2006-01-21

 

Science et fiction chez Verne

Je feuilletais récemment Deux ans de vacances de Jules Verne, un des romans favoris de mon enfance. Quels étaient les ingrédients de ma passion? Il y avait la robinsonnade, bien entendu : la construction d'un monde clos, sécuritaire, rassurant en pleine nature, et sans l'intervention de quelque adulte que ce soit (du moins dans la première partie du livre). Il y avait l'aspect à la fois familier et symbolique de l'antagonisme Anglais-Français, les jeunes Doniphan et Briant s'affrontant dans un contexte fort commodément éloigné des tensions entre Canadiens anglais et Canadiens français. Il y avait aussi la gestion de main de maître des coups de théâtre et des rebondissements par l'auteur. Le vaisseau va-t-il échapper à la tempête? Quand il fait naufrage, les jeunes passagers échapperont-ils à la noyade? Quand ceux-ci assurent leur survie immédiate, doivent-ils espérer rejoindre rapidement une contrée civilisée? Sont-ils sur une île ou sur le continent sud-américain? Briant a-t-il vu la mer de l'autre côté de l'île? Et ainsi de suite...

Un romantisme tragique s'impose aussi. Le sort du prédécesseur des jeunes naufragés, le marin français François Baudoin, a de quoi hanter l'imagination. Vivre et mourir seul sur une île déserte... La découverte de l'île et de sa faune fascine aussi. De façon moins nette peut-être que dans L'Île mystérieuse, la diversité des arbres et des plantes retient l'attention.

Maintenant, en relisant ces pages, le profane est frappé par certaines invraisemblances, dont la présence d'hippopotames (africains) et de certains fauves sur cette île de l'extrême-sud des Amériques. La présence de tous ces arbres utiles à la survie des naufragés est aussi suspecte. Elle semble bien commode : sur une île en principe sauvage, le hasard fait bien les choses...

Mais en lisant Collapse de Jared Diamond, j'ai songé à une explication possible. Diamond note la présence d'une multitude d'arbres utiles sur la petite île polynésienne de Tikopia dans le Pacifique. Au nombre des espèces introduites ou indigènes, on retrouve non seulement des cocotiers, arbres à pain et palmiers, mais aussi des arbres fruitiers fournissant des variétés d'amandes, de noix et de châtaignes, sans parler des arbres procurant des noix de bétel (aux propriétés soporifiques), des pommes et une écorce dont les îliens tiraient de quoi tisser leurs vêtements. Sous la ramée, le sol sert à la cultivation de bananiers, de patates douces et de taro. Ce qu'il faut souligner, cependant, c'est que cette énumération qui pourrait rappeler certains des romans verniens décrit non pas une jungle mais un verger. Certaines des espèces ont été apportées par les colonisateurs polynésiens et toutes sont sciemment cultivées, ou entretenues.

Les premiers explorateurs et botanistes des îles polynésiennes ont-ils rapporté de leurs voyages des comptes rendus trompeurs? Ont-ils pris des vergers (nettement plus complexes et variés que les vergers européens) pour des forêts vierges? Ou, s'ils connaissaient la nature de ces bosquets, ont-ils induit en erreur leurs lecteurs? Et, dernière question désormais évidente, Jules Verne a-t-il propagé leur erreur ou sa méprise dans ses romans?

Voilà la question.

Libellés : ,


Comments:
Je ne suis pas du tout spécialiste de Jules Verne et mes dernières lectures datent de prés de trente ans, mais les manifestations récentes en son honneur m'ont permis de lire quelques articles et essais intéressants à son sujet. L'un d'eux m'a permis de savoir que Verne ne voyageait pas, au point même de rester plutôt cloîtré dans sa maison (au moins vers la fin de sa vie). Il dévorait des chroniques scientifiques rapportant les récits de tous les globe-trotters de l'époque.
Il est probable que l'image des îles du Pacifique, telle qu'elle pouvait lui parvenir dans ces conditions, avait des chances d'être déformée. Mais bon, ce n'est pas bien grave. Ce bon Jules m'a tant apporté que je lui suis même reconnaissant d'avoir inventé ce qu'il fallait pour me faire rêver.
 
Je ne jetterais pas trop la pierre à Verne. Les voyages coûtaient cher à l'époque. Il a réussi à se rendre à New York (et jusqu'aux chutes du Niagara et au Canada) à bord du Great Eastern. Tant qu'il en avait les moyens (monétaires et physiques), il a voyagé à bord de trois navires successifs (tous appelés Saint-Michel), dont le dernier comptait dix hommes d'équipage, de la Manche jusqu'à la Méditerranée. Non sans essuyer quelques tempêtes qui ont effrayé sa femme. Cela, combiné à la balle logée dans sa jambe par un lointain parent et détraqué, a mis fin à ses voyages. Même à Amiens, il était à une heure et demie de train de Paris et, tant qu'il a pu, il ne s'est pas trop privé, à ce que j'en sais.

Par contre, c'est clair que pour tout ce qui était exotique, il se documentait dans les livres.
 
Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?