2007-05-14
De la mer aux montagnes
Ce matin, le ciel de Nice est gris, pour la première fois depuis mon arrivée. Toute la journée, la pluie menace, sans donner suite si on ne compte pas quelques coups de semonce sous la forme de gouttes éparses et de très brèves ondées. Quand je commande une salade (évidement niçoise) à la buvette du musée Chagall, j'aurai bien quelques instants d'inquiétude, recouvrant de mon chapeau la corbeille à pain et me penchant pour interposer mon crâne entre la pluie et mon plat, mais ce n'était qu'un petit jeu sadique d'Hermès, dieu de la pluie. Le musée Marc Chagall est une déception partielle. Ses locaux sont essentiellement occupés par une exposition consacrée au « Message biblique », d'où une profusion de toiles de Chagall sur des sujets et thèmes bibliques, de la Genèse (comme dans le cas du sacrifice d'Isaac évoqué dans le tableau ci-dessus) au Nouveau Testament. Et malgré la taille de la propriété, la partie de l'édifice qui se visite se limite à un seul étage. Il n'y a donc place que pour cette seule exposition. La richesse de la composition est évidente, ainsi que l'expressivité des couleurs, mais je n'ai plus la fibre croyante qui me permettrait de vibrer à l'unission de ces créations. (Je me demande ce qu'en pensent les nombreux touristes japonais sur place...) Néanmoins, quelques tableaux retiennent l'attention. Les uns sont particulièrement frappants, de par l'utilisation de la couleur ou le rendu des personnages, tandis que l'autre me rappelle une toile peinte par un personnage de Miyazaki dans Kiki la petite sorcière — même s'il s'agit dans le cas de Chagall d'une composition qui fait partie d'une série consacrée au « Cantique des Cantiques ». L'après-midi, je prends le bus pour Èze, ce petit village perché sur un promontoire et fréquenté par de grands visiteurs, dont Nietzsche, qui aurait conçu une partie d'Also Sprach Zarathustra en faisant l'escalade à pied depuis la mer. Plus paresseux, ou plus pressé, je débarque du bus municipal à la porte du village. Je monte jusqu'aux ruines de l'ancien château, tout en haut, mais l'horizon est bouché. Il paraît qu'on peut voir la Corse par temps clair, mais il est même impossible d'apercevoir Nice par-delà Villefranche et le Mont-Boron. Quant au village, il ressemble à de nombreux villages médiévaux de France, mais il n'a pas le cachet de La Couvertoirade ou la beauté plastique de Collonges-la-Rouge. C'est le site qui est intéressant — par temps clair. Les boutiques, hôtels et restaus qui pullulent achèvent de lui enlever de l'intérêt. Outre le décor baroque tardif de l'église, il n'y a vraiment que le Jardin exotique de cactus, d'agaves et d'euphorbes (ci-dessous) qui vaut le détour, en particulier pour les visiteurs de pays qui ne les voient pas souvent s'épanouir à l'air libre! En fin de journée, c'est le départ pour la montagne par les Chemins de fer de Provence et le soleil se décide à sortir pour faire du trajet une fort belle balade... quand on finit par quitter les plaines du littoral colonisées par les routes, les commerces, les cultures industrielles et les lotissements trop neufs. Dès lors, en pénétrant dans les vallées alpines, on assiste de l'autorail à une minéralisation du paysage. Massifs rocheux stratifiées et plissés par le temps, éperons acérés qu'on dirait taillés à l'herminette, ou plutôt au ciseau. Gorges encaissées et rivières roulant des flots rapides entre les bancs de galets ou de gravier. Ouvrages d'art (tunnels, viaducs) creusés dans le flanc des vallées. En arrivant à Annot, plus aucun doute : j'ai quitté la mer pour la montagne.
Libellés : Arts, France, Voyages