2008-11-29

 

Mieux veut être riche et heureux...

Trois hommes, trois pauvres, sous une bouche d'air
se tiennent dans l'ombre de l'université
cachés du grand nombre comme de la cité
mais heureux d'imaginer qu'ils ont fui l'hiver

Avec leurs barbes grises, ils font les fiers
même si leurs manteaux beiges sont hérités
de mécènes qui donnent à la charité
le superflu emporté par des volontaires

L'air usé des facultés réchauffe leur abri
L'aîné boit son whisky et ses deux frères rient,
dont un roule en fauteuil et l'autre en aveugle

Trois hommes méprisés, maîtres secrets du sort
du bétail qui passe sans les voir et beugle
de joie jusqu'à l'abattoir dont nul ne ressort

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2008-11-28

 

La continuité rétroactive

On me demande souvent si j'écris mes romans avec l'aide d'un plan, ou sans. La réponse dépend en partie de ce qu'on entend par un plan. Certains auteurs dressent un plan si détaillé que chaque scène a droit à un petit résumé, ou du moins c'est ce que j'ai cru comprendre. À l'autre extrême, on trouve les auteurs qui se lancent à l'aventure sur la corde raide, sans filet, en se fiant à leur ingéniosité pour se tirer d'affaire quand on est en panne d'inspiration et qu'un rebondissement de l'intrigue ne vient pas, et qu'il faut inventer.

J'ai tendance à croire qu'on ne peut jamais se passer d'un minimum d'inventivité en temps réel. Qu'on ait fignolé un plan ou non, l'écriture peut révéler des failles inattendues, des erreurs de logique ou de cohérence, des nuances de la personnalité des personnages, etc. qui obligent à des révisions en cours de route. La solution consiste souvent à changer quelque chose qui est déjà écrit afin de préparer le dénouement recherché. En anglais, cela tombe sous coup du retconning. Le retcon, de « retroactive continuity », c'est la création rétroactive de la continuité narrative. Mais elle est plus facile à imposer par le fiat de l'auteur dans un texte postérieur que lorsqu'il faut retourner en arrière et modifier un texte déjà écrit. Quand on travaille sur l'équivalent d'une trilogie, c'est ça qui prend du temps...

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2008-11-27

 

Nudité publique

Dans le New York Times d'aujourd'hui, un article examine les attitudes scandinaves face à la sexualité en concluant sur la visite d'un parc meublé de statues dénudées qui n'attirent aucunement l'attention des passants — contrairement à ce qui se passerait aux États-Unis, selon le journaliste, où ce serait scandaleux. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. Au dix-neuvième siècle, l'art sculptural n'hésitait pas à exhiber le corps dans toute sa splendeur, qu'il soit sur la place publique, dans les institutions ou dans les foyers. C'est cette production qui exigeait l'emploi de modèles comme la jeune Trilby du roman éponyme dont j'ai déjà parlé. En visitant Albany, je suis passé par le musée des beaux-arts, dont la collection permanente inclut une copie (?) d'une sculpture célèbre d'Erastus Dow Palmer, The White Captive (1858). Ma photo reproduite ci-contre ne lui rend pas justice. Pour l'admirer (ou se rincer l'œil), on cliquera plutôt sur cette page du Metropolitan Museum of Art à New York. Cette jeune fille (adolescente?) attachée par les poignets à un tronçon d'arbre est une prisonnière des « Sauvages », dont les enlèvements avaient suscité dès le dix-septième siècle les « histoires de captivité indienne », une littérature nord-américaine sensationnelle et complaisante qui diabolisait les ravisseurs autochtones (en jouant sur les stéréotypes sexuels d'une manière rappelant fort l'orientalisme contemporain) et renforçait la définition des rôles sociaux de chaque sexe. De nos jours, une telle statue relèverait de la pornographie juvénile, à peu de chose près... On se demande quels rapprochements l'amateur d'art de l'époque était porté à faire avec les captives noires du Sud esclavagiste contemporain, surtout que le pendant de cette statue représentait une captive amérindienne...

De nos jours, l'opinion s'opposerait aussi à la mise en scène d'une femme-objet exhibée dans une relation d'infériorité signifiée non seulement par sa nudité mais par son statut de captive. La preuve, c'est que j'ai tout de suite songé à une sculpture semblable aux seins nus, celle de la martyre Margaret Wilson qui était exhibée au collège Knox de l'Université de Toronto et qui a été déplacée vers 1992 parce qu'elle gênait les sensibilités féministes, entre autres. (D'abord déménagée dans un endroit du collège réservé aux seuls membres, elle aurait retrouvé une certaine visibilité publique, mais pas dans un endroit aussi passant qu'à l'origine...) On notera que la statue de Margaret Wilson est plus modeste que celle de la captive blanche de Palmer, mais les deux remontent à la même époque. Selon une note parue dans le Presbyterian Record en janvier 2001, la statue de Wilson (acquise par le collège Knox en 1938) serait l'œuvre de Charles Bell Birch (1832-1893). Néanmoins, la valeur historique ou artistique n'est plus une excuse suffisante aujourd'hui, apparaissant comme de vulgaires prétextes déguisant mal les intentions qu'un point de vue actuel peut mettre... à nu.

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2008-11-25

 

Le débat décourageant

Le débat? Charest a été faible, Dumont fuyant et Marois détestable. Subjectivement parlant, bien sûr, mais les réactions viscérales comptent aussi.

Cela changera-t-il mon vote? À tout le moins, ce sera plus difficile de voter pour les Libéraux : joindre l'incompétence au centrisme mou, cela devient difficile à supporter. Heureusement qu'il reste le Parti Vert — comme le faisait remarquer un autre blogue — pour enregistrer un vote de protestation responsable.

J'avoue qu'accaparé par d'autres priorités, j'ai à peine suivi la campagne électorale. J'ai l'impression que les promesses valsent et se succèdent alors que la situation n'est pourtant pas propice aux largesses. Contrairement aux riches États-Unis, qui jouissent d'une solide marge de crédit, ou au gouvernement fédéral, qui a réellement assaini ses finances, le Québec n'est ni riche ni bien géré — et une politique trop axée sur les déficits serait périlleuse.

Bref, le débat a été décourageant. Une rencontre au sommet de vieilles godasses qui souffrent de la comparaison non seulement avec les États-Unis d'Obama mais même (!) avec la France de Sarkozy et Royal (car je ne crois pas que Ségolène ait dit son dernier mot). Qu'on y pense :

Marois est une femme politique de premier plan (ministre, chef de parti) depuis 1981;

Charest est un homme politique de premier plan (ministre, chef de parti, chef de gouvernement) depuis 1986;

Dumont est un homme politique de premier plan (chef de parti) depuis 1994...

Le renouvellement se fait attendre, quoi! On admettra toutefois que certaines idées fortes sont sorties, plus nettement peut-être qu'aux États-Unis où Obama n'a jamais précisé sa définition du changement par rapport non seulement à George W. Bush mais à ses prédécesseurs. Seulement, les projets de société des chefs québécois n'étaient pas toujours neufs : le salut de la nation par l'éducation, le salut par l'indépendance ou le salut par la conquête du Nord... La combinaison des visages familiers et des idées surannées n'est pas précisément enthousiasmante.

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2008-11-24

 

L'équipe du temps

Je ne regarde pas souvent la télévision et, depuis la fin des élections aux États-Unis, l'intérêt des émissions comme The Daily Show retombe un peu. En revanche, je me suis trouvé un nouveau péché mignon. Il s'agit d'une émission télévisée britannique qui existe depuis quinze ans environ, mais que je découvre pour la première fois : Time Team.

Déjà que, si l'occasion se présente, je me laisse aisément tenter par une autre émission britannique, Antiques Roadshow, qui a fait des petits au Canada et aux États-Unis. L'histoire des objets et de la culture matérielle regorge de détails fascinants que seuls les spécialistes connaissent, le plus souvent. Même un historien d'un domaine voisin comme je le suis en retirera souvent quelque chose... Mais Time Team n'est pas seulement un étalage d'érudition, c'est (apparemment) de l'archéologie en direct, sur le terrain, avec des découvertes à la clé de temps en temps. Une équipe de chercheurs britanniques ont trois jours pour mener des fouilles en terrain inexploré (mais pas toujours inconnu). Ils disposent d'une panoplie impressionnante d'équipement, de la rétrocaveuse à l'hélicoptère de location, et ils peuvent s'appuyer sur des cartes et des relevés géophysique pour décider où creuser. Dans les épisodes que j'ai pu voir, il arrive aux archéologues de l'équipe de tâtonner, de se tromper ou de ne rien trouver avant l'expiration du délai... C'est de la recherche grandeur réelle, avec tout ce que cela exige d'humilité quand la réalité est rétive et que l'erreur existe. Et c'est passionnant!

En ce moment, TVOntario diffuse la saison 2000 de Time Team. Ce qui veut dire qu'il y a encore du stock à exploiter. On pourrait craindre qu'ils finiraient par épuiser les sites possibles en Grande-Bretagne, mais il y a quand même plus de cinq mille ans d'histoire enfouis sous le sol... J'ignore si l'émission a été traduite en français ou adaptée en France, qui a un patrimoine historique encore plus riche — mais peut-être pas la flexibilité institutionnelle pour permettre de telles fouilles organisées en quelques semaines ou quelques mois seulement. Combien de permis et de papier timbré faudrait-il en France, hein?

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2008-11-20

 

Prix Molson 2008

Les récipiendaires des Prix Molson 2008 du Conseil des Arts du Canada avaient été annoncés le 21 mai dernier, mais la remise de son prix à la traductrice Sheila Fischman avait lieu ce soir à Montréal, dans l'édifice Gilles-Hocquart qui abrite le Centre des archives nationales du Québec à Montréal et qui accueillit autrefois la première incarnation de l'École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal. Comme ce n'était pas trop loin de Bouquinville et tout près de mon bureau, je suis passé faire un tour. Je m'attendais à reconnaître quelques visages familiers du temps où j'adhérais à l'Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada (ATTLC), mais j'ai fait chou blanc de ce côté.

Mais comme le Québec est très petit, surtout dans le milieu culturel, j'ai croisé une nouvelle écrivaine qui est, si j'ai bien compris, l'ex-belle-sœur de Sylvie Bérard. Ceci après que la Savante Folle, croisée à Bouquinville, m'apprenait plus tôt qu'elle avait été à la petite école avec Sophie Beaulé. Pour boucler la boucle, j'ai donc échangé quelques mots avec Sheila Fischman (que l'on voit de loin dans la photo ci-dessous, en conversation avec un employée du Conseil des Arts) au sujet de sa traduction de Pour la Patrie, de Jules-Paul Tardivel, l'idole (?) de jeunesse de mon grand-père...

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2008-11-19

 

L'auteur en visite à Bouquinville

La complexité de mon horaire au Salon du Livre de Montréal est telle que je ne m'y retrouve pas nécessairement moi-même. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir tenté de coordonner les heures de présence de tous mes éditeurs... Du coup, il ne faut pas se fier aux horaires officiels ou officieux.

L'horaire que je compte respecter est le suivant :

Jeudi 20 novembre : Éditions Médiaspaul, 12h-14h

Vendredi 21 novembre : Éditions David, 15h-16h, 18h-19h

Samedi 22 novembre : Éditions Médiaspaul, 14h-15h

Samedi 22 novembre : Éditions David, 18h-19h

Dimanche 23 novembre : Éditions David, 14h-15h

Le samedi, je rôderai sans doute dans le coin d'Alire en fin d'après-midi.

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2008-11-17

 

Un Obama français?

À quand un Obama français? La question a été posée plusieurs fois dans les médias depuis le 5 novembre et les réponses semblent avoir été assez uniformément décourageantes. Pour une fois, pourtant, la tendance française à s'auto-flageller est un peu exagérée. Même si on tire un trait sur le passé — Léon Blum, Gaston Monnerville, Pierre Mendès France... sans parler d'une première ministre et d'un premier ministre protestant, il reste que, l'an dernier, la France a élu pour président Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, immigrant de seconde génération, dont deux des trois épouses étaient également issues de l'immigration. Je n'ai pas le temps de faire le tour de toutes les listes de dirigeants politiques en Europe, mais mon impression superficielle, c'est qu'on ne retrouvera pas, dans toute l'Europe, beaucoup de pays qui ont élu démocratiquement des dirigeants qui ne sont pas issus de la communauté à laquelle s'identifie la majorité des électeurs. (On peut mettre au pluriel cette dernière clause dans les cas de pays comme la Belgique et la Suisse, sans que cela modifie le sens de la phrase.)

En Allemagne, l'élection avant-hier d'un politicien de parenté turque à la tête du Parti Vert a fait les manchettes. C'est le premier chef de parti issu de l'immigration, mais il est encore loin d'être chancelier. Ailleurs? Je ne vois pas beaucoup de cas dans les démocraties les mieux établies (à part ce premier ministre britannique né au... Canada). Évidemment, il pourrait y avoir un bloquage parce qu'on se souvient tous d'un exemple particulièrement flagrant d'un immigrant de première génération élu à la direction de son pays — Adolf Hitler, natif d'Autriche devenu chancelier de l'Allemagne de Weimar quatre ans après avoir acquis la citoyenneté allemande...

Néanmoins, il me semble qu'à l'aune des mœurs politiques européennes, la France n'a pas vraiment à rougir. Après tout, si les États-Unis peuvent élire un président noir, ils n'éliront jamais un immigrant, de quelque origine que ce soit, du moins tant que la loi l'interdisant demeurera inchangée... Il est sans doute vrai que les pays des Amériques sont plus ouverts aux carrières politiques sans enracinement dans le terroir national majoritaire, mais c'est qu'ils sont presque tous des pays d'immigration. Et la promotion des minorités reste lacunaire. Pour un Benito Juárez (1806-1872) au Mexique, d'origine autochtone, il a fallu attendre longtemps pour voir apparaître un Evo Morales. Même le Canada aurait des raisons de se regarder dans le miroir. Louis Riel a été pendu, Kim Campbell a perdu ses élections et le dernier premier ministre d'origine étrangère a été Mackenzie Bowell (1823-1917), né en Angleterre, ce qui ne date pas d'hier.

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2008-11-15

 

Lever de Terre

Dans cette photo vieille de quarante-deux ans, on voit la Terre se lever à l'horizon de la Lune. Cette photo prise par la sonde Lunar Orbiter 1 anticipait des versions plus connues de la même scène, comme dans la photo ci-dessous en couleurs, qui date de 1968, mais aussi les versions modernes comme celles que je signalais auparavant. Cela ne fait jamais de mal de prendre un peu de recul pour regarder la Terre d'aussi loin... Au besoin pour s'exclamer comme le narrateur misanthrope de Napoléon Aubin en 1839 : « C'est donc sur ce point à peine visible, m'écriai-je, que cette espèce d'insecte remuant, orgueilleux, qu'on appelle homme, se meut par millions imperceptibles et se croit une image de l'auteur de toutes choses ! C'est donc là que ce fragile atome s'imagine que tout ce qui l'entoure fut créé pour lui plaire ! C'est donc là que quelques-uns de ces vermisseaux se querellent, se dévorent, s'affament mutuellement pour prolonger de quelques secondes, à l'horloge de l'éternité, leur vile existence ! »(Apollo 8, Manned Spacecraft Center, NASA)

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2008-11-14

 

Science et science-fiction

En parlant de communication scientifique, après la Grande Rencontre de l'ACFAS, je ne peux faire autrement que signaler dans la foulée le troisième congrès annuel des blogueurs scientifiques, ScienceOnline09, qui aura lieu du 16 au 18 janvier prochain, en Caroline du Nord. Peggy Kolm et Stefanie Zvan seront de la partie pour animer une table ronde sur les utilisations de la science-fiction pour la communication scientifique. Afin d'arriver au congrès avec un peu de matériel, elles posent plusieurs questions sur leurs blogues tant aux blogueurs qu'aux auteurs de science-fiction. Je les traduis rapidement, en attendant d'essayer d'y répondre :

Questions pour les blogueurs scientifiques :

1) Quels rapports entretenez-vous avec la science-fiction? En lisez-vous? En regardez-vous (à la télé ou au cinéma) ? Qu'est-ce que vous aimez? Qui aimez-vous? Et pourquoi?

2) La science-fiction a-t-elle un rôle à jouer dans la promotion de la science? Lequel? Ce rôle se limite-t-il à rendre la science intéressante? La science-fiction pourrait-elle même nuire à la cause de la science?

3) Vous êtes-vous déjà servi de la science-fiction comme point de départ pour aborder un sujet scientifique? Est-ce plus facile de parler des scénarios de science-fiction qui voient juste ou qui se trompent?

4) Quels blogues recommanderiez-vous aux internautes intéressés, sur les sujets des sciences ou de la science-fiction?

Questions pour les auteurs de science-fiction :

1) Pourquoi avez-vous choisi d'écrire spécifiquement de la science-fiction? Comment la science enrichit-elle votre fiction?

2) Quels rapports entretenez-vous avec la science? Avez-vous fait des études ou été employé dans le domaine? Ou est-ce un intérêt purement personnel? Préférez-vous une science en particulier?

3) Quelle importance accordez-vous à l'exactitude de votre contenu scientifique? Quelles ressources employez-vous pour obtenir l'exactitude recherchée?

4) Quels blogues recommanderiez-vous aux auteurs et lecteurs intéressés, sur les sujets des sciences ou de la science-fiction?

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2008-11-13

 

La Grande Rencontre (2)

Aujourd’hui, les participants à la Grande Rencontre Science et Société de l'ACFAS au Jardin Botanique se répartissaient au sein de sept ateliers, un peu comme lors des rencontres précédentes organisées par l’Institut du Nouveau Monde. J’avais naturellement choisi d’assister aux délibérations du septième atelier, « Pour une culture scientifique riche et critique ! ». Bien entendu, comme dans le cas de la fabrication de saucisses, il faut avoir l’estomac bien accroché pour assister à la mutation en cours de route des idées exprimées initialement et suivre les distillations successives qui accouchent des orientations stratégiques recherchées par les organisateurs.

En chemin, des idées intéressantes passent naturellement à la trappe. Par exemple, Félix Maltais proposait, si je l’ai bien compris, une journée annuelle de la science. Plus que les 24 heures de science, ce serait une fête nationale de la science qui honorerait la recherche et ses héros tout comme le 11 novembre commémore les sacrifices des soldats canadiens et ce qu’ils ont défendu avec leurs vies. Irait-on jusqu’à envisager un jour de congé?

Un journaliste de Québec-Science a fait remarquer qu’il existe des sujets d’investigation plus ou moins tabous au Québec, dont la réfection de Gentilly-2, la crise des isotopes, Rabaska, l’amiante, la listériose... et les dindons sauvages. Les chercheurs se taisent dès qu’ils sont interrogés.

Et si on encourageait la science citoyenne, ou la recherche scientifique indépendante, en accordant des bourses ouvertes à tous? Ceci pourrait tout à la fois sortir la recherche des universités et libérer certaines recherches de l’emprise des intérêts constitués....

Il a aussi été question dans cet atelier d’améliorer la formation des enseignants à l’université pour qu’ils offrent une meilleure formation aux jeunes à l’école et qu’ils aient un minimum de conscience de la recherche qui se fait, ce que la pédagogie actuelle, trop étroite, ne favorise pas toujours. Plus de revues de vulgarisation dans les écoles (et des bibliothèques quand il n’y en a pas!), de meilleurs sites internet de vulgarisation (comme CyberSciences) ou plus de sites en français, et plus de sciences à VRAK-TV pourraient également favoriser la culture scientifique des jeunes.

Mais la séance plénière de l’après-midi a un peu viré court quand une panne a plongé le Jardin botanique dans le noir. Mais on avait déjà eu le temps de constater que les grands thèmes sortis des ateliers se recoupaient. Le premier atelier privilégiait une cartographie de l’environnement social pour décider des besoins de recherche, des contacts plus étroits entre chercheurs et le public, et un renouvellement de l’éducation. Le Conseil de la Science et de la Technologie serait appelé à produire un avis sur la détermination des priorités de l’innovation et de la recherche. Le second atelier appelait à informer la société sur la recherche, à veiller à ce que toutes les obligations des chercheurs fassent partie des financements et à développer les partenariats. Le troisième atelier proposait, entre autres, de reconnaître la coproduction des savoirs.Après le déménagement de la séance dans une salle dotée de fenêtres procurant un jour naturel (photo ci-dessus), les discussions ont pris fin sur une note plus intime. Le cinquième atelier suggérait de tenir compte de l’activité de vulgarisation au moment d’évaluer la carrière des chercheurs et de préparer les « receveurs » de connaissances. L’importance des transferts serait reconnue et promue non seulement dans les institutions mais dans toutes les politiques étatiques. Il faudrait aussi augmenter l’aide financière aux organismes de transfert et soutenir la formation aux activités de transfert.

Le sixième atelier portait sur l’engagement social des chercheurs et les participants ont noté les limites et contraintes à cet engagement (impératifs commerciaux, etc.). Ils ont prôné l’accessibilité des résultats scientifiques, une tarification raisonnable des inscriptions aux congrès de l’ACFAS, par exemple, afin de faciliter l’accès pour les jeunes chercheurs, une valorisation des connaissances et des chercheurs, un appui à la formation des chercheurs en communication scientifique, plus de participation citoyenne et l’exploitation du Web 2.0.

Du septième atelier, enfin, il était ressorti l’absence de définition de la « culture scientifique » et la méfiance face à la notion de « grand public ». (La preuve qu'il y avait des universitaires dans la salle....) On recommandait une plus grande présence des scientifiques dans l’espace public, un travail sur l’image de la science et l’adoption de modèles, voire de vedettes scientifiques. Bref, que les chercheurs occupent l’espace public et se positionnent, qu’ils collaborent avec d’autres milieux, que l’on tente d’humaniser la science et les chercheurs, et que l’on se fonde un peu plus sur l’émotion, le plaisir et le jeu pour communiquer la science... Pourquoi pas? Je suis tout à fait pour! La session plénière a pris fin peu de temps après, sur une dernier mot des organisateurs, et les participants se sont dispersés, même si quelques irréductibles se sont attardés dans le hall d'entrée, profitant de l'éclairage d'urgence et des restes du buffet du midi. Reste donc à voir ce qui sortira des discussions et des délibérations, soit des mains des organisateurs (comme Michel Venne, de l'Institut du Nouveau Monde, que l'on voit dans la photo ci-contre) soit des mains des participants (dont moi-même, si j'en tire une publication à terme).

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2008-11-12

 

La Grande Rencontre (1)

Depuis quelques années, pour éviter de faire penser au petit pain honni pour lesquels étaient nés les Québécois, on fait les choses en grand au Québec. En 2001, on commémorait la Grande Paix de Montréal. En 2005, on ouvrait la Grande Bibliothèque. Et, cette année, il y avait la Grande Traversée de l'Atlantique pour le 400e de Québec, qui avait aussi sa Grande Place pour les spectacles... Tout naturellement, l'ACFAS a dénommé « la Grande Rencontre » son rendez-vous de représentants des sciences, de la société et des communicateurs scientifiques, organisé de concert avec l'Institut du Nouveau Monde à l'instar de ses rendez-vous stratégiques sur la culture auxquels j'avais participé l'an dernier.

La rencontre de la science et de la société avait lieu au Jardin Botanique, fondé en 1931 à l'instigation du Frère Marie-Victorin (dont la statue se dresse maintenant aux portes de l'édifice principal, avec la tour du Stade Olympique en arrière-plan, ci-contre). Aujourd'hui, cela se passait dans l'auditorium d'époque, aux murs arborant les noms des grands biologistes de l'Histoire — excepté Darwin. Au programme de la matinée, il y avait la présentation par le professeur Yves Gingras des résultats d'un sondage de l'ACFAS et du CIRST mené auprès des chercheurs québécois. Les points saillants étaient tirés en partie de mon dépouillement et analyse des résultats, ainsi que de la comparaison avec les résultats d'un sondage antérieur complété en France par le CNRS. Entre autres, on note au Québec l'absence de conviction de l'existence d'une crise de confiance dans les rapports entre les chercheurs et la société. Le militantisme contre est jugé avec une relative indulgence par les chercheurs tant au Québec qu'en France, mais le militantisme pour laisse nettement plus tiède en France qu'au Québec. Le positivisme a maintenant une patrie, et ce n'est plus la France!

Mireille Mathieu (présidente sortante de l'ACFAS et vice-rectrice aux relations internationales de l'Université de Montréal) présentait ensuite une cartographie des liens entre science et société de douze organismes de recherche en sciences sociales et humaines, dont huit regroupements stratégiques, deux centres en émergence et deux centres en renouvellement. J'ai noté que les ponts avec la société s'établissaient à la faveur de formations ciblées, de contrats d'expert-conseil, de recherche en partenariat, de consultations et d'activités de transfert des connaissances (conférences, journées portes ouvertes, travaux de vulgarisation, expositions, ateliers publics, participations à des festivals, sites internet, manuels, etc.).
Huit entrevues auraient permis ensuite de dégager les facteurs qui faisaient obstacle à l'intensification de ces rapports entre les milieux de la recherche et les autres : la reconnaissance (ou son absence) par les universités et/ou les organismes subventionnaires du travail de vulgarisation, la disponibilité (ou le manque de temps), le financement (ou ses carences), les aptitudes (ou inaptitudes) et l'intérêt (ou désintérêt) des pairs.

Le public a réagi. Normand Mousseau (prof de physique à l'Université de Montréal) a avoué n'avoir pas répondu au questionnaire de l'ACFAS/CIRST parce qu'il ne savait pas ce qu'il fallait entendre par « crise ». Il est conscient de tensions et de problèmes, toutefois, alors que la science est de plus en plus essentielle à la bonne conduite des affaires publiques par nos politiciens. Michel Venne a souligné la question de la disponibilité des chercheurs et l'absence d'incitatifs. D'autres sont intervenus pour s'interroger sur le besoin de communiquer : est-il plus aigu? est-il conjoncturel? On suggère alors que la plus grande sensibilité des chercheurs québécois pourrait trouver son origine dans la multiplication des stipulations émanant des comités d'éthique de la recherche depuis une dizaine d'années. Quelqu'un note qu'un centre de recherches a été pénalisé pour avoir fait trop de vulgarisation et pas assez de recherche. Yvette Tremblay (ministère de l'Éducation) répond que la mission de base des chercheurs reste celle de faire de la recherche, même si les transferts de connaissances devraient bénéficier d'une plus grande valorisation. Peter Lévesque, financé par la Fondation Trillium en Ontario, intervient pour expliquer son travail en « mobilisation des connaissances » et diagnostiquer une demande de connaissances utiles et pratiques qui n'est pas comblée actuellement : faudrait-il des structures intermédiaires? On lui répond que le CLIPP existe et que les universités ont souvent des bureaux offrant des services à la collectivité.

En fin de matinée, les résultats du sondage (1002 entrevues téléphoniques) sur les attentes des citoyens québécois vis-à-vis du monde de la recherche ont été présentés, en faisant ressortir que le taux de confiance du public pour les scientifiques et la science (84%) et les professeurs (92%) a nettement augmenté depuis la dernière enquête de ce genre en 2002 (68%) par le Conseil de la Science et de la Technologie. Une proportion également élevée (81%) croit que les scientifiques ont un plus grand rôle à jouer aujourd'hui dans les débats publics, mais le public croit à 52% que les chercheurs ne participent pas assez de leur propre chef et que les médias ne leur accordent pas une couverture suffisante. (Quelqu'un fait remarquer dans la salle que les citoyens le disent mais regardent les télé-réalités et Le Banquier.) Si le public se considère bien informé sur les sciences (64%), c'est moins que pour la culture, la politique, les sports, etc. Et c'est loin d'être clair s'il tient compte uniquement du volume d'informations sans égard à la qualité ou s'il se contente de peu parce qu'il tient la science pour intrinsèquement plus difficile à comprendre. En revanche, les citoyens exigent des scientifiques qu'ils tiennent compte de leurs attentes (77%) et des risques (64%) de leur recherche. Sans grande surprise, la scolarité a un effet patent sur le niveau de confiance et d'optimisme; les plus scolarisés font plus confiance à la science et à ses experts, soutiennent davantage la recherche pure et réclament un plus grand rôle public pour la science. Des résultats se dégagent un constat possible : il faudrait faire participer les citoyens plus directement à la recherche.

Le public a réagi ensuite. Claude Roberge a demandé si le sondage avait eu lieu avant ou après la crise de la listériose. Après, lui a-t-on répondu. Il maintient qu'en matière d'évaluation et de gestion des risques, les scientifiques devraient se prononcer et se faire entendre. Jérôme Élissalde (UQÀM) note que le taux de confiance lui fait peur et souligne que la vulgarisation des sciences ne doit pas seulement être promue mais critiquée. Le chercheur Michel Bergeron intervient pour dire qu'il faut des experts et des citoyens bien formés pour faire le tri et la part des choses face aux informations véhiculées par internet. Mathieu Robert-Sauvé, journaliste et président de l'ACS, demande ce que font les médias pour parler plus souvent de science. Marie Larochelle, prof en Éducation à l’Université Laval, trouve le sondage trop idéalisé : il aurait fallu situer les scientifiques dont il était question plus spécifiquement (au besoin comme chercheurs stipendiés de Monsanto) et elle critique la supposition implicite d’un « déficit cognitif » des profanes que la vulgarisation est censée combler. Johanne Charbonneau rappelle l’existence de plus en plus fréquente ces dernières années de clauses léonines dans les contrats signés par les scientifiques avec des partenaires, de sorte que l’accessibilité et le contrôle des résultats en souffrent. On lui fait remarquer que tous les partenaires, publics et privés, essaient de s’approprier la production intellectuelle.

En après-midi, deux spécialistes français, Jean-Pierre Alix et Dominique Pestre, ont la parole. Alix rappelle que la science vue comme base des progrès (selon le linear model ) et que la vulgarisation comprise comme comblement d’un déficit cognitif s’inscrivent en fait dans un dialogue au minimum bidirectionnel, mais qui prend de manière plus réaliste la forme d’un tissu de relations interactives où la culture, l’éducation, les médias, le politique, la sécurité et l’économie (de l’innovation) se pressent autour de la recherche. Pestre identifie trois acteurs retenus par l’ACFAS : la recherche, le privé et la société civile, ce qui implique une quête d’équilibre de la recherche et de l’exploitation ainsi qu’une coproduction des savoirs. Mais la recherche est-elle source de savoir, de menaces, ou quoi encore? En France, les chercheurs sont soumis à une triple exigence : tout à la fois exceller, transférer leurs résultats vers le privé et dialoguer avec la société civile. Le discours dominant met de l’avant l’économie/société des connaissances qui sera sauvé par la science — quoique la référence à la Silicon Valley permet de dater quelque peu ce discours... Mais s’il a été question en matinée de promouvoir la science et le dialogue, Pestre propose de promouvoir plutôt la science et toutes les autres formes de savoirs dans le social, et de promouvoir la diversité des espaces de rencontre.

Le public a également pu réagir. Marc-André Simard de l’Université Laval pose la question de la communication avec les jeunes. On lui répond que les jeunes en France expriment des aspirations idéalistes et le désir de participer à la construction de l’Université de demain. Bref, une journée sans doute plus intéressante en matinée quand on apportait de nouvelles données au moulin qu'en après-midi, quand on a dérivé dans l'abstraction et les généralités.

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2008-11-11

 

Le premier 11 novembre

Le 11 novembre n'a pas toujours été l'anniversaire de l'armistice. Pendant longtemps, ce n'était que le jour après le 10 novembre et le jour avant le 12 novembre. Tout a changé il y a quatre-vingt-dix ans quand la trêve a mis fin au massacre de millions d'hommes autour du monde. Mon grand-père, Jean-Joseph Trudel, se trouvait alors en France pour soigner les blessés et les malades. Dans son album de coupures de journaux, reçus et autres vestiges documentaires de la Grande Guerre, on retrouve un exemplaire d'un ordre du jour spécial émis le lendemain de l'armistice par le maréchal Foch à toutes ses troupes.Je retranscris le texte de cette version :

« G.Q.G.A. le 12 novembre 1918

OFFICIERS, SOUS-OFFICIERS, SOLDATS DES ARMEES ALLIEES.

Apres avoir resolument arrete l'ennemi, vous l'avez, pendant des mois, avec une foi et une energie inlassables, attaque sans repit.

Vous avez gagne la plus grande bataille de l'Histoire et sauve la cause la plus sacree : la Liberte du Monde.

Soyez fiers .....

D'une gloire immortelle vous avez pare vos drapeaux.

La Posterite vous garde sa reconnaissance.

Le Marechal de France,
Commandant en Chef les Armees Alliees. »

Comme il s'agit de la version britannique (ou canadienne), fournie avec une traduction en anglais, le texte a été dactylographié avec une machine à écrire dépourvue d'accents. Gageons que, le 12 novembre, ceci n'a pas inquiété grand-monde, même si c'était symptomatique de la conduite de la guerre par les autorités canadiennes.

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2008-11-10

 

Gibson et Malet

J'ai fini par finir Pattern Recognition de William Gibson. OD m'avouait récemment qu'il ne l'avait jamais terminé et je le comprends. Si je suis arrivé au bout du roman et d'un enchaînement de péripéties qui ne deviennent jamais tout à fait palpitantes, c'était en me disant que Gibson ne nous aurait pas fait languir si longtemps s'il ne comptait pas récompenser ses lecteurs.

En fait, s'il consent enfin à combler notre curiosité, Gibson ne la satisfait pas entièrement. La succession d'incidents culmine, certes, avec la découverte de l'identité de la personne dont les clips vidéo semés à tous vents sur la Toile avaient obsédé de nombreux internautes, dont Cayce Pollard. Personnellement, j'aurais conclu avec cette révélation, mais Gibson tient à nouer les autres fils de l'intrigue. Cayce est la fille d'un agent secret étatsunien qui a disparu le 11 septembre à New York sans que l'on sache s'il se trouvait dans les tours jumelles. Non que le sort de Win Pollard soit totalement éclairé. La disparition de son mari avait lancé la mère de Cayce à la recherche d'indices et de messages d'outre-tombe. Cayce, elle, se contentait de rêver de son père, voire d'halluciner sa présence.

En principe, cela n'avait rien à voir avec le métier de Cayce, analyste de l'efficacité des marques publicitaires, mais un voyage à Londres bouleverse son existence de professionnelle indépendante et sans amarres. On fouille dans son appartement à Londres, on lui fait des offres, on lui paie un voyage à Tokyo où elle est agressée, elle fait affaire avec un agent secret à la retraite, elle s'envole clandestinement pour Moscou, se fait droguer, se réveille dans un asile...

Bref, l'action ne manque pas, mais elle est bizarrement ouatée parce que Cayce évolue dans un monde confortable, isolée des contingences quotidiennes par l'argent et les attentions de ses employeurs. Un peu comme dans La possibilité d'une île de Michel Houellebecq, où le personnage ressemble à l'auteur, on soupçonne que l'auteur s'est tellement habitué à vivre dans le giron du luxe qu'il ne peut plus mettre en scène un personnage le moindrement démuni.

C'est un peu pourquoi je lis avec un tel plaisir les enquêtes de Nestor Burma, le détective imaginé par Léo Malet. Il n'y a pas seulement l'attrait du voyage dans le temps, chaque enquête recréant un aperçu (plus ou moins romancé, certes) d'une France disparue. Il y a aussi la réalité plate et prosaïque de la vie dans un monde sans garde-fou. Dans Le 5e procédé, qui se passe durant la Seconde Guerre mondiale, Burma doit plonger dans une forme de clandestinité et dormir à la dure tout en poursuivant l'enquête. Les personnages se déplacent à vélo, se font donner un bout de conduite en voiture et ramassent les gnons. Ces deux ouvrages sont des romans, mais celui qui est le plus convaincant n'est pas nécessairement celui qui est le mieux documenté. L'enracinement dans une réalité connue de tous peut racheter beaucoup de raccourcis et de plaisanteries.

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2008-11-08

 

L'étal des nouveaux auteurs

Il ne manque pas de sites pour les auteurs débutants qui tiennent absolument à mettre en-ligne leurs manuscrits. Une nouvelle initiative de l'éditeur HarperCollins veut aller plus loin. Le site Authonomy.com relève de ce qu'on appelle Internet 2.0, c'est-à-dire d'une démarche interactive destinée à exploiter pleinement le potentiel du réseau afin de rapprocher des mondes parfois éloignés, dans ce cas, celui des écrivains et celui des éditeurs. Les chercheurs des sciences sociales et humaines en parlent aussi en ce moment dans un forum ouvert pour une semaine par un groupe multidisciplinaire attaché à l'exploitation des nouvelles technologies.

Sur Authonomy.com, d'une part, des romanciers encore inconnus et inédits sont invités à créer des pages personnelles au sein du site et à offrir un échantillon de 10 000 mots de leur œuvre. D'autre part, les autres écrivains inscrits et les simples lecteurs peuvent parcourir ces textes et leur attribuer une note. Les agents littéraires, les critiques et les blogueurs sont aussi invités à se prononcer.

Et l'espoir des directeurs littéraires de HarperCollins, c'est de remplacer l'ancien processus de lecture et de tri des manuscrits reçus par la poste par un mécanisme dynamique dont émergeront de manière un peu plus objective les auteurs les plus prometteurs. Et ce, sans avoir à payer les contributeurs à ce travail de sélection...

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2008-11-07

 

Jean Charest, néo-conservateur?

Après les émotions, les rebondissements et le suspense des élections aux États-Unis, il faut bien redescendre sur Terre et s'intéresser aux élections québécoises, même si elles promettent d'être à peine moins douloureuses pour l'intelligence et le sens critique que les élections canadiennes. C'est le devoir du citoyen, après tout.

Mais le citoyen doit-il participer à la chose politique? Examinons donc le discours de Jean Charest dans toute son intertextualité... Pour lancer sa campagne, Charest a répété dans un discours qu'il fallait une seule autorité à la barre du navire de l'État : « Pour traverser cette crise, le Québec doit se donner un gouvernement qui tient fermement le gouvernail », « L'enjeu de cette élection est clair : quel parti a l'équipe, la compétence et le plan pour tenir le gouvernail pendant cette période de tempête? », « Seul le Parti libéral du Québec a la compétence, l'expérience, lavision et l'équipe pour tenir le gouvernail en période de tempête. »

Il a ensuite enfoncé le clou avec une belle image : « Les Québécois savent aussi que pendant une tempête, il ne devrait pas y avoir trois paires de mains sur le gouvernail. »

La comparaison de l'État à un navire est fort ancienne. Platon l'emploie plus d'une fois dans ses réflexions. Ainsi, dans Le Politique (.PDF), il compare les meilleurs chefs d'État aux pilotes sagaces : « Comme le pilote, toujours préoccupé du salut de son navire et des passagers, sans écrire des lois, mais en se faisant une loi de son art, conserve ses compagnons de voyage ; ainsi, et tout pareillement, l’État serait prospère, s’il était administré par des hommes qui sauraient gouverner de cette manière, en faisant prévaloir la puissance supérieure de l’art sur les lois écrites»

Mais ce n'est pas seulement un éloge de l'instinct ou du talent inné pour le gouvernement des États, c'est aussi une condamnation des cadres législatifs et du gouvernement par la masse, car Platon déplore aussi les catastrophes arrivées aux navires gouvernés par des ignorants : « Car il y a un temps infini que les États sont en butte à ces maux, et l’on en voit cependant quelques-uns rester debout, stables et fermes. Beaucoup, il est vrai, submergés comme des navires que l’eau envahit, périssent, ont péri ou périront par la sottise des pilotes et des matelots, qui n’ont en partage sur les plus grandes choses que la plus grande ignorance, et qui, les plus étrangers du monde à la politique, se persuadent que c’est de toutes les sciences celle qu’ils possèdent le mieux. »

L'allégorie est encore plus claire dans le Livre VI de La République, où Platon montre les matelots ignorants tombés sous la coupe de beaux parleurs qui dédaignent le vieux patron qui tient le gouvernail :

« Imagine donc quelque chose comme ceci se passant à bord d'un ou de plusieurs vaisseaux. Le patron, en taille et en force, surpasse tous les membres de l'équipage, mais il est un peu sourd, un peu myope, et a, en matière de navigation, des connaissances aussi courtes que sa vue. Les matelots se disputent entre eux le gouvernail : chacun estime que c'est à lui de le tenir, quoiqu'il n'en connaisse point l'art, et qu'il ne puisse dire sous quel maître ni dans quel temps il l'a appris. Bien plus, ils prétendent que ce n'est point un art qui s'apprenne, et si quelqu'un ose dire le contraire, ils sont prêts à le mettre en pièces. Sans cesse autour du patron, ils l'obsèdent de leurs prières, et usent de tous les moyens pour qu'il leur confie le gouvernail; et s'il arrive qu'ils ne le puissent persuader, et que d'autres y réussissent, ils tuent ces derniers ou les jettent par-dessus bord. Ensuite ils s'assurent du brave patron, soit en l'endormant avec de la mandragore, soit en l'enivrant, soit de toute autre manière; maîtres du vaisseau, ils s'approprient alors tout ce qu'il renferme et, buvant et festoyant, naviguent comme peuvent naviguer de pareilles gens ; en outre, ils louent et appellent bon marin , excellent pilote, maître en l'art nautique, celui qui sait les aider à prendre le commandement — en usant de persuasion ou de violence à l'égard du patron — et blâment comme inutile quiconque ne les aide point : d'ailleurs, pour ce qui est du vrai pilote, ils ne se doutent même pas qu'il doit étudier le temps, les saisons, le ciel, les astres, les vents, s'il veut réellement devenir capable de diriger un vaisseau ; quant à la manière de commander, avec ou sans l'assentiment de telle ou telle partie de l'équipage, ils ne croient pas qu'il soit possible de l'apprendre, par l'étude ou par la pratique, et en même temps l'art du pilotage. Ne penses-tu pas que sur les vaisseaux où se produisent de pareilles scènes le vrai pilote sera traité par les matelots de bayeur aux étoiles, de vain discoureur et de propre à rien? »

Bref, chez Platon, le peuple ne doit pas se mêler du gouvernement du navire, ou de l'État. En ce qui concerne Jean Charest, qui trahissait peut-être l'affinité des néo-conservateurs aux États-Unis pour le parti pris aristocratique de Platon, on peut quand même se demander s'il prétend être le pilote expérimenté qui doit garder la barre malgré la démagogie et le populisme de ses rivaux, sans se soucier de l'avis des citoyens, ou s'il fait partie des chevilles ouvrières au service d'une mainmise par la foule ignare...

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2008-11-06

 

La nature du racisme

En ce qui me concerne, l'élection de Barack Obama illumine la nature du racisme, ou du moins elle m'oblige à réviser l'idée que je m'en faisais. Depuis mon enfance, j'associe le racisme aux préjugés : avant même de connaître quelqu'un, on l'a déjà jugé (et condamné) sur la base de son apparence, de son sexe, de sa langue, de son orientation sexuelle, etc.

Mais c'est un peu court, et certainement incomplet. Dans certaines circonstances, les préjugés s'apparentent à des heuristiques rudimentaires en l'absence de faits positifs et qui prennent toute leur importance quand il importe de trancher avant d'être en possession des faits. Qu'on le veuille ou non, un grand gaillard noir habillé en rapper et arborant les couleurs d'un gang de rue suscitera plus l'inquiétude dans une rue la nuit qu'une jeune femme asiatique affublée de lunettes... Même Jesse Jackson avait avoué en 1993 : « There is nothing more painful to me at this stage in my life than to walk down the street and hear footsteps and start thinking about robbery — then look around and see somebody white and feel relieved. » On peut discuter du bien-fondé du profilage racial quand ce ne sont pas des individus qui l'appliquent mais les forces de l'ordre, ou des conditions qui exacerbent la criminalité au sein de certaines communautés, ou de l'hystérie médiatique qui porte à exagérer les risques, mais si un préjugé permet de réduire un risque de un sur un million à un sur dix millions, peut-on interdire à un individu sans autre recours de se reposer sur ses préjugés?

En revanche, ce sont les postjugés qui me semblent révéler le plus clairement le racisme, c'est-à-dire les opinions formées après l'épreuve des faits si elles correspondent toujours aux préjugés antérieurs, et non aux faits. Quand des millions d'électeurs étatsuniens continuent à croire encore aujourd'hui que Barack Obama est musulman, qu'il n'est pas né aux États-Unis ou qu'il est un Communiste, on ne peut l'expliquer que par un refus des faits et un entêtement dans l'erreur attribuable à un racisme inavoué.

En 1964, Martin Luther King avait dit, entre autres : « I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin but by the content of their character. » On ne peut juger le caractère de quelqu'un qu'après avoir fait sa connaissance, mais si on a fait la connaissance de quelqu'un et qu'on ne le juge pas sur la base de ses faits et gestes, mais sur l'idée qu'on se faisait déjà de lui sur la base de son appartenance à un groupe, on révèle peut-être le plus clairement du monde l'emprise du racisme sur sa pensée.

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2008-11-05

 

La SF brésilienne à l'écran

Hier, je suis revenu à Montréal pour assister à une causerie de Fabiana Pereira au sujet de l'influence française sur la science-fiction brésilienne au cinéma. Fabiana Pereira donnait en exemple Quem é Beta, un film du cinéaste brésilien de gauche Nelson Pereira dos Santos et une co-production franco-brésilienne de 1972. Aussi connu en français sous le titre Pas de violence entre nous, ce n'est pas ni le premier ni le seul film de science-fiction réalisé au Brésil, Fabiana Pereira en ayant recensé plus d'une vingtaine. Nelson Pereira dos Santos était une figure de proue du Cinema Novo, qui privilégiait des valeurs humanistes voire socialistes, une certaine économie esthétique et une focalisation sur la vie populaire. Toutefois, après le coup d'État des généraux en 1964 et le putsch interne en 1968 qui droitise encore plus les politiques de la junte, ses valeurs ne sont plus de mise au moment même où Pereira dos Santos connaît un succès grandissant à l'étranger. En 1971, il fait le tour des festivals avec son film Comme il était bon, mon petit Français et il est frappé par l'isolement de cette existence errante confinée à des palaces successifs et coupée du quotidien des gens ordinaires.

Quand il se laisse convaincre de diriger un film qui donnerait, avec du financement français, la vedette à la jolie Regina Rosenburgo, qui jouait dans le film Garota de Ipanema, Nelson Pereira dos Santos a l'idée d'une allégorie qui empruntera à la science-fiction, ou plus précisément à une nouvelle d'un auteur brésilien contemporain, dont le protagoniste était un militaire isolé dans son bunker cerné par une multitude d'extraterrestres. Le scénario transpose la situation sur Terre dans un contexte post-apocalyptique, où les rares personnes épargnées par une épidémie se défient des contaminés et s'en défendent à coup de fusil. Là-dessus se greffe l'histoire d'un couple de rescapés qui vit dans sa bulle, en acceptant occasionnellement un troisième partenaire pour agrémenter ses ébats amoureux.

Le film tiendra une semaine à l'affiche à Rio, dans une seule salle, en partie parce que Regina Rosenburgo meurt tragiquement en 1973 et en partie parce que le film est jugé incompréhensible et rébarbatif par la critique. À Cannes, les amis de Nelson Pereira dos Santos tentent de le convaincre de ne pas même le montrer.

Fabiana Pereira suggère que le film a pu être inspiré par Alphaville de Godard, moins dans son intrigue que dans son approche de la science-fiction qui évacue autant que possible les références à la sf étatsunienne. Toutefois, dos Santos avoue beaucoup plus facilement l'influence de Buñuel, et du cinéma d'auteur français en général. Et puis, il y a les circonstances de sa vie. Outre sa tournée des festivals en 1971, il avait tenté de se soustraire à l'attention de la junte militaire en devenant professeur dans une université de banlieue, sise dans un faubourg dominé par une nouvelle classe professionnelle qui, justement, affectionnait la science-fiction parce qu'elle se reconnaissait dans ses rêves progressistes. C'était une autre bulle...

Le film au complet n'a pas été projeté hier, mais les personnes présentes ont pu regarder un extrait dont l'allure rappelait bel et bien la cinématographie de science-fiction des années soixante-dix, combinant retour du primitif et paranoïa larvée... Un de ces jours, il faudra que je regarde l'ensemble de la chose.

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2008-11-04

 

Suspense

Récapitulons. En 2000, Al Gore obtenait le plus grand nombre de votes, mais il n'était pas élu président. En 2004, George W. Bush obtenait le plus grand nombre de vote et revenait à la Maison Blanche. Autrement dit, malgré tous les sondages qui accordent l'avance à Obama dans la course à la présidence, rien n'est gagné. Car même s'il obtenait le plus grand nombre de votes, il n'y aurait pas de garantie...

Bref, le suspense va durer jusqu'à 19h ce soir, ou plus tard... Les reportages en-ligne me rappellent un peu la situation en 2004, mais au carré ou au cube. Une mobilisation populaire qui peut rappeler aussi le référendum québécois en 1995, mais qui restera sans doute en-deçà des chiffres québécois (près de 95% des électeurs inscrits). Et le résultat avait été serré en 1995!

De toute manière, le suspense persistera encore longtemps. Les deux candidats ont revendiqué des positions occupant presque tout le spectre politique. Que donnera l'effondrement de leur fonction d'onde quand ils ne pourront plus se cacher dans un nuage de possibilités? Si on tient également compte des accusations lancées de part et d'autre, on ne sait pas trop quel candidat émergera au lendemain de sa victoire : un socialiste? un fasciste? un centriste?

Avec George W. Bush, l'incertitude avait duré jusqu'aux premières nominations. Plus précisément, il avait commencé par présenter Powell et Rice... avant de glisser dans son cabinet des paléo-conservateurs et des fossiles de droite qui n'ont pas perdu de temps avant de retirer les États-Unis du protocole de Kyoto et de planifier une guerre en Irak. Dès lors, on avait su que le « compassionate conservatism » de Bush ne serait que cosmétique. Qu'en sera-t-il avec le gagnant de ces élections? Et quand le saura-t-on?

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2008-11-03

 

Bref aperçu d'un lancement à Ottawa

Aujourd'hui, les éditions David d'Ottawa célébraient quinze ans d'existence à la Bibliothèque nationale et en profitaient pour lancer une nouvelle fournée de livres, dont l'ouvrage à la fois savant et didactique de Sophie Beaulé sur mes romans jeunesse de la série « Les saisons de Nigelle », ouvrage modestement (?) intitulé Jean-Louis Trudel. Comme j'avais un cours en soirée, j'ai uniquement eu le temps de faire acte de présence, de grignoter quelques canapés, de siffler un verre de vin et de saluer Nancy Vickers et quelques autres. Le lancement lui-même se déroulait dans l'auditorium, mais comme celui-ci se prêtait mal aux sorties discrètes, je ne suis pas entré. Mais j'ai quand même eu le temps de photographier la table consacrée à des piles du nouveau livre, au pied d'une grande photo de l'autrice.

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