2006-01-11

 

Voyage au Chili (1)

En mars 1992, je me suis rendu au Chili dans le cadre du doctorat en astronomie que j'avais entamé l'année précédente. J'avais obtenu deux semaines de temps d'observation sur le télescope Helen Sawyer Hogg (du nom d'une célèbre astronome canadienne) de l'UTSO — le University of Toronto Southern Observatory.

Dans la photo ci-dessus, on aperçoit les observatoires de l'époque disposés sur la crête de la montagne de Las Campanas qui surplombe, à 2400 mètres d'altitude, le sud du désert de l'Atacama au Chili. (En espagnol, «campanas» veut dire «cloches» et la montagne a sans doute reçu ce nom en raison de l'aspect campaniforme de ses deux principaux sommets, soit celui à droite sur la photo... et celui sur lequel je me tenais pour prendre la photo!) Les deux principaux observatoires datent de 1969 et appartiennent à l'Institution Carnegie. Le dôme tout à gauche abrite le télescope Swope de 40 pouces (1 mètre) et le dôme tout à droite abrite le télescope du Pont de 100 pouces (2,5 mètre). Entre les deux, on peut distinguer le toit rouge de la résidence des astronomes de l'UTSO (la Casa Canadiense), le dôme qui abrite le télescope Helen Sawyer Hogg (miroir de 24 pouces de diamètre) et la maison qui abrite ou abritait un petit télescope de 10 pouces. C'est ce petit télescope qui a servi à Ian Shelton pour prendre les photos de la supernova 1987A dans le Grand Nuage de Magellan. Ces photos ont établi sa priorité comme découvreur de la première supernova visible à l'œil nu depuis celle de Kepler.
Dans la photo ci-dessus, prise du pied du grand télescope de 2,5 mètres (grand pour l'époque, car c'était avant la construction d'un télescope pourvu d'un miroir de 6,5 mètres), on voit mieux la Casa Canadiense, même si son toit et ses murs se confondent avec le flanc de la colline. De l'autre côté de la route de gauche, le dôme de l'UTSO et la maison du télescope de 10 pouces apparaissent sous un autre angle. Derrière, le dôme du télescope Swope a l'air tout proche, mais la perspective est trompeuse...

On pourrait comparer Las Campanas à une petite île coupée du monde. Les astronomes, les techniciens et le cuisinier de la résidence principale de l'Institution Carnegie formaient une petite communauté isolée, à plus d'une heure de route de la ville de La Serena au bord du Pacifique. Du sommet, on pouvait regarder vers l'ouest en tâchant d'apercevoir le Pacifique à l'horizon. Ce qu'on voyait surtout, c'était un paysage désolé de pentes dénudées qui aboutissaient au désert de l'Atacama. La nuit, par temps clair, il était à la rigueur possible de distinger les phares des voitures et des camions empruntant l'autoroute panaméricaine qui traverse le désert. Mais le jour, comme le montre la photo à gauche, il n'y avait pas la moindre trace de civilisation. Pas un village, pas un champ, rien que la sierra. Et si on se tournait vers l'est, c'était la cordillère des Andes qui barrait l'horizon.

Sur la montagne, on pouvait regarder la télévision (je crois). Parfois, le journal Le Mercurio de Santiago se rendait jusqu'à nous. Mais il y avait une rotation du personnel. Durant la première semaine de mon séjour, tous les techniciens (chiliens, en général) étaient sur place. Durant la seconde semaine, il ne restait plus que les astronomes de l'Institution Carnegie, les opérateurs des deux grands télescopes, le cuisinier, moi-même... et je ne sais franchement plus s'il y avait quelqu'un d'autre. Donc, sept ou huit personnes en tout, dont la plupart vivaient surtout la nuit. Le soir, en revenant à la Casa Canadiense, je croisais parfois un renard qui traversait la route sans se presser. Il semblait convaincu que la montagne lui appartenait et il avait sans doute raison...

Un astronome observe le ciel. Pas seulement les étoiles, mais aussi le ciel de la Terre parce que les conditions climatiques sont cruciales. Elles déterminent ce qu'il peut accomplir. S'il y a des nuages, l'astronome ne pourra pas observer les étoiles. Mon séjour, dont les dates avaient pourtant été choisies avec soin, eut le malheur de coïncider avec du mauvais temps comme les vétérans des observatoires Carnegie n'en avaient pas vu depuis des années. Brouillard et pluie... Dans la photo à droite, toute la montagne est dans les nuages et le dôme du télescope Helen Sawyer Hogg est pratiquement invisible à quelques pas de distance, disparaissant dans la brume... Le lendemain, quelle ne fut pas ma surprise en sortant de la maison! Vers l'ouest, c'est-à-dire dans la direction du Pacifique, tout avait disparu. La montagne surplombait les nuages et s'était transformée pour de bon en île. (La photo ci-dessous a dû être prise fort tôt le matin, car on voit l'ombre de Las Campanas se dessiner à la surface des nuées.) Cette mer de nuages, qui ressemblait plutôt à ce qu'on contemple d'habitude d'un avion, avait quelque chose d'extraterrestre. J'aurais pu songer à la planète Solaris...

Les jours suivants, quand le temps s'est enfin dégagé, j'ai découvert en regardant vers l'est que les pics de la cordillère des Andes étaient blancs (comme on le voit dans la photo ci-dessous). Le mauvais temps, qui avait laissé quelques flaques sur le sommet de Las Campanas, avait accumulé de la neige sur les sommets andins, nettement plus élevés que Cerro Las Campanas.


Faut-il préciser qu'en fin de compte, j'ai réalisé moitié moins de travail que j'aurais pu l'espérer? Mais j'ai rapporté beaucoup de souvenirs...

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