2006-01-26

 

Fragments d'histoire familiale (2)

Après la branche paternelle, au tour de la branche maternelle...

Un petit portefeuille pour cliché figurait parmi les possessions de mon grand-père français, Louis Mérant. Celui-ci avait obtenu un diplôme d'ingénieur de l'Institut Catholique d'Arts et Métiers de Lille en 1928. Même si c'était moins prestigieux qu'un diplôme de l'École nationale et que le sobriquet convoité de gadzart, on le retrouve quelques années plus tard en train de participer aux essais du paquebot mythique Normandie, sur la conception ou la construction des chaudières duquel il aurait travaillé... Un certain nombre d'instantanés retrouvés dans ce portefeuille portent des indications de sa main à l'endos (ceux où il apparaît n'ont pas été pris par lui, de toute évidence), qui semblent confirmer qu'il a pu suivre plusieurs étapes de la construction. Ainsi, la photo ci-contre nous montre le Normandie en cale sèche. La bande blanche, que l'on ne voit plus dans les photos du paquebot complété une fois à l'eau, fait trois mètres de hauteur. La partie supérieure de cette bande est très exactement à 11,2 mètres au-dessus des tins. Au-dessus, on découvre une ancre pendante, une ancre rentrée dans l'écubier central et une troisième que l'on ne peut pas distinguer sous cet angle. Le trou de la partie supérieure sert à passer le câble de remorquage.



La photo suivante montre le Normandie à son quai d'armement. Il a quitté (momentanément?) sa cale sèche pour se prêter à des travaux de construction additionnels. Des échafaudages entourent deux cheminées sur trois et des équipes semblent travailler sur la finition de la coque. Les aménagements intérieurs sont sans doute incomplets, car le haut de la bande blanche apparaît au ras des vagues. Notez qu'une ancre au moins a été jetée.
C'est sans doute au cours de ces travaux que le Normandie a été doté d'un poste de radar parmi les plus performants de l'époque. L'histoire du radar néglige souvent les apports français, pourtant affirmés par des témoignages et des documents de premier ordre. Le Normandie n'avait pas grand-chose à envier aux plus grands transatlantiques de son époque. Long de 314 mètres et large de 36 mètres, il jaugeait 79 000 tonnes. Avec son tirant d'eau de 12 mètres, il pouvait atteindre 30 nœuds en transportant 3600 passagers ainsi que 1416 hommes ou femmes pour le service. La circonférence d'une cheminée atteint 49 mètres. Le poids des chaînes d'ancres est de 151 tonnes, celui des ancres de 17 tonnes et celui de chaque hélice pas moins de 23 tonnes. Au départ de Saint-Nazaire en mai 1935, en route pour ses essais en mer, il présente un aspect des plus impressionnants comme on le voit dans la photo ci-contre.

En cliquant sur la photo ci-dessus ou la photo suivante, il devrait être possible de distinguer les nombreuses personnes qui sont debout sur les superstructures du paquebot. Le Normandie a certainement fière allure dans ces photos. Les aménagements intérieurs étaient à la hauteur. À bord, le navire comptait 1100 postes téléphoniques et le restaurant principal était un endroit mythique avec son décor Art Déco. En principe, celui-ci devait ressembler au restaurant du paquebot Île-de-France qui a été reproduit par Jacques Carlu (1890-1976) à Montréal, au neuvième étage du légendaire grand magasin Eaton. J'ai eu l'occasion d'y manger deux ou trois fois avant que la liquidation des magasins Eaton entraîne la fermeture du restaurant. C'était somptueux. On pouvait effectivement se croire transporté dans le passé, au temps du jazz et des cocktails des années 20 et 30.
Quelques heures plus tard, le Normandie abordait la haute mer en doublant le phare de Villès-Martin (1862), à gauche sur la photo ci-contre. Un rite de passage que le Queen Mary 2 a aussi connu, beaucoup plus récemment... Les choses sérieuses pouvaient commencer! Les essais en mer ont eu lieu à l'occasion d'un voyage qui avait pour destination Le Havre. Le paquebot a rejoint ce port le 11 mai. En chemin, il a mouillé dans la rade de Brest, comme l'atteste une photo que je n'inclus pas ici.


Le passage du Raz de Sein a lieu le mercredi 8 mai. Le capitaine tente alors une manœuvre qui tiendra les passagers en haleine. Le navire pique droit sur le phare de la Vieille et, à une distance sans doute fixée d'avance, un vigoureux coup de barre est donné afin de permettre au paquebot d'en faire le tour. Angle de barre : 25 degrés. Gîte : 16 degrés.

Reste la question de la vitesse. Dans la photo ci-dessous à gauche, la petite bande de bons copains en manteaux de cuir (Serreau, Mérant et Moyon, de gauche à droite, puis Névo en costume et un cinquième larron) vient de braver les embruns à l'avant du Normandie alors que le paquebot atteignait une vitesse de 28,7 nœuds. D'où les manteaux et bérets...












Dans la photo tout en bas, ce sont les mêmes qui profitent d'un moment plus calme du voyage. Louis Mérant est assis à gauche, puis Leriche, Halgand (?) et Moyon.  L'identité de ces compagnons de voyage retrouvés dans plusieurs photos reste un mystère pour l'instant. Il faudrait sans doute fouiller dans les papiers du grand-père, que je n'ai pas. On se contentera donc de leur envier à tous ce voyage inaugural à bord d'un paquebot exceptionnel.


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Comments:
beaux bérets transatlantiques, en effet
 
Bonjour Jean-Louis,
Le hasard fait bien les choses, France 3 vient de diffuser un document magnifique et en couleur datant de 1939 : un témoignage de ce qui devint le dernier voyage du Normandie entre Le Havre et New York, où il resta consigné en raison du déclenchement de la guerre mondiale. Le reportage est complété d'images de la construction, du voyage inaugural, et, vrai crève-coeur, de la triste fin de ce monument.

Je te propose le lien vers la bande-annonce de Thalassa, mais j'ignore si le reportage doit être rediffusé : l'article sur le site de France 3 parle d'une rediffusion lundi 23 janvier à 20h45 (heure de France) sur Planète Thalassa. Il s'agit peut-être d'une erreur de date.

http://www.thalassa.france3.fr/thalassa-video.php?id_rubrique=96
 
Oui, en fouillant la Toile, j'étais tombé sur quelques liens à ce sujet, mais j'avais eu l'impression que le reportage avait déjà été diffusé. Et je craignais que les liens soient trop éphémères pour demeurer valides très longtemps...

En passant, je ne sais toujours pas pourquoi les versions d'origine de certaines photos sont disponibles en cliquant, tandis que d'autres n'apparaissent pas. Bogue du logiciel? Problème de téléchargement? Si j'avais le temps, il faudrait que je recommence, mais j'attendrai d'avoir une liaison à haute vitesse...
 
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