2009-02-25

 

Iconographie de la SFCF (24)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; (18) la télé et la SFCF écrite; (19) l'anniversaire de Spoutnik; (20) les premières guerres imaginaires de la SFCF; (21) les chimères; (22) l'émergence d'une SFCF moderne; et (23) les utopies du terroir.

Le Canada français ne se limite pas seulement au Québec, mais on pardonnera à de nombreux lecteurs de l'oublier tellement le reste du Canada moderne est invisible dans la fiction québécoise. C'est aussi le cas de la SFCF à laquelle on reproche déjà de s'enraciner rarement en sol québécois. Alors, l'Ontario...

Mais pourquoi s'attendre à trouver des pages sur l'Ontario ou sur Ottawa dans la SFCF? La réponse, c'est que l'Ontario francophone a sa place dans l'histoire de la SFCF. Le rôle de capitale d'Ottawa, une fois décidé en 1857, a favorisé le développement d'une tradition littéraire francophone en Ontario puisque le gouvernement a de tout temps attiré des francophones éduqués que le gouvernement embauchait pour occuper certains postes. Ces nouveaux venus, souvent lettrés, ont écrit, se tournant parfois vers les genres de l'imaginaire : fantastique, science-fiction, utopie, etc. Naturellement, la ville même d'Ottawa apparaît dans la SFCF produite dans ces circonstances. On peut remonter à son emploi comme décor par Jules-Paul Tardivel (1851-1905) dans Pour la Patrie (1895). Surtout concerné par les manigances politiques de ses personnages, Tardivel ne dit pas grand-chose de la ville proprement dite, même s'il la connaissait puisqu'il y passait les sessions parlementaires entre 1878 et 1881.

Jules Verne en avait dit à peine moins dans Robur le Conquérant (1886) :

Après Montréal, vers une heure et demie du soir, ils passèrent sur Ottawa dont les chutes, vues de haut, ressemblaient à une vaste chaudière en ébullition qui débordait en bouillonnements de l'effet le plus grandiose.

« Voilà le palais du Parlement », dit Phil Evans.

Et il montrait une sorte de joujou de Nuremberg, planté sur une colline. Ce joujou, avec son architecture polychrome, ressemblait au Parliament-House de Londres, comme la cathédrale de Montréal ressemblait à Saint-Pierre de Rome.
L'édition révisée des deux tomes de Jean Rivard par Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) date du séjour de celui-ci à Ottawa comme adjoint au directeur de la Bibliothèque du Parlement. Néanmoins, si Jean Rivard a une carrière de député à l'assemblée législative du Canada, cela semble dater de la période du Canada-Uni, avant 1860, de sorte qu'Ottawa n'apparaît pas dans l'épopée de Jean Rivard. Dans la seconde édition de Jean Rivard, économiste (1877), Gérin-Lajoie élimine l'essentiel de cet interlude; dans la première édition, qui date de 1864, il pouvait difficilement être question d'Ottawa, que l'auteur ne connaissait pas encore...

Dans Robert Lozé (1903) de Robert Errol-Bouchette (1862-1912), l'élément distinctif — pour ne pas dire critique de la société québécoise — doit sans doute quelque chose à la vie de l'auteur à Ottawa. Comme Gérin-Lajoie avant lui, il travaille à la Bibliothèque du Parlement et Robert Lozé (.PDF) contient des échos flagrants du roman de son prédécesseur. Mais il n'y est question ni d'Ottawa ni de l'Ontario; c'est l'avenir industriel du Québec, à l'image de la prospérité étatsunienne, qui l'intéresse. Pourtant, Bouchette a passé l'essentiel de son enfance à Ottawa, de 1865 à 1875, et il revient s'y établir pour de bon en 1898. Bref, il y aura passé la moitié de sa vie, mais cela ne transparaît pas dans sa fiction.

Poursuivre la traque de mentions d'Ottawa ou de l'Ontario dans la science-fiction pourrait nous mener loin; mieux vaut se cantonner aux productions franco-ontariennes. On peut se référer à l'histoire de la littérature franco-ontarienne par René Dionne dans Les Franco-ontariens (1993), même si l'article d'origine est maintenant vieux de vingt ans, pour se faire une première idée de son développement général. Pour ce qui est de la science-fiction et du fantastique en Ontario français, j'ai signé une ébauche de survol dans Liaison en septembre 1993. Depuis, les auteurs ont continué à voyager, certains quittant la province et d'autres arrivant.

En août 1864, Joseph-Charles Taché (1820-1894) est nommé sous-ministre fédéral de l'Agriculture et des Statistiques à Ottawa, mais c'était au printemps qu'il avait fait paraître dans Les Soirées canadiennes le poème « Le braillard de la montagne ». Une fois à Ottawa, il n'aura plus le temps d'écrire du neuf, encore qu'il faille relever trois histoires de fantômes de l'île de Sable qu'il relate dans Les Sablons (L'Île de Sable) et L'Île Saint-Barnabé (1885). Ces trois contes (« Le moine des Sablons », « Le régicide » et « La dame au doigt sanglant ») n'ont pas été recensés par les spécialistes du XIXe siècle, peut-être parce qu'ils sont trop clairement présentés comme inspirés par les légendes que l'on raconte au sujet de l'île de Sable, mais les autres contes de Taché aussi s'inspiraient souvent d'épisodes historiques ou du folklore, comme dans le cas du « Feu de la baie ».

Or, vers 1880, Taché habitait probablement à Ottawa — et non à Hull ou Gatineau, qui n'étaient guère plus que des villages, au demeurant — puisque c'est à la capitale que le volume pour l'Ontario du Canadian Biographical Dictionary and Portrait Gallery of Eminent and Self-made Men (p. 175) l'associe. De plus, en 1866, l'annonce de sa désignation à une commission de santé dans l'Upper Canada Law Journal (Vol. II, p. 140) indique spécifiquement qu'il s'agit de Joseph-Charles Taché « of the City of Ottawa ». Bref, ces trois contes écrits par un écrivain d'Ottawa en 1885 pourraient bien être les premiers textes de fantastique signés par un auteur franco-ontarien.

Par contre, de 1874 à 1878, Louis Fréchette (1839-1908) est député à Ottawa, mais cela ne justifie pas nécessairement d'identifier ses contes fantastiques, dont les premiers sont parus dix ans plus tard, comme des textes franco-ontariens, même si l'influence de la vie de chantiers dans la vallée des Outatouais est patente.

La question est nettement moins simple dans le cas d'Armand de Haerne (1850-1902), qui s'établit à Ottawa vers 1888-1889 (selon les Sessional papers of the Dominion of Canada : volume 2, first session of the seventh Parliament, session 1891, p. 3-B-28, qui recensent un paiement pour services rendus), peu de temps après la publication d'une nouvelle, « Le diable au bal », dans les Nouvelles Soirées canadiennes en janvier-février 1886. Si ce texte est daté de Sherbrooke, rien ne permet de dater ou situer l'origine des deux nouvelles inédites, « Jean le maudit ou le Revenant sous la glace » et « Nésime le tueur», publiées dans Le XIXe Siècle fantastique en Amérique française (1999) de Claude Janelle. Toutefois, notons que dans la première des deux nouvelles, le personnage de Jean le maudit travaille l'hiver «dans un chantier de coupe du bois », sans autre précision sur l'emplacement de celui-ci. Dans la seconde nouvelle, le cadre est plus nettement fixé : « C'était dans un des nombreux chantiers semés dans la forêt qui, sur un parcours de plus de cent milles, bordait la rivière Ottawa, à une époque mal déterminée, mais à laquelle les hivers n'avaient pas encore cessé, au Canada, d'être dignes de leur antique répuation de rigueur solidement établie par des siècles de cruelle froidure. »

Dans la mesure où de Haerne arrive au Canada en 1883 et publie en 1886 un texte qui est une simple variante de l'histoire de Rose Latulipe, j'ai du mal à croire qu'il ait pu acquérir autant d'aisance dans le maniement de la couleur locale avant 1886, et que ces nouvelles auraient été refusées s'il avait pu les soumettre en 1886. Je les daterais donc d'après 1886. S'il a fréquenté des chantiers de l'Outaouais avant d'atterrir à Ottawa vers 1888, cela ferait de la seconde nouvelle un texte qui aurait de bonnes chances d'être franco-ontarien, mais sans autre certitude et sans savoir s'il faut nécessairement le dater d'avant 1890 comme le suppose Janelle.

S'il faut un premier auteur de science-fiction ou de fantastique en Ontario, pourquoi pas un authentique Franco-Ontarien? Né à Ottawa en 1864, Régis Roy y est mort en 1944 et il y a fait carrière. Le 23 décembre 1893, il signe dans Le Monde illustré un petit conte, « Les cloches de Noël », où un amateur de lecture qui délaisse la messe de minuit pour un bon roman est affligé de surdité en guise de punition divine.

Parmi les premiers auteurs, il faut aussi compter William Chapman (1850-1917) qui ouvre une librairie à Ottawa en septembre 1898 avant de devenir traducteur au Sénat quatre ans plus tard. On le crédite d'au moins un poème fantastique, « Une légende », paru en 1886 avant son établissement à Ottawa. De même, Charles A. Gauvreau (1860-1924) sera député à Ottawa de 1897 jusqu'à sa mort, mais le seul texte fantastique qu'on lui connaît, « Le scapulaire de la morte », est paru dix ans auparavant, en 1887. La situation est semblable pour Louvigny de Montigny (1876-1955), qui devient traducteur au Sénat en 1910, après avoir publié des contes fantastiques en 1898 et 1899. Est-ce sa venue à Ottawa qui l'incite à signer une biographie d'Antoine Gérin-Lajoie qui va contribuer à relancer la fortune de certains des ouvrages de ce dernier, en particulier Jean Rivard?

En 1891, Emma-Adèle Bourgeois (1870-1935), épouse d'Alide Lacerte, s'établit à Ottawa. Elle est née à Saint-Hyacinthe, mais elle a étudié à Trois-Rivières, où elle a pu croiser le poète de Yamachiche, Nérée Beauchemin, qui a probablement dédié un poème au couple, « Épithalame », en l'honneur de leur mariage, poème que l'on retrouve dans son recueil Les Floraisons matutinales (1897). Au début du vingtième siècle, Emma rend hommage à ses lectures de jeunesse en signant une suite de L'Île mystérieuse de Jules Verne, Némoville (1917), qui pourrait être le premier roman de science-fiction franco-ontarien. Comme l'a découvert Mario Rendace, elle continue d'ailleurs à creuser le filon vernien, signant « L'évadé de Minoussinsk » en 1925, qui prolonge plus ou moins Michel Strogoff.

En 1900, Sylva Clapin (1853-1928) s'installe à Ottawa où, comme Chapman deux ans plus tôt, il ouvre une librairie. Comme Chapman, il devient traducteur au Parlement en 1902, mais à la Chambre des communes. Au fil des ans, il signe plusieurs nouvelles. Quelques-unes relèvent du fantastique le plus classique, dans la plus pure tradition du conte de Noël, dont « La savane » (1911), où le saint patron des cordonniers récompense un cordonnier charitable, et « Rikiki » (1916), où le prince des Lutins du Richelieu accorde trois souhaits à un fermier. Dans un genre particulier, celui de l'histoire secrète (variante de l'uchronie), Clapin signe en 1918 « La grande aventure du sieur de Savoisy » qui raconte la découverte de l'Amérique par des Français en 1444, donc, bien avant Christophe Colomb. Mais le sieur de Savoisy ne rentre jamais en France, échouant sur l'île de Sable dont Taché avait déjà commencé à raconter l'épopée... Mieux encore, Clapin signe même un authentique texte de science-fiction, sans doute le premier de l'Ontario francophone, « Le roi de l'or » (1911), qui se projette en 1960 mais qui a deux défauts, celui d'être franchement antisémite et celui d'être inspiré par une nouvelle antérieure, parue en France vers 1900, « Le déluge de l'or ».

Du point de vue de la science-fiction, le hiatus est grand entre cette nouvelle de Clapin et le texte suivant dans ce genre, en 1962. Dans l'intervalle, il suffit de mentionner le roman La Croche (1953) d'Arthur Saint-Pierre, sociologue né à Walkerville en Ontario, qui répondrait en quelque sorte à Jean Rivard d'Antoine Gérin-Lajoie. Sinon, le conte merveilleux traditionnel et la nouvelle fantastique sont à l'honneur dans les ouvrages de Marius Barbeau (1883-1969), Marie-Rose Turcot (1887-1977), Claude Aubry (1914-1984) et Carmen Roy (née en 1919).

Ottawa continue à attirer des francophones, et pas seulement du Québec. Le Scalpel ininterrompu (1962) de Ronald Després est un roman atypique par un auteur d'origine acadienne qui travaille à cette époque comme traducteur au Parlement. Le récit témoigne d'un tournant de plus en plus affirmé dans les lettres canadiennes-françaises, mais sa violence et sa mise en place d'un univers surréaliste tranchent sur les tentatives antérieures, nettement plus timides. L'ouvrage reste toutefois longtemps isolé et il s'agit en fait de l'un des derniers textes signés par un traducteur parlementaire dans la tradition littéraire franco-ontarienne.

Comme René Dionne l'a relevé, la littérature franco-ontarienne se transforme dans la seconde moitié du vingtième siècle. Elle n'est plus le fait des seuls fonctionnaires fédéraux et traducteurs parlementaires (d'ailleurs, à part Daniel Poliquin, il ne reste plus guère d'auteurs franco-ontariens actuels à travailler au Parlement).

Le nouveau foyer de la création littéraire en Ontario, ce sont les universités bilingues de la province, à Ottawa et Sudbury. (Poliquin est lui-même docteur ès lettres de l'Université d'Ottawa.) Une nouvelle génération d'auteurs a soit obtenu ses diplômes à l'université soit forgé des liens avec les milieux universitaires (eux-mêmes à l'origine de nouvelles maisons d'éditions comme Prise de parole ou Le Nordir). On peut citer ici un professeur comme Gérard Bessette (1920-2005), auteur d'un roman inclassable, Les Anthropoïdes (1977). Du coup, des lieux franco-ontariens font surface dans les textes de ces nouveaux auteurs.
Dans L'Enfant du cinquième nord (1982) de Pierre Billon (né en 1937), l'intrigue passe par Ottawa, tout comme dans Les Visiteurs du pôle Nord (1987) de Jean-François Somcynsky (alias Somain, né à Paris en 1943). Après avoir passé une partie de sa jeunesse à Buenos Aires, Somcynsky a immigré au Canada où il a étudié à l'Université d'Ottawa avant de faire carrière dans le corps diplomatique. Au fil des ans, il a habité des deux bords de la rivière des Outaouais mais aussi à l'étranger, au gré de ses affectations. Néanmoins, comme il accepte de faire partie de la vie littéraire de l'Ontario francophone, on peut le tenir comme un auteur franco-ontarien autant que québécois. (Dans la photo ci-contre, on le voit à la fête des vingt ans de l'AAOF en 2008.) Au fil des ans, il a signé une production imposante qui relève, selon les cas, de la science-fiction, du fantastique et du roman réaliste. Les couvertures de ses livres ne reflètent pas toujours leur contenu science-fictif. Ainsi, dans le cas des Visiteurs du pôle Nord, il faut se contenter de la reproduction d'une photo de Mike Beedell qui est censée représenter une aurore boréale. Par contre, dans le cas de La Planète amoureuse (1982), l'illustration d'André Hamelin ne laisse planer aucun doute sur l'appartenance à la science-fiction. La différence tient sans doute à l'importance de la science-fiction dans les projets des éditeurs respectifs. Même si Pierre Tisseyre inscrivait Les Visiteurs du pôle Nord dans une collection baptisée « Anticipations », elle comptait moins pour lui que la collection « Chroniques du Futur » du Préambule pour cette dernière maison d'édition. L'influence canadienne est également présente dans L'Ultime Alliance (1990) de Billon qui s'inspire de certains mythes des Inuit et qui place en couverture une photo de la célèbre sculpture en bois de l'artiste haïda Bill Reid, « Le corbeau et les premiers hommes ». Mythe de la côte du Pacifique et non des littoraux de l'océan Arctique, mais on peut saluer l'effort de l'éditeur quand même... Billon est toutefois un auteur indépendant qui ne cherche pas à s'inscrire dans la tradition littéraire de la science-fiction ou du fantastique, et qui montre encore moins d'intérêt pour le milieu canadien francophone dans ces genres. Il finit par retourner en Europe, d'ailleurs, et il ne semble avoir poursuivi ni dans la veine de la science-fiction ni dans celle du fantastique. Son cas rappelle un peu celui de Jean-Louis Grosmaire (né en 1944) qui s'est établi dans l'Outaouais après une jeunesse passée entre l'Afrique et la France. Quand Grosmaire signe Un clown en hiver (1988), il récolte le Prix littéraire du journal Le Droit en 1989. Mais il n'a pas touché à l'anticipation depuis... Les ouvrages isolés ne sont pas toutefois l'exclusivité des écrivains voyageurs. Carol Boily (né en 1942) signe L'Odyssée sur Terre (1988), qui raconte la visite d'extraterrestres pris au dépourvu par les aléas de la vie sur Terre. Il habite alors en banlieue d'Ottawa, mais l'accueil mitigé du livre ne l'a sûrement pas encouragé à continuer.

Au Canada francophone, l'histoire moderne de la science-fiction commence avec la création des revues spécialisées imagine... (1979) et Solaris, anciennement Requiem (1974), qui sont lancées au Québec mais qui sont ouvertes aux auteurs de tout le Canada, voire de toute la francophonie. Pour les Franco-Ontariens, ceci s'ajoute au lancement de la revue Liaison en 1978, qui publie à l'occasion des nouvelles avant de laisser des revues comme Rauque et Virages se spécialiser dans la fiction. Durant les années quatre-vingt, des nouvellistes occasionnels comme Marguerite Andersen, Michel Dallaire, Pierre Paul Karch, Gilles Lepage, Daniel Marchildon, Mercédès Nowak et Paul-François Sylvestre vont toucher aux genres de l'imaginaire dans des nouvelles publiées par les nouvelles revues culturelles ou réunies en recueil.

Mais la production la plus abondante est souvent le fait d'auteurs de passage. Un auteur comme Guy Sirois (né en 1951 au Québec) a également passé quelques années du côté ontarien de l'Outaouais, même si ce ne sont pas ses années les plus productives. Si on tient compte toutefois de ses années de présence dans l'Outaouais, y compris du côté québécois, plusieurs nouvelles écrites en collaboration avec Jean Dion (sous le nom de Michel Martin), comme « Geisha Blues », datent de ce séjour. Vittorio Frigerio (né en 1958 en Suisse) s'est installé, lui, à Toronto où il a fini par compléter des études en littérature avant de s'établir en Nouvelle-Écosse. Durant son séjour torontois, il signe plusieurs nouvelles dans imagine... et Solaris. De fait, ce qui s'observe dès cette époque, c'est l'origine de plus en plus internationale des auteurs.

Originaire du Burundi, Melchior Mbonimpa (né en 1955) s'est établi à Sudbury. Son roman Le Totem des Baranda (2001) met en scène une histoire légèrement allégorique du Rwanda qui se termine sur une anticipation relativement schématique, mais affirmée. (La photo ci-contre de Melchior Mbonimpa a été prise à la célébration des vingt ans de l'Association des Auteures et Auteurs de l'Ontario français en 2008.) Dans la mesure où il profite d'un regard d'expatrié que la distance rend plus libre de se prononcer, il s'inscrit dans la lignée de ces auteurs qui ont trouvé en Ontario francophone un cadre plus propice à l'utilisation de la science-fiction pour livrer son point de vue sur une réalité qu'ils ont connue. La conclusion du Totem des Baranda n'est pas une utopie comme Jean Rivard ou Robert Lozé pouvait l'être, mais il est difficile de ne pas y voir le compte rendu d'un rêve de paix pour une région du monde qui a beaucoup souffert au vingtième siècle.

Parfois, la science-fiction cache l'allégorie. Dans Dodécaèdre ou Les Eaux sans terre (1977), René Champagne (né en 1927) imagine un village fabuleux appelé Gloripolis qui est déchiré entre le parti des amis du passé qui inscrivent Je me souviens « sur le fronton de leurs résidences » (p. 31) et le parti des futurophiles qui crie « Vive le futur ! »... Dans un genre franchement surréaliste, on peut citer Raymond Quatorze (né en 1956) pour La Prison rose bonbon en 1991. Ou encore Margaret Michèle Cook pour sa nouvelle « L'art des ponts de traversée » en 1988. (La photo ci-contre de Cook a également été prise à l'occasion de la célébration des vingt ans de l'AAOF.) Si le roman de Raymond Quatorze est porté par la violence de ses images et une narration on ne peut plus directe, la nouvelle de Cook est nettement plus allusive, se fondant sur le jeu avec la langue pour suggérer un univers décalé. Quelque part entre Lautréamont et Vian, La Prison rose bonbon finit par trancher en faveur du fantastique todorovien malgré une longue citation en exergue de Jacques Sternberg qui aurait permis d'espérer plus. Tout le récit est présenté comme celui d'un fou furieux enfermé dans un asile, qui finit par se suicider. Mais il reste un doute qui habite le directeur de l'asile et qui entretient un certain balancement du lecteur. Le choix du pseudonyme (par un journaliste, dit-on) permet d'exprimer une rage peut-être liée à la condition franco-ontarienne, peut-être libérée aussi par l'éloignement des instances québécoises...

Sinon, la science-fiction franche est surtout pratiquée par des auteurs comme moi-même (avant mon départ de l'Ontario en 1996, ou depuis que je m'y rends presque chaque semaine pour y travailler, à compter de juillet 2004) et Michèle Laframboise (qui s'y établit vers 2004). Faudrait-il aussi annexer à la science-fiction franco-ontarienne Alexandre Lemieux, qui vit du côté québécois de la rivière des Outaouais mais qui travaille (sauf erreur) du côté ontarien? Peut-être. Le critère du lieu de travail permettrait d'exclure en tout cas Claude Bolduc, indéracinablement hullois.

Le fantastique ne manque pas non plus, au contraire. Sans citer les contes du folklore recensés par Germain Lemieux (1914-) dans Les Vieux m'ont conté et ses autres publications, on pourrait remonter toute la lignée des folkloristes comme Barbeau, jusqu'aux contes d'Emma-Adèle Bourgeois-Lacerte. À mi-chemin entre les recensions ethnographiques de Germain Lemieux et la littérature, Marius Barbeau (1883-1969) édite des adaptations littéraires des contes folkloriques dès les années trente. Plus récemment, Pierre Léon (né en 1926, en France), Jocelyne Villeneuve (née en 1941 à Val d'Or au Québec, mais établie en Ontario dès 1953) et Nancy Vickers (née en 1946 à Arvida, au Québec) ont signé des contes tant pour les enfants que pour les adultes.

Quant à la fantasy, elle est très peu représentée, à moins de compter en partie les romans pour jeunes de Laurent McAllister. Longtemps auparavant, durant ses études littéraires à l'Université d'Ottawa, Luc Ainsley (né en 1965) avait signé une nouvelle dans le genre (« Pégariel le Fou ») qui est un peu le pendant de son roman Kadel (1986), rédigé quand il vivait encore au Saguenay.

Bref, jusqu'à maintenant, la science-fiction franco-ontarienne a le plus souvent été l'œuvre d'auteurs de passage, ou d'immigrés récents. En fait, les exceptions à cette règle sont excessivement rares : à part Daniel Marchildon, on trouve peu d'auteurs significatifs pleinement enracinés dans le terreau provincial. C'est sans doute pourquoi l'Ontario est presque entièrement absente de leurs écrits, sauf lorsqu'il s'agit de mettre en scène Ottawa comme capitale dans un futur proche, ou encore dans les textes d'inspiration fantastique. Le plus souvent, la SFCF des Franco-Ontariens s'évade vers d'autres cieux. Et l'expérience commune de la transition et du transitoire est peut-être ce qui pourrait caractériser le plus fondamentalement la production franco-ontarienne.

Comments:
Une version plus aboutie de cette recherche est parue en 2013 sous la forme de l'article «Une littérature de passage. La science-fiction et le fantastique franco-ontariens de 1885 à nos jours». J'y corrige l'inclusion erronée de Mercédès Nowak, pseudonyme de Judith Cowan, qui n'a habité en fait que très brièvement en Ontario, longtemps avant qu'elle signe quelques nouvelles de science-fiction pour imagine....
 
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