2007-05-24

 

De Mirepeisset à Puichéric

Presque trente kilomètres dans la journée. Une halte à Ventenac-en-Minervois pour pique-niquer sous un arbre au bord de l'eau, guetté par un couple de canards. Une autre à Paraza pour profiter d'un petit café qui surplombe le canal et quelques bateaux à l'amarrage.

J'y couche sur papier la relation de ma trouvaille dans un hangar au bord du chemin de halage : une note du 6 mai laissée sur une vieille chaise poussiéreuse. Deux randonneurs à vélo, Marie-Jo et Jean-Marie du Tarn, y expliquaient qu'ils avaient passé la nuit dans le petit local au sol bétonné, ouvert à tous vents, et ils remerciaient le propriétaire. Ne pouvant laisser quelque chose en échange, ils promettaient d'offrir l'hospitalité au fermier si jamais il passait par chez eux, numéro de téléphone à l'appui.

Il y avait de quoi réfléchir sur la courtoisie des voyageurs. Encore une fois, quand la situation s'y prête, ce n'est pas forcément l'impudence ou la désobligeance qui l'emporte. La lettre était restée dans le hangar depuis deux semaines et demie sans que le propriétaire ne l'y trouve. Les deux cyclistes n'avaient donc pas eu besoin de s'inquiéter ou de s'excuser d'avoir utilisé un abri aussi peu employé par le proprio; ils le soupçonnaient sans doute, mais ils avaient fait l'effort quand même d'être polis, tout en sachant également que leur offre ne trouverait sans doute pas preneur.

En fait, j'aurais dû noter le numéro de téléphone pour l'essayer et voir si c'était un vrai...

Après avoir coupé par les champs en partant de Mirepeisset, j'aurai donc longé le canal de la jolie halte du Somail jusqu'au village viticole de Puichéric, profitant d'une chambre d'hôte au mas des Fontanelles. Le souper est bien arrosé par les crus du domaine et je commence à lire I Am A Strange Loop de Douglas Hofstadter. De manière assez curieuse, la discussion par celui-ci des sources de l'individualité et de la conscience de soi commence par établir qu'il s'est converti à un végétarianisme pratiquement intégral. Ce qui, dans un pays aussi amateur de chair fraîche que la France, m'inspire un sonnet.

Les mangeurs et les meurtriers

Mange-t-on l'acte de tuer, le meurtre en fait,
qui est l'exécution d'une âme presque soeur,
humaine non par ses pensées mais par son coeur,
transformant en assassin cruel le gourmet?

Ou ne mange-t-on que son résultat concret
(vraiment savoureux avec une sauce au beurre),
matière saignée, devenue triste leurre,
simple chair désâmée, tournedos ou magret?

La main du convive qui manie la fourchette
et la main du boucher qui égorge la bête
ne sont-elles pas également coupables?

Le cannibale qui mange un frère ou ami
sait qu'il fait le repas sacré d'un semblable,
tel le chrétien qui mange de son dieu l'hostie...

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