2006-12-07

 

Le plaisir de la rétribution

Le récent congrès libéral a fait plaisir, quand même. Mais c'était beaucoup plus le plaisir de voir Ignatieff perdre que celui de voir Dion gagner.

Schadenfreude? Peut-être, mais il me semble qu'il est aussi permis d'éprouver un certain plaisir quand la déesse Nemesis descend sur terre et fait œuvre de justice.

L'Irak est une des catastrophes humaines de notre temps. Même si les statistiques restent floues, il y a de bonnes raisons de croire que la mortalité directe et indirecte attribuable à l'invasion se compare au minimum aux pertes humaines par le tsunami de décembre 2004. Autrement dit, la somme des morts violentes et des morts de maladies en sus des décès attendus à la fin du régime baathiste pourrait bel et bien dépasser les 200 000 personnes en trois ans et demi.

Mais contrairement au tsunami, l'invasion de l'Irak a été décidée par d'autres personnes. Il y a des coupables. Mais y a-t-il eu des responsables?

Bush et Blair ont été réélus. Aux États-Unis, certains des coupables les plus en vue ont été décorés, promus ou récompensés.

Ignatieff ne fait pas partie des coupables par commission, mais il a certainement fait partie du chœur des béni-oui-oui. Il a beau se défendre, il ne peut pas cacher qu'il s'est trompé sur plusieurs points, dont les armes de destruction massive et les capacités de l'administration Bush. Or, ce n'était pas exactement difficile de juger en 2002-2003 que le régime baathiste ne disposait certainement pas d'armes capables de menacer l'Europe ou l'Amérique du Nord. Tout au plus, pouvait-il avoir gardé sous le coude quelques stocks vieillissants et mal entretenus. Les données étaient publiques et un minimum de familiarité avec la gestion d'une infrastructure technologique permettait de conclure que la crainte citée par Bush de voir l'Irak faire exploser une bombe par surprise était hautement hypothétique.

Quant aux capacités de l'administration en matière de reconstruction et de libéralisation d'anciennes dictatures, elles étaient déjà évidentes. Sans parler des anciennes déclarations de Bush (« I would be very careful about using our troops as nation builders »), les États-Unis avaient déjà commencé à larguer l'Afghanistan en 2002. Il fallait donc une solide dose d'aveuglement pour croire que les États-Unis de Bush (et de Halliburton) auraient à cœur les intérêts futurs des Irakiens.

La naïveté d'Ignatieff s'étend jusqu'à ses écrits sur l'utilité de la torture. Il est contre la torture et toute forme d'interrogatoire musclé, mais il cède à l'illusion policière qui consiste à croire que seule la torture pourrait mettre au jour des secrets susceptibles d'éviter des désastres. Il existe certes des cas d'aveux obtenus par la torture qui ont eu des résultats concrets (démantèlement de réseaux, par exemple), mais l'efficacité de la torture se borne principalement à ces deux choses — la reconnaissance forcée de sa culpabilité (réelle ou non) et l'aveu des noms de complices (réels ou non). Dans l'histoire du renseignement, les détails opérationnels ont le plus souvent été obtenus par l'interception des communications d'autrui (on connaît le déchiffrement du code Enigma durant la Seconde Guerre mondiale, mais il y a d'autres cas). Il est beaucoup plus difficile de prouver que les arrestations des membres d'un réseau auront fait avorter des opérations qui n'auraient pas été contrecarrées autrement.

Bref, Ignatieff s'est trompé sur une des plus grandes questions de notre temps, et lourdement. Il n'est pas mauvais qu'il en paie le prix.

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Comments:
Ouf....!!!!

Quel billet.

Mais tu as raison.

J'ai eu un... hum, il n'y a pas de mot pour décrire à la fois *sursaut* + *dégoût* + *c'est pas étonnant* + *well, whatever...* quand j'ai vu, dans une entrevue, un extrait d'un film de la fin des années '90 qu'il a fait, pendant qu'il était prof, sur la société québécoise.

C'était d'un amateurisme... peut-être est-ce parce que je suis créateur moi-même, mais la narration de son film m'a semblé être fait avec un tel manque de maturité que j'en fus profondément choqué!
 
Je n'ai pas vu ça, mais la télévision a aussi montré un extrait de sa visite en ex-Yougoslavie. Je ne crois pas qu'on puisse nier qu'il éprouve une réelle sympathie pour les minorités nationales ou les nationalités minoritaires. Mais il est difficile d'oublier que c'est le petit-fils d'un ministre du dernier tsar, et que ce tsar a, dans un sens, déclenché la Première Guerre mondiale par sympathie pour une nationalité minoritaire...

On peut aussi se demander si Michael Ignatieff ne pourrait pas entretenir une certaine culpabilité familiale, puisque son arrière-grand-père a également été un ministre de la Russie tsariste. Pas pour longtemps, mais assez longtemps pour être associé à des pogroms contre les Juifs et aussi à des lois antisémites qui ont stimulé l'émigration juive. En quelque sorte, ces lois sont en partie responsables de la diaspora juive moderne, de la création d'Israël (Herzl mentionne l'effet de ces lois en Russie dans le second chapitre de son livre qui fonde le sionisme) et même de l'Holocauste, car il faut savoir que l'antisémitisme a été alimenté en partie par l'arrivée en Allemagne de nombreux Juifs d'origine russe.

Un sacré héritage à porter...
 
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