyresc (de Perets, qui signifie tout simplement « pierreux »), domine la vallée de la Vaïre et le torrent du Ray qui alimentent le Var. À quelques kilomètres du col autrefois contrôlé par le bourg de La Colle Saint-Michel, il devient au XIIIe siècle une place forte. Le point de vue sur la vallée et les approches du col y est sans doute pour quelque chose... C'est que nous sommes à 1528 mètres d'altitude. Au Chili, les télescopes de Las Campanas opéraient entre 800 et 900 mètres plus haut, mais Peyresq en est plus proche que du niveau de la mer... De fait, le village s'adosse à un désert montagneux, certes sillonné de sentiers pour les randonneurs, mais où ne passe aucune route carrossable et où on ne trouve que quelques abris et gîtes, en sus des bergeries et chapelles à moitié abandonnées. Et comme le village est construit plus ou moins à flanc de montagne, comme on peut le voir ci-dessous, les maisons qui dominent la pente descendante bénéficient d'une vue parfois vertigineuse.Ce sont ces maisons pourtant qui accueillaient les participants, venus d'un peu partout, seuls, en couple ou en famille. Il y a un demi-siècle à peine, le village menaçait ruine, mais il a été relevé par une association philanthropique belge qui opère à partir de 1954, Pro Peyresq. Depuis 1980, l'animation du village est assurée par l'ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc. C'est à elle qu'on doit de pouvoir tenir des réunions au sommet dans un si beau cadre.Autour du village, il ne reste plus grand chose des champs d'autrefois, seulement quelques terrasses, des chemins et des haies. Un chemin monte à Peiresc en partant de la gare de la ligne des Pignes, que j'espère bien grimper si jamais j'ai l'occasion de revenir. Mais le service des Chemins de Fer de Provence était perturbé et la gare de Peyresq n'était pas nécessairement desservie à toutes les heures prévues, selon ce que j'avais compris. Mais la vue de Peyresq que l'on découvre par ce chemin, dont j'ai arpenté les derniers mètres, doit récompenser à merveille le grimpeur. Que l'on en juge...

Libellés : ,


2007-05-17

 

Heinlein et Einstein

Retour à la civilisation pour entamer les premières journées interdisciplinaires Sciences et Fictions de Peyresq, mais la civilisation en question se situe au bout de la route, car Peyresq est un village abandonné repris en main par des mécènes qui en ont fait un centre de conférences pour scientifiques de haut vol. Une petite route y mène, mais aucune n'en ressort, exception faite des sentiers de randonnée pour grands marcheurs et amateurs de montagne. Selon un plan minuté avec précision par les organisateurs, plusieurs arrivages devaient converger sur le village avec un bel ensemble avant 11h. Mais c'était compter sans la SNCF, le train en provenance de Paris n'atteignant Nice qu'avec une heure de retard ou presque.

Du coup, le temps que tout le monde s'installe dans ses (fort belles) pénates à Peyresq, l'horaire est chamboulé. Les gens font (ou refont) connaissance à l'occasion d'un vin d'honneur, puis du déjeuner sur la terrasse surplombant la vallée. Ce n'est qu'après les agapes qu'il est possible d'entrer dans le vif du sujet. La présentation d'Éric Picholle sur la vie d'Heinlein apporte des éléments neufs pour beaucoup dans la salle. Ses études d'officier et d'ingénieur à l'académie navale des États-Unis, à Annapolis, permettent à Robert Anson Heinlein de sortir de son milieu d'origine dans le Midwest (Kansas et Missouri) et d'accéder à un milieu plus aisé. Il obtient des résultats brillants, qui lui auraient valu la cinquième place (sur 500) de sa promotion, si son indiscipline ne l'avait pas rétrogradé au vingtième. Il fait une brève carrière militaire de cinq ans, d'abord sur un porte-avions puis sur un destroyer, avant d'être réformé pour tuberculose. C'est au sana qu'il s'intéresse à la politique, s'engageant dans le mouvement EPIC (End Poverty In California) d'Upton Sinclair. Il édite le bulletin des adhérents et finit par se porter candidat. La guerre, ainsi que le retour d'une certaine prospérité, mettent fin à ce militantisme, mais il a déjà fait le saut dans la littérature, après quelques essais infructueux au temps d'EPIC (dont un roman à thèse, For Us the Living). Ses premières nouvelles paraissent et il réunit autour de lui la Mañana Literary Society, où il côtoie Hubbard, Williamson, Bradbury et Forrest Ackerman.

Après son divorce avec Leslyn et son mariage avec Virginia, il se lance dans l'écriture de romans pour jeunes tout en essayant de lancer une carrière hollywoodienne marquée par le film Destination Moon et la série Tom Corbett. C'est le début de la période la plus connue de sa vie, qui atteint son apogée avec les romans provocants des années soixante, qui prennent souvent position et fondent sa réputation de penseur et polémiste.

La discussion qui s'ensuit sera relancée après la pause café dans le cadre d'une discussion de la place de la science et des techniques dans la science-fiction, et surtout dans celle d'Heinlein. Comme il est souvent question de relativité, plus d'un intervenant s'emmêle en parlant d'Einstein en voulant parler d'Heinlein, et vice-versa... La discussion est relativement brève, abrégée par l'imminence du souper, mais le visionnement du film Destination Moon en fin de soirée confirme le souci de l'exactitude scientifique des réalisateurs du film, souci qui est carrément inexistant dans la plupart des films récents de science-fiction. (Ce qui ne m'empêche pas de me demander pourquoi la solution retenue pour permettre le décollage de la Lune n'aurait pas fonctionné sans trou percé dans le cadre de l'écoutille du sas... et, par conséquent, n'aurait pu être trouvée sur-le-champ — mais il aurait fallu écourter l'intermède mélodramatique du membre de l'équipage qui se sacrifie pour les autres.)

Libellés :


2007-05-16

 

Maître des éboulis

Au pays des sources motorisées, les chiens sont rois. Dans une contrée dépourvue d'ours ou de couguars, que les bandits de grand chemin ont depuis longtemps abandonnée faute de victimes, ce sont encore et toujours les chiens dont il faut se garer.

Je ne compte pas les embûches des sentiers et chemins du randonneur. Les sentes à pic, elles-mêmes à flanc de montagne pour corser la difficulté. Les ruisseaux à négocier dans des lieux escarpés. Les corniches en bordure d'un ravin. Et les sentiers tracés en travers d'éboulis qui roulent sous la semelle et qui ont parfois effacé le passage aménagé, condamnant le marcheur à voler, d'un pas aussi léger que l'elfe Legolas, sur un champ incliné de rocaille instable.

Par la route départementale, la localité du Fugeret est à cinq kilomètres et demi d'Annot, et à peine 140 mètres plus haut. Par la route des randonneurs, il faut compter plusieurs kilomètres en plus de lacets et culminer à 600 mètres au-dessus d'Annot avant de redescendre. Si la montée a toujours quelque chose d'exaltant, la descente est invariablement tuante en raison de la concentration qu'elle exige si la pente est le moindrement abrupte. Les lois de la physique sont telles qu'il est plus facile de perdre pied en descendant qu'en montant.

Mais ce sont justement cet effort physique requis en montant et cet effort mental requis en descendant qui font de la randonnée en montagne un excellent moyen d'oublier le travail. Et puis, il y a la récompense du paysage déplié sous mes yeux comme dans un livre d'images, façon Une France vue du ciel. Des hauteurs de Roncharel, je dominais Annot et le fond de la vallée de plus d'un demi-kilomètre. Par la suite, en dévalant le sentier menant au Fugeret, je pouvais me croire dans un avion en train d'atterrir, tellement les maisons apparaissaient toutes petites au départ avant de grossir et de retrouver leur taille réelle.

Dans un pays aussi densément habité et exploité, il ne reste d'ailleurs que l'altitude brute et l'ossature rocheuse (exception faite de quelques carrières) à appartenir de plein droit au règne de la nature. Tout le reste est plus ou moins artificiel. Les bois et les forêts qui occupent les flancs des vallés témoignent de l'effort de reboisement depuis 1850 et les grandes inondations de l'époque. Jean Giono a évoqué cette saga dans « L'homme qui plantait des arbres ». Ce récit transformé en dessin animé par Frédéric Bach pour l'Office national du film canadien a aussi inspiré une ébauche de texte de Laurent McAllister pour un numéro spécial d'imagine... en 1994, « L'arbre qui plantait des hommes ». Auparavant, le paysage aurait été aussi ratiboisé qu'Haïti à l'heure présente, en raison de la surexploitation pour le chauffage ou la construction, ainsi que du défrichement pour ouvrir au bétail des pâturages. Maintenant, la région est plus proche du Japon des Tokugawa que Jared Diamond décrit dans Collapse. En revanche, la plupart des sources avoisinant Annot ont été captées. Touchant au terme de mon ascension, j'ai été bien surpris d'entendre non pas le bruit d'une eau qui coule librement, mais le halètement rythmé du moteur d'une pompe. Tout comme la source de la Combe Renard et du Verdre, la source du Roncharel, à 1322 mètres d'altitude, était asservie aux besoins de la région. Des tuyaux noirs s'enfonçaient dans l'humus, sous les feuilles mortes, pour aller la porter aux robinets et fontaines en contrebas. De fait, ce n'est pas dans une région aussi touristique qu'on oublie la civilisation. Des avions survolent les cimes en grondant, les mobylettes, voitures et camions sur la route s'entendent de loin, les sentiers ont été balisés et la forêt elle-même est quadrillée de citernes (en cas d'incendie) et de routes, pavées ou non. Sans oublier les ruines d'abris de berger, de sanctuaires ou d'anciennes maisons.
Pourtant, après avoir croisé quelques pique-niqueurs dans un champ, je n'ai vu presque personne sur mon chemin jusqu'au Fugeret. Une camionnette m'a dépassé sur la route et j'ai salué de loin le gîte d'étape de Roncharel. Sinon, il faut attendre l'arrivée au gîte d'étape de Saint-Pierre, au Fugeret (photo ci-dessus). Du coup, au souper pris en commun, j'ai goûté autant la nourriture que la compagnie d'un groupe de randonneurs, au nombre de neuf en incluant le guide. Il s'agissait pour l'essentiel de dames d'un certain âge, sans doute retraitées, dont les prénoms rappelaient une autre époque : Arlette, Maryse, Suzon... (Photo prise au Fugeret, combinant de vieilles pierres et une antenne fort moderne...)

Libellés : ,


2007-05-15

 

Le vent, le soleil et la nouvelle ruralité

Annot était autrefois une petite ville, comme le proclame le monument aux morts de la grand-place. Elle avait sa gare, ses hôtels, ses commerces, une église, une chapelle lieu de pélerinage et une route pour la relier au reste de la France. Maintenant, elle se définit comme un village et c'est peut-être la clé de sa renaissance. Il suffit de se promener pour compter au moins deux agences immobilières, qui offrent des appartements au village, des maisons et des chalets à des prix impressionnants. Relais essentiel pour les amateurs de sports d'hiver, Annot devient un lieu de villégiature l'été pour les amateurs de randonnées dans les bois à l'entour et sur les crêtes qui dominent le village, frisant parfois les mille mètres d'altitude ou les dépassant un peu plus loin.

Elle a toujours sa gare, même si les trains ne sont pas nombreux et semblent surtout fréquentés par les écoliers et les vacanciers. Elle a ses petites industries et ses services. Elle a un marché hebdomadaire, offrant fromages et saucissons du pays, primeurs, vêtements, etc. — ainsi que ce qui est sans doute le principal supermarché de la région. Elle a un vieux quartier médiéval qui remonte au moins au XIe siècle et qui compte des vestiges de 1382, date de la construction d'une enceinte fortifiée (la photo ci-contre montre certaines des rues pavées ou voûtées, et des maisons de pierres d'époque), un groupe scolaire, un collège et une bibliothèque. Et elle a une masse critique d'hôtels et de restaurants, assurant au voyageur de passage un minimum de choix si jamais l'un d'eux est complet ou fermé pour un congé quelconque. L'ensemble de ces attraits et de ces ressources est en soi une masse critique qui attire de nouveaux habitants qui éviteront peut-être à l'ancienne ville de connaître le sort des villages qu'on abandonne et qu'on ferme, comme Peyresq...

Quant aux balades dans le coin, j'en ai fait deux. La (petite) boucle des Grès permet de découvrir des formations rocheuses impressionnantes. Passage couvert sous un pan de roc incliné, dit la Chambre du Roi. Défilé encaissé entre blocs rocheux immenses, dit le Jardin du Roi. Et passage sous une arche vertigineuse, dite les Portettes. En chemin, on suit aussi une corniche au bord d'un précipice et on peut gravir un vaste pan de roc nu pour jouir d'un point de vue imprenable sur les vallées voisines. Le grès qui a souvent servi à construire les maisons du vieil Annot est une pierre sédimentaire à laquelle l'érosion donne des formes tourmentées. Parfois, l'érosion semble se traduire par une dé-sédimentation, car on croise dans la montagne des zones sablonneuses et il suffit souvent de se pencher pour ramasser des morceaux de pierre où on distingue aisément les grains de sable du limon préhistorique et les cailloux roulés par des torrents taris avant l'apparition des humains sur Terre. Selon les documents touristiques, cette barre rocheuse qui domine la vallée aurait été habitée par des peuplades celto-ligures. Le Jardin du Roi leur a-t-il servi de refuge? Un oppidum se dressait-il encore plus haut, sur la crête que je n'ai pas arpentée?

Comme c'était une journée venteuse dans le sud, il ne faisait pas si chaud, malgré le soleil et le ciel dégagé, mais c'était le temps idéal pour monter dans les collines. En fin d'après-midi, j'ai gravi le versant opposé pour monter jusqu'à la source de Combe Renard. La promenade aboutit à une route forestière qui dissipe largement l'illusion d'une nature sauvage. Je préfère conserver le souvenir de cet arbre mort croisé sous les grès d'Annot, aux branches semblables aux côtes de quelque bête préhistorique...

Libellés : ,


2007-05-14

 

De la mer aux montagnes

Ce matin, le ciel de Nice est gris, pour la première fois depuis mon arrivée. Toute la journée, la pluie menace, sans donner suite si on ne compte pas quelques coups de semonce sous la forme de gouttes éparses et de très brèves ondées. Quand je commande une salade (évidement niçoise) à la buvette du musée Chagall, j'aurai bien quelques instants d'inquiétude, recouvrant de mon chapeau la corbeille à pain et me penchant pour interposer mon crâne entre la pluie et mon plat, mais ce n'était qu'un petit jeu sadique d'Hermès, dieu de la pluie. Le musée Marc Chagall est une déception partielle. Ses locaux sont essentiellement occupés par une exposition consacrée au « Message biblique », d'où une profusion de toiles de Chagall sur des sujets et thèmes bibliques, de la Genèse (comme dans le cas du sacrifice d'Isaac évoqué dans le tableau ci-dessus) au Nouveau Testament. Et malgré la taille de la propriété, la partie de l'édifice qui se visite se limite à un seul étage. Il n'y a donc place que pour cette seule exposition. La richesse de la composition est évidente, ainsi que l'expressivité des couleurs, mais je n'ai plus la fibre croyante qui me permettrait de vibrer à l'unission de ces créations. (Je me demande ce qu'en pensent les nombreux touristes japonais sur place...) Néanmoins, quelques tableaux retiennent l'attention. Les uns sont particulièrement frappants, de par l'utilisation de la couleur ou le rendu des personnages, tandis que l'autre me rappelle une toile peinte par un personnage de Miyazaki dans Kiki la petite sorcière — même s'il s'agit dans le cas de Chagall d'une composition qui fait partie d'une série consacrée au « Cantique des Cantiques ». L'après-midi, je prends le bus pour Èze, ce petit village perché sur un promontoire et fréquenté par de grands visiteurs, dont Nietzsche, qui aurait conçu une partie d'Also Sprach Zarathustra en faisant l'escalade à pied depuis la mer. Plus paresseux, ou plus pressé, je débarque du bus municipal à la porte du village. Je monte jusqu'aux ruines de l'ancien château, tout en haut, mais l'horizon est bouché. Il paraît qu'on peut voir la Corse par temps clair, mais il est même impossible d'apercevoir Nice par-delà Villefranche et le Mont-Boron. Quant au village, il ressemble à de nombreux villages médiévaux de France, mais il n'a pas le cachet de La Couvertoirade ou la beauté plastique de Collonges-la-Rouge. C'est le site qui est intéressant — par temps clair. Les boutiques, hôtels et restaus qui pullulent achèvent de lui enlever de l'intérêt. Outre le décor baroque tardif de l'église, il n'y a vraiment que le Jardin exotique de cactus, d'agaves et d'euphorbes (ci-dessous) qui vaut le détour, en particulier pour les visiteurs de pays qui ne les voient pas souvent s'épanouir à l'air libre! En fin de journée, c'est le départ pour la montagne par les Chemins de fer de Provence et le soleil se décide à sortir pour faire du trajet une fort belle balade... quand on finit par quitter les plaines du littoral colonisées par les routes, les commerces, les cultures industrielles et les lotissements trop neufs. Dès lors, en pénétrant dans les vallées alpines, on assiste de l'autorail à une minéralisation du paysage. Massifs rocheux stratifiées et plissés par le temps, éperons acérés qu'on dirait taillés à l'herminette, ou plutôt au ciseau. Gorges encaissées et rivières roulant des flots rapides entre les bancs de galets ou de gravier. Ouvrages d'art (tunnels, viaducs) creusés dans le flanc des vallées. En arrivant à Annot, plus aucun doute : j'ai quitté la mer pour la montagne.

Libellés : , ,


2007-05-13

 

La langue des symboles

Livre du jour : Trois pépins du fruit des morts, de Mélanie Fazi

Musée du jour : Musée des Beaux-Arts

Découverte du jour : Gustav-Adolf Mossa

Journée d'un marche d'un bout à l'autre de Nice, du boulevard de la Madeleine au Mont-Boron. Les contrastes sont marqués, des villas perchées sur les flancs du Mont-Boron aux immeubles serrés de La Madeleine, en passant par les palaces de la promenade des Anglais. En suivant le viaduc, j'aboutis dans le quartier où j'avais été logé lors d'une université d'été en 2003. Le Musée des Beaux-Arts a pignon sur cette rue tournante, dans un quartier résidentiel discret et cossu, ce qui ne doit pas surprendre puisque c'est l'ancienne Villa Kotchoubey de la princesse ukrainienne du même nom qui héberge les collections municipales. L'édifice est luxueux : parquets de bois, escalier d'apparat, salle de réception surplombée par des balcons pour accueillir des musiciens engagés pour jouer sans être vus... Ce souvenir de la prospère colonie russe à Nice abrite maintenant des œuvres du lieu et d'ailleurs. Du coup, on y retrouve sans surprise des toiles de Marie Bashkirtseff, mais aussi des portraits de la célèbre autrice et artiste de la Côte d'Azur. On la voit en peinture ci-contre, à droite, tandis qu'elle est représentée en sculpture ci-dessous. Le roman de Fazi joue de manière inattendue avec les allégories et les attentes de ses lecteurs. On peut en dire autant de certaines des toiles exposées au musée. Je reparlerai des tableaux orientalistes, dont l'original de La Servante de harem de Paul-Désiré Trouillebert, que je connaissais déjà par le livre Odyssey: Mirror of the Mediterranean du photographe canadien Roloff Beny (et d'Anthony Thwaite), car j'ai surtout apprécié ma découverte des toiles d'une autre gloire locale, Gustav-Adolf Mossa. Simple décadent influencé par les symbolistes selon les mauvaises langues, il n'en est pas moins talentueux. La symbolique de ses compositions est très riche, et il n'hésite pas à nous surprendre, d'une manière qui me semble très évidente, peut-être parce que les fins de siècle se ressemblent et se répondent. Certes, il ne crée pas seulement à la fin du XIXe siècle, car il signe aussi des toiles du début du XXe siècle (avant de devenir un notable et de cesser de peindre dans cette veine). À droite, La Sirène repue est de 1905 et contraste la splendeur de la créature mythologique et la noirceur de ses œuvres, dont on ne compte plus les victimes. De fait, ce sont souvent des personnages féminins qui servent de sujets à Mossa, mais ce sont loin d'être de faibles femmes, au contraire. On lui a parfois reproché sa misogynie. Que penser, en effet, d'une toile comme Elle (1906), que je reproduis ci-dessous?Dans ses cheveux, une inscription proclame « Hoc volo sic jubeo sit pro ratione voluntas », ce qui est tiré des Satires de Juvénal et pourrait se traduire ainsi : « Je le veux, je l'ordonne, que ma volonté serve de raison ». Dans cette sixième Satire, Juvénal s'en prend aux caprices des femmes; cet extrait est placé dans la bouche d'une femme qui réclame de son mari qu'il crucifie un esclave pour la seule raison qu'elle le réclame... Mais Mossa s'en prend-il vraiment aux femmes, ou s'agit-il... d'un symbole de l'arbitraire des humains en général? Il faudrait analyser la toile de près, tout comme il faut lire Mélanie Fazi de près pour décider si elle signe une allégorie ou un simple récit fantastique. Enfin, si j'ai parlé de résonnances que je trouve dans les toiles de Mossa, c'est en partie parce qu'il a aussi donné le tableau ci-dessous, qui me rappelle la nouvelle « Le pierrot diffracté » de Laurent McAllister...

Libellés : , , ,


2007-05-12

 

Civis romanus sum

En France et ailleurs en Europe, j'aime commencer mes séjours touristiques par la visite des ruines romaines du lieu, voire du musée archéologique qui est d'habitude dominé par les vestiges romains. Même réflexe à Nice, dont le passé se partage en fait entre l'acropole grecque sur la butte du château qui surplombe la Méditerranée et les ruines de Cemelanum, la colonie romaine construite sur un éperon appartenant aux contreforts des montagnes, à deux ou trois kilomètres de la mer. L'endroit était plus facile à approvisionner en eau au moyen d'aqueducs et il offrait sans doute plus d'espace pour un véritable développement urbain à la manière romaine que la petite butte au bord de la mer, entre les bras de l'oued du Paillon. (Toutefois, comme la ville moderne a recouvert Cimiez, avatar moderne de Cemelanum, d'un quadrillage impressionnant de villas cossues et de palaces pour touristes, comme l'Hôtel Regina ci-contre), il n'y a jamais eu de fouilles systématiques susceptibles de bien circonscrire les limites de l'ancienne Cemelanum.)

Le musée d'antiquités offrait donc les vitrines obligatoires de vases grecs ou romains, de vestiges divers, de sarcophages et autres stèles anciennes, de cartes et de maquettes. Ce qui était déjà plus intéressant, c'était l'exposition des jeux romains. Plus ou moins destinée aux jeunes visiteurs, elle regroupait plusieurs objets archéologiques, reconstitutions des jeux romains et cartons expliquant les règles (connues ou hypothétiques) de ces jeux qui permettent souvent d'établir un lien entre notre civilisation et celle des Romains... Outre les dés (alea) et l'ancêtre du jacquet, il y avait les osselets et les versions romaines de la marelle. En l'absence des échecs ou du jeu de go, les Romains disposaient du jeu des latroncules. La visite du musée n'était pas complète sans la visite du jardin, qui contient les principales ruines de la Cemenalum romaine, à part les arènes voisines intégrées au jardin public. Les thermes sont moins complètes qu'ailleurs, mais leurs ruines demeurent impressionnantes, deux mille ans plus tard. Dans la photo, on aperçoit la coupole de l'observatoire de Nice au ras des ruines, rapprochant en un seul cliché deux mille ans d'histoire et de changements.

J'ai fini la journée dans un lieu fort différent et fort éloigné, du moins en apparence, des ruines romaines de Cimiez : le musée d'art moderne et contemporain de Nice. Pourtant, il s'agit simplement d'un autre type de dépaysement. Une immersion dans l'avenir plutôt que dans le passé. Je fréquente ce type de musée moins en connaisseur qu'en curieux. Mais je retire souvent de mes visites des idées parfaitement appropriées à mes textes de science-fiction. Ces artistes défrichent souvent les marges de l'inusité, de l'impensé, bref, de ce qui reste à imaginer et à placer dans des mondes à venir. Influence du cyberpunk dans mon approche de l'écriture? On se souviendra que William Gibson avait employé les boîtes de Joseph Cornell, comme celle que j'ai photographiée dans le musée, à la fois comme élément et comme métaphore concrète dans sa trilogie cyberpunk. Inversement, l'ère spatiale a pu inspirer des artistes contemporains, comme on le voit dans cette création astronautique d'Yves Klein, mieux connu pour son utilisation d'une teinte de bleu de sa composition (impossible à reproduire au moyen des affichages standards sur les écrans d'ordinateur). La combinaison d'une fusée/tuyère et de réservoirs renflés ne suffit pas à en faire un engin spatial très convaincant, mais l'hommage rendu à la conquête de l'espace souligne que les liens entre l'art et les techniques n'existent pas que dans la littérature. En revanche, ce ne sont pas tous les projets artistiques du vingtième siècle qui se laissent photographier. Certains doivent être visités et examinés en personne, que ce soit en raison de la richesse des détails et des messages, ou en raison de l'effet purement sensuel des objets. Et d'autres frappent par l'originalité de leur inspiration, plus que par ce qu'ils peuvent véhiculer. Concluons donc sur ce buste de Borghini, qui reproduit la Vénus de Milo tout en la tapissant de faux ongles laqués de rouge...

Libellés : , , ,


2007-05-11

 

Au-delà de Nice

À Nice comme à Vancouver, l'avion atterrit au bord de la mer, mais je suis trop mal placé pour apercevoir la baie des Anges. (En revanche, je prends la photo ci-dessous des derniers moments avant l'atterrissage.) L'arrivée avec une demi-heure d'avance sur l'horaire explique peut-être la présence de deux douaniers seulement de la PAF, qui sont vite débordés par les 350 passagers débarqués d'un avion plein comme un œuf. Les files s'allongent et l'attente s'éternise. C'est l'occasion de faire la conversation. Si l'avion est aussi plein, c'est qu'au moins deux groupes de jeunes sont du voyage, facilement identifiés au moyen de leur habillement. Les tee-shirts bleus viennent de l'école Marguerite-Bourgeoys (mais de laquelle?) et entament un voyage qui les mènera en France, à Monaco et en Espagne. Les tee-shirts bourgogne sont de jeunes sportifs, dont certains qui sont allés précédemment en Équateur, mais je n'ai pas eu l'occasion d'en apprendre plus. Je me fais la réflexion que les voyages scolaires sont plus ambitieux qu'autrefois. De mon temps, comme on le voit dans cette photo d'un groupe d'étudiants de l'école secondaire Louis-Riel en visite à Rouen en mars 1986, on n'avait pas d'uniforme et encore moins de costume à l'enseigne du voyage! (Les jeunes de Louis-Riel tournent le dos à l'objectif : on les aperçoit entre les deux passants à l'avant-plan.) Et le voyage en question s'était limité à une visite rapide de Paris, ponctuée d'excursions pour visiter Rouen, Chartres et les châteaux de la Loire. Évidemment, la dimension internationale du voyage de ces jeunes en 2007 ne pose pas les mêmes problèmes qu'il y a vingt ans, avant la Convention de Schengen et son entrée en vigueur...

Ce n'est pas la première fois que je mets les pieds à Nice, mais je passe ma première journée un peu à l'est de Nice, à Villefranche-sur-Mer, dont le havre accueille maintenant les paquebots après avoir accueilli autrefois la marine royale de la France, les navires de guerre de la Russie et les porte-avions des États-Unis. Sans parler des embarcations de plaisance, du dériveur au yacht, en passant par le catamaran... Sur la photo ci-contre, les collines escarpées qui encadrent ce port naturel sont bien visibles. Elles ont longtemps favorisé le développement près du rivage; il a fallu que des prodiges soient accomplis par les ingénieurs des BTP pour que des routes majeures et un chemin de fer relient les établissements le long de cette partie de la Côte d'Azur.


Tunnels, remblais, viaducs : les ingrédients de la recette des ingénieurs du rail sont connus et ils ont tous servis dans le cas de la ligne de la SNCF qui passe par Villefranche-sur-Mer, surplombant la plage et le front de mer du village. En soi, Villefranche n'est guère qu'un faubourg de Nice; en soixante-quinze minutes de marche, on peut se rendre de Villefranche au centre-ville de Nice. Mais comme cette ligne dessert aussi Monaco, Nice et Cannes, elle ne va pas disparaître de sitôt. Le paysage est typiquement méditerranéen. Sur les collines qui forment un amphithéâtre naturel autour du havre, des villas, des résidences, des hôtels et des immeubles en copropriété sont étagés. Souvent, leurs habitants s'isolent ou ne viennent tout simplement jamais, puisque le béton est de plus en plus souvent un simple investissement immobilier, plus ou moins dopé par les spéculateurs fonciers. La nuit, on aperçoit les lampadaires qui illuminent les rues escaladant la montagne, mais non les rectangles lumineux des croisées. Les volets refermés sur les fenêtres des maisons et appartments filtrent-ils si efficacement la lumière? Ce n'est pas sûr. Les vacanciers des mois de juillet et d'août ne sont pas encore arrivés. Les spéculateurs n'arriveront jamais.

Mais si l'investissement est coûteux et un tantinet risqué, il n'en est pas moins séduisant pour un visiteur venu de pays où ne poussent pas les palmiers. Même les immeubles sont beaux, peints de couleurs claires et d'une grande pureté de lignes. Dans un pays aussi chaud et ensoleillé, ils ont souvent des balcons qui donnent sur la mer et leurs abords sont fleuris. Si mai au Canada est un mois encore difficile pour les fleurs, tout est vert et fleuri depuis longtemps en France. L'ensemble attire depuis toujours ceux qui ont les moyeux de séjourner dans la région. Dès la fin du XIXe siècle, on prenait ses vacances dans le sud de la France. Plus récemment, ce sont les acteurs et la jet set qui se réunissent dans la région. S'il fallait une confirmation de l'affluence des habitants de passage, elle pourrait venir de ce qui se jette au bord de la route, en face des luxueuses demeures cachées par de hauts murs. À preuve ce bustier féminin qui pendait dans les branches le long d'un chemin, vestige de qui sait quelle aventure ou rencontre...

Libellés : ,


 

Départ pour la fraîcheur

Déjà la canicule à Montréal, à la mi-printemps... Qu'est-ce que ce sera au cœur de l'été?

Mais je pars, je quitte, je décolle, je m'envole. Il fait plus frais au bord de la Méditerranée et je me suis laissé tenter par les prix d'Air Transat — et le programme des rencontres de Peyresq (.PDF).

Au départ de l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, des serveurs dressaient des tables nappées de blanc, disposaient des verres, étalaient un buffet et s'apprêtaient à fêter dignement le décollage... du vol après le mien. En effet, Air Transat inaugurait une nouvelle liaison entre Montréal et Vienne. La compagnie, revenue de loin après les contrecoups du 11 septembre, avait sans doute le droit de se réjouir. Mais les accords pincés par une harpiste, les valses viennoises jouées au violon et les discours par les dignitaires à l'ombre des ballons bleus seraient pour plus tard. Le vol pour Nice partait avant le vol pour Vienne (Romantische Wien, selon les insignes portés par le personnel et quelques passagers, peut-être). Ainsi, je n'ai pas bu de ce vin qu'on sabre avant les lancements et les grandes traversées, car l'ivresse des vacances toutes proches me suffisait. La liberté est capiteuse lorsqu'elle est attendue depuis longtemps. Encore plus quand le ciel est bleu. Parce que l'horizon attire d'autant plus qu'il se voit facilement. Voyage d'affaires? Voyage d'agrément? Si on me pose la question à mon arrivée en France, je ne saurai quoi répondre, car ce n'est pas si facile de départager un voyage pour le plaisir d'un voyage utile. D'abord, il y a Peyresc. Ensuite, il y a que j'ai l'intention d'écrire. Enfin, ne perdons pas de vue que c'est le répit qui rend le travail possible le reste de l'année. Sans compter les fruits des voyages pour l'écrivain : nouveaux visages, nouveaux paysages, nouvelles façons de faire... L'auteur de science-fiction en particulier se nourrit de la nouveauté.

Voyage choisi, en tout cas, et qui ferait de moins un bohédoniste. C'est la nouvelle tendance selon le Globe and Mail qui y consacrait un article qui fait jaser. Les bohèmes hédonistes sont des esprits rebelles et épicuriens qui savent ce qui leur plaît et qui, malgré leurs modestes moyens, consacrent à ces plaisirs l'argent qu'ils ne consacrent pas aux conforts conventionnels. Whisky Talisker pour les uns, voyages pour les autres...

Libellés : ,


This page is powered by Blogger. Isn't yours?