2006-03-18
L'émerveillement selon Miyazaki
La bonne nouvelle, c'est qu'il me reste quelques œuvres de Miyazaki Hayao à découvrir. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y en a une de moins depuis que j'ai visionné Kiki's Delivery Service.
C'est très strictement l'histoire d'un destin individuel et il ne s'y mêle pas les aspects plus tragiques de Princesse Mononoke, Laputa, Le voyage de Chihiro, Le château ambulant ou Porco Rosso. Pas de guerre sanglante en arrière-plan, pas d'injustices ou de drames séculaires à dévoiler, pas de conflits entre des allégeances rivales... Le récit n'évoque qu'en passant les distinctions de classe et l'immense dirigeable forcé de faire escale près de la ville choisie par la jeune Kiki n'a pas, semble-t-il, de finalité guerrière.
D'un film à l'autre se retrouvent suffisamment d'ingrédients pour qu'on parle, sinon d'une formule, du moins d'une recette — mais de la recette d'un excellent plat, que peu de chefs cuisiniers pourraient réussir. Plusieurs éléments de la recette se retrouvent dans Kiki's Delivery Service (Kiki la petite sorcière en français; Nicky aprendiz de bruja en castillan), dont un dirigeable, un voyage en chemin de fer (et un autre en autobus), de la pluie, une jeune fille qui fait son chemin dans le monde en livrant des colis mais aussi en se chargeant de sa part de nettoyage, car Miyazaki tend à transformer une besogne censément inférieure en une force régénératrice, symbolique du bien que peut faire une personne, Kiki en l'occurrence (mais plusieurs autres héroïnes de ses films); ranger, nettoyer, servir, c'est rendre le monde meilleur d'une manière très concrète et c'est aussi faire l'éloge d'une forme de pureté.
Il faudrait aussi parler du choix des décors. Dans Porco Rosso, Miyazaki avait choisi l'Italie du Nord, de Milan à l'Adriatique; dans Laputa, un village de mineurs britanniques; dans Princesse Mononoke et Le voyage de Chihiro, c'était l'ancien Japon qui était à l'honneur. La ville au bord de la mer que rejoint Kiki a quelque chose de scandinave, ou de germanique. Dans l'architecture des bâtiments et la présence de maisons à colombages, dans les quelques inscriptions lisibles sur les devantures, dans la propreté des rues sillonnées de trams (et d'autobus portant le nom des studios Ghibli si on reste vigilant), on retrouve quelque chose de ces villes égrenées de l'Italie du Nord jusqu'à Copenhague ou Stockholm. Et, bien entendu, dans le départ même de Kiki pour une année initiatique, on retrouve un écho de la coutume de la Wanderjahr traditionnelle allemande.
Le choix de lieux au moins un peu exotiques tant pour les Japonais que pour les Occidentaux qui connaissent moins le milieu de l'Europe, c'est-à-dire une Mitteleuropa étirée qui va de la Suède à la Lombardie, est sans doute pour quelque chose dans l'attrait des histoires toutes simples de Miyazaki, mais si merveilleusement « épaisses », enrichies de détails visuels et humains qui, dans le meilleur des cas, se recoupent et se complètent. Ce qui revient souvent dans le film, c'est l'émerveillement de Kiki face à la mer ou face à un paysage inattendu. Quel voyageur n'a pas ressenti le même émerveillement en découvrant une belle ville inconnue, un panorama vert et vallonné, ou la mer, la mer, la mer...
Cet émerveillement est sûrement parent du sense of wonder que l'on dit propre à la science-fiction. En partie parce qu'il est plus fréquent ou plus intense ou les deux quand on est jeune. On a souvent fait de la science-fiction une littérature adolescente parce qu'elle joue sur les joies de la découverte, de la compréhension, de l'illumination, bref, de l'apprentissage. Dans les meilleurs films de Miyazaki, il y a de semblables instants d'émerveillement — plus sombre dans Porco Rosso, plus ambigus dans Le voyage de Chihiro, plus poignants dans Laputa et surtout dans Princesse Mononoke... Comme ces moments admirables sont surtout visuels, il est difficile de concevoir de faire l'équivalent dans un contexte purement littéraire. La parole imprimée peut, au mieux, capturer l'impression produite sur un personnage ou plusieurs, mais non reproduire la source même de cette impression. Mais la littérature s'y essaie quand même à l'occasion — je songe ici aux descriptions du désert dans Seven Pillars of Wisdom ou à celles de la planète rouge dans Red Mars de Robinson. À mon avis, le succès est mitigé dans un cas comme dans l'autre. Le sublime visuel ne passe pas si facilement l'obstacle des mots.
C'est très strictement l'histoire d'un destin individuel et il ne s'y mêle pas les aspects plus tragiques de Princesse Mononoke, Laputa, Le voyage de Chihiro, Le château ambulant ou Porco Rosso. Pas de guerre sanglante en arrière-plan, pas d'injustices ou de drames séculaires à dévoiler, pas de conflits entre des allégeances rivales... Le récit n'évoque qu'en passant les distinctions de classe et l'immense dirigeable forcé de faire escale près de la ville choisie par la jeune Kiki n'a pas, semble-t-il, de finalité guerrière.
D'un film à l'autre se retrouvent suffisamment d'ingrédients pour qu'on parle, sinon d'une formule, du moins d'une recette — mais de la recette d'un excellent plat, que peu de chefs cuisiniers pourraient réussir. Plusieurs éléments de la recette se retrouvent dans Kiki's Delivery Service (Kiki la petite sorcière en français; Nicky aprendiz de bruja en castillan), dont un dirigeable, un voyage en chemin de fer (et un autre en autobus), de la pluie, une jeune fille qui fait son chemin dans le monde en livrant des colis mais aussi en se chargeant de sa part de nettoyage, car Miyazaki tend à transformer une besogne censément inférieure en une force régénératrice, symbolique du bien que peut faire une personne, Kiki en l'occurrence (mais plusieurs autres héroïnes de ses films); ranger, nettoyer, servir, c'est rendre le monde meilleur d'une manière très concrète et c'est aussi faire l'éloge d'une forme de pureté.
Il faudrait aussi parler du choix des décors. Dans Porco Rosso, Miyazaki avait choisi l'Italie du Nord, de Milan à l'Adriatique; dans Laputa, un village de mineurs britanniques; dans Princesse Mononoke et Le voyage de Chihiro, c'était l'ancien Japon qui était à l'honneur. La ville au bord de la mer que rejoint Kiki a quelque chose de scandinave, ou de germanique. Dans l'architecture des bâtiments et la présence de maisons à colombages, dans les quelques inscriptions lisibles sur les devantures, dans la propreté des rues sillonnées de trams (et d'autobus portant le nom des studios Ghibli si on reste vigilant), on retrouve quelque chose de ces villes égrenées de l'Italie du Nord jusqu'à Copenhague ou Stockholm. Et, bien entendu, dans le départ même de Kiki pour une année initiatique, on retrouve un écho de la coutume de la Wanderjahr traditionnelle allemande.
Le choix de lieux au moins un peu exotiques tant pour les Japonais que pour les Occidentaux qui connaissent moins le milieu de l'Europe, c'est-à-dire une Mitteleuropa étirée qui va de la Suède à la Lombardie, est sans doute pour quelque chose dans l'attrait des histoires toutes simples de Miyazaki, mais si merveilleusement « épaisses », enrichies de détails visuels et humains qui, dans le meilleur des cas, se recoupent et se complètent. Ce qui revient souvent dans le film, c'est l'émerveillement de Kiki face à la mer ou face à un paysage inattendu. Quel voyageur n'a pas ressenti le même émerveillement en découvrant une belle ville inconnue, un panorama vert et vallonné, ou la mer, la mer, la mer...
Cet émerveillement est sûrement parent du sense of wonder que l'on dit propre à la science-fiction. En partie parce qu'il est plus fréquent ou plus intense ou les deux quand on est jeune. On a souvent fait de la science-fiction une littérature adolescente parce qu'elle joue sur les joies de la découverte, de la compréhension, de l'illumination, bref, de l'apprentissage. Dans les meilleurs films de Miyazaki, il y a de semblables instants d'émerveillement — plus sombre dans Porco Rosso, plus ambigus dans Le voyage de Chihiro, plus poignants dans Laputa et surtout dans Princesse Mononoke... Comme ces moments admirables sont surtout visuels, il est difficile de concevoir de faire l'équivalent dans un contexte purement littéraire. La parole imprimée peut, au mieux, capturer l'impression produite sur un personnage ou plusieurs, mais non reproduire la source même de cette impression. Mais la littérature s'y essaie quand même à l'occasion — je songe ici aux descriptions du désert dans Seven Pillars of Wisdom ou à celles de la planète rouge dans Red Mars de Robinson. À mon avis, le succès est mitigé dans un cas comme dans l'autre. Le sublime visuel ne passe pas si facilement l'obstacle des mots.