2009-08-31

 

L'enseignement au salaire minimum

Alors qu'une nouvelle année universitaire se profile à l'horizon, un billet sur un autre blogue me rappelle à quel point l'enseignement universitaire aux États-Unis peut apparaître aussi aberrant que le système de santé en vigueur dans ce dernier pays. Quand une charge d'enseignement à temps plein (du moins telle que définie par les profs de l'UQÀM, soit quatre cours de trois crédits par année universitaire) est payée moins qu'un boulot au salaire minimum, au Canada comme aux États-Unis, il ne faut pas s'étonner qu'on... s'étonne de plus en plus du coût exorbitant d'une éducation universitaire étatsunienne.

En date de décembre 2008, le rapport Reversing Course: The Troubled State of Academic Staffing and a Path Forward (.PDF) évaluait à 49% la part des 1,5 millions de cours de premier cycle enseignés par des profs à temps partiel dans les collèges communautaires et universités des États-Unis. En fait, comme une proportion des cours de premier cycle de l'ordre de 16 à 32% est donnée par des étudiants diplômés (doctorants, etc.) en plus des profs à temps partiel, le rapport conclut que la majorité des cours de premier cycle dans les établissements postsecondaires des États-Unis ne sont pas livrés par les profs en titre des institutions en cause !

Même sans compter les étudiants diplômés, ces profs à temps partiel sont nombreux : ils constituent 70% de l'ensemble de la main-d'œuvre en question. Et ils sont sous-payés. En moyenne, ils gagnent 2 758$US par cours, alors que les profs titulaires ou en voie de titularisation gagnent presque quatre fois plus par cours — si on divise leur salaire par le nombre de cours enseignés. En principe, ces profs titulaires gagnent plus parce qu'en sus de leur charge d'enseignement, ils sont aussi rémunérés pour leurs travaux de recherche et leurs fonctions administratives ; si les trois occupations sont jugées d'égale importance, on peut considérer que les titulaires ne devraient pas gagner plus que le triple de la rémunération des profs à temps partiel — sans même parler des avantages secondaires. Or, ceci n'est pas le cas, et ce n'est pas non plus le cas au Canada, en général, où les chargés de cours gagnent également le quart environ de ce que gagnent les profs à temps complet.

Cet écart est parfois justifié en soutenant que l'enseignement des profs titulaires ou en voie de titularisation a une plus grande valeur parce qu'il est informé par leurs travaux de recherche. En fait, dans la mesure où ceux-ci sont en moyenne plus âgés, il est loin d'être certain qu'ils représentent le mieux l'état actuel des connaissances ou si ce sont les jeunes profs à temps partiel fraîchement émoulus qui en sauraient le plus sur l'évolution récente des connaissances...

Quoi qu'il en soit, les conclusions suivantes me semblent irréfutables :

1) ou bien l'enseignement des chargés de cours est de moindre valeur et, dans ce cas, cela signifie que l'enseignement des cours de premier cycle passe en second à l'université;

2) ou bien leur enseignement est de valeur au moins égale, auquel cas leur rémunération n'est justifiée que si l'enseignement est la moins importante des responsabilités des profs titulaires ou en voie de titularisation;

3) ou bien leur enseignement est de valeur au moins égale et ils sont bel et bien sous-payés...

Dans les deux derniers cas de figure, on se demandera donc à quoi servent les frais universitaires en pleine augmentation, au Canada comme aux États-Unis... non?

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2009-08-30

 

To read Jean-Louis Trudel in English

Un rare billet en anglais (mais il faut ce qu'il faut quand il s'agit de publicité) : A rare posting in English (for it has been said: ask not what self-promotion can do for you, ask what you can do for self-promotion)...

The on-line Tor bookstore advertises a few books connected with me, but others may be found elsewhere. Such books come in several flavours. There is one anthology under my name (and Paula Johanson's, of course): Tesseracts7. Also available from Edge Science Fiction and Fantasy are several anthologies with stories of mine : Tesseracts3, Tesseracts4, Tesseracts5, Tesseracts6, Tesseracts8, TesseractsQ, and Tesseracts Thirteen. Another anthology that is still available new is Ark of Ice, with my story "The Falafel Is Better in Ottawa". My story "Stella Nova" in the Spring 1994 issue of On Spec is also available. Another anthology, Northern Stars from Tor, is no longer in print, but can be obtained through Amazon; it's worth noting that it just reprises the story from Tesseracts4.

For younger readers of science fiction, there's my story in the Orbiter anthology edited by Julie Czerneda, and another in What If...?: Amazing Stories Selected by Monica Hughes.

Laurent McAllister penned a story for the anthology Witpunk edited by Marty Halpern and Claude Lalumière, that can still be acquired.

And for those who don't want science fiction, there's my Arsène Lupin pastiche "Legacies" in the second volume (Gentlemen of the Night) of the Tales of the Shadowmen series from Blackcoat Press.

I've published a few more stories in English, but they were published in magazines that would be hard to track down, aside from the on-line story "Gathering the Echoes". I've published many more translations of authors other than myself, the latest being included in The Thieves of Silence, but several of my translations in that volume were revised a bit too hastily by the editor, who introduced a variety of mistakes ("flied" instead of "flew", "lied" instead of "lay") that may or may not be corrected in later printings. I will provide elsewhere a full list of my translations, and of the best versions available...

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2009-08-29

 

L'impératif du souvenir

Pour avoir vu un soir un géant endormi
ou un soleil extravagant émailler d'or
un lac dans les bois quand l'après-midi s'endort,
Remercie, ma muse, l'ampleur de mon pays.

La lune aussi a lui, bleuissant chaque nuit,
accrochant sa faux aux nuages du décor,
mondant les noires épinettes à bâbord
et révélant des lacs d'obscurité emplis.

Traverser les forêts, admirer les îlots
hérissant tels des esprits verts les vastes flots :
y songeras-tu toujours, ma muse, en ville ?

Sauras-tu tirer de ces moments un roman,
trépidant comme un torrent, complet comme une île
et riche de ces rares instants hors du temps ?

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2009-08-28

 

Retour en ville

Mauvaise surprise à mon retour en ville : mon réfrigérateur est tombé en panne durant mon absence. Heureusement, je n'y avais pas laissé grand-chose de périssable.

Mais la journée m'aura laissé des souvenirs qui font passer en second ces désagréments domestiques. Départ matinal et traversée de Val d'Or, puis de la réserve faunique de La Vérendrye. Belles perspectives sur des lacs, mais quand on a vu le lac Supérieur et le lac Nipigon en cours de route... La circulation augmente de plus en plus à partir de Mont-Laurier, mais, avant d'embarquer sur l'Autoroute des Laurentides, un dernier arrêt touristique s'impose, à Labelle. L'agglomération souffre clairement d'être traversée par une route aussi fréquentée et on s'interroge sur l'absence de déviation. Faut-il s'étonner ensuite si certaines agglomérations périclitent en tant que petites villes, quand on ne peut même plus se déplacer à pied en leur centre? Mais il faut avouer que les petites villes canadiennes, au Québec comme ailleurs, ont depuis longtemps sacrifié leur rue principale aux besoins de l'automobile... À Labelle, village fondé autrefois sous le nom de la Chute aux Iroquois, il reste quelques belles maisons d'autrefois, comme la demeure du docteur Bigonesse...Mais l'hommage au curé Antoine Labelle (sous la forme d'une statue qui représente assez fidèlement l'homme et son bedon de chanoine) ne permet pas d'oublier que le rêve de la colonisation du nord a fait un peu long feu. L'agriculture a cédé le pas à l'exploitation forestière et au tourisme. Les hôtels du village sont décrépits, des terrains vagues s'étalent entre les maisons, le restaurant de l'autre côté de la rivière se cherche une nouvelle vocation et il n'y a que la gare qui semble attirer les visiteurs de passage. Pourtant, le chemin de fer construit de 1891 à 1909 a été remplacé par un parc linéaire (« Le P'tit Train du Nord ») inauguré en 1996. Il est réservé l'été aux randonneurs, cyclistes et patineurs à roues alignées, et l'hiver aux randonneurs, skieurs et motoneigistes (sur une partie du parcours seulement). Mais c'est ce sentier qui amène au village nombre de promeneurs et de visiteurs du petit musée de la gare, qui rappelle les grandes heures de l'ancien chemin de fer ainsi que la vie d'un héros régional, Herman « Jackrabbit » Smith-Johannsen. L'ancienne gare abrite un petit restaurant et offrirait même quelques chambres. Le terre-plein conserve quelques tronçons de rails, dont une section occupée par une ancienne caboose (ou wagon de queue). J'avais déjà envie de parcourir ce sentier et, par une aussi belle journée, les lieux m'encouragent décidément à l'inscrire sur ma liste d'équipées à venir...En fin de journée, pause repas à Saint-Eustache avant de replonger dans le maelström urbain montréalais.

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2009-08-27

 

L'homme qui a vu l'ours

(Photo par H. Matheson, en 1914, d'un ours près d'un lac sur le chemin du ravin Maligne en Alberta — Dép. des Mines et Relevés techniques / Bibliothèque et Archives Canada / PA-023060)

Le nord de l'Ontario est le pays de l'ours noir, à en croire les avis, avertissements et autres annonces dans les dépliants et publications des parcs de la région. Les recommandations abondent et la plupart sont fort raisonnables : se promener en groupe si possible, se déplacer le jour, ne pas quitter les sentiers, rester prudent si on marche à proximité d'une chute d'eau ou contre le vent puisque l'ours sera peut-être incapable de sentir une présence humaine...

En cas de rencontre, les choses se compliquent... si ce n'est parce qu'il faut rester calme et reculer sans céder à la tentation de tourner les talons et de déguerpir — en particulier si l'ours se dresse sur ses pattes arrière. Or, ce n'est souvent qu'un signe de curiosité. Et il ne faut pas non plus s'effrayer d'un comportement plus menaçant. Quand l'ours balance la tête en soufflant, grognant, criant ou gémissant, montrant ses dents ou ses griffes, claquant des mâchoires, haletant, frappant le sol de ses pattes ou repliant les oreilles vers l'arrière, il est rarement sur le point d'attaquer. Il tente de communiquer avec les intrus humains afin de les convaincre d'évacuer le territoire de l'ours. Mais s'il faut ensuite gérer une attaque par un ours, les choses se compliquent encore plus, car il faut distinguer une attaque défensive d'une attaque offensive.

Dans le cas d'une attaque défensive par un ours, on recommande de faire le mort, par exemple. Si l'ours attaque uniquement parce qu'il a été surpris et qu'il protège ses oursons ou une source de nourriture, il n'insistera pas une fois qu'il sera rassuré que l'intrus humain n'est pas une menace.
(Photo par R. H. Trueman vers 1902 d'un homme luttant avec un ours dressé — Bibliothèque et Archives Canada/C-014070)

Dans le cas d'une attaque offensive, en revanche, il faut se défendre par tous les moyens possibles. Si l'ours a suivi le promeneur sur le sentier ou s'il attaque de nuit, c'est beaucoup plus grave. Il faut crier, appeler au secours, s'enfuir, se réfugier dans un véhicule, s'enfermer dans un abri... ou encore se défendre avec les moyens du bord, à défaut d'une arme à feu : bâton, vaporisateur chasse-ours (poivre de cayenne), couteau, etc.

Idéalement, si on sait garder son sang-froid, on saura distinguer les deux types d'attaques par des ours. Mais c'est beaucoup demander... Mieux vaut tout simplement s'arranger pour ne pas rencontrer d'ours.

Heureusement, ce n'est pas si facile d'en croiser. Après avoir passé une semaine dans le nord de l'Ontario, je n'avais aperçu des ours que de loin, au Centre des visiteurs du parc Algonquin, sous la forme de trois taches noires perdues dans les broussailles. Mais, aujourd'hui, je peux au moins affirmer en avoir vu un de la voiture, sur la 11, non loin d'Iroquois Falls. L'ours, encore jeune, s'était aventuré jusqu'aux abords de la route, sans doute pour se repaître de petits fruits. Le passage de la voiture l'a effrayé et l'animal s'est carapaté pour regagner le couvert. Et vite, comme de juste... Comme il était inutile de s'arrêter, j'ai poursuivi mon chemin. Destination ce soir : Malartic ou Val d'Or.

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2009-08-26

 

Du pays du roc au pays du bois

En repartant de Thunder Bay vers le nord, le tourisme se fait minéralogique ou géologique. Du chemin de la plus grande mine d'améthyste du Canada, on embrasse un paysage immense.À une heure de route plus au nord environ, le canyon Ouimet est un majestueux et concret rappel des ères glaciaires. En raison de sa formation qui remonte à la fonte des glaciers et grâce à sa grande profondeur, il a pu conserver des spécimens d'une flore subarctique que l'on ne retrouve plus aujourd'hui qu'à mille kilomètres plus au nord. D'un premier belvédère, en regardant vers l'intérieur des terres, il présente l'aspect suivant.En se tournant vers les rives du lac Supérieur, on découvre le débouché du canyon... Les géologues ne s'entendent pas sur les origines de cette formation. L'un des scénarios proposés suppose le creusement par les eaux de fonte des glaciers des strates rocheuses sous-jacentes, jusqu'à ce que la pierre plus dure des couches superficielles s'effondre. Le canyon serait donc un fossé à moitié comblé par l'effondrement de la surface. À moins qu'il n'ait été enfoncé sous le poids des glaciers... Sinon, je crois qu'on suppose que le creusement a eu lieu en surface, les eaux de fonte formant des chutes qui ont peu à peu reculé en grugeant le roc plus tendre à la base avant de faire basculer le roc plus dur, comme aux chutes Kakabeka ou Niagara, en laissant cette vaste gorge en guise de sillon. Enfin, si je me souviens bien... Cela ne se compare pas aux grands canyons des États-Unis, mais les falaises abruptes et rainurées s'élevant sur près de 100 mètres valent le coup d'œil. Et des formations accidentelles, comme cette « tête d'Indien » en équilibre précaire (photo ci-contre) qui coiffe un pilier, suscite l'étonnement. Difficile de croire que pas une tempête de neige ou un orage, voire un séisme mineur, n'ait jeté à terre cet ornement qui me rappelle (en plus effilé ou plus sculptural) les « pots de fleurs » de la baie Géorgienne ou de la baie de Fundy. La profondeur du canyon fait toutefois sa valeur, préservant un micro-climat froid propice à l'arénaire, la pyrole à grandes fleurs, la renouée vivipare et aux hépatiques. C'est un peu la toundra qu'on aperçoit en regardant vers le bas, des arbres rabougris s'enracinant vaille que vaille dans la rocaille...Mais on peut aussi jeter un coup d'œil en biais, en espérant que le canyon prenne un autre aspect. Je ne me prononcerai pas...Quand j'ai repris la route, c'était celle du retour (en roue libre pendant une partie de la descente depuis les hauteurs du canyon, si ce n'est que pour économiser l'essence). Pour raccourcir (et toujours économiser un peu d'essence), le retour à Montréal passera d'ailleurs par la route du nord, par le lac Nipigon, Geraldton, Hearst et Kapuskasing...

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2009-08-24

 

Pukaskwa

Faire le tour de l'extrémité nord du lac Supérieur... mais commencer par visiter le parc national Pukaskwa. Pas grand-chose à dire. Les promenades aménagées autour de la pointe nord du parc offrent de splendides coups d'œil sur le lac Supérieur et ses rives rocheuses, mais aussi un grand tour à pied d'un petit lac appelé au temps des Voyageurs le lac À-Mi-Chemin. Il n'y avait qu'à profiter du soleil, regarder et prendre des photos, dont les suivantes sont parmi les meilleures.Ci-dessus, le débouché de l'anse Hattie et, au fond à droite, l'entrée du havre Pulpwood, le tout pris du sentier de la Pointe-Sud. Ci-dessous, du sommet de la Pointe-Sud, on aperçoit l'embouchure de la rivière Pic, dont la charge d'alluvions change la couleur du lac Supérieur sur une distance impressionnante.La photo suivante rappelle que le lac Supérieur est aussi bordé de plages, comme on pouvait s'y attendre dans un paysage façonné il n'y a pas si longtemps par le rabotement puis la fonte des glaciers, la formation de lacs gigantesques (Agassiz, Algonquin/Houghton, etc.) et l'érosion progressive des moraines ou des fonds depuis émergés. Ainsi, on voit ci-dessous la plage du Fer à Cheval (au fond de la baie Horseshoe).De belles formations rocheuses terminent la Pointe-Sud, comme cette jetée naturelle (d'origine volcanique?). En descendant au niveau des vagues, on a du coup un autre point de vue sur la plage. Ou sur le promontoire en face, qui est celui de la Pointe-Nord et qui est parcouru par le sentier de l'esprit, le « Manito Mikana» dans le dialecte local.La roche grise et ravinée du Bouclier Canadien à l'état pur... Le promontoire se voit mieux de la plage du Fer à Cheval, comme dans la photo ci-dessous. En s'enfonçant dans les bois, on peut alors découvrir le lac À-Mi-Chemin, cerné par le sentier qui portera le nom de « Bimose Kinoomagewnan » (la randonnée des leçons). En l'approchant par le sud, on le surplombe, comme dans la photo suivante où on distingue une hutte à castors abandonnée. Des mêmes hauteurs, le point de vue sur la rive opposée embrasse un décor agrémenté d'une végétation éparse qui ne cache pas l'ossature rocheuse du Bouclier Canadien.En descendant au niveau de l'eau, cette pointe rocheuse qui s'avance dans le lac acquiert une symétrie presque surnaturelle... Une fois juché sur cette pointe, j'ai pu admirer de plus près l'autre moitié du lac, envahie en partie par la végétation, dont le découpage a quelque chose de curieusement géométrique, non?Un dernier coup d'œil sur le fond du lac, où les eaux sont les plus profondes, à l'ombre des falaises. Puis, il est temps de prendre le chemin du départ, la route étant encore longue jusqu'à Thunder Bay... Plus tard, un dernier arrêt au bord du lac Supérieur dans le parc provincial Neys, avant de reprendre la route pour Thunder Bay. Il ne faisait plus aussi beau, malgré des éclaircies passagères. Le parc Neys a accueilli (si l'on peut dire) un camp de prisonniers de guerre durant la Seconde Guerre mondiale, mais la région a longtemps servi à la coupe du bois après avoir servi d'escale aux Voyageurs qui se rendaient au Fort William, ou en revenaient, et qui s'arrêtaient volontiers dans la baie Ashburton. Et les peintres du Groupe des Sept (encore eux!) ont également trouvé dans les environs des paysages dignes de leur pinceau. Qu'on en juge d'après cette photo prise du sentier du Belvédère, qui montrent bien les hauteurs embrumées qui dominaient le lac Supérieur en cette fin de journée...À l'arrivée à Thunder Bay, du belvédère qui veille sur la route où la course de Terry Fox a pris fin, le lac au crépuscule était d'un bleu inexpugnable sous un ciel d'orage (et l'orage n'a pas tardé à éclater).Et un salut à Terry Fox, sous le même ciel...

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2009-08-23

 

Les pierres de la mémoire

Le lac Supérieur est une mer intérieure, mais une mer d'eau douce. En superficie, c'est le plus grand lac du monde (en volume, le lac Baïkal l'emporterait) : ses 82 413 km carrés représentent un sixième environ de la France. Ses tempêtes sont terribles : en 1975, le SS Edmund Fitzgerald, un cargo mesurant plus de 220 mètres de la poupe à la proue, a coulé en moins de dix minutes avec tout son équipage de 29 personnes. Avant la création de la Transcanadienne, de véritables paquebots sillonnaient les Grands Lacs, offrant une solution de rechange à ceux qui préféraient ne pas prendre le train. Le Noronic, dont j'ai déjà parlé, avait été emprunté par mes grands-parents pour leur voyage de noces au début des années 1920...

Bref, le lac Supérieur porte bien son nom, qui n'est peut-être qu'une traduction de son nom anishinaabé : le Grand Lac.

Sault Sainte-Marie est depuis longtemps la porte d'entrée du lac Supérieur. Pour les Voyageurs qui arrivaient de Montréal, c'était un portage de plus. Mais sa position stratégique en a fait le site d'établissements en pleine expansion dès le début du XIXe siècle. On peut visiter encore aujourd'hui la maison Ermatinger, construite en 1814 par un négociant d'ascendance suisse. La plus ancienne maison en pierres au nord-ouest de Toronto, érigée sur un terrain qui, en définitive, n'appartenait même pas au constructeur...Bref, au début du XIXe s., c'était la dernière maison en pierre sur le chemin de l'ouest. (Une désignation qui rappelle un peu certains équivalents dans Tolkien...) Dans la photo ci-dessus, la façade de la maison restaurée apparaît telle qu'on aurait pu la voir en montant depuis la berge de la rivière Sainte-Marie. Dans la photo ci-dessous, c'est l'arrière de la maison, avec sa cuisine d'été où on se réfugiait durant les grosses chaleurs pour faire la cuisine sans suffoquer.Au nord de Sault Sainte-Marie, on découvre de la route l'immensité du lac et un paysage de baies majestueusement découpées dans un écrin de collines boisées, face aux flots semés de quelques îles. Il m'est déjà arrivé de comparer ces panoramas aux plus beaux paysages du monde, même s'ils ont en fait leur beauté propre, qui combine des flots luisants semblables à un pan métallique incisé par la lumière du soleil déclinant vers l'ouest, des roches usées et érodées par les glaciers et leur fonte, des épinettes et sapins qui s'accrochent tenacement au dos de ces îles arrondies, du vent qui souffle avec une âpreté aussi pure que rafraîchissante... Le granit est souvent teinté de rose, le feldspath et le hornblende contribuant des couleurs plus franches. La route s'approche du littoral et s'en éloigne, offrant quelques belvédères et vues d'ensemble, mais d'autres haltes s'offrent aux voyageurs à l'intérieur des terres. Le petit parc des chutes Chippewa (photo ci-contre) commémore l'achèvement du dernier tronçon de la TransCanadienne qui longe le lac Supérieur. Leur nom confirme qu'on pénètre pour de bon en territoire anishinaabé en abordant ainsi la rive nord du lac Supérieur. Comme ailleurs, à Bruges, Nice ou au bord du Pacifique, j'en ai profité pour prendre en photo ce sac bleu qui m'accompagne depuis vingt ans dans de nombreux déplacements.Le parc provincial du Lac Supérieur protège une partie de ce paysage magnifique, qui avait inspiré (encore une fois) le Groupe des Sept en son temps. Avec ses 1556 km carrés, il correspond à un vingtième de la Belgique; il est nettement plus petit que le parc Algonquin, mais il abrite un site majeur, la falaise des pictogrammes d'Agawa, non loin de la baie qu'on aperçoit ci-dessous. Le sentier qui descend au pied de la falaise est relativement escarpé, mais point trop périlleux, même s'il offre au passage des aperçus sur de spectaculaires formations rocheuses, comme cette étroite gorge qui fend le granit. Débouchant en plein ciel, la gorge est à moitié inondée de lumière et à moitié plongée dans le noir. Au fond, une roche descellée s'appuie sur la paroi opposée et menace de tomber à tout moment...Au bord de l'eau, la falaise dresse des parois lisses qui ont dû attirer l'attention des voyageurs anishinaabé qui passaient par là. Quand donc un chaman ou sorcier a-t-il décidé pour la première fois de se servir de ces surfaces propices? Je trouve révélateur que le premier pictogramme à l'extrémité nord de la falaise corresponde à un épisode historique, du moins selon l'informateur du chroniqueur Henry Schoolcraft vers 1851, le chef anishinaabé Zhingwaak ou Zhingwaakoons (Petit Pin blanc). Les canots dessinés sur la roche, associés à des symboles claniques (un héron étêté tout en haut, puis l'aigle/oiseau-tonnerre, puis un castor ou une tortue en bas, presque effacée) rappelleraient la traversée du lac Supérieur par une flottille menée par le chef et sorcier Mayiingan (Loup) pour venir en aide aux Anishinaabeg d'Agawa (et à leurs alliés) dans une grande bataille des tribus algonquines contre les Iroquois. Mayiingan aurait illustré ces canots promis à la victoire après la bataille. Selon une source postérieure, Zhingwauk lui-même aurait dessiné le cheval utilisé comme monture par Mayiingan à cette occasion. Comme la bataille daterait de 1662 et aurait repoussé les Iroquois, il est tentant de penser que tous les pictogrammes à droite du premier sont postérieurs, comme le confirmerait l'emplacement à droite du cheval dessiné par Zhingwaak...Un autre canot apparaît à droite de la flottille initiale. S'il m'a été possible de faire ressortir informatiquement les contours des premiers pictogrammes, la tâche s'est avérée nettement plus difficile ensuite. Dans la photo ci-dessous, on distingue à peine le tracé d'un canot et de deux (?) pagayeurs...C'est ensuite qu'on découvre Mishipeshu (ou Mishibizhiw), le Grand Lynx du fond des eaux, qu'il fallait remercier pour avoir permis la traversée sans encombre (et sans tempête) du lac Supérieur. La tête ornée de cornes, le dos hérissé d'écailles ou de saillants destinés à souligner son échine à l'instar de la fourrure du félin, Mishibizhiw représentait l'esprit de l'eau qui décidait de la condition des flots. S'il était bien disposé, le lac était calme, mais s'il ne l'était pas, il pouvait déchaîner les vagues en brassant l'eau de sa queue. Si les premiers pictogrammes datent de la fin du XVIIe siècle, le dessin d'un cavalier et de quatre sphères contenues par un arc double (ce qui pourrait représenter quatre parcours du Soleil dans le ciel et donc quatre journées, soit la durée de la traversée du lac soit celle de la bataille avec les Iroquois) daterait du vivant de Zhingwaak et d'avant 1851.Par conséquent, il serait tentant de conclure que les pictogrammes encore plus à droite, encore plus au sud, seraient encore plus récents, témoignant de l'activité des détenteurs d'un savoir sacré jusqu'à la fin du XIXe siècle, qui sait... De fait, le dessin ci-dessous d'un pagayeur solitaire sur la piste d'un caribou est particulièrement net.Il est des lieux où souffle l'esprit. Selon les sources locales, c'est ce qui expliquerait le choix de certaines roches et certaines falaises comme supports de pictogrammes, tandis que d'autres surfaces rocheuses au bord du lac Supérieur sont restées parfaitement vierges. La falaise d'Agawa n'est pas facile d'accès. Au pied de l'&agrave-pic, la surface de la roche est en pente et il suffit qu'il vente pour que des vagues assaillent le rebord rocheux. Au point où on se demande si les peintres ont attendu l'hiver pour exécuter ces fresques ocrées, afin d'avoir pied sur la glace... si glace il y a au bord du lac Supérieur, l'hiver!Plus tard, en ces lieux où souffle l'esprit, les peintres du Groupe des Sept sont venus entamer un autre genre de dialogue entre les lieux et les humains. Au lieu de prier et supplier les esprits chez eux, en leurs demeures sauvages, ils sont revenus de leurs explorations du nord de l'Ontario et du lac Supérieur avec des croquis et des toiles pour que les esprits des lieux parlent à tous les humains...

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2009-08-22

 

Les cheminées de la lune

Sur la route de Sudbury, il y avait un powwow, à Torrance près du lac Muskoka. Le détour s'imposait. D'ailleurs, des Métis étaient présents, avec leur drapeau. Comme j'étais en bonne compagnie, je suis resté pour l'entrée sacramentelle des chefs, matriarches, porte-étendards et danseurs. Les costumes (voir ci-dessous) valaient bien ceux d'Anticipation — mais que l'on ne se mette pas à débattre pour savoir lesquels ont le plus de sens ou de valeur... Et j'ai noté quelques sources supplémentaires pour un roman jeunesse sur lequel je travaille.Sur la route de Sudbury, les talus rocheux et les escarpements taillés à la dynamite sont souvent surmontés d'un inukshuk improvisé par un voyageur de passage. Depuis qu'un inukshuk est devenu le symbole des Jeux olympiques d'hiver (sans parler de ceux qu'on trouve dans les endroits publics ailleurs), une hybridation culturelle canadienne de plus est en marche. Dans un sens, ces inukshuks sont parfaitement à leur place le long d'une route. C'est aussi une forme de Land Art populaire. Pourtant, cela me dérange un peu qu'on s'accapare une tradition d'autrui, vulgarisant ce qui était singulièrement inuit autrefois. Néanmoins, j'ai fini par craquer et photographier l'inukshuk ci-dessous, au parc de la rivière des Français. Il a un petit air espiègle qui m'a plu... Sur la route de Sudbury, de nombreux panneaux publicitaires attirent l'attention avec l'aide non d'un inukshuk mais d'un extraterrestre vert (genre « petit gris ») qui se penche par-dessus le panneau pour indiquer un mystérieux hyperlien FrozenBeneath.ca. Surprise, c'est de l'auto-promotion pour un auteur!

À Sudbury, on s'y connaît en auto-promotion. En 1964, un promoteur dynamique inaugurait la reproduction géante (en acier inoxydable, ce qui pourrait inclure une certaine teneur en nickel, selon le choix d'alliage) d'une pièce de cinq cents de 1951. C'est le « Big Nickel » dont on voit le côté pile ci-dessous.À Sudbury, enfin, le décor a quelque chose d'extraterrestre. Peut-être à cause des restes d'un astéroïde impacteur, à des kilomètres sous nos pieds, celui-là même qui a créé un bassin d'impact de 250 km de diamètre il y a 1,8 milliards d'années, bassin aujourd'hui réduit à 62 km seulement dans sa plus grande largeur... Peut-être à cause du paysage rocheux autrefois décapé par la pollution, aujourd'hui caché par des boisés de repousse... Peut-être parce que les astronautes de la NASA avaient profité des formations rocheuses dénudées pour s'exercer à la prospection géologique dans les années 1960 avant de se rendre sur la Lune... Peut-être aussi à cause des vertigineuses cheminées qui surplombent la ville et rejettent la pollution plus loin...

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2009-08-21

 

Les images qui parlent, ou non

Le paradoxe du parc des Pétroglyphes au nord de Peterborough, c'est qu'il offre à la vue des visiteurs des images qui sont censées avoir servi aux enseignements des anciens du rameau local des Anishinaabek, mais qui ne se livrent pas facilement au visiteur de passage, et que ces images parlantes ne peuvent être photographiées ou reproduites. Le respect dû aux traditions locales l'exige, en principe, et ce respect a une importance d'autant plus grande que toutes les cultures autochtones ont été abondamment analysées et fouillées par des observateurs extérieurs (les missionnaires d'abord, les anthropologues et ethnologues ensuite) qui ont établi d'emblée une distance entre eux et leurs sujets qui décrédibilisait ces derniers. Du coup, tout ce que j'ai ramené de ma promenade dans le parc provincial des Pétroglyphes, c'est la photo ci-dessus d'un arbre mort qui se dresse à quelques pas de la piste dite de Nanabush, c'est-à-dire l'esprit-lapin, le Grand Lapin qui est à la fois un protecteur et un espiègle dont les tours sont riches d'enseignement. Arbre mort symbolique d'une culture morte et qu'on essaie de ressusciter? Peut-être.

Sur le chemin de la sortie, c'est un cerf de Virginie qui hantait le sous-bois à côté de la route et qui mettait un peu de vie dans la forêt qui environne le site des Pétroglyphes. Cette conservationde la vie sauvage est aussi un monument à l'égal des pétroglyphes eux-mêmes. Devant, sur le chemin de la sortie, un véhicule arrêté signalait qu'il y avait quelque chose à voir de la route... ou sinon qu'il avait un problème mécanique. En fait, j'ai cru d'abord que je m'étais trompé, car l'animal était discret. Immobile, il n'attirait pas l'attention sur lui, mais il n'était pas non plus très farouche. Il s'est prêté avec complaisance au jeu des photos, en ne s'éloignant que de quelques pas. Soit il est jeune, soit il a déjà l'habitude des visiteurs. Malgré la proximité de Peterborough et de la campagne bien balisée, l'environnement reste assez sauvage au nord du lac. Plus tôt, une petite troupe de dindons sauvages avait croisé la route avant l'arrivée au parc. La nature, en fin de compte, nous rappelle presque autant l'état de l'Amérique précolombienne que les pétroglyphes.

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2009-08-20

 

Encore le parc Algonquin

Cette fois, la pluie est de la partie. Du coup, ce que les préposés à l'entrée du parc confirment, c'est qu'il n'est pas question d'aller écouter les loups dans ces conditions. Pas seulement parce que les loups se terrent ou que les humains se feraient transir, mais parce que les gouttes de pluie produisent tant de bruit en tombant dans la forêt qu'il n'est pas question pour les guides de dialoguer avec les loups.

Dommage, car cela fait longtemps que j'ai envie d'entendre les loups... En guise de consolation, un programme léger pour la journée. D'abord, une visite du Musée du bûcheron près de l'entrée du parc. Le gros de la visite s'effectue à l'extérieur. L'exposition combine des reconstitutions des chantiers d'autrefois — dont une cambuse, des écuries, une glissoire à billots ainsi qu'un wagon-citerne ou glaceur à chemin — et des édifices ou vestiges historiques, apportés sur les lieux, dont une locomotive, un camion, un alligator, etc. (Excellent... et mes cours d'histoire profiteront peut-être de ce que j'ai appris, ou des photos que j'ai prises.) Ensuite, un repas au restaurant du Killarney Lodge, qui n'est ni le plus cher ni le moins cher des établissements dans cette partie du parc. (On y mange fort bien, en tout cas.) Le Killarney Lodge loue de petits chalets au bord de l'eau, la plupart réalisés dans le style de la « cabane de rondins » canadienne même si ces chalets n'ont de la cabane d'antan que l'apparence. Les voitures garées à proximité de ces chalets ne sont pas des modèles pour travailleurs désargentés... On peut aussi louer sur place des canots ou kayaks pour une excursion sur le lac des Deux-Rivières et je serais presque tenté, si le temps n'était pas aussi mauvais. Il y a même sur place une petite galerie d'art, The Tin Moose, laissée sans surveillance aucune. (Peut-être y avait-il une caméra — je n'ai pas songé à regarder.) L'enseigne est bien visible dans la photo à gauche, et on pourrait croire que l'orignal en tôle de la raison sociale correspond à la tête découpée dans la tôle qui est appuyée au chevalet... Toutefois, le perron de l'édifice offre à la vue quelques réalisations pittoresques, dont un autre orignal en fer-blanc. Franchement, on a envie de rire, mais le choix du pittoresque est si bien assumé (et la qualité des objets en vente à l'intérieur si remarquable) qu'il faut le prendre comme un gag et non comme quelque chose de risible. Amusant, et non ridicule, donc. Je profite de mon passage pour croquer sur le vif un écureuil roux, qui court dans tous les sens et qui commence à rassembler des provisions pour l'hiver. (Il ramasse des cônes encore verts pour aller les cacher, soit sous le plancher soit sous le toit d'un chalet.) C'est un peu déprimant d'observer son manège, aux deux tiers seulement du mois d'août, un bon mois avant la fin de l'été. Mais la saison froide est précoce dans cette partie de l'Ontario et l'hiver est rude. Il m'a fallu enchaîner quelques essais, mais j'ai enfin réussi à tirer un bon portrait de cet écureuil prévoyant... Après, un autre arrêt historique au lac Cache, qui était autrefois le centre névralgique du parc. On y trouvait une gare, le quartier-général des employés du parc et même un hôtel parfaitement monté quoique rustique, le Highland Inn. Pendant plus de cinquante ans, les touristes arrivaient par le train (comme les peintres du Groupe des Sept) et ils pouvaient ensuite jouir de tous les plaisirs des vacances civilisées en pleine nature : billard, tennis, jeux de boules, canotage, natation, patinage ou parties de lacrosse l'hiver... En 1957, l'hôtel a été acheté et rasé afin de laisser la nature reconquérir le site (surtout que le chemin de fer avait été coupé à l'est du lac, de sorte que l'hôtel était devenu le terminus de la ligne et son ultime destination). Depuis, une forêt de pins rouges a poussé sur les lieux et les quelques restes de l'ancienne station de villégiature ne sont plus que des présences incongrues, comme ces marches qu'on trouve en pleine forêt dans la photo ci-contre. La tranchée et les remblais pratiqués autrefois le long du lac pour amener le train sont encore visible, quoique envahis par la végétation depuis cinquante ans. Mais on peut encore tomber sur des vestiges aussi insolites que la lanterne dans les bois de Narnia, comme la borne d'incendie rouillée qui (dans la photo ci-dessous) se dresse encore entre les troncs de la jeune forêt, témoignant muettement d'une époque disparue.En fin de journée, j'ai essayé de localiser le cairn ou monument à la mémoire de Tom Thomson dressé au bord du lac Canoe. Si ce fut l'occasion de croiser encore une paire d'orignaux le long d'une route de terre, je dus renoncer. (Effectivement, le cairn n'est accessible qu'en bateau.) Et je n'aurai vu ce lac que sous la pluie...

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