2011-05-30

 

La critique constructive au Parlement

Dans quelques jours, le Parlement du Canada rouvrira ses portes, mais la Chambre des Communes aura bien changé en quelques semaines. Un gouvernement majoritaire conservateur, une opposition néo-démocrate... Ce qui pourrait également changer, c'est la tonalité des débats dans la Chambre des Communes, puisque le NPD annonce qu'il remplacera l'invective et la diatribe par des critiques aussi constructives que possible.

Cette stratégie du NPD pourrait s'avérer plus habile et moins naïve qu'on le croit.

Bien sûr, il y a la forme et il y a la manière — et la persévérance. Les anciens Réformistes de Preston Manning ont fait remarquer qu'ils avaient également tenté de rehausser le niveau des débats en adoptant un ton plus policé et plus constructif que leurs prédécesseurs, avant de changer de cap parce que les médias les ignoraient. Toutefois, il était peut-être un peu vain d'espérer attirer l'attention durant la lune de miel d'un nouveau gouvernement majoritaire. Une plus grande persévérance aurait pu rapporter des dividendes à plus long terme, lorsqu'un fléchissement de la popularité du gouvernement aurait obligé les médias à tenir compte des solutions de rechange de l'Opposition officielle. Une telle persévérance aurait exigé de la discipline, et la tendance naturelle des Réformistes était sans doute plus à l'affirmation musclée qu'à l'argumentation raisonnée. Dans la mesure où le NPD compte sur des passionnées qui font souvent appel à des arguments scientifiques ou logiques, une telle stratégie pourrait exiger un moins grand effort de la part des députés du NPD.

Mais sera-t-elle payante? D'abord, en raison de la polarisation idéologique de la Chambre des Communes, il y a en principe moins de risques que les politiques et propositions du NPD soient chipées et mises en œuvre par les Conservateurs (ce qui a souvent découragé les partis d'opposition de mettre de l'avant leurs propres solutions). Mais si elles étaient dérobées, ceci donnerait de la légitimité aux idées du NPD, démontrant par le fait même que le parti est plus près du centre que les Conservateurs tentent de le faire croire et brouillant en même temps l'image de marque des Conservateurs. Les Conservateurs en sortiraient-ils gagnants? Rien n'est moins sûr. Le principal handicap du NPD au Canada, c'est son manque de crédibilité comme parti de gouvernement. Si les Conservateurs devaient légitimer ses politiques, ils crédibiliseraient le parti par ricochet.

Toutefois, si les Conservateurs ignoraient les propositions du NPD, celui-ci n'aurait pas à craindre que les Conservateurs se retourneraient à la dernière minute pour les incorporer à leur programme, du moins sans nuire à leur crédibilité (les Libéraux, c'est une autre histoire), tandis qu'un refus constant des Conservateurs soulignerait leur rigidité en confirmant l'existence d'un véritable blocage idéologique. Le rejet obstiné des politiques du NPD par les Conservateurs soulignerait d'autant plus l'ouverture du NPD....

Certes, si on remonte à l'époque du Rat Pack des Libéraux, qui s'étaient imposés par leur acharnement et leur véhémence en chambre, on pourrait croire que la hargne rapporte plus que la modération des propos. Cela dit, il convient de noter que le contexte était différent. Les Libéraux étaient sonnés, réduits à un groupe guère plus nombreux que le groupuscule actuel. Brian Mulroney disposait d'une majorité écrasante et les Libéraux cherchaient à compenser leur infériorité numérique par leur ardeur au moment de monter à l'attaque.

Dans la mesure où le NPD formera une Opposition officielle nombreuse, le parti n'est donc pas obligé de miser à ce point sur l'indignation et l'intensité de ses interventions. Le seul risque, ce serait qu'il se fasse déborder soit par les Libéraux soit par les Bloquistes, si ceux-ci se montraient plus enflammés en profitant de la liberté de parole supplémentaire qui échoit à ceux qui ne sont pas la solution de rechange désignée.

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2011-05-29

 

Quand l'art naît de la science-fiction

L'art peut-il naître de la science-fiction, de la BD, des superhéros et de films comme Tron ou Star Wars? C'est le pari de Brendan de Montigny, le fils d'une mienne cousine qui a récemment lancé un site pour ceux qui pourraient s'intéresser à l'art qui naît d'un « life-long interest in classic and pulp science fiction, comic books, superheroes, and 1970-1980’s Hollywood movies such as Blade Runner, Star Wars and Tron. »

Son site inclut une sélection de ses œuvres, qui vont de la peinture aux installations en passant par la gravure en creux (intaglio). Comme je suis plutôt béotien en ce qui concerne l'art moderne (même si je ne dédaigne pas à l'occasion les musées d'art moderne), je n'ose pas me prononcer sur l'audace ou l'originalité de ses créations, mais je sais qu'il y en a qui me plaisent et je trouve qu'il y en a certaines qui soutiennent la comparaison avec des œuvres du passé. (Après tout, elles sont souvent volontairement syncrétiques, comme il semblerait que je le sois en littérature.) Je reproduis ci-contre un tableau intitulé « A UFO », qui exprime une forme de surprise face à une soucoupe volante, mais qui trahit aussi l'incrédulité. Quand un objet est trop profondément incrusté dans notre culture, il est trop bien identifié pour que sa réalité brute, si on n'a plus le choix de s'en détourner, ne choque pas. D'autres tableaux, comme « Space Study » ou « Fish Head for P. K. Dick » sont plus abstraits. Néanmoins, ils gardent toujours quelque chose de figuratif, à la limite du compréhensible, qui me fait penser à certaines toiles surréalistes, comme celles d'Yves Tanguy... ou encore à ces illustrations signées Richard M. Powers qui ornaient les couvertures des livres de science-fiction aux États-Unis dans les années soixante. Peut-être que Brendan de Montigny boucle la boucle, ou peut-être qu'au contraire, il s'installe au cœur de la tradition qu'un tel choix peut contribuer à établir.

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2011-05-26

 

Auteur syncrétique

On m'a récemment signalé un article d'Arlette Warken en partie consacré à une de mes nouvelles. Il s'agit de son essai intitulé « "Other Canadas": Alternative Futures in Contemporary Canadian Science Fiction Stories », qui est paru dans The Canadian Alternative (Würzburg: Königshausen & Neumann, 2004), un ouvrage allemand rédigé en anglais et réuni par Klaus Martens. (Il s'agit du 28e volume des Saarbrücker Beiträge zur vergleichenden Literatur- und Kulturwissenschaft.) On peut lire une partie de l'article (et du livre) sur le site de Google Books.

La docteure Warken, de l'Université de la Sarre, aborde le sujet de ma nouvelle (et d'une nouvelle de Glenn Grant qu'elle rapproche de la mienne) ainsi :

« While a large portion of Canadian SF is, as elsewhere, comprised of apocalyptic and post-apocalyptic scenarios and disaster narratives, and/or of portrayals of a world influenced by technology, some authors focus on the syncretic aspect of postmodern writing. Syncretism, according to Neal Baker, "entails the reconfiguration of various unified essences — be it the nation-state, ethnicity, race, language, the body, or time — and the fusion of radical differences" (220). Baker suggests that such syncretism is employed to reflect multicultural Canadian reality. I shall argue that in the stories "Memetic Drift" by Glenn Grant and "Remember, the Dead Say" by Jean-Louis Trudel, which were both published in the anthology Northern Stars (1994), this syncretic method goes beyond a reflection of the structure of Canadian society. These stories indulge in and conflate the repertoire offered by the thematic and postmodern approaches and the prevailing generic visions of environmental, technological and human disaster. In addition, in a country that is said to be past-oriented, they establish visions of the future which accommodate the future as much as the past mainly by introducing characters [who] refuse to be victims, and thus insisting on a future-oriented SF that still reflects the concerns of contemporary Canada. »

Il y a des fois que j'oublie à quel point je suis un auteur contemporain et post-moderne... Il faudrait que je me relise — ou que je lise ce qu'on dit de moi.

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2011-05-25

 

Secrets

Le bavard seul connaît la force du silence
qui répond aux raisons par un air de mystère
et n'affirme rien pour la vérité taire :
le secret qu'il garde prouve sa patience

Car ce qu'on tient coi n'est pas que pure absence
Ce qui manque fait le seul charme de l'austère
et grandit le triste destin du solitaire :
le secret qu'on garde est une heureuse exigence

Si le silence est d'or, la valeur du secret
n'en dépend pas et n'est dicté par nul décret :
on veut cacher qu'un trésor est vaste ou humble

Le secret d'un combattant du quotidien,
des fois lourd ou cruel, est parfois tout simple :
il sait qu'un nouveau soleil se lève demain

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2011-05-24

 

La conquête de l'espace (intérieur)

De nos jours, on se souvient de la science-fiction des années cinquante et soixante (quand on s'en souvient) comme d'une littérature qui aurait été exclusivement tournée vers la conquête et l'exploration de l'espace, en particulier quand elle se projetait dans un avenir présenté comme imminent. Du roman pour jeunes Rocketship Galileo (1947) de Heinlein à thriller futuriste A Fall of Moondust (1961) de Clarke, la science-fiction s'inspirait des constructeurs de fusées de l'époque et de leurs tentatives d'aller toujours plus loin.

Mais les scientifiques de l'époque ne se consacraient pas uniquement à la conquête de l'espace. Certains s'étaient tournés dès 1957 vers l'exploration de la planète sous nos pieds. L'année même du Spoutnik, Walter Munk soumettait à ses collègues aux États-Unis l'idée de forer un puits si profond qu'il atteindrait la discontinuité de Mohorovičić, aussi appelée Moho, et ramènerait des échantillons du manteau supérieur du globe terrestre, qui se trouve sous la base de la croûte terrestre. Une fois adopté, ce projet qui devait culminer en 1961 et rivaliser avec l'exploration de l'espace reçut le surnom de Project Mohole.

La science-fiction de l'époque fait écho à l'occasion à cette exploration des entrailles de la Terre, mais les possibilités ne sont pas assez nombreuses pour inspirer les écrivains. Un roman comme Le Soleil des profondeurs de Rolande Lacerte doit autant au Voyage au centre de la Terre de Jules Verne ou au Pellucidar d'Edgar Rice Burroughs qu'aux tentatives des scientifiques. Mais le site qui est consacré au projet Mohole vaut le détour et rappelle une époque qui n'avait pas peur des frontières.

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2011-05-19

 

Une sensation nouvelle

C'est drôle, il y a quelque chose d'étrange dans l'air de l'appartement. Quelque chose de neuf dans l'atmosphère de toute la ville, peut-être, qui m'affecte sans que je comprenne pourquoi. Une sensation inaccoutumée, et pourtant familière, qui sort de l'oubli où elle était depuis longtemps tombée.

Si je m'ausculte, je constate que j'éprouve une sorte de ralentissement général du système, un vague alanguissement qui m'envahit et m'incline à la paresse, voire à la sieste, un alourdissement de tous mes membres qui me fait traîner la patte dans l'appartement où j'erre sans but, incapable de me mettre au travail.

Je jette un coup d'œil par la fenêtre au ciel d'un bleu clair, baigné malgré l'heure tardive d'une lumière insistante, aux arbres dont le feuillage est de plus en plus fourni, aux oiseaux qui se perchent (de plus en plus nombreux) dans leurs branches et sur les cordes à linge... Tout d'un coup, je me souviens et j'associe la moiteur à la surface de mon front aux chiffres affichés par les thermostats... Ça y est, j'ai trouvé !

J'ai chaud.

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2011-05-18

 

Jean-François Somain (1943-2011)

Le dimanche 15 mai, Jean-François Somain (Somcynsky, de son vrai nom) est décédé soudainement d'une rupture de l'aorte. L'annonce par l'UNEQ de son décès résume une vie et une carrière exceptionnelles de par leur richesse. Grand voyageur, dès sa naissance à Paris suivie d'une enfance en Argentine et d'une jeunesse canadienne, il a souvent fait bénéficier ses écrits, qui relevaient parfois de la science-fiction ou du fantastique, de cette expérience du monde. Homme universel, il s'intéressait aussi bien à la littérature qu'aux sciences, à l'histoire ou à l'érotisme. Ses ouvrages portaient souvent l'empreinte d'une philosophie personnelle qui privilégiait l'ouverture à l'autre, de toutes les manières.J'ai pris la photo ci-dessus lors de la fête d'anniversaire de l'AAOF en 2008. Nous avions eu l'occasion de bavarder un peu, mais sans creuser, sans doute en nous disant qu'il y aurait d'autres occasions d'approfondir, voire de faire un bilan de sa carrière littéraire, en particulier en science-fiction. En fin de compte, comme il arrive trop souvent, ces autres occasions resteront virtuelles...

J'avais rencontré Jean-François Somcynsky pour la première fois entre 1986 et 1988, soit au congrès Boréal à Longueuil en 1986, soit lors des festivals de science-fiction que j'avais organisés à l'Université d'Ottawa. Depuis, je ne l'avais pas revu souvent, car il ne fréquentait pas les congrès Boréal, mais nous nous croisions assez régulièrement dans les salons du livre, soit à Montréal, soit à Toronto, soit à Hull/Gatineau. À l'occasion d'un Salon du Livre de l'Outaouais, Christine Dumitriu van Saanen, lui et moi-même avions offert une table ronde sur la littérature et la science (dont je suis actuellement le seul survivant, hmmm...). Il était toujours amène, heureux de parler de ses projets littéraires ou de son domicile au lac Bell qui intégrait l'ancien chalet acquis par ma grand-tante en son temps.

En septembre 1993, j'avais fait paraître dans la revue Liaison une entrevue avec Jean-François Somcynsky. Alors en poste au Japon, il avait consenti à répondre par écrit à mes questions. Voici quelques extraits de cette entrevue :

Écrivain des plus prolifiques, vous avez écrit de nombreux romans et nouvelles de science-fiction ou de fantastique. Quel est l'intérêt pour vous de ces modes littéraires? En existe-t-il un que vous préférez aux autres?

Je suis surtout un écrivain de fiction réaliste qui s'aventure parfois dans le domaine de la science-fiction et dans celui du fantastique, aussi différents l'un de l'autre qu'ils le sont du premier. On peut employer les techniques du réalisme, de la science-fiction ou du fantastique pour traiter des mêmes thèmes, raconter des histoires similaires et dire à peu près la même chose. Mais on change l'atmosphère et le ton, comme lorsqu'on se sert d'un style naturaliste ou d'un style poétique pour décrire la même scène. J'ai trouvé que la science-fiction me servait admirablement bien pour faire de la critique sociale (Les grimaces [1975] ou Vivre en beauté [1989]), pour jeter un regard neuf sur les relations humaines (Les visiteurs du pôle Nord [1987]), pour placer des personnages dans des situations exceptionnelles (La planète amoureuse [1982]) ou pour traiter de l'Histoire et du destin (bien de mes nouvelles). Le fantastique était l'outil idéal pour explorer la nature de la réalité, la différence entre ce qu'on sait et ce qu'on croit savoir, les grands mythes et la nature humaine, où la réalité intérieure, faite de désir et de rêve, se mêle tant bien que mal à la réalité extérieure (Peut-être à Tokyo [1981], La nuit du chien-loup [1990]).

Vous avez changé de nom il y a quelques années, prenant celui de Somain après vous être fait connaître sous celui de Somcynsky. Est-ce que Somain est simplement un nom de plume? Accepteriez-vous de révéler la raison de ce choix?

J'ai simplifié mon nom en biffant ce qui était difficile à prononcer. Maintenant, c'est moins compliqué pour tout le monde, ce qui me semble une raison suffisante.

Vous avez remporté plusieurs prix littéraires pour des ouvrages de science-fiction. Est-ce que a joué un rôle d'incitation au moment d'en écrire d'autres?

Un artiste peut continuer à produire contre vents et marées, mais il n'est pas désagréable d'être rassuré sur la qualité de ce qu'on fait. Mes prix Solaris et Boréal, qui sont des prix de science-fiction et de fantastique, m'ont dit que ce que j'écrivais dans ces genres n'était pas mauvais du tout. En recevant le Prix Louis-Hémon de l'Académie du Languedoc, pour Les visiteurs du pôle Nord, qui est un roman de science-fiction, je me suis dit que j'avais fait du bon travail. J'aurais continué à écrire tout ce que je voulais dans les genres les plus appropriés à mes besoins, et je continuerai à le faire, mais les encouragements sont toujours appréciés.

L'amour, la liberté et l'indépendance sont parmi les thèmes privilégiés de votre œuvre. Pourquoi? Quels sont les autres?

Mon grand sujet, c'est l'amour de la vie. Je mets alors l'accent sur l'individualisme, le besoin de liberté, le destin de chacun. Ensuite, il y a les autres, parce qu'il n'est pas confortable de vivre seul. Deux autres thèmes apparaissent: l'amour, qui est le contact affectif, facile ou difficile à vivre, avec les autres, et, plus largement, l'ensemble des relations humaines. D'autres thèmes surgissent aussitôt: la critique sociale, le pouvoir, la violence, l'environnement, l'avenir de l'espèce humaine. Mon œuvre est un long cheminement à travers ces thèmes, parmi des personnages et des histoires généralement très différents de livre en livre.

Vous êtes un grand voyageur devant l'Éternel et vous êtes passé par un grand nombre de pays. Pensez-vous que ces expériences de voyage aient pu favoriser votre prédilection pour la science-fiction, souvent considérée comme une littérature de l'exotique?

J'ai visité plus de soixante-dix pays et j'ai vécu dans plusieurs: la France, l'Argentine, le Sénégal, l'Indonésie, maintenant le Japon, sans oublier le Canada. Je me sens citoyen de la planète et je me sens partout chez moi. Viscéralement allergique aux frontières, j'aime trop la littérature pour me cantonner dans un domaine. On peut faire de très belles choses en science-fiction et en fantastique et j'ai spontanément incorporé ces domaines à ma pratique de la fiction réaliste, parce que mon matériau, c'est toute la littérature.

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2011-05-16

 

Rois conteurs et raconteurs

Tout bien considéré, tout bien pesé, et non sans quelques hésitations, je suis enclin à dire que le premier roman de Frédéric Parrot, Les Rois conteurs (Michel Brûlé, 2011), est un des meilleurs romans de science-fiction québécois que j'ai eu le plaisir de lire ces dernières années. Sauf erreur, sauf défaillance de ma mémoire, aucun roman depuis Delphes (ESH, 2005) de Philippe Navarro n'était allé me chercher avec la même insistance. (Le hic, c'est qu'il ne s'est pas publié tant de science-fiction québécoise que ça depuis 2005 — la preuve, c'est bien que tous les lauréats du Grand Prix/Prix Jacques-Brossard depuis 2005, quand Sylvie Bérard avait gagné pour Terre des Autres, ont été des auteurs de fantastique ou de fantasy.) Ce qui m'a fait hésiter, toutefois, dans le cas des Rois conteurs, c'est que la science-fiction présente dans ce roman est aussi timide que sa prose est audacieuse. Parrot décrit un futur plutôt sombre, dominé par une Famine qu'il ne se donne pas la peine d'expliquer, qui a tout changé — et qui n'a rien changé. Un jeune écrivain en quête d'exotisme peut toujours partir pour Barcelone pendant quelques semaines et en revenir esquinté pour trouver refuge dans le confort douillet d'une maison bourgeoise de la haute ville. La poste fonctionne encore et internet aussi. S'il y a eu des hécatombes, elles n'ont pas vraiment laissé de traces dans l'imaginaire collectif. Il s'agit donc d'une catastrophe arbitraire, qui a surtout pour rôle d'expliquer la misère ambiante, le durcissement des gouvernements et la ghettoïsation des quartiers de la ville de Québec. De fait, elle permet à l'auteur de simplifier le futur au lieu de mettre en scène des complexités possibles, et même probables. Ceci peut profiter à un roman (le monde imaginé par Orwell pour 1984 est frappant, mais pas très compliqué), mais c'est un peu de la science-fiction au rabais.

À plusieurs égards, le roman de Parrot rappelle à la fois par son ambiance, son ton et son sujet le roman ZIPPO (Leméac, 2010) de Mathieu Blais et Joël Casséus. Dans les deux cas, l'ombre des manifs provoquées par le Sommet des Amériques dans la ville de Québec en 2001 plane sur le récit. Dans le cas de ZIPPO, l'allégorie prend toute la place et fait figure de testament politique de deux militants désabusés — non qu'ils aient retourné leur veste, mais parce que le monde n'a pas répondu à leurs attentes. Le résultat est un météore littéraire, au style brillantissime qui doit sans doute quelque chose aux talents de poète de Mathieu Blais. Le hic, c'est qu'on attend aussi quelque chose de neuf : un diagnostic original, une révélation inédite, un aperçu d'une issue, bref, quelque chose qui ne nous donne pas tout simplement envie de relire Naomi Klein parce qu'elle est tellement plus amusante... Or, ZIPPO est à ce point éloigné de la réalité actuelle (même si le nom de leur ville imaginaire, Villanueva, renvoie à un énième cas de brutalité policière à Montréal — dans un contexte où des émeutiers font régulièrement la preuve que la violence n'est pas l'exclusivité de la police), à ce point éloigné des possibilités et des problèmes du quotidien au Canada, que ce n'est plus qu'une forme d'invective, qui réduit la séduction des classes possédantes, le repli défensif, la peur du fanatisme religieux, etc. à une simple résurgence du fascisme. C'est à la fois vrai et faux, mais c'est surtout insuffisant et on peut faire l'économie du temps requis pour se taper un livre sans y gagner autre chose qu'un sentiment de révolte qu'on peut attiser tous les jours en suivant les actualités.

Le roman de Parrot, Les Rois conteurs, est nettement plus ambitieux. Il cède également à la tentation de faire du style, mais il se distingue de Blais et Casséus en misant aussi sur l'histoire. Ses héros sont des raconteurs, en particulier Baraque, le fou des mots qui traverse l'histoire comme le météore de ZIPPO et qui connaît une fin similaire. L'intrigue relève formellement de la science-fiction et rappelle à certains égards des auteurs éclatés des années soixante-dix (Emmanuel Cocke, Patrick Straram, Jean Basile, Roger Des Roches) dont les ouvrages exploitaient parfois des situations ou des contextes propres à la science-fiction même s'ils étaient plus soucieux de raconter que de conter. Le raconteur, c'est celui qui se met en scène quand le conteur s'en retire.

Parrot signe un roman à plusieurs voix. La narration est portée par un jeune trafiquant, Sasha, qui se retrouve mêlé à une entreprise révolutionnaire tandis qu'il essaie aussi de sauver son ami, Baraque, écrivain qui organise en même temps un happening très différent... Le tout se passe dans le cadre d'une Amérique ravagée par la faim. La Famine règne depuis des années puisque les plantes ont cessé de pousser presque partout. L'humanité est réduite à se nourrir de poissons et d'algues. Comme dans ZIPPO, où le météore qui annonce la fin du monde n'a pratiquement rien de scientifique, cette grève générale des plantes n'est pas vraiment justifiée. C'est ce qui fait apparaître cette Famine comme une métaphore de la bohème des artistes, mais aussi d'un
système figé et oppressif ; l'après-11 septembre en politique...

Parrot témoigne d'un art de la narration plus achevé que ses prédécesseurs, capable d'adopter des tons variés et de relater plus d'un genre d'histoire. Cet art narratif en vient cependant à prendre toute la place : le récit des événements par Sasha incorpore plusieurs contes et textes qui font partie de l'intrigue ou qui sont présentés comme des échantillons de la prose de Baraque, auteur maudit dont il ne reste en fin de compte que des fragments. La force de Baraque (ou de Parrot), c'est d'avoir su verser dans la grandiloquence — et d'en être revenu. Les personnages sont soulevés par des ambitions extraordinaires, dont ils mesurent parfois l'inanité. Mais ce qui soulève permet de voir plus loin et les grandes espérances ouvrent les mêmes perspectives que la raison la plus raisonnable.

Le choix de Québec comme cadre rappelle Similia Similibus. Les temps ont changé et le fantasme de la révolution supplante celui de l'invasion ennemie, mais la charge d'histoire de la vieille capitale donne une résonance particulière à un récit qui avance à coup de circonlocution et de circonvolutions au risque de se perdre en chemin. À chacun ses souvenirs : là où la révolution qui gronde au Québec dans Les Voyageurs malgré eux d'Élisabeth Vonarburg prend des allures de mai 1968, les événements décrits par Parrot dans le cadre du Saül Progetto évoquent plutôt les manifestations suscitées par le Sommet de Québec en 2001. Le hic, c'est que la fiction est en fin de compte aussi grossie et dérisoire que la réalité. Mais le choix le plus habile du romancier, c'est de le montrer : la révolution se dissout dans la fête et la camaraderie.

N'empêche qu'une ombre plane. Le roman se termine par une pendaison, comme dans La Cité dans les fers d'Ubald Paquin. Ici, il ne s'agit pas d'une mort annonciatrice de changement, mais d'une mort qui est un peu la mort de l'art pur. Aux autres, même s'ils n'ont pas nécessairement l'intégrité de Baraque, de prendre le relais et d'assurer la relève...

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2011-05-15

 

Boréal 28

En fin de semaine avait lieu le 28e congrès Boréal. Comme d'habitude, j'étais trop occupé par les détails de l'intendance pour tout suivre avec la même attention que les nombreux congressistes qui rapporteront leur expérience du congrès sur leurs blogues. Mais j'ai pris au moins une photo pour la postérité. La photo ci-dessus montre l'équipe des organisateurs qui comprenait Frédérick Durand, Ariane Gélinas, David Hébert, Geneviève Fournier-Goulet, Carmélie Jacob, Simon Polnicky-Racine et Guillaume Voisine. Ils s'ajoutent à une lignée désormais longue, qui remonte à la première organisatrice d'un congrès Boréal, soit Élisabeth Vonarburg en 1979.

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2011-05-13

 

Les deux espèces de Ying Chen

Après avoir lu L'Ingratitude (1995) et Espèces (Boréal, 2010) de Ying Chen, je constate des parallèles si patents que je résiste mal à l'envie de faire de ces deux livres les produits d'un même procédé utilisé dans une même finalité. Dans l'un comme dans l'autre, le personnage principal acquiert une nouvelle nature qui lui permet d'examiner d'un autre œil sa relation avec un proche. Dans L'Ingratitude, une fille fantomatique se penchait sur sa relation avec sa mère, si je me souviens bien. Dans Espèces, une épouse se transforme en chatte et renouvelle sa relation avec son époux.

Dans Espèces, cette métamorphose fantastique pourrait faire partie d'une série amorcée longtemps auparavant, car la protagoniste fait allusion à des vies antérieures sans que le lecteur puisse savoir s'il s'agit d'une métaphore ou d'un renvoi à des expériences passées. Toutefois, le récit n'approfondit pas cet aspect de la question. Pour la narratrice, la vie de chat est une sorte de fugue qui lui permet de faire l'expérience de l'irresponsabilité tout en se laissant domestiquer par son mari (qui, inversement, se laisse apprivoiser par cette nouvelle créature apparue dans sa vie après la disparition de sa femme). Le lecteur n'en apprend guère plus sur l'enfant qui aurait disparu de la vie du couple. Le récit demeure centré sur la nouvelle existence féline de la narratrice et son passage en revue des qualités et défauts de son conjoint, ainsi que de leur vie conjugale. (Un inspecteur de police harcèle plus ou moins le mari, coupable d'avoir égaré coup sur coup un enfant et une femme, mais cet élément de suspense reste accessoire.)

La première partie du roman est donc dominée par une espèce de procès du mari qui teinte d'ironie les condamnations par la narratrice de ceux qui sont trop enclins à juger autrui :

« De plus, je suis meilleure que lui parce que je n'ai pas l'ambition de noter, de distribuer, d'exhiber ni de chercher à éterniser mes impressions, mes goûts et mes manies personnels, en les élevant à l'échelle de l'art, en méprisant d'autres façons de vivre, en étant sélective et discriminatrice envers ceux qui mènent une vie différente. »

Cette ironie est-elle voulue? Pas certain. Le chapitre 16 introduit un décrochage surprenant : alors que tous les chapitres précédents étaient racontés du point de vue de la chatte, soudain, la narration s'intéresse à l'inspecteur qui enquête sur le mari sans que l'on sache comment la protagoniste peut assister aux événements décrits. Une telle maladresse laisse planer un doute sérieux sur la maîtrise par Ying Chen de sa propre écriture.

En définitive, il s'agit d'un roman où le fantastique est avant tout un prétexte à une réflexion sur les relations de couple. En tant que tel, il n'est pas inintéressant, même si l'ensemble demeure léger. Suggérer que l'homme et la femme appartiennent à deux espèces aussi différentes que l'humain et le chat (ce qui semble bien correspondre à l'une des conclusions essentielles de la narratrice), cela revêt une certaine autorité quand c'est une chatte qui se prononce, mais je ne suis pas sûr que cela représente un grand progrès dans la compréhension mutuelle des hommes et des femmes de ce monde...

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2011-05-11

 

Rome à Québec

(Piazza Navona, Roma — Detroit Publishing Company, c. 1900 ; Library of Congress, LOT 13434, no. 162)

Mon dernier vernissage au Musée de la Civilisation de Québec remontait à novembre 2009 quand nous avions assisté à l'inauguration de l'exposition sur la pensée, « Copyright Humain ». Cette fois, je n'avais joué aucun rôle dans l'organisation de l'exposition, mais Jean Charest et pratiquement tout l'aréopage politique local s'étaient déplacés, de Bachand et Blaney à Labeaume et Saint-Pierre, sans oublier Mgr Lacroix, l'archevêque de Québec et primat du Canada. J'en ai croisé quelques-uns, y compris Bachand (que je n'ai pas hélé pour lui rappeler qu'il m'avait serré la main dans une boutique de photocopies) et Blaney (moins cadavérique qu'à la télévision). Les discours d'usage ont été relativement courts. Charest a comparé les histoires du Canada et de l'Italie moderne, tous les deux fondés il y a près de cent cinquante ans — mais il n'a pas rappelé le rôle des zouaves québécois qui avaient combattu pour défendre ce qui restait des États pontificaux contre les troupes italiens désirant faire de Rome la capitale d'une Italie unifiée... D'ailleurs, le panégyrique des routes romaines entendu un peu plus tôt n'avait pas mentionné qu'en plus de faciliter le transport de l'annone et du commerce, elles servaient aussi aux mouvements des légions romaines lancées à la conquête de leurs voisins, puis vouées à la défense de ces acquis... Mais laissons les morts enterrer les morts.

La file d'attente était longue, mais il y avait du vin pour nous faire patienter. L'exposition elle-même n'est pas immense, mais elle comporte d'excellentes pièces. L'une d'elle est d'origine québécoise : un plan-relief de la Rome de Constantin (qui se base sur des travaux du début du XXe s., entre autres par l'École française de Rome, mais qui a été réalisé dans ce cas-ci par un Québécois, si j'ai bien compris). J'y ai retrouvé avec plaisir des monuments que j'avais admirés durant ma visite de Rome en 1990, le nom de la Piazza Navona (construite sur les ruines du cirque de Domitien) me revenant spontanément. (Voir ci-dessus pour une photo du début du siècle dernier.) Parmi les reliques les plus impressionnantes, il y a la boule de bronze doré qui surmontait autrefois l'obélisque dit de Néron (déplacé d'Alexandrie à Rome par Caligula, puis dressé au centre du parvis de Saint-Pierre de Rome en 1586 par l'ingénieur Domenico Fontana); au Moyen Âge, les guides racontaient aux visiteurs venus en pélerinage que cette boule contenait les cendres de Jules César, mais rien n'a été trouvé à l'intérieur quand Fontana l'a faite ouvrir. En revanche, la boule porte bel et bien les marques des balles tirées par la soldatesque de Charles Quint en 1527, lors du sac de Rome. (À droite, une gravure représentant le déménagement de l'obélisque en 1586, tirée de l'ouvrage Della trasportatione dell'obelisco vaticano et delle fabriche di Nostro Signore papa Sisto v fatte dal cavallier Domenico Fontana, publié à Rome en 1590 et qui porte la cote DT62.O2 F6 à la Library of Congress.) J'ai aussi retenu une belle madone du Pinturicchio, alias Bernardino di Betto Betti (1452-1513), appelée la « Madonna del davanzale », que l'on peut voir ci-contre. Du point de vue historique, toutes les époques étaient représentées depuis le premier millénaire avant notre ère, ainsi que de nombreux aspects de la vie quotidienne, en particulier dans la Rome antique. Outre les pièces de monnaie, les bijoux et les urnes cinéraires, il y avait des amphores, des mosaïques (dont un plan numéroté de thermes romains), des plats pour le service du vin dans l'Antiquité, une tablette pour l'écriture, des morceaux d'une pompe de Ctésibios (qui auraient franchement nécessité une plus longue explication) et des fragments de fresques. La statuaire romaine antique était illustrée par une belle sculpture en marbre noir d'un marcassin et plusieurs reliefs pris à des sarcophages, mais surtout par un certain nombre de miniatures (du groupe du Laocoon, par exemple, ou d'une statue équestre de Marc-Aurèle). En fait, je dirais que la Rome antique occupait au moins le tiers de l'exposition, les autres époques (le Moyen Âge, la Renaissance, la Rome baroque, la Rome moderne) se divisant le reste de l'espace. Les pièces plus tardives sont parfois très belles (Raphaël, Bernini), mais elles sont moins rares, dans un sens, puisqu'elles représentent un art qui ne trouvait pas nécessairement sa source à Rome et qui a été pratiqué ailleurs en Europe avec un égal succès.

Néanmoins, pour qui ne peut pas se payer un voyage à Rome, il s'agit clairement d'une exposition qui vaut le déplacement. A priori, je n'en vois pas l'équivalent au Canada.

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2011-05-10

 

Exposition d'estampes numériques à Québec

Un artiste de la ville de Québec, Cor Leonis, et le collectif Aktionart présentent depuis quelques jours (et jusqu'à la fin du mois de mai) une exposition d'estampes numériques baptisée Androïd€. Cela se passe au bar le Temps partiel, en haute ville.

La description de l'événement annonce « une collection d'estampes numériques uniques inspirées de l'esthétique et de l'univers de la bande dessinée américaine, du cinéma, des jeux vidéos et des films d'animation japonaise. » Beaucoup d'hybridité en perspective : l'exposition amalgamera l'art traditionel et l'art numérique, l'homme et la machine, la matière et le virtuel... On nous promet aussi des personnages fictifs, des portraits d'artistes reconnus internationalement ainsi que des portraits, je suppose, d'artistes de la scène musicale de Québec.

J'ai ramassé l'annonce il y a quelques jours rue Saint-Joseph Est, où vient d'ouvrir une nouvelle librairie spécialisée dans la bande dessinée, Phylactère. Je ne suis pas encore passé voir cette exposition, mais dès mon retour du congrès Boréal en fin de semaine...

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2011-05-07

 

Le leadership libéral

Les Libéraux auraient dû tout faire pour garder Paul Martin à la tête de leur parti. C'est la conclusion qui s'impose, avec cinq ans de recul. On ne saurait réécrire l'histoire des cinq dernières années, mais il est tentant de penser qu'en 2008, une élection opposant Harper et Martin aurait pris une autre tournure. Ce qu'il restait de crédibilité à Martin tenait à ses succès comme ministre des Finances et les prémices d'une crise économique niée par Harper aurait fourni à Martin une chance de convaincre le public canadien. Et même si Martin était demeuré dans l'opposition après 2008, les concertations internationales consécutives à 2008 (G8, G20, Copenhague) auraient pu rappeler aux Canadiens qu'il y avait, en face de Harper, une des inspirations du G20 (Martin avait défendu l'idée d'un tel groupement) et un homme d'État nettement plus écouté à l'échelle internationale que les Conservateurs.

Mais l'Histoire avance sans faire de brouillons. Depuis, le Parti libéral n'est pas arrivé à se dépêtrer des trois principaux choix du congrès à la chefferie de Montréal : Dion, Ignatieff et Rae. Dion et Ignatieff ont fait de leur mieux, mais ils présentaient des lacunes que les Conservateurs ont su exploiter. Le programme de Dion était ambitieux, mais le parti était endetté et la personne ne persuadait ni les électeurs québécois ni les électeurs du reste du Canada. À deux occasions (pendant l'élection de 2008 et lors de la crise de la prorogation), Dion n'a pas su communiquer. En définitive, il aurait fallu voter pour lui parce que c'était le choix par défaut ou parce que c'était la conclusion obligée d'un raisonnement logique. Ni l'une ni l'autre de ces raisons trop intellectuelles n'ont suffi.

Le cas d'Ignatieff est particulier. Il s'est imposé au parti comme une solution de rechange par défaut, sans être élu par les membres. Or, s'il était arrivé second lors du congrès à la chefferie, ce n'était pas par hasard. Il traînait des casseroles, de son appui pour l'invasion de l'Irak à son approbation de la torture.

De plus, en devenant le troisième chef successif depuis le départ de Chrétien, Ignatieff achevait de donner au Parti libéral l'image d'une organisation dénuée de principes durables et de convictions stables, dont le programme dépendait entièrement des préférences du chef du moment et des tacticiens électoraux. À la trappe le Plan vert de Dion! Oubliés les succès de Martin! Le désir forcené de plaire encourt parfois le déplaisir de ceux à qui on désire plaire.

En même temps, le Parti libéral semble incroyablement marqué par l'époque mythique de Trudeau, qui apparaît aux Libéraux comme la combinaison rêvée d'un chef fort, d'un visionnaire politique et d'un intellectuel. La stature intellectuelle de Dion et Ignatieff a beaucoup contribué à les propulser à la chefferie.

Toutefois, Ignatieff et ses partisans n'ont toujours pas compris qu'il existait une différence essentielle entre Trudeau ou Dion et leur héros. Trudeau était à la fois un prof et un militant; Dion aussi l'avait été, dans une moindre mesure. Dans les deux cas, cependant, ils avaient œuvré au Canada, pour des causes canadiennes. Trudeau a défendu des causes sociales et politiques, tandis que Stéphane Dion a fait l'apologie du fédéralisme. Ce que tout le monde a reconnu, y compris leurs détracteurs, c'est qu'ils avaient tous les deux contribué à la res publica canadienne avant de se lancer en politique. Ils avaient gagné leurs épaulettes, comme on disait autrefois, avant d'aspirer aux plus hautes fonctions canadiennes.

Ignatieff a également été un intellectuel engagé, mais il a travaillé à l'extérieur du Canada, pour des causes qui ne concernaient le pays que lointainement — et parfois à contre-courant des opinions dominantes du parti, voire du verdict de l'Histoire. Du point de vue d'une partie de l'électorat canadien, il n'avait pas gagné ses épaulettes et l'étiquette de parachuté que lui ont collée les Conservateurs a si bien adhéré parce qu'elle n'était pas complètement injustifiée. Ce n'était pas une invention, c'était une lacune et Ignatieff aurait dû s'en excuser au lieu de prétendre que ce n'en était pas une.

Le Canada n'est pas hostile aux immigrants ou à ceux qui font carrière à l'étranger, et il aura sans doute un jour prochain un autre premier ministre issu de l'immigration, mais il s'agira alors de quelqu'un qui aura fait ses preuves au Canada, comme Ujjal Dosanjh ou Michaëlle Jean.

Le Parti libéral se tournera-t-il désormais vers le troisième larron du congrès à la chefferie de Montréal? Bob Rae se retrouve aujourd'hui dans une position presque aussi fausse que celle de son ancien condisciple à l'université, Michael Ignatieff. Il a quitté le NPD pour rallier les Libéraux, assez clairement dans l'espoir de se rapprocher du pouvoir, et c'est maintenant le NPD qui forme l'Opposition officielle et qui se rapproche du pouvoir. De plus, si les Conservateurs ont obtenu une majorité, ce serait en partie parce que des électeurs ontariens, encore échaudés par le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, ont voté à droite pour contrer la montée du NPD.

Dans ces circonstances, un Néo-Démocrate devenu Libéral pourrait plaider que l'électorat ontarien, qui décide du sort des élections, pourrait préférer la copie édulcorée à l'original — qu'au lieu de voter pour les Néo-Démocrates inexpérimentés de Layton, les Ontariens pourraient opter pour un Néo-Démocrate «assagi». Mais cet argument s'applique difficilement quand le Néo-Démocrate en question est le repoussoir en personne. De plus, le temps joue contre Rae, qui aura 67 ans en 2015, quand les prochaines élections ont des chances d'avoir lieu.

Le Parti libéral se tournera-t-il vers d'autres chefs? Beaucoup ont été battus dans leurs propres circonscriptions. Il reste des jeunes, comme Justin Trudeau et Dominic Leblanc, des fils à papa mal placés pour incarner le changement — ou pour démontrer la poigne des self-made men à la Harper.

Ceci dit, les deux plus grandes provinces du pays sont gouvernés par des Libéraux de plus en plus impopulaires. Avant ou après les prochaines élections provinciales, d'anciens ministres ou des personnalités pourraient choisir de faire le saut dans l'arène fédérale en espérant que l'impopularité de leur parti provincial ne les rattrape pas dans le cadre fédéral. Un tel transfuge pourrait briguer la chefferie des Libéraux fédéraux, mais bien malin qui saurait citer des noms à ce stade...

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2011-05-05

 

Le Québec et le court terme

J’ai trouvé assez curieuses certaines réactions suscitées au Québec par la vague orange du NPD. En particulier, quand on se lamente parce que le Québec se retrouvera dans l’opposition.

À moins de voter pour les Conservateurs, les Québécois allaient presque certainement soutenir un parti d'opposition : ils avaient le choix entre les Libéraux, les Bloquistes, les Verts et le NPD. Ils ont choisi le NPD. Même s'ils avaient donné 75 sièges aux Bloquistes, ils auraient été dans l'opposition et les Conservateurs auraient eu un gouvernement majoritaire (161 Conservateurs, 75 Bloquistes, 72 autres députés). S'ils avaient offert 75 sièges aux Libéraux, la situation n'aurait pas été vraiment différente (161 Conservateurs, 102 Libéraux, 45 autres députés). S'ils avaient offert 75 sièges aux Verts... Il est certes possible qu'un vote bloquiste ou libéral massif au Québec aurait permis aux Libéraux de remporter des circonscriptions ontariennes perdues en raison de la montée de dernière minute du NPD : il y en a au moins une demi-douzaine dans cette situation, mais d'autres ont été perdues par des marges trop grandes pour s'expliquer par la vaguelette orange. De toute manière, on a constaté qu'il y a un vote conservateur plus ou moins incompressible au Québec, de sorte que six sièges conservateurs de plus au Québec équilibreraient six sièges de moins en Ontario sans modifier la marge des Conservateurs. Dans le meilleur des cas, on aurait eu un gouvernement libéral minoritaire.

En fait, ce qu'on n'a pas assez souligné, c'est que la vague orange n'a pas eu le temps de déborder le Québec. Il est possible que si elle avait duré quelques jours de plus, le NPD aurait remporté des circonscriptions libérales perdues aux mains des Cosnervateurs. Le temps a manqué.

La différence, dans la situation actuelle, c'est que le NPD peut aspirer à former le gouvernement, ce que le Bloc n'aurait jamais pu espérer. Certes, un gouvernement minoritaire (conservateur ou autre) aurait été préférable, mais ceci n'allait pas se décider au Québec. Par conséquent, on peut trouver préférable de peser sur l'Opposition officielle plutôt que sur un tiers parti.

Surtout, l'idée selon laquelle il aurait été crucial d'avoir une influence déterminante dans ce Parlement semble témoigner d'une certaine impatience. Si l'accession du NPD au rang d'Opposition officielle peut le conduire ensuite au gouvernement en 2015, est-ce un délai vraiment inacceptable? On peut craindre, bien entendu, les dégâts que les Conservateurs pourraient causer d'ici là, mais le Canada a survécu à d'autres gouvernements catastrophiques. Se pourrait-il que le Québec ne soit plus capable de se projeter dans l'avenir en raison du vieillissement de la population, qui fait qu'une certaine génération est de plus en plus pressée parce qu'elle n'a plus le temps d'attendre quatre ou cinq ans en espérant qu'une majorité conservatrice entraîne un retour du balancier et une victoire du NPD ou des Libéraux? Si ce ne sont pas des événements imprévus — une nouvelle crise pétrolière ou environnementale — qui démontrent, d'ici quatre ou cinq ans, la vanité des prétentions conservatrices...

On en vient à se demander si le véritable fossé, au Québec, n'est pas celui qui sépare fédéralistes et séparatistes, ou la gauche et la droite, mais bien celui qui sépare les générations vieillissantes de plus en plus talonnées par les ans des générations plus jeunes encore capables de concevoir un avenir à long terme.

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2011-05-04

 

La politique canadienne et la neurologie humaine

Une étude scientifique récente par le groupe de Ryota Kanai est venue identifier des différences neurologiques liées aux préférences idéologiques (un sujet de recherche en soi). Celle-ci corrélait les orientations politiques et certaines différences au niveau de l'anatomie du cerveau. En particulier, les votes plus à droite étaient associés à une surestimation des menaces par les mécanismes perceptuels du cerveau tandis que les votes plus à gauche étaient associés à une plus grande capacité à gérer des informations complexes et contradictoires, mais aussi à l'empathie et le raisonnement, bref, à une certaine ouverture aux points de vue complexes et à une prédisposition à se mettre à la place des autres.

Comme d'habitude, on peut se demander si c'est la biologie qui explique les choix politiques ou si ce sont les choix politiques qui influent sur le fonctionnement et l'évolution du cerveau, dont la plasticité est désormais reconnue.

En principe, il n'y a pas de raison de penser qu'un trait soit plus répandu que l'autre. Il convient de noter qu'il ne s'agit pas de porter un jugement de faveur de l'un ou l'autre trait, ou d'opposer paranoïa et naïveté, méfiance et candeur. A priori, dans l’état de nature, chacun de ces traits a ses avantages selon les circonstances. Interpréter un froissement des branches dans le noir comme un signe de la présence d’un fauve, même s’il n’y a pas de prédateur aux aguets, c’est avantageux quand cela réduit les chances de se faire dévorer. Prendre le risque de l’ouverture à des informations inhabituelles et d’envisager l'inattendu et la nouveauté, c’est aussi avantageux quand il s’agit de découvrir de nouvelles sources de nourriture, même si on tombe parfois sur une plante toxique ou indigeste, par exemple.

Il faut sans doute exclure également que la dichotomie soit parfaite et universelle — que les individus soient toujours et en tout temps portés à se méfier ou à s'ouvrir à la nouveauté. Une surestimation des risques n’interdit pas une ouverture occasionnelle au changement, de même qu’une plus grande audace intellectuelle n’empêcherait pas les individus de se montrer précautionneux quand les circonstances l’exigent.

Néanmoins, cette étude suggère que la dichotomie entre droite et gauche est très profondément enracinée dans notre architecture neurologique et qu’il serait vain d’espérer convertir l’entièreté d’une population à la xénophobie ou, inversement, à la compassion systématique. Il y aurait toujours une portion de la population réfractaire aux idées de la pensée dominante, qu’elle soit de droite ou de gauche. La démocratie pratiquée depuis deux ou trois siècles par un nombre grandissant de pays l’a démontré de manière assez constante, avec quelques variantes curieuses (le statu quo défendu contre les innovations peut être le communisme, par exemple, dans le contexte russe des années quatre-vingt-dix) attribuables à l’émergence (momentanée) de groupes d’intérêt propres.

Mais plus le suffrage a été élargi par les uns et par les autres dans l’espoir qu’un nouveau groupe d’électeurs (les femmes, les jeunes, les minorités) pencherait plus d’un côté ou de l’autre, plus on a observé que les différences étaient rarement décisives et que tout se jouait à la marge. D’où le choix fréquent de laisser les choses se décider à la majorité simple, en définitive.

Le système électoral canadien a démontré cette semaine qu’il est puissamment capable de convertir de très minces avantages électoraux en majorités au service d’un seul parti. Là où un système proportionnel reflèterait une division du vote, la division différenciée du vote produit, dans le contexte canadien, une nette majorité.

En 1997, Jean Chrétien avait converti 38,5% des suffrages en une majorité minimale de 155 sièges à la Chambre des Communes. Lundi, Harper a converti 39,6% des suffrages en une majorité de 167 sièges. En 1993, Chrétien avait converti 41,2% des suffrages en une nette majorité de 177 sièges.

Par contre, avec 37,65% des suffrages en 2006, Harper avait échoué près du but en n’obtenant qu’une minorité de 143 sièges. Ainsi, tout se joue (quand le vote est divisé en deux blocs de base et une masse intermédiaire d’indécis ayant le choix de plusieurs partis) sur quelques points de pourcentage. Si on peut le reprocher au système électoral canadien, on peut également l’interpréter comme une reconnaissance tacite de cette division inamovible de l’humanité en deux camps, celui de l’optimisme et celui du pessimisme.

Ainsi, une très ancienne tradition politique éprouvée au fil des siècles et une étude scientifique toute neuve s’entendent sur le caractère irréductible de certaines différences entre conservateurs et libéraux.

C’est ce qui m’incline à prendre avec un grain de sel les refus d’associer le nationalisme (presque toujours défensif dans sa forme politique) au conservatisme. Et c’est ce qui m’incline à penser qu’on s’illusionne au Québec en croyant qu’il n’existe pas un électorat nationaliste foncièrement conservateur dans la province. Celui-ci est peut-être plus réduit qu’ailleurs, mais croire que le conservatisme au Québec se limite au vote de lundi pour les Conservateurs, cela revient à croire qu’il manquerait aux Québécois la prudence hypertrophiée propre à la tendance conservatrice. Quand l’addition des votes bleus et bleu pâle au Québec équivaut à 40% des votes, j’ai l’impression qu’il est inutile de chercher trop loin le socle en question...

Cela dit, cette théorie n’explique pas tout. Très clairement, il existe deux blocs plus ou moins inexpugnables, chacun d’eux correspondant à une fraction de la population qui représenterait entre 40% et 50% du total selon les circonstances. Mais il reste une fraction de l’ensemble qui est plus mobile, qui peut se porter dans un camp ou dans l’autre selon les circonstances. À quoi correspond-elle, humainement parlant? Si on élimine de l’équation la forme d’empathie qui gouverne l’ouverture à gauche, d’une part, et l’hostilité à l’altérité qui gouverne la recherche et l’identification de menaces à droite, d’autre part, il demeure une forme plus détachée de curiosité, plus amorale en un sens mais aussi plus neutre, voire plus scientifique. Il faudrait organiser une étude pour l'étudier, tiens...

Cela expliquerait peut-être la part congrue dévolue à la science dans les grands rendez-vous électoraux, si elle n’intéresse pas viscéralement les bases de part et d’autre mais seulement la frange flottante entre les deux...

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2011-05-03

 

Les déceptions d'une élection

Déprimons. Harper jouira désormais d'un gouvernement majoritaire et son programme est déjà prêt :

— abolition complète du registre des armes à feu ;

— réduction des dépenses afin de réduire le déficit tout en réduisant l'imposition des grandes corporations ;

— le durcissement du code pénal, qui ciblera en particulier les jeunes, les criminels violents et les délinquants sexuels ;

— la fin des subsides publics aux partis politiques (qui permettait de compenser pour les différences de financement entre partis au service des plus riches et partis au service des moins riches) ;

— le raccourcissement des mandats des sénateurs ;

— le renforcement des mesures de protection contre la copie des créations audiovisuelles ;

— etc.

Si cela l'occupe durant sa première année, il lui resterait encore trois autres années pour sévir...

La seule consolation, c'est que la roche tarpéienne n'est pas loin du Capitole. Cette élection me rappelle celle des Conservateurs de Mulroney en 1988, qui avaient également profité de la division des votes à gauche opposés au libre-échange avec les États-Unis. L'arrogance des Conservateurs les avait conduits à leur perte en 1993.

Au rang des consolations, il y a aussi une légère augmentation du taux de participation, qui a atteint au moins 61,4%. Et, malgré ce qu'on entend déjà, il convient de souligner que le soutien des gauches (NPD+Libéraux+Verts) était relativement semblable au Québec (59,7%) et dans le reste du Canada (51,9%) — et d'autant plus que le vote NPD au Québec était en partie un vote de protestation. Ceci permet d'envisager une convergence potentielle... surtout si Jack Layton comme chef de l'Opposition officielle s'impose de manière à devenir un peu moins un épouvantail à moineaux dans le reste du Canada.

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2011-05-02

 

Les plaisirs d'une élection

Avant de déprimer, il faut bien s'accorder quelques consolations :

— Qui a vaincu par l'épée périra par l'épée : il est bien connu que le système électoral canadien accorde une prime aux meneurs et pénalise les petits partis, voire les partis qui ont le malheur d'arriver bon seconds... Longtemps, le Bloc québécois a tiré profit de cette caractéristique du système pour se tailler une place disproportionnée au sein de la délégation québécoise présente au Parlement d'Ottawa. Cette fois, il en a pâti.

— Elizabeth May : l'exclusion par les médias des points de vue écologistes est depuis longtemps odieuse, mais l'élection de May au Parlement en tant que chef des Verts leur retire une excuse pour ne pas s'y intéresser. Avec une députée et 3,9% des suffrages, le Parti vert pourra désormais traiter sur un pied d'égalité avec le Bloc québécois et ses quatre députés correspondant à 6,1% des suffrages... comme il se doit.

— La vague orange au Québec permettra au Québec de contrôler l'opposition officielle au Parlement au lieu de disperser ses forces entre divers partis d'opposition. Mathématiquement, il est prouvé que les Conservateurs n'avaient pas besoin du Québec (ils auraient une majorité même avec zéro député au Québec), ce qui souligne la vanité des affirmations désespérées de Gilles Duceppe ces derniers jours. Mais le Québec gagnera en influence au sein du NPD et le NPD gagnera en crédibilité dans le reste du Canada, ce qui ouvre la porte à une victoire possible du NPD lors des prochaines élections. Au Québec, la vague orange avait eu deux semaines pour prendre toute son ampleur, mais le reste du Canada n'a eu qu'une semaine pour en tirer les conséquences, ce qui était trop court. Et les Conservateurs ont habilement profité de l'ultime fin de semaine (voir de la mort de Ben Laden comme rappel de l'insécurité internationale) pour semer des doutes et exploiter les imperfections d'un programme NPD un peu bancal. Néanmoins, on peut espérer que les Québécois qui ont choisi de faire confiance au NPD ne lui tourneront plus jamais complètement le dos si le NPD sait jouer son nouveau rôle à Ottawa.

— Enfin, il convient de rappeler que si la droite unie des Conservateurs a pu l'emporter sur une gauche désunie, la gauche désunie de l'époque de Chrétien avait su l'emporter en son temps sur la droite désunie. Ceci suggère qu'une gauche unie aurait de sérieuses chances de l'emporter sur une droite unie, puisque le NPD, les Libéraux et les Verts ont obtenu 53,4% des suffrages contre les 39,6% des suffrages obtenus par les Conservateurs...

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2011-05-01

 

Pourquoi voter NPD

De Laurier à Layton

La politique canadienne sent les fins de règne. Le Parti libéral a enchaîné trois chefs aussi faibles que peu convaincants depuis le départ de Jean Chrétien tandis que le nouveau Parti conservateur a enchaîné deux gouvernements minoritaires sans jamais s'approcher vraiment d'une majorité. Les amateurs de comparaisons historiques seront tentés de faire le rapprochement avec la situation entre 1891 et 1896 quand la mort de John A. Macdonald avait entraîné la succession rapide d'Abbott, Thompson, Bowell et Tupper, quatre premiers ministres conservateurs parfois estimables mais aussi oubliables qu'oubliés aujourd'hui. L'élection de Laurier avait ensuite instauré un long règne libéral et une nouvelle ère politique...

Entre 1896 et 2011, il existe des parallèles : un lendemain de crise économique (la panique de 1893), le succès (potentiel pour l'instant) d'un parti au Québec sous la gouverne d'un chef d'origine québécoise et l'épuisement de la vieille garde. Une victoire électorale décisive des Néo-Démocrates de Layton complèterait le tableau, mais elle est loin d'être assurée : les ultimes sondages accordent toujours l'avance aux Conservateurs de Harper. Même si une partie de ce soutien est concentrée en Alberta et en Saskatchewan, où elle ne rapportera pas de sièges supplémentaires aux Conservateurs, ce désavantage est plus que compensé par la division du vote à gauche de Harper dans le contexte électoral canadien (qui s'en tient à un système qui représente de plus en plus une aberration à l'échelle mondiale, d'ailleurs).

Par conséquent, les arguments en faveur d'un vote stratégique demeurent puissants, sauf que cette fois ils tendent à favoriser un vote en faveur du NPD plutôt que pour les Libéraux ou le Bloc québécois. Pour se rallier à cette option, il faut sans doute réfléchir un moment aux avantages d'un gouvernement dominé (ou constitué) par le NPD.

L'intérêt premier du NPD au pouvoir, ce serait d'offrir au Canada son premier gouvernement authentiquement national depuis les années Chrétien, voire depuis le premier gouvernement Mulroney. Un tel gouvernement transcenderait les divisions régionales et linguistiques exploitées jusqu'à plus soif par le Bloc québécois et le Parti conservateur.

Un gouvernement Layton aurait à gérer des contradictions internes évidentes sur le sujet du registre des armes à feu, des sables bitumineux et des politiques linguistiques du Québec. Afin de concilier des intérêts divergents (entre l'Est et l'Ouest, les villes et les campagnes, le Québec et le reste du Canada), le NPD a d'ailleurs commencé à rechercher des positions intermédiaires raisonnables. S'il est divisé, c'est parce que le pays est souvent divisé et que le parti s'est donné les moyens depuis quelques années de représenter le pays tout entier, à l'instar des Libéraux de Laurier, sans se cantonner à la simple défense d'intérêts régionaux et sectoriels pratiquée par le Bloc québécois et le Parti conservateur.

Le défi pour le NPD, ce serait de survivre à ces divisions qui avaient entraîné l'éclatement de la coalition de Brian Mulroney, écartelée en définitive entre les nationalistes québécois de Lucien Bouchard et les purs et durs de l'Alberta rameutés par Preston Manning. Mais si le NPD était capable de gérer et de résoudre ces débats d'une manière transparente, il rappellerait à tous les Canadiens qu'il est également possible de faire de la politique en se concentrant sur ce qui nous rassemble, et non sur ce qui nous divise.

L'autre avantage du NPD au pouvoir, ce serait de nous permettre de dire adieu au style de gestion adopté par les Conservateurs de Harper.

Mais le suspense risque de durer jusqu'aux petites heures du matin, mardi...

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