2007-02-02
Culture québécoise ou mondialisée?
L'Institut du Nouveau Monde lance une série de rendez-vous stratégiques sur la culture. Les rencontres ont lieu aujourd'hui et demain dans neuf endroits différents au Québec. Les questions que les participants doivent se poser sont simples : « Que devient la culture québécoise? Que voulons-nous qu'elle devienne? ». À Montréal, les ateliers se tiennent dans le Pavillon Sherbrooke de l'UQÀM.
J'y étais pour l'ouverture un peu après 19h. Après les mots de bienvenue des dignitaires, soit Michel Venne (en différé à Rimouski), Céline Saint-Pierre, Louise Sicuro et enfin Dany Laferrière, le seul à se démarquer du ronron et de la langue des bois des autres, c'est au tour d'une table ronde animée par Ariane Émond, avec Guy Rocher, Micheline Labelle, Vania Jimenez et Marc Gold. Les deux sociologues (Rocher et Labelle) sont abstraits et soporifiques. Rocher distingue la culture commune, anthropologique, et la culture classique fondée sur la recherche de la connaissance et la pratique du jugement critique. Labelle distingue le multiculturalisme, politique publique mise en place en 1971 par Pierre Elliott Trudeau, et l'interculturalisme québécois.
Heureusement, le témoignage passionné de Marc Gold vient rappeler, d'abord, la complexité des identités (en particulier au Canada) et, ensuite, la réalité d'une expérience québécoise encore bancale pour les minorités. La « conceptologie » a-t-elle réellement sa place dans une démarche qui a pour but de susciter la discussion et la réflexion? La définition de concepts n'impose-t-elle pas des vérités en risquant d'enfermer tout de suite la pensée derrière les barreaux de ces évidences? En adoptant le ton professoral, les sociologues donnent l'impression de n'avoir jamais remis en question la valeur de leurs options, tout simplement parce qu'ils appartiennent à une majorité dont les membres ont tous les luxes, y compris celui de se révolter.
Enfin, Jimenez, dont le parcours personnel est une épopée, lance des déclarations, sans arriver tout à fait à synthétiser sa pensée. Elle affirme que le « Québec est un lieu particulièrement propice » pour faire l'expérience collective de la coexistence et non de la domination. Puis elle évoque « le malaise fécond des présences autochtones ». Puis elle passe à autre chose et on ne saisit jamais où elle veut en venir.
Le second tour de table commence avec Guy Rocher qui veut parler de laïcité, et qui en parle. Micheline Labelle dévoile enfin ses batteries en réprouvant avec vigueur la résurgence d'un certain nationalisme ethnique et elle réclame une nouvelle affirmation des droits démocratiques. Jimenez, qui exerce occasionnellement la médecine au Nunavik, rappelle la transformation radicale de la culture inuit en deux générations, qui permet de relativiser l'ampleur des changements connus au Québec. Elle parle de la gentillesse et de la tristesse à fleur de peau dans une société déstabilisée, malade, vulnérable aux drogues et à l'alcool.
Guy Rocher conclut en souhaitant que le Québec ne devienne pas une « mosaïque de cultures » et souhaite pour la province une culture commune, dont le français serait l'arc-boutant. Toutefois, il faut que cette langue et cette culture vaillent la peine d'être l'épine dorsale de la société québécoise. Rocher s'inquiète de la rupture avec le passé, d'une coupure qui lamine la culture actuelle.
Moi, je ne suis pas contre l'idée de renouer avec le passé canadien-français, mais seulement en apprenant à y voir un fragment de l'histoire universelle de l'humanité. L'histoire des francophones d'Amérique est vouée à l'insignifiance si elle est uniquement traitée comme le fondement des prétentions d'un groupe de moins en moins exempt de métissage, et de moins en moins présent dans la société québécoise. Cette histoire ne devient intéressante pour tous que si elle est porteuse de sens universels.
Au tout début de l'événement, le regret avait été exprimé que l'Institut ait choisi de parler de culture québécoise, et non de la culture au Québec. Mais l'Institut est un think-tank aux sympathies indépendantistes, voire péquistes, issu des œuvres d'un chroniqueur du Devoir. C'est le principal défaut de ces rencontres : on peut pressentir qu'elles n'accoucheront de recommandations suivies d'effet que si le Parti Québécois remporte la prochaine élection.
Malgré tout, l'initiative de l'Institut du Nouveau Monde ne peut être qu'encouragée. Certes, il y a toujours des voix pour dire qu'on dépense trop sur la culture. On peut répondre que le niveau actuel n'est onéreux que parce que le Québec est moins riche qu'ailleurs. (L'argent investi dans la culture pourrait-il être mieux investi, de manière justement à accroître la richesse collective? Sans doute, mais c'est aussi vrai de plusieurs autres postes de dépense, qui absorbent nettement plus de crédits que l'art et la culture.) On peut aussi répondre que la culture a plus d'avenir que d'autres secteurs économiques. Tout d'abord, elle est la condition de l'avenir même d'une collectivité, sans laquelle celle-ci n'a pas d'identité et très vite pas non plus de non. Ensuite, elle est une ressource fondée sur l'inépuisable ingéniosité humaine, et non sur une ressource brute, souvent limitée. Enfin, elle va souvent de pair avec les communautés les plus créatrices (du moins selon Richard Florida, qui regroupe de nombreuses professions créatives dans son analyse de la créativité dans les économies modernes).
Je suis ensuite allé voir Babel.
Qu'est-ce que Babel? Le titre renvoie à l'inintelligibilité ds langues bibliques, et donc à l'incompréhension, à la méprise, au malentendu... Tout le contraire, par conséquent, d'un film comme Code 46 dont le titre suggérait que le sens était accessible, quoique malaisé d'accès. De fait, le sabir polyglotte des personnages se laissait apprivoiser et le personnage principal pouvait s'identifier aux autres au moyen d'un virus empathique...
Il n'en va pas de même des personnages de Babel, qui parlent anglais, l'espagnol rugueux du Mexique, le japonais moderne, l'arabe dialectal du Maroc (enfin, je suppose) et la langue des signes. Ils se comprennent rarement quand ils parlent, et ils comprennent encore moins les pensées, les désirs et les idées de leurs semblables.
Loin des utopies de la communication, Babel reflète la réalité actuelle de notre monde mondialisé. Par-dessus les océans et les distances, la vie de n'importe qui peut toucher celle d'un autre. Et pourtant, cela n'aide pas à comprendre l'autre. Les langues ont beau disparaître presque quotidiennement, la communication n'est pas plus facile. Et l'anglais est loin d'être la langue universelle que croient certains.
Et cette difficulté de communiquer est aggravée par les disparités économiques et politiques. Les riches s'enveloppent de verre et d'acier, se réfugient derrière des frontières jalousement gardées, ont des serviteurs... Il m'a semblé que l'histoire se divisait en deux versants, même s'il y a quatre fils narratifs.
Ainsi, on suit d'une part une famille de bergers marocains dont le père vient d'acheter un fusil pour protéger son troupeau des chacals du désert; il confie l'arme à ses deux gamins. En jouant bêtement, ils tirent sur un autobus au loin, sans s'attendre à faire mouche et à blesser grièvement une touriste étatsunienne. Comme l'autocar se trouve en plein désert, loin de tout, le mari de celle-ci accepte de se rabattre sur une bourgade connue du guide, où il finira par trouver un médecin qui recoudra la plaie. Pendant ce temps, la bonne à tout faire, immigrante mexicaine illégale, s'occupe des enfants à San Diego. Afin d'assister au mariage de son fils, elle les emmène avec elle de l'autre côté de la frontière. Mais le retour aux États-Unis ne sera pas si facile...
Pendant ce temps, à Tokyo, une jeune sourde-muette souffre de la solitude et de la mort récente de sa mère. Il existe un lien entre elle et la touriste blessée au Maroc, mais nous ne le découvrirons que bien plus tard. Son histoire fait figure de commentaire sur les drames qui se nouent ailleurs et la jeune fille symbolise ouvertement la difficulté de communiquer et l'absence de tendresse d'un monde riche, lumineux, effréné et toujours obnubilé par ses préoccupations du moment, à l'exclusion de tout le reste. Le film connaît de nombreux dénouements, encore que le sort de quelques personnages reste mystérieux, mais il se termine sur une invitation au rapprochement.
Dans une société en proie au morcèlement, c'est aussi le but de l'Institut du Nouveau Monde, conscient du besoin de rapprocher tous les habitants du Québec et pariant que leurs univers ne sont pas tous incompatibles.
J'y étais pour l'ouverture un peu après 19h. Après les mots de bienvenue des dignitaires, soit Michel Venne (en différé à Rimouski), Céline Saint-Pierre, Louise Sicuro et enfin Dany Laferrière, le seul à se démarquer du ronron et de la langue des bois des autres, c'est au tour d'une table ronde animée par Ariane Émond, avec Guy Rocher, Micheline Labelle, Vania Jimenez et Marc Gold. Les deux sociologues (Rocher et Labelle) sont abstraits et soporifiques. Rocher distingue la culture commune, anthropologique, et la culture classique fondée sur la recherche de la connaissance et la pratique du jugement critique. Labelle distingue le multiculturalisme, politique publique mise en place en 1971 par Pierre Elliott Trudeau, et l'interculturalisme québécois.
Heureusement, le témoignage passionné de Marc Gold vient rappeler, d'abord, la complexité des identités (en particulier au Canada) et, ensuite, la réalité d'une expérience québécoise encore bancale pour les minorités. La « conceptologie » a-t-elle réellement sa place dans une démarche qui a pour but de susciter la discussion et la réflexion? La définition de concepts n'impose-t-elle pas des vérités en risquant d'enfermer tout de suite la pensée derrière les barreaux de ces évidences? En adoptant le ton professoral, les sociologues donnent l'impression de n'avoir jamais remis en question la valeur de leurs options, tout simplement parce qu'ils appartiennent à une majorité dont les membres ont tous les luxes, y compris celui de se révolter.
Enfin, Jimenez, dont le parcours personnel est une épopée, lance des déclarations, sans arriver tout à fait à synthétiser sa pensée. Elle affirme que le « Québec est un lieu particulièrement propice » pour faire l'expérience collective de la coexistence et non de la domination. Puis elle évoque « le malaise fécond des présences autochtones ». Puis elle passe à autre chose et on ne saisit jamais où elle veut en venir.
Le second tour de table commence avec Guy Rocher qui veut parler de laïcité, et qui en parle. Micheline Labelle dévoile enfin ses batteries en réprouvant avec vigueur la résurgence d'un certain nationalisme ethnique et elle réclame une nouvelle affirmation des droits démocratiques. Jimenez, qui exerce occasionnellement la médecine au Nunavik, rappelle la transformation radicale de la culture inuit en deux générations, qui permet de relativiser l'ampleur des changements connus au Québec. Elle parle de la gentillesse et de la tristesse à fleur de peau dans une société déstabilisée, malade, vulnérable aux drogues et à l'alcool.
Guy Rocher conclut en souhaitant que le Québec ne devienne pas une « mosaïque de cultures » et souhaite pour la province une culture commune, dont le français serait l'arc-boutant. Toutefois, il faut que cette langue et cette culture vaillent la peine d'être l'épine dorsale de la société québécoise. Rocher s'inquiète de la rupture avec le passé, d'une coupure qui lamine la culture actuelle.
Moi, je ne suis pas contre l'idée de renouer avec le passé canadien-français, mais seulement en apprenant à y voir un fragment de l'histoire universelle de l'humanité. L'histoire des francophones d'Amérique est vouée à l'insignifiance si elle est uniquement traitée comme le fondement des prétentions d'un groupe de moins en moins exempt de métissage, et de moins en moins présent dans la société québécoise. Cette histoire ne devient intéressante pour tous que si elle est porteuse de sens universels.
Au tout début de l'événement, le regret avait été exprimé que l'Institut ait choisi de parler de culture québécoise, et non de la culture au Québec. Mais l'Institut est un think-tank aux sympathies indépendantistes, voire péquistes, issu des œuvres d'un chroniqueur du Devoir. C'est le principal défaut de ces rencontres : on peut pressentir qu'elles n'accoucheront de recommandations suivies d'effet que si le Parti Québécois remporte la prochaine élection.
Malgré tout, l'initiative de l'Institut du Nouveau Monde ne peut être qu'encouragée. Certes, il y a toujours des voix pour dire qu'on dépense trop sur la culture. On peut répondre que le niveau actuel n'est onéreux que parce que le Québec est moins riche qu'ailleurs. (L'argent investi dans la culture pourrait-il être mieux investi, de manière justement à accroître la richesse collective? Sans doute, mais c'est aussi vrai de plusieurs autres postes de dépense, qui absorbent nettement plus de crédits que l'art et la culture.) On peut aussi répondre que la culture a plus d'avenir que d'autres secteurs économiques. Tout d'abord, elle est la condition de l'avenir même d'une collectivité, sans laquelle celle-ci n'a pas d'identité et très vite pas non plus de non. Ensuite, elle est une ressource fondée sur l'inépuisable ingéniosité humaine, et non sur une ressource brute, souvent limitée. Enfin, elle va souvent de pair avec les communautés les plus créatrices (du moins selon Richard Florida, qui regroupe de nombreuses professions créatives dans son analyse de la créativité dans les économies modernes).
Je suis ensuite allé voir Babel.
Qu'est-ce que Babel? Le titre renvoie à l'inintelligibilité ds langues bibliques, et donc à l'incompréhension, à la méprise, au malentendu... Tout le contraire, par conséquent, d'un film comme Code 46 dont le titre suggérait que le sens était accessible, quoique malaisé d'accès. De fait, le sabir polyglotte des personnages se laissait apprivoiser et le personnage principal pouvait s'identifier aux autres au moyen d'un virus empathique...
Il n'en va pas de même des personnages de Babel, qui parlent anglais, l'espagnol rugueux du Mexique, le japonais moderne, l'arabe dialectal du Maroc (enfin, je suppose) et la langue des signes. Ils se comprennent rarement quand ils parlent, et ils comprennent encore moins les pensées, les désirs et les idées de leurs semblables.
Loin des utopies de la communication, Babel reflète la réalité actuelle de notre monde mondialisé. Par-dessus les océans et les distances, la vie de n'importe qui peut toucher celle d'un autre. Et pourtant, cela n'aide pas à comprendre l'autre. Les langues ont beau disparaître presque quotidiennement, la communication n'est pas plus facile. Et l'anglais est loin d'être la langue universelle que croient certains.
Et cette difficulté de communiquer est aggravée par les disparités économiques et politiques. Les riches s'enveloppent de verre et d'acier, se réfugient derrière des frontières jalousement gardées, ont des serviteurs... Il m'a semblé que l'histoire se divisait en deux versants, même s'il y a quatre fils narratifs.
Ainsi, on suit d'une part une famille de bergers marocains dont le père vient d'acheter un fusil pour protéger son troupeau des chacals du désert; il confie l'arme à ses deux gamins. En jouant bêtement, ils tirent sur un autobus au loin, sans s'attendre à faire mouche et à blesser grièvement une touriste étatsunienne. Comme l'autocar se trouve en plein désert, loin de tout, le mari de celle-ci accepte de se rabattre sur une bourgade connue du guide, où il finira par trouver un médecin qui recoudra la plaie. Pendant ce temps, la bonne à tout faire, immigrante mexicaine illégale, s'occupe des enfants à San Diego. Afin d'assister au mariage de son fils, elle les emmène avec elle de l'autre côté de la frontière. Mais le retour aux États-Unis ne sera pas si facile...
Pendant ce temps, à Tokyo, une jeune sourde-muette souffre de la solitude et de la mort récente de sa mère. Il existe un lien entre elle et la touriste blessée au Maroc, mais nous ne le découvrirons que bien plus tard. Son histoire fait figure de commentaire sur les drames qui se nouent ailleurs et la jeune fille symbolise ouvertement la difficulté de communiquer et l'absence de tendresse d'un monde riche, lumineux, effréné et toujours obnubilé par ses préoccupations du moment, à l'exclusion de tout le reste. Le film connaît de nombreux dénouements, encore que le sort de quelques personnages reste mystérieux, mais il se termine sur une invitation au rapprochement.
Dans une société en proie au morcèlement, c'est aussi le but de l'Institut du Nouveau Monde, conscient du besoin de rapprocher tous les habitants du Québec et pariant que leurs univers ne sont pas tous incompatibles.
Libellés : Culture, Films, Politique, Québec