2009-11-27

 

La science ludique

La compagnie montréalaise CREO (du latin creare, créer) multiplie les réalisations depuis quelques temps dans le domaine du matériel pédagogique (souvent pour jeunes) destiné à la vulgarisation des sciences. Sa création maîtresse semble être le monde virtuel de Science en jeu, que je n'ai pas exploré mais qui semble fort alléchant. (Plusieurs annonces comme celle-ci laissent entrevoir ce qu'on peut trouver en entrant dans la danse.) Mais de nombreux autres jeux et simulations sont offerts par CREO, dont une création originale qui permet de relancer un village désastré, Sayansi, en misant sur le développement durable.

La compagnie s'est aussi associée à la revue Les Débrouillards pour concevoir et réaliser des jeux offerts sous la forme d'aventures scientifiques. Tout comme elle semble collaborer souvent avec le Centre des sciences de Montréal, pour lequel elle a réalisé le jeu 2K40 pour les amateurs de futur... D'autres produits sont à saveur historique, par contre, en collaboration avec le musée de Pointe-à-Callière, par exemple.

Plus au goût de jour, la compagnie a enrichi la trousse éducative « L'Affaire Climat », en fournissant entre autres une production animée disponible sur cette page du site. Mais la compagnie produit aussi de belles images et des sites internet. Bref, c'est une ressource à ne pas perdre de vue.

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2009-11-26

 

Défavorisation et diversité au Québec

On m'a signalé récemment un atlas inusité du Québec produit par l'Institut national de santé publique, l'Atlas de la Santé et des Services sociaux du Québec. Il permet d'observer les variations de la prospérité, du niveau d'éducation et des liens familiaux dans les régions desservies par les CLSC. Il s'agit d'un outil interactif qui matérialise l'approche décrite dans l'ouvrage Développement d'un système d'évaluation de la défavorisation des communautés locales et des clientèles de CLSC (.PDF), où la défavorisation matérielle est une fonction de trois indicateurs (la proportion de gens sans diplôme d'études secondaires, le revenu personnel moyen et le rapport emploi/population) et la défavorisation sociale de trois autres indicateurs (la proportion de gens séparés/divorcés/veufs, la proportion de familles monoparentales, la proportion de personnes vivant seules). Dans cet atlas, la population québécoise a été divisée en fractions caractérisées par un indice de défavorisation sociale qui varie horizontalement du plus fort au plus faible et par un indice de défavorisation matérielle qui varie verticalement du plus fort au plus faible. Chaque fraction de la population est signalée par une couleur que l'on retrouve dans la grille ci-contre, la couleur verte correspondant à une population locale appartenant (en moyenne) à la fraction de la population du Québec qui est à la fois la moins défavorisée socialement et la moins défavorisée matériellement. (Bref, il faut vivre au vert...) Inversement, les teintes mauves et violettes signalent une population locale appartenant à la fraction la plus défavorisée. Quant au jaune, il est dans la moyenne.

Cela étant posé, on peut passer aux travaux pratiques. Prenons, par exemple, la région de Zéroville : où on distingue plusieurs villages de cette partie de la Mauricie. Dans cette carte, les teintes bleues correspondent aux teintes violettes de la grille précédente, mais on voit qu'Hérouxville se situe à la limite d'un district dans la moyenne provinciale et d'un district dans la moyenne matérielle, mais à forte défavorisation sociale. Tandis que Saint-Séverin, pour prendre une localité voisine au hasard, se situe à la limite d'un district « vert », donc enviable, et d'un district dans la moyenne sociale mais marqué par une forte défavorisation matérielle.

En quoi Zéroville se distingue des parties du Québec où on retrouve le plus de diversité? L'atlas fournit la carte suivante pour le quartier de la Côte-des-Neiges à Montréal :où le chemin de la Côte-des-Neiges longe d'abord un quartier dans la moyenne provinciale (jaune) et un quartier dans la moyenne matérielle mais à forte défavorisation sociale (bleu) avant de côtoyer un district marqué par une forte défavorisation matérielle (orange). Sans surprise, on notera en vert clair et foncé les quartiers de Westmount, sur la droite...

Bref, rien ne ressemble plus au contexte au social de Zéroville que celui de la Côte-des-Neiges, ce refuge d'immigrants qui inspirent une telle crainte aux bons citoyens mauriciens. Pendant ce temps, si on cherche un quartier urbain diamétralement opposé à la diversité de la Côte-des-Neiges, on peut retenir les quartiers de Saint-Roch et Saint-Sauveur dans la basse ville de Québec, tel qu'on les retrouve sur cette carte :où on retrouve une forte défavorisation matérielle et moyenne défavorisation sociale (orange), quelques pâtés de maisons dans la moyenne (jaune) et de grandes poches de défavorisation extrême (violet). Or, la ville de Québec en général est de loin la région urbaine (de plus de 300 000 habitants) qui compte la plus petite proportion d'immigrants (4,5%) au Canada; même dans la catégorie des régions urbaines de plus de 150 000 habitants, elle ne devance que Saint-Jean à Terre-Neuve et Saguenay. À Québec, comme ailleurs dans la province, le chômage est plus élevé chez les immigrants (9,7% en 2006, contre 5% pour l'ensemble des habitants de la ville) , un écart qui fait du Québec une société distincte par rapport au reste du Canada où la différence est nettement moins marquée.

Quant aux quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur, ils accueillent de fortes proportions d'immigrés (respectivement 15,4% et 18,3%) selon cette étude (.PDF). Du coup, il y a sûrement matière à méditation dans le fait que la politique du ressentiment au Québec a trouvé sa source non pas dans les quartiers pauvres de l'une des villes les plus homogènes de l'Amérique du Nord, en présence d'une population immigrée encore plus pauvre, mais dans un patelin de campagne relativement à l'aise et loin de toute diversité...

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2009-11-25

 

Science et consilience

La diffusion des courriels privés de plusieurs climatologues alimentent depuis quelques jours les débats au sujet des recherches scientifiques qui sous-tendent la théorie du réchauffement climatique.

Pourtant, de nombreuses données sont d'ores et déjà mises à la disposition des curieux. Des blogues comme Real Climate ont discuté abondamment des nuances et subtilités de la climatologie. Et les processus internes à la recherche sont déjà bien connus des sociologues et des spécialistes, qui savent bien que s'il existe des garde-fous, c'est justement parce que les scientifiques eux-mêmes ne sont pas des êtres désincarnés et parfaitement désintéressés.

Bref, outre les erreurs d'interprétation relevées par les spécialistes, les autres révélations contenues dans ces courriels et fichiers (une maigre poignée sur l'ensemble) ne m'ont pas particulièrement perturbé. Qu'il reste des points d'ombre (nuages, aérosols, composante solaire du rayonnement cosmique) dans la théorie du réchauffement climatique n'est pas une nouvelle en ce qui me concerne. Il demeure une interrogation relativement à la présentation des données et des résultats, bref, du spin...

Mais en ce qui concerne la science elle-même, la force de la consilience ne m'incline pas à trop balancer. Il y a trop de preuves convergentes pour que discréditer une seule série de données ou de mesures suffise à ébranler l'ensemble de la théorie du réchauffement climatique.

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2009-11-24

 

La pensée, monopole de l'humain

L'inauguration de la nouvelle exposition « Copyright Humain » au Musée de la Civilisation de Québec avait lieu ce soir et je suis passé voir le résultat. Après tout, j'ai eu ma part à la conception de l'exposition, comme on peut le voir dans cette liste (.PDF) des personnes créditées (où on retrouve aussi le nom de François Escalmel, illustrateur de Solaris à l'occasion). La photo ci-contre (prise malgré les objurgations d'une gardienne de sécurité, pour qui cette liste devait rester confidentielle, je suppose) montre un coin du panneau correspondant sur les lieux mêmes de l'exposition. Il s'agissait d'un travail essentiellement exploratoire à l'origine, mais qui s'est transformé ensuite dans le cadre d'un approfondissement des sujets privilégiés par les coordonnateurs de l'exposition. D'ailleurs, les lecteurs de ce blogue ont bénéficié de mes recherches préalables sur le sujet de la pensée et de l'intelligence humaine... en 2006. Comme on peut le voir, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis cette période. Si on m'a contacté deux ou trois depuis 2007, il a fallu que je m'arme de patience en attendant l'ouverture de cette exposition qui est longtemps restée sans véritable désignation. Je n'ai aucune part dans le choix du nom, mais je trouve que « Copyright Humain » est inspiré. L'association de la pensée et de l'humanité est claire — et puis, le copyright a une date d'expiration...

La foule des grands soirs était au rendez-vous, même si elle n'a eu droit qu'à la sous-ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, non à la ministre Christine Saint-Pierre, et à des « élus municipaux » plutôt qu'au maire Régis Labeaume, cloué au lit par la grippe porcine. On a aussi confirmé à cette occasion le départ de Claire Simard, que l'on peut voir dans la photo ci-contre. Des commanditaires de l'exposition sont venus dire leur plaisir de l'appuyer et un magicien est passé pour... pour démontrer je-ne-sais-quoi exactement. La capacité de la pensée humaine à ne pas voir ce qu'il y a en face d'elle, apparemment. Ensuite, nous avons pu visiter l'exposition, qui offre un bon survol du développement des hominidés jusqu'à l'apparition d'Homo sapiens sapiens : crânes, squelettes partiels (dont celui de Lucy), empreintes de Laetoli, pierres taillées et même un épieu préhistorique. Certains des textes de cette section n'avaient pas été révisés avec toute la rigueur possible — un remplacement systématique à l'aveuglette a fait que des objets trouvés à Pierrefitte selon le texte français ont été trouvés à Stonefitte (!) selon le texte anglais. La traduction est décidément un art périlleux et l'informatique encore plus.

J'ai un parti pris, mais j'ai trouvé l'exposition plutôt réussie. Le volet final, consacré au post-humain après le pré-humain et l'humain, m'a semblé assez maigre, mais le reste est aussi instructif que stimulant. Alors, en attendant d'avoir l'avis d'autrui...

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2009-11-22

 

La fin du chaos

Voilà, un autre salon du livre de bouclé... L'édition 2009 du Salon du Livre de Montréal m'a un peu rappelé les salons des grands jours au début de ma carrière d'auteur, quand je signais chez plusieurs éditeurs différents et que je pouvais offrir une gamme de livres pour tous les publics friands de science-fiction et des genres apparentés. Cette fois, il manquait à l'appel la catégorie du roman, malgré la sortie cette année de Suprématie, puisque le rendez-vous avait été raté en fait de séances de dédicaces pour ce gros space-opéra de Laurent McAllister. Par contre, de nombreux romans pour jeunes et deux nouveaux recueils, dont Les Marées à venir au Vermillon, étaient disponibles sur place.

L'affluence au stand d'Alire (de plus en plus beau), qui était aussi le point de chute des lecteurs de Solaris, aura été particulièrement impressionnante — surtout que Jean-Jacques Pelletier et Patrick Senécal ont fait paraître des nouveautés attendues... Je n'ai pas non plus regretté mes passages au stand, qui ressortaient d'un horaire un peu chaotique. Le recueil de nouvelles de McAllister, Les Leçons de la cruauté, a trouvé sa part d'acheteurs. Des fans fidèles (bonjour, Alice!) sont passés et, comme d'habitude, il y a eu des rencontres intéressantes avec d'autres auteurs, parfois nouveaux parfois non. Quant au Salon lui-même, il m'a semblé également fidèle à lui-même. La foule était dense, en particulier en fin de semaine, avec son lot de jeunes lecteurs friands de marque-pages et ses visiteurs adultes pas toujours curieux des livres offerts.

Le prochain rendez-vous avec les lecteurs? Sans doute au Salon du Livre de l'Outaouais, fin février...

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2009-11-20

 

Survivre au chaos

2012 est un film difficile à prendre au sérieux, mais il faut avouer que, malgré une durée de plus de deux heures trente minutes, on ne voit pas le temps passer. Il serait trop long de comptabiliser les erreurs scientifiques et les incohérences qui commencent dès les premières minutes du film. D'ailleurs, certaines sont si criantes — la production de neutrinos par les éruptions solaires? — qu'elles semblent délibérées et paraissent confirmer ce que j'ai entendu prétendre, que les cinéastes hollywoodiens feraient carrément exprès d'en inclure, que ce soit pour s'assurer qu'un film sera condamné par la critique (la popularité d'un film étant en fonction inverse des éloges de la critique?) ou, version plus optimiste, qu'il ne sera pas réaliste au point d'effrayer... En tout cas, il est clair que Roland Emmerich, responsable du film, a disposé d'excellents conseillers scientifiques à plusieurs endroits (citant les écrits de Hapgood ou évoquant le supervolcan de Yellowstone).

Mais s'il ne s'agit pas d'un film d'anticipation le moindrement plausible, de quoi s'agit-il?

Au premier degré, qu'il ne faut pas négliger, c'est l'histoire non seulement de la fin du monde mais de familles qui essaient de survivre quand tout s'effondre (littéralement). Et même si ce n'était peut-être pas délibéré, le rapprochement avec la crise économique des derniers mois, particulièrement aux États-Unis, s'impose de lui-même.

Les catastrophes d'envergure planétaire sont un des thèmes récurrents de la science-fiction, depuis au moins Cousin de Grainville, et le scénario retenu pour 2012 n'est pas sans rappeler deux récits de Jules ou Michel Verne : Sans dessus dessous et « L'éternel Adam » (peut-être inspirés par les idées de Charles-Étienne Brasseur de Bourbourg sur des changements de position de l'axe de rotation de la Terre, publiées en 1872). D'ailleurs, on pourrait dire que la science du XIXe siècle est à l'honneur dans ce film puisque l'idée d'un lien possible entre les configurations planétaires et les éruptions solaires remontent aux travaux de Warren de la Rue et ses collègues sur les rapports entre la position des planètes et les taches solaires, vers 1865...

Toutefois, contrairement aux ouvrages verniens et à d'autres dans la même veine (comme Le Nouveau Déluge), le recommencement (ou non) de la civilisation n'est pas le sujet du film : 2012 se termine avant que les arches n'accostent (comme dans District 9, ces vaisseaux chargés de survivants et de réfugiés aboutiront en Afrique du Sud...).

Par contre, un autre sujet crève les yeux et inspire des interrogations sur les motivations d'Emmerich. C'est celui de l'inégalité. Si le personnage d'Anheuser prêche la loi d'airain des
« lifeboat ethics », d'autres personnages s'insurgent contre l'injustice qui permet de sauver uniquement une poignée de privilégiés, pour la plupart occidentaux, arabes ou chinois si j'ai bien suivi. Cette disproportion indigne, au point où on se demande si c'est intentionnel de la part d'Emmerich et s'il ne condamne pas implicitement tant l'ordre actuel du monde que l'idéologie du tout-aux-gagnants qui a sous-tendu les excès du néo-capitalisme récent.

Quant au film, il fait figure d'anthologie. Si Emmerich nous épargne une énième dévastation de New York, il offre de nombreuses scènes susceptibles de rappeler des souvenirs aux fans des films de catastrophe. Les effets spéciaux ne sont pas toujours convaincants, mais le résultat demeure un spectacle à grand déploiement comme on en voit peu.

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2009-11-19

 

Avant le chaos

Avant le déluge aurait été le titre médité à l'origine pour ce court recueil de nouvelles, ou du moins pour sa première version parue en 1945, plus légère de quatre nouvelles ajoutées dans la seconde édition en 1964. L'auteur natif du Québec, Alain Grandbois, avait hérité jeune d'une fortune considérable qui lui avait permis de voyager ensuite à sa guise autour du monde durant l'entre-deux-guerres. Le monde avait rétréci (ce dont témoignaient Albert Londres, Life et Tintin) et le narrateur de certaines nouvelles doit se défendre d'avoir la même conception du voyage que les clients d'American Express ou de l'agence Thomas Cook... Ce snobisme plus ou moins assumé précipitera d'ailleurs Grandbois dans des voyages un brin périlleux, mais qui le marqueront durablement et les nouvelles d'Avant le chaos témoignent de ses expériences d'un monde qu'un Québécois pouvait arpenter.

Une courte préface de l'auteur est bien tournée, mais peu convaincante. Elle trahit la conviction de Grandbois d'avoir connu une époque privilégiée, avant le déluge qui devait emporter tant d'institutions séculaires et de valeurs autrefois acquises. Un âge d'or défunt : « Ce monde d'hier est fini. » Comme préfacier, il succombe à une double illusion. L'époque des voyages n'était aucunement révolue, même si les décennies suivantes allaient voir les barrières, les rideaux de fer, les murs et les barbelés se multiplier. Mais si les formalités allaient rendre les périples plus compliqués, les progrès technologiques allaient les faciliter. L'ère du jet set ferait définitivement oublier les ors passés du temps des palaces, des sleepings, des paquebots transatlantiques et des clubs coloniaux. Même au Québec, un certain Pierre Elliott Trudeau s'apprêtait en 1945 à se lancer dans sa propre course autour du monde, qui serait plus courte, mais pas nécessairement moins riche.

La sortie en 1944 du recueil de poésie de Grandbois, Les Îles de la nuit, avait révélé une création libre et ardue, qui tranchait sur l'essentiel de la production contemporaine au Québec, à quelques exceptions près. La lecture de son recueil confirme qu'une nouvelle époque s'annonçait : plus cosmopolite, plus subtile, curieuse de transcendance sans être enchaînée par les dogmes religieux.

Trois des nouvelles ajoutées en 1964 dataient des années quarante et elles auraient pu être intégrées au recueil de 1945. La quatrième nouvelle, « Julius », publiée en 1959, s'est sans doute greffée aux autres textes parce qu'elle avait pour cadre la Côte d'Azur que l'on retrouvait dans plusieurs de ces réminiscences de l'entre-deux-guerres plus ou moins romancées par l'écrivain.

Si la mémoire de Grandbois embellit ces années grevées par la crise économique, la montée des totalitarismes, les derniers grands crimes de l'impérialisme et les expérimentations militaires, ce n'est pas seulement parce que Grandbois a vécu dans une bulle luxueuse. Même aujourd'hui, il reste malaisé de voir l'entre-deux-guerres autrement. L'époque contenait en germe la guerre, le feu atomique, la décolonisation et la division du monde en camps surarmés, mais elle s'accordait encore un droit à la candeur, voire à l'espérance. Un citoyen occidental jouissait encore d'une liberté de mouvement presque sans limite, des portes de la Somalie aux contreforts du Tibet. Et si les certitudes d'alors semblent naïves, c'est que nous savons dans quelle machine broyeuse toute une civilisation était sur le point de s'engouffrer. L'époque y gagne a posteriori un charme fragile et poignant.

D'ailleurs, si Grandbois s'attendrit sur sa jeunesse, il n'est pas entièrement dupe. Ses propres nouvelles rappellent les cruautés de cette époque. La violence et le chaos des révolutions. Le triste sort des réfugiés, des apatrides déracinés et des exilés déchus. Les maladies incurables, que l'on parle de la tuberculose ou de la dépendance à telle ou telle drogue. Les attentats meurtriers pour telle ou telle cause politique. Et la tentative désespérée de la jeune Chinoise Fleur-de-Mai pour échapper à son destin est trop grave pour alimenter un romantisme facile ou souligner le pittoresque du voyage.

Bref, c'est non seulement le livre à découvrir d'un véritable écrivain, mais d'un véritable humain.

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2009-11-18

 

Gaspiller sa retraite

Une idée : et si on réservait les bénéfices de la société de consommation (emballages et suremballages, usage et abus de l'automobile, vie en banlieue, etc.) aux retraités et aux personnes vieillissantes, qui en ont plus besoin que les autres?

Souvent, quand il est question de favoriser les transports en commun, le recyclage, le compostage et la vie dans les grands centres urbains, les politiques publiques n'établissent pas de vraie distinction entre les jeunes et les vieux. Pourtant, s'il est clair que les personnes vieillissantes sont plus en mesure d'emprunter les transports en commun dans la journée, les exigences d'un mode de vie plus éco-énergétiques sont souvent plus onéreuses pour la frange la plus âgée de la population. Coltiner des colis dans l'autobus, se déplacer à bicyclette, marcher par trente sous zéro, ce sont des solutions pour les plus jeunes, pas nécessairement pour les retraités.

D'ailleurs, du point de vue de la santé publique, ce sont les jeunes (célibataires, parents et enfants) qui retireraient le plus de bénéfices d'un mode de vie plus sain : exercice, aliments frais, apprentissage de l'autonomie dans un cadre urbain... Ainsi, décourager (par des mesures fiscales, disons) l'utilisation d'automobiles par les moins de quarante ans, ce serait tout à la fois salutaire pour eux et salvateur pour l'environnement. Et laisser les plus de soixante ans disposer de voitures pour faire des courses, leur permettre de vivre dans des bungalows avec un minimum d'escaliers extérieurs ou tortueux, leur accorder une retraite dans la quiétude banlieusarde, ce serait peut-être une manière de faire passer la pilule d'une transition vers une société moins énergivore.

Reste à savoir quel serait le statut de la population de 40 à 60 ans...

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2009-11-17

 

L'oiseau qui ne se posait plus

Être de passages, tu chasses ton butin
de cage en cage, comme si la liberté
n'était que l'élan fugace entre deux pâtées,
mais sans pouvoir voler ainsi jusqu'à demain

Ton nid d'hier était un campement d'emprunt;
il sert aujourd'hui à un autre dératé
qui a placé sa foi dans la vélocité :
sais-tu donc, toi, pourquoi tu cours à fond de train?

Assez de repas en barres! Assez de nuits
que tu découpes et meurtris et sacrifies!

Tes griffes sont usées, tes ailes sont lasses,
replie-les sans honte sur ta part de ciel,
clair et bleu comme un amour que rien ne casse,
et laisse autrui être de la terre le sel

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2009-11-16

 

Les chants que l'on n'entendra plus

Pour comprendre la science-fiction du siècle dernier, il faut comprendre le XIXe siècle. Et pour comprendre le XIXe s. du point de vue de la science-fiction d'hier comme aujourd'hui, il ne suffit pas de connaître les succès techniques et intuitions scientifiques du XIXe s. Il est également vital de comprendre toutes les dimensions de l'impérialisme européen que la science-fiction, encore aujourd'hui, a tendance à reproduire en toile de fond du space-opéra, par exemple.

Le défi peut sembler immense. Des tomes entiers ont été consacrés à l'exploration du monde, à sa colonisation et à ce qu'on appelle aujourd'hui la première mondialisation. Toutefois, il est possible d'appréhender en miniature la vision européenne de cette aventure en s'attachant au genre narratif de la robinsonnade.

Le choix d'îles lointaines comme cadre de sociétés imaginaires ou de personnages intéressants remonte au moins à l'Odyssée d'Homère, mais les îles sont devenues peu à peu le site de rencontres qui donnaient naissance à des sociétés nouvelles. Daniel Defoe avait fondé le genre en 1719, mais les grandes robinsonnades du XIXe s. mettent en scène des groupes qui font la démonstration de la capacité de l'ingéniosité européenne à dompter la nature d'une île sauvage, à commencer par Le Robinson suisse (1812) de Johann David Wyss.

Les îles en question sont souvent particulièrement accueillantes et la robinsonnade du XIXe s. suggère qu'une nature bienveillante se prêtera volontiers à la domestication voulue par les nouveaux venus. Sur ce point, les robinsonnades sont moins fantaisistes qu'on pourrait le croire et elles reflètent effectivement les relations des premiers explorateurs européens, et même leurs récits postérieurs.

Certes, il est devenu pénible de lire les rapports de voyage du XIXe s., quand les plus grands explorateurs ont jugé comme une percée que de s'affranchir du déplacement de quantités importantes de provisions en apprenant à survivre en harmonie avec l'environnement qu'ils traversaient et à vivre sur le pays — en chassant et abattant tout ce qui pouvait l'être. Comme nous savons aujourd'hui que la chasse a contribué à la disparition de plusieurs espèces insulaires (dont l'oiseau dodo de l'île Maurice), les exploits cynégétiques des explorateurs et naufragés ne nous enthousiasment plus autant.

Le capitaine Nemo s'avère d'ailleurs un devancier en matière écologique dans L'Île mystérieuse (1874) quand il intervient (même s'il ne s'en vante pas plus tard) pour priver les naufragés d'une tortue marine qu'ils ont capturée et dont ils veulent faire du potage. Or, la surexploitation de tortues terrestres sur les îles de l'océan Indien a entraîné leur disparition dans la plupart des cas, à quelques exceptions près. Verne a-t-il fait le lien? On peut se le demander.

Ailleurs, les voyageurs européens loin de chez eux, fictifs ou non, ne sont pas empêchés de réaliser des massacres de bêtes sauvages, l'arme à la main, et ils s'en vantent. André Maurois s'en moque un peu dans Les Silences du colonel Bramble (1918), qui raconte une histoire de chasse que Hergé adapte dans Tintin au Congo (1931), où le jeune reporter abat une série de gazelles en croyant n'en avoir abattu qu'une seule.

Nous sommes plus conscients aujourd'hui de l'abondance limitée des animaux de toute espèce et des effets d'une prédation illimitée. Surtout que l'ampleur de l'entreprise laisse souvent entrevoir des buts autres que la simple subsistance. Des espèces décimées ou carrément effacées de la carte en Amérique du Nord, comme le bison des plaines ou la tourte voyageuse, n'ont pas disparu pour simplement sauver de la faim une population nouvellement arrivée. Tout indique que le gaspillage a été prodigieux, que l'aménagement (l'humanisation) de l'environnement primait parfois et que la mort a souvent été commercialisée, d'une manière de loin supérieure aux prélèvements indigènes.

Or, la science-fiction a souvent récupéré les pré-supposés de cette exploitation du monde naturel, dont celui que le monde naturel est fait pour être habité par des humains. Dans la mesure où de nombreux récits de colonisation du cosmos s'inspirent encore de la robinsonnade du XIXe siècle, il importe de bien comprendre les racines de ce sous-genre.

Par exemple, dans L'Île mystérieuse, Jules Verne multiplie les notes au sujet de l'innocence quasi édénique des animaux de son île déserte. C'est à la fois une façon de souligner l'isolement de l'île et son éloignement des lieux civilisés, mais c'est aussi une façon de stimuler une certaine nostalgie du paradis perdu, un lieu où les animaux étaient en quelque sorte apprivoisés, l'agneau couchant avec le loup — et les uns et les autres ne fuyant pas les humains...

Les personnages de Verne ont à peine débarqué qu'ils se mettent en chasse. Bientôt, ils croisent des couroucous et le jeune Harbert hasarde qu'« il est facile de les approcher et de les tuer à coups de bâton. » De fait, c'est ce qui se passe : « Les chasseurs se redressèrent alors, et, avec leurs bâtons manœuvrés comme une faux, ils rasèrent des files entières de ces couroucous, qui ne songeaient point à s'envoler et se laissèrent stupidement abatttre» (t. 1, 1e ptie, ch. VI) Le gibier terrestre semble trahir la même ignorance de l'homme : « Cependant, le cabiai ne se débattait pas contre le chien. Il roulait bêtement ses gros yeux profondément engagés dans une épaisse couche de graisse. Peut-être voyait-il des hommes pour la première fois. » (t. 1, 1e ptie, ch. IX)

Ceci peut sembler fantaisiste, mais ce n'est pas le cas. Nul autre que Darwin l'avait relevé aux îles Galápagos, écrivant au sujet des oiseaux présents dans cet archipel : « There is not one which will not approach sufficiently near to be killed with a switch, and sometimes, as I have myself tried, with a cap or hat. » Et il cite un prédécesseur, un certain Cowley qui avait visité les îles en 1684 : « Turtle doves were so tame that they would often alight upon our hats and arms, so as that we could take them alive : they not fearing man, until such time as some of our company did fire at them, whereby they were rendered more shy. » De fait, les espèces isolées sur des îles dépourvues de prédateur perdent souvent toute méfiance instinctive à l'endroit des créatures inconnues — sans doute que l'évolution considère énergétiquement avantageux de se débarrasser du réflexe de fuir s'il est devenu inutile.

La chasse n'en est donc que plus aisée pour les naufragés et Jules Verne souligne souvent la facilité de l'entreprise. Plus loin, des « faisans de montagne » sont abattus à « coups de bâton, adroitement portés ». (t. 1, 1e ptie, ch. XII) Évidemment, toutes ces indications contribuent également à épaissir le mystère de l'île, qui semble habitée mais dont la faune ne semble rien savoir de l'homme. On le voit encore dans un autre passage : « Canards sauvages, pilets, sarcelles, bécassines y vivaient par bandes, et ces volatiles peu craintifs se laissaient facilement approcher. » (t. 1, 1e ptie, ch. XXI)

Les singes aussi sont témoins de l'intrusion humaine sur cette île vierge : « deux ou trois de ces animaux s'arrêtèrent à quelque distance du canot et regardèrent les colons sans manifester aucune terreur, comme si, voyant des hommes pour la première fois, ils n'avaient pas encore appris à les redouter. » (t. 1, 2e ptie, ch. III)

Enfin, touchant peut-être sans y toucher à l'évolutionnisme, Verne inclut de nouveau les singes de l'île dans ce recensement : « on revit des bandes de singes qui semblaient marquer le plus vif étonnement à la vue de ces hommes, dont l'aspect était nouveau pour eux. Gédéon Spilett demandait plaisamment si ces agiles et robustes quadrumanes ne les considéraient pas, ses compagnons et lui, comme des frères dégénérés! » (t. 1, 2e ptie , ch. IV)

Jules Verne semble avoir été acquis à cette conception de la timidité des animaux comme résultat de la présence humaine — et l'équation humains=chasseurs est implicite. Même si l'absence de peur des animaux conforte son propos, elle n'est pas inventée. De nombreux récits de voyage signés par des explorateurs européens attestent que la faune de certaines îles n'était décidément pas très farouche.

Dans Deux ans de vacances (1888), Verne décrit la faune d'une île qui a déjà été habitée : « les oiseaux s'enfuyaient craintivement, comme s'ils eussent appris déjà à se défier des êtres humains. Ainsi il était probable que cette côte, si elle n'était pas habitée, recevait accidentellement la visite des indigènes d'un territoire voisin. » (ch. IV) Il appuie sur ce principe, au risque de paraître se contredire en l'espace de quelques pages : « Là aussi deux ou trois couples de phoques à fourrure s'ébattaient à l'accore des brisants, ne manifestant aucun effroi d'ailleurs, et sans chercher à s'enfuir sous les eaux. On pouvait en inférer que si ces amphibies ne se défiaient pas de l'homme, c'est qu'ils ne croyaient pas en avoir rien à craindre, et que, depuis bien des années, à tout le moins, aucun pêcheur n'était venu leur donner la chasse. » (ch. V) Verne n'hésite d'ailleurs pas à se répéter dans un passage ultérieur, selon une intention sans doute pédagogique : de nouveau, ce sont des phoques qui « devaient être peu familiarisés avec la présence de l'homme. Peut-être, après tout, n'avaient-ils jamais vu d'être humain, puisque la mort du naufragé français remontait à plus de vingt ans déjà. C'est pourquoi, bien que ce soit une mesure de prudence habituelle à ceux que l'on pourchasse dans les parages arctiques ou antarctiques, les plus vieux de la bande ne s'étaient point mis en sentinelle afin de veiller au danger. » (ch. XVI)

En fait, ce principe chéri de Verne n'était qu'une demi-vérité. Le plus souvent, les espèces insulaires qui avaient désappris la peur du prédateur le devaient non pas à l'absence plus ou moins récente des humains, mais à l'absence de tout prédateur potentiel sur une période assez longue pour que l'instinct de fuite se soit étiolé. Or, dans les romans de Verne, les îles en question abritent aussi des prédateurs, y compris des jaguars et des sortes de renards. En fait, la faune de ses îles si accueillantes aurait été relativement prudente. Verne s'est donc trompé...

C'est ce que j'ai compris en lisant The Song of the Dodo: Island Biogeography in an Age of Extinction (1996) de David Quammen, un livre dont la lecture m'avait été suggérée à Victoria en juin dernier. Quammen combine le récit de voyage contemporain, l'histoire des sciences (il s'intéresse à Alfred Wallace, qui avait découvert indépendamment de Darwin le principe de la sélection naturelle) et la vulgarisation scientifique (en particulier dans le domaine de l'écologie). Il souligne l'importance de comprendre la vie et la mort des espèces insulaires pour comprendre la biodiversité et ce qui guette sans doute la biosphère mondiale, qui est de plus en plus fragmentée. L'absence fréquente de grands prédateurs sur les îles est due soit à leur isolement physique (les jaguars ne volent ni ne nagent très loin!) soit à leur petite taille, car les prédateurs qui occupent le faîte de la chaîne alimentaire ont besoin d'un nombre de proies suffisant pour qu'une petite population de prédateurs soit viable à long terme.

Les humains se sont substitués à ces prédateurs absents dans de nombreux cas, ou ils en ont apporté dans leurs bagages (singes, chats, rats, microbes). Ce qui a eu pour résultat de provoquer de telles réductions des faunes îliennes que l'extinction pure et simple s'est ensuivi dans de nombreux cas, même quand ce n'est pas un chasseur qui a abattu le dernier membre de l'espèce. De nombreux animaux ont disparu, dont le cri ou le chant ne seront plus jamais entendus.

La question, c'est de savoir si la fragmentation des habitats naturels ne risque pas de faire de toutes les espèces animales du monde des espèces insulaires... Et l'auteur de science-fiction se dit aussi qu'à l'échelle du cosmos, la Terre est une île.

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2009-11-15

 

Mon horaire au Salon du Livre de Montréal

Voici l'horaire de mes présences au Salon du Livre de Montréal (Place Bonaventure) et autres interventions publiques associées.

Mercredi, 18 novembre

11h30-13h, Prologue (Médiaspaul), pour les ouvrages de Jean-Louis Trudel

14h-15h, RÉCF (Vermillon/David), pour les recueils de Jean-Louis Trudel et l'ouvrage Jean-Louis Trudel de Sophie Beaulé

Jeudi, 19 novembre

11h30-13h, Prologue (Médiaspaul), pour les ouvrages de Laurent McAllister

14h-15h, RÉCF (Vermillon/David), pour les recueils de Jean-Louis Trudel et l'ouvrage Jean-Louis Trudel de Sophie Beaulé

Vendredi, 20 novembre

15h45-16h15, Agora, « Vingt-cinq ans de science-fiction au Canada : Jean-Louis Trudel présente son nouveau recueil de science-fiction, Les marées à venir (Vermillon, 2009) et fait le point sur une carrière de vingt-cinq années comme auteur de science-fiction, mais aussi comme observateur et historien du genre au Canada francophone. Il livre ses impressions sur l'évolution du genre et il explique sa démarche créatrice, en particulier en ce qui a trait aux nouvelles du recueil, en prise sur l'actualité scientifique et technique. »

17h-18h, RÉCF (Vermillon/David), pour les recueils de Jean-Louis Trudel et l'ouvrage Jean-Louis Trudel de Sophie Beaulé

Samedi, 21 novembre

12h-12h30, RÉCF (Vermillon), simple présence à l'événement « Rendez-Vous Midi »

14h-15h, Alire, avec Yves Meynard, pour le recueil Les Leçons de la cruauté de Laurent McAllister

16h-16h30, Alire, pour la revue Solaris

17h-18h, RÉCF (Vermillon/David), pour les recueils de Jean-Louis Trudel et l'ouvrage Jean-Louis Trudel de Sophie Beaulé

(hors Salon du Livre, au Saint-Bock, 1749 rue Saint-Denis)

18h-20h, Brasserie Le Saint-Bock, simple présence au lancement du numéro 25 de la revue Brins d'éternité

Dimanche, 22 novembre

10h-11h, Alire, avec Yves Meynard, pour le recueil Les Leçons de la cruauté de Laurent McAllister

11h-12h30, Prologue (Médiaspaul), avec Yves Meynard, pour les ouvrages de Laurent McAllister

(hors Salon du Livre, à l'Hôtel Days, 1005 rue Guy)

13h-15h, Salon Saint-François, avec Claude Lalumière, Leslie Lupien et Mark Shainblum,
« The Write Stuff: Discussion of trends in SF/F writing; what’s hot, what’s not, both in professional circles and in online fanfic? We'll highlight the most original new fiction along with the most hackneyed clichés and overused plot devices. » [Réunion de l'AMonSFF]

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2009-11-14

 

L'astronomie en panne sèche?

Sur son blogue, l'astronome et historien de l'astronomie John B. Hearnshaw se demande si l'astronomie est en panne sèche : malgré une masse croissante de publications, le nombre de découvertes qu'il juge fondamentales serait nettement plus réduit depuis quelques décennies qu'au début du vingtième siècle. L'astronome allemand Daniel Fischer a réagi en suggérant d'autres listes de découvertes astronomiques marquantes, mais il n'a pas proposé d'explication définitive à cette baisse de régime. Hearnshaw lui-même lance l'idée que l'astronomie aurait découvert presque tout ce qu'il y a à découvrir, de sorte que nous nous retrouverions dans la situation des Européens à la fin du XIXe siècle, quand la mappemonde était presque complète même s'il restait encore des régions inexplorées et une connaissance du monde à parfaire. Ce qui serait un peu triste, puisque cela voudrait dire que l'époque héroïque des grandes découvertes serait terminée... (Navire d'une expédition de secours à la recherche de Sir John Franklin et de ses hommes, pris au piège de la glace en 1850-1851 dans le détroit de Barrow — Aquarelle de George Frederick McDougall, c. 1825-1871, Bibliothèque et Archives Canada, numéro d'accession R11235-1)

D'autres idées ont été proposées. Sommes-nous si sûrs de pouvoir identifier dès aujourd'hui les découvertes majeures de ces dernières années? Il est peut-être un peu tôt pour se prononcer sur leur valeur... Certaines percées de la première moitié du XXe s. en astronomie étaient tributaires de l'essor de la nouvelle physique à la même époque : en l'absence de révolutions correspondantes dans la physique de la seconde moitié du siècle, les astronomes auraient-ils été empêchés de faire progresser leur compréhension des objets et phénomènes astronomiques? Il est également possible que nos instruments ne soient pas à la hauteur des objets et phénomènes qu'il reste à découvrir mais qui seraient trop peu lumineux pour être observés, malgré l'amélioration des capteurs et des télescopes.

En tout cas, je note en tant qu'historien que d'autres périodes ont été relativement pauvres en découvertes (au début du XVIIIe s., p. ex.) et que ce n'était pas faute de découvertes à venir! Par conséquent, il reste de l'espoir.

Par contre, ce passage à vide de l'astronomie pourrait entraîner un désintérêt du public pour le sujet qui ne serait pas sans conséquences. La méconnaissance de l'astronomie alimenterait le scepticisme du public face à la visite de la Lune par les astronautes d'Apollo XI qui ne serait qu'un vaste complot (!) ainsi que la peur de cataclysmes cosmiques divers, comme la destruction de la Terre en 2012 par la planète Nibiru, selon un délire dénoncé (.PDF) par David Morrison. C'est bien pourquoi on essaie actuellement de réagir en branchant de nouveau le public sur les espaces extérieurs, que ce soit en envoyant un SMS aux extraterrestres de Gliese 581 d ou en suggérant de faire appel aux profanes pour donner des noms aux exoplanètes...

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2009-11-13

 

Pic pétrolier et plateau énergétique?

Dans un numéro spécial des Philosophical Transactions of the Royal Society paru le 27 octobre dernier, Richard Nehring signe un article sur les perspectives énergétiques d'ici à 2050. À ses yeux, il n'y a pas moyen d'échapper à une baisse. Même si le pic pétrolier tant redouté n'est pas pour tout de suite, il est difficile de prévoir autre chose qu'une baisse de la production de combustibles fossiles par personne d'ici 2050 et Nehring conclut : « Total fossil fuel production will continue to grow, but only slowly for the next 15–30 years. The subsequent peak plateau will last for 10–15 years. These production peaks are robust; none of the fossil fuels, even with highly optimistic resource estimates, is projected to keep growing beyond 2050. World fossil fuel production per capita will thus begin an irreversible decline between 2020 and 2030. »

Ceci induirait un maximum correspondant dans les émissions de certains gaz à effet de serre, comme quoi ce n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle... Néanmoins, je retiens aussi que les données les plus récentes (fournies par le second tableau de l'article) témoigneraient d'une remontée récente de la production par personne d'énergie primaire provenant de combustibles fossiles (n'oublions pas que ceci inclut autant le charbon que le gaz naturel) ou de toutes les sources. Au point où le niveau enregistré en 2005 pour la production (et la consommation) de combustibles fossiles aurait dépassé le niveau enregistré à la fin des années 1970. C'est ce qu'on voit dans la figure ci-dessus qui compare la production d'énergie par personne de 1950 à 2005 (mesurée en millions de BTU), selon qu'on tient compte de l'énergie tirée des combustibles fossiles ou de l'énergie tirée de toutes les sources disponibles. Le total pour 2005 dépasse pour la première fois le total pour 1980 (par personne, je le souligne encore), ce qui est à la fois un signe et une confirmation de l'enrichissement d'une partie de la population planétaire entre 2000 et 2005. En même temps, ce diagramme montre clairement que les autres sources d'énergie ont pris de plus en plus d'importance depuis 1970, même si l'essentiel du saut était en bonne voie dès 1980 comme on le voit dans cette seconde figure qui illustre la quantité d'énergie par personne provenant de sources autres que les combustibles fossiles.Néanmoins, une augmentation lente et continue s'observe par la suite, même si on enregistre un recul entre 2000 et 2005 de la part de l'ensemble de la production énergétique représentée par les autres énergies. Il faudra pourtant que les deux tendances repartent à la hausse puisque la production de combustibles fossiles est condamnée à plafonner, selon Nehring. (En cela, il contredit l'optimisme de Leonardo Maugeri qui signait un article dans le Scientific American d'octobre dernier prédisant une augmentation de 40% de la capacité de récupération du pétrole souterrain.) Et un plateau de la production des combustibles fossiles correspondrait à un déclin de la production par personne, tant que la population du monde continuera à augmenter...

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2009-11-12

 

La parole aux chimpanzés?

Hier, un article paru dans le New York Times relatait deux expériences tentées avec le gène FOXP2, qui serait étroitement associé au don de la parole chez les humains. (La version humaine serait identique à 99,7% à celle que l'on retrouve chez les chimpanzés, et pourtant cette infime différence suffit à permettre aux humains de parler.) La première expérience avait consisté en la création d'une souris transgénique dotée de la version humaine du gène : la souris en cause produisait des couinements un peu différents et les structures de son cerveau étaient également altérées. La seconde expérience avait consisté en la création de neurones transgéniques, d'origine humaine à l'exception du gène FOXP2 qui, lui, avait été pris au génome des chimpanzés. Le gène simien aurait démontré une grande influence sur l'activité de plusieurs autres gènes, plus grande même que ce qui est observé avec le gène humain. Les conclusions restent embryonnaires, mais il est clair que les conséquences de l'altération d'un gène aussi actif ont plus de chances d'être majeures que si le gène était moins influent.

En attendant d'en savoir plus, on ne peut que se demander ce que donnerait la naissance d'un chimpanzé transgénique doté de la version humaine du gène FOXP2...

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2009-11-10

 

La tolérance de la mort

Est-ce un mal de ne plus tolérer la mort? Dans une tribune signée pour le Citizen d'Ottawa, Andrew Cohen croit pouvoir diagnostiquer une plus grande propension autrefois à sacrifier sa vie pour une cause digne de ce nom que ce qui est toléré désormais. Il se base sur les grandes guerres du vingtième siècle et les hécatombes qu'elles ont entraîné. Il lance :

« War meant slaughter, and who really cared? In the First World War, more than a million died in the Battle of the Somme in France. They dropped by the thousands. Undaunted, the generals kept ordering them into battle. »

Il commet de si nombreuses erreurs historiques dans ce passage que je n'ai pas le temps de toutes les analyser ici. Il convient néanmoins de noter, d'abord, que tout le monde s'entend pour dire que personne, au début de la Grande Guerre, ne s'attendait à l'échelle des massacres à venir. Par conséquent, les mobilisations générales et les départs au front se sont déroulés dans la perspective d'une guerre courte, peut-être meurtrière, mais sans excès et décisive à coup sûr. On ne peut confondre ces départs en masse avec des marches conscientes à l'abattoir. Plus tard, une fois l'impasse militaire constatée, il a fallu recourir à des mesures extraordinaires pour (i) continuer le recrutement (dont la conscription de force), (ii) retenir les conscrits au front (voir Un long dimanche de fiançailles pour se faire rappeler les tentatives de désertion, ou Paths of Glory (Les Sentiers de la gloire) par Kubrick pour les mutineries de soldats français, encore que de telles mutineries eurent lieu sur d'autres fronts, entraînant même la chute de la Russie tsariste), et (iii) motiver tant les soldats que les civils au moyen d'une propagande outrée invoquant les prétextes les plus grandioses (la civilisation contre la barbarie). Dans une certaine mesure, sur les champs de bataille, ce serait même l'horreur de la mort qui alimenta la mort : si les généraux consentirent à sacrifier autant d'hommes, c'était d'abord dans l'espoir d'obtenir la victoire qui mettrait fin à la guerre et au massacre.(Propagande italienne illustrant la « paix teutonique » en cas de victoire allemande...)

















Et si, après la guerre, les monuments aux morts sont apparus dans les villes et villages de la plupart des pays qui avaient participé à la guerre, si la politique a été influencée pendant vingt ans par les conséquences de la Grande Guerre (revanchisme allemand, pacifisme britannique, construction de la Ligne Maginot par la France, etc.), c'est bien parce que la mort des victimes de la Grande Guerre n'était pas comptée pour rien. Contrairement à ce que dit Cohen, il est faux de croire que « [t]wo generations ago, life was much, much cheaper. »

Si les Nord-Américains d'aujourd'hui peuvent le croire, c'est bien parce que leurs pertes pendant la Grande Guerre furent infiniment moins lourdes que celles des pays en première ligne. En utilisant les chiffres disponibles sur Wikipedia, on peut illustrer ainsi le classement des pertes selon la part de la population de chaque pays touché...On voit clairement que le Canada est loin d'avoir payé le prix fort. Et pourtant, les pertes encourues ont suffi à déchirer le pays comme il ne l'avait pas été depuis trente ans. L'indépendantisme québécois est né en partie de la crise de la conscription précipitée par les pertes de l'armée canadienne.

Chaque exemple cité par Cohen souffre des mêmes tares. Tandis qu'il se laisse hypnotiser par les chiffres, il oublie de tenir compte des conséquences. Plus les pertes étaient lourdes, plus il a fallu payer le prix après. Et parfois très longtemps... Les pertes humaines de la Guerre de Sécession étaient encore visibles il y a un an, sur la carte électorale des États-Unis le soir de l'élection d'Obama. Si la mort était si facile et si bien tolérée, les défunts auraient été oubliés et le passé aussi. C'est en raison même de l'importance de ces morts, hier comme aujourd'hui, que la politique est à la merci de la réalité militaire. Quand le chiffre des pertes est léger, un pays peut se permettre de participer à une opération de guerre sans que cela devienne un enjeu. Quand il est plus lourd, cela n'est plus possible.

Avant la Première Guerre mondiale aussi, il y a eu des soi-disant patriotes qui encensaient le courage des soldats prêts à mourir (Dulce et decorum est pro patria mori). Ces chantres d'une gloriole militaire éphémère ont été écoutés tant que la grande majorité de leurs concitoyens n'avait pas eu l'occasion de goûter eux-mêmes la « douceur » de la mort patriotique d'un proche. Il est quelque peu inquiétant qu'à la veille du 11 novembre, alors que le Canada est engagé dans une guerre impériale qui rappelle sa participation à la guerre des Boers, il s'en trouve encore pour déplorer qu'on accorde trop de prix à la vie humaine...

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2009-11-09

 

Futurs transports montréalais

La sortie du Programme triennal d'immobilisations de l'Agence métropolitaine de transport de la région de Montréal permet d'envisager une refonte rationnelle des réseaux de transports sur l'île de Montréal. Actuellement, par exemple, le train de banlieue qui part de Saint-Jérôme doit faire un grand détour par l'ouest avant d'arriver au centre-ville de Montréal (comme on le voit sur cette carte). Or, il croise la ligne qui part de la station Deux-Montagnes et s'enfonce sous le mont Royal pour arriver directement au centre-ville. Un des projets à l'étude, c'est donc de permettre aux rames de la ligne de Saint-Jérôme d'emprunter la ligne qui passe sous la montagne.

Comme il est également question de faire passer par le tunnel la future ligne en provenance de Mascouche et Terrebonne, on aurait donc à terme trois lignes de trains de banlieue qui emprunteraient ce tunnel vieux de près de 90 ans. Pour les amateurs de rétro-futurisme, notons que ce serait l'occasion de profiter d'un autre choix technique visionnaire.

Cela fait longtemps que j'avais remarqué sur la carte du réseau du métro de Montréal que le tunnel du CN passe sous la station Édouard-Montpetit. De fait, ce n'est pas un hasard. Au début des années soixante-dix, les concepteurs du métro avaient envisagé la création d'une troisième ligne de métro qui serait partie du centre-ville, aurait emprunté le tunnel et aurait desservi le nord de l'île. L'implantation de la station Édouard-Montpetit (d'abord appelée Vincent-d'Indy) a été planifiée pour assurer une interconnexion potentielle entre la ligne bleue et cette ligne hypothétique. On avait prévu des ascenseurs à haute vitesse pour relier la station de métro à une station 50 mètres plus bas, mais le coût a entraîné le report du projet aux calendes grecques.

Maintenant que le tunnel hébergera non pas un métro mais trois trains de banlieue, il semble qu'on se préparerait à rouvrir les cartons pour faire de la station Édouard-Montpetit la sixième station intermodale du réseau du métro.

Sûrement que les étudiants et profs de l'Université de Montréal ne s'en plaindront pas... Et c'est tout le versant nord du mont Royal qui en profiterait.

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2009-11-08

 

Le fantôme de Lénine

Finalement vu Good Bye, Lenin!, grand succès cinématographique de l'année 2003 et film de l'heure vingt ans après la chute du Mur de Berlin... Même si le film a souvent été présenté comme une comédie, ses éléments drolatiques n'allègent pas entièrement ce qui est vécu comme un drame par les personnages, soit pour des raisons personnelles soit pour des raisons professionnelles. Au cœur de la narration, il y a cette famille écartelée entre l'Est et l'Ouest, que le fils, Alex, va tenter de sauvegarder en luttant pour préserver sa mère malade, tombée dans le coma avant la chute de l'Allemagne de l'Est, du choc que provoquerait la révélation de la vérité après son réveil. Mais les efforts d'Alex pour reconstituer au moins une pièce d'un appartement où l'Allemagne de l'Est existe encore sont aussi touchants que comiques.

Même si le cinéaste a nié toute dimension allégorique, il est difficile de ne pas voir dans cette famille un symbole de la collectivité allemande : le père est passé à l'ouest, un geste d'autorité mâle et radical, qui fait de l'Allemagne de l'Ouest littéralement le Vaterland; la mère Christiane a choisi de rester à l'est et de s'investir à fond dans un système non seulement tyrannique mais plus qu'un brin maternant, au point d'être récompensée par ce régime communiste qui entend retenir ses enfants au nid... Mais les enfants qui se croyaient abandonnés par leur père vont se rendre compte que leur mère n'était pas parfaite non plus.

C'est moins un exercice de nostalgie que le récit d'une déception qu'Alex tente de mitiger en inventant petit à petit une uchronie où c'est l'Allemagne de l'Est qui absorbera l'Allemagne de l'Ouest tout en se démocratisant. Sa mère, en fin de compte, n'est pas dupe, mais elle se laisse aussi bercer par ce rêve. Le film donne un aperçu de la vie en RDA : police secrète et surveillance omniprésente, organisation de la jeunesse, contrôle institutionnel des dissidents mais aussi des plus fervents idéalistes (comme Christiane elle-même), pauvreté de la culture matérielle, orientation scientifique, réclamations citoyennes... En 2003, dans le contexte d'un Occident en guerre et d'une Europe presque unifiée, se souvenir de la RDA avec un certain attendrissement n'engageait à rien. Aujourd'hui, dans un contexte de crise économique et de raidissement des droites idéologiques, la nostalgie du communisme retrouve une certaine portée et pourrait rouvrir quelques débats qu'on a voulu croire clos à jamais. Mais si c'est le cas, je veux bien parier que ce ne sont pas les héritiers actuels du communisme en Europe qui offriront le contre-discours le plus convaincant...

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2009-11-01

 

Remplacements

L'appréciation du film Surrogates (Clones en français) dépend beaucoup des attentes initiales. Je m'attendais au pire : un film quasi incohérent, grevé d'idioties tant au niveau de la création de monde que du scénario... En définitive, si on juge le film pour ce qu'il est et non pour ce qu'il aimerait qu'il soit, il se laisse regarder.

En deux mots, dans une demi-douzaine d'années, une proportion importante de la population du monde (98% selon un reportage en exergue, un milliard de personnes selon un autre passage du film) vit désormais par procuration en s'incarnant par télé-présence dans des corps de remplacement robotisés, forcément beaux et jeunes. La plupart de ces personnes ne quittent plus guère leurs domiciles. Une tentative d'assassinat de l'inventeur de ces pseudo-corps va entraîner la mort de son fils et pousser l'inventeur à tenter de détruire toute la population branchée de la planète pour faire place nette. Un enquêteur du FBI (joué par Bruce Willis) tente de comprendre ce qui se passe et finit par avoir le sort de tous les corps de remplacements entre les mains. Comme il pleure d'une part la mort d'un fils tué par un accident meurtrier dans le monde extérieur et qu'il regrette d'autre part de ne plus voir sa femme, qui ne sort de sa chambre que sous forme robotisée, il pourrait incliner dans un sens ou dans l'autre...

Cet univers futuriste n'a pas grand-chose de futuriste, hormis les corps robotisés. Manque d'imagination de la part des auteurs ou façon pour eux de forcer le trait pour souligner la parabole?

Certes, la leçon est assénée avec toute la subtilité d'un marteau-pilon hydraulique, mais elle a des antécédents vénérables (que l'on songe à « The Machine Stops » d'E. M. Forster, il y a exactement... cent ans!) et je ne trouve rien de rédhibitoire à une remise au goût du jour. Surtout s'il est bien compris qu'il s'agit d'une fable. (Dans La possibilité d'une île, la possibilité d'une redite n'a pas fait reculer Michel Houellebecq, en tout cas.) L'application au monde présent est d'ailleurs suffisamment évidente pour que j'aie entendu un autre spectateur dans la salle conclure à la fin du film que c'était une condamnation de la vie par procuration des internautes.

Et sur le chemin du retour, dans les rues de Montréal par un soir d'Halloween, j'ai noté une absence. La nuit était tombée, mais il n'était pas tard. Pourtant, pas un seul petit monstre ou revenant dans les rues. Or, je traversais des quartiers résidentiels, qui auraient été sillonnés autrefois par des petits groupes d'enfants déguisés pour réclamer des bonbons. Étaient-ils restés à la maison pour regarder des films de peur? Ou leurs parents les avaient-ils tous conduits dans des fêtes de groupe?

Ne vivons-nous pas déjà l'époque de la substitution d'une réalité à une autre? Au lieu de vivre dans le monde de la chair incarnée, on préfère de plus en plus les intermédiaires virtuels (comme ce blogue!), les avatars (comme dans Second Life), les expériences partagées à demi virtuelles (visionnements de films ou de séries télévisées — sur DVD de plus en plus souvent, ce qui distancie aussi) et les rassemblements collectifs (au moins depuis Woodstock) qui sont d'autant plus légitimes que tout le monde dit qu'il faut en être...

Le film opte en fin de compte pour la franchise brutale d'une expérience directe de la réalité. On comprend pourquoi le personnage de Bruce Willis fait ce choix, mais on comprend moins pourquoi on devrait être d'accord. On passe d'un extrême à l'autre et des questions sont éludées par ce dénouement. Quid des personnes handicapées à qui ces corps de remplacement étaient originellement destinés? Et n'y aurait-il pas des avantages réels à disposer de corps de remplacement pour les boulots dangereux (comme celui de soldat ou de policier) ou tout simplement pénibles (travail à la chaîne, etc.)?

Bref, si le film est plutôt conventionnel, il se distingue des simples exercices obligés (comme 9) en offrant une vraie chair sous la surface plus ou moins stéréotypée — ce qui est tout l'inverse des remplaçants mécaniques du film, dont la chair cachait les mécanismes. Comme quoi Surrogates est en soi un argument en faveur de sa propre thèse...

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