2009-08-31

 

L'enseignement au salaire minimum

Alors qu'une nouvelle année universitaire se profile à l'horizon, un billet sur un autre blogue me rappelle à quel point l'enseignement universitaire aux États-Unis peut apparaître aussi aberrant que le système de santé en vigueur dans ce dernier pays. Quand une charge d'enseignement à temps plein (du moins telle que définie par les profs de l'UQÀM, soit quatre cours de trois crédits par année universitaire) est payée moins qu'un boulot au salaire minimum, au Canada comme aux États-Unis, il ne faut pas s'étonner qu'on... s'étonne de plus en plus du coût exorbitant d'une éducation universitaire étatsunienne.

En date de décembre 2008, le rapport Reversing Course: The Troubled State of Academic Staffing and a Path Forward (.PDF) évaluait à 49% la part des 1,5 millions de cours de premier cycle enseignés par des profs à temps partiel dans les collèges communautaires et universités des États-Unis. En fait, comme une proportion des cours de premier cycle de l'ordre de 16 à 32% est donnée par des étudiants diplômés (doctorants, etc.) en plus des profs à temps partiel, le rapport conclut que la majorité des cours de premier cycle dans les établissements postsecondaires des États-Unis ne sont pas livrés par les profs en titre des institutions en cause !

Même sans compter les étudiants diplômés, ces profs à temps partiel sont nombreux : ils constituent 70% de l'ensemble de la main-d'œuvre en question. Et ils sont sous-payés. En moyenne, ils gagnent 2 758$US par cours, alors que les profs titulaires ou en voie de titularisation gagnent presque quatre fois plus par cours — si on divise leur salaire par le nombre de cours enseignés. En principe, ces profs titulaires gagnent plus parce qu'en sus de leur charge d'enseignement, ils sont aussi rémunérés pour leurs travaux de recherche et leurs fonctions administratives ; si les trois occupations sont jugées d'égale importance, on peut considérer que les titulaires ne devraient pas gagner plus que le triple de la rémunération des profs à temps partiel — sans même parler des avantages secondaires. Or, ceci n'est pas le cas, et ce n'est pas non plus le cas au Canada, en général, où les chargés de cours gagnent également le quart environ de ce que gagnent les profs à temps complet.

Cet écart est parfois justifié en soutenant que l'enseignement des profs titulaires ou en voie de titularisation a une plus grande valeur parce qu'il est informé par leurs travaux de recherche. En fait, dans la mesure où ceux-ci sont en moyenne plus âgés, il est loin d'être certain qu'ils représentent le mieux l'état actuel des connaissances ou si ce sont les jeunes profs à temps partiel fraîchement émoulus qui en sauraient le plus sur l'évolution récente des connaissances...

Quoi qu'il en soit, les conclusions suivantes me semblent irréfutables :

1) ou bien l'enseignement des chargés de cours est de moindre valeur et, dans ce cas, cela signifie que l'enseignement des cours de premier cycle passe en second à l'université;

2) ou bien leur enseignement est de valeur au moins égale, auquel cas leur rémunération n'est justifiée que si l'enseignement est la moins importante des responsabilités des profs titulaires ou en voie de titularisation;

3) ou bien leur enseignement est de valeur au moins égale et ils sont bel et bien sous-payés...

Dans les deux derniers cas de figure, on se demandera donc à quoi servent les frais universitaires en pleine augmentation, au Canada comme aux États-Unis... non?

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Comments:
Hum tout cet argent là doit bien finir quelque part non ? Si ce n'Est pas dans les équipements pour l'université.. alors ?

Lily
 
La question est assez vivement débattue, mais sans qu'un verdict clair se soit imposé. Ce qu'on entend souvent et ce qui semble assez vrai pour plusieurs États américains, l'Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse au Canada, c'est que les frais augmentent pour compenser le désinvestissement des gouvernements locaux (des États ou des provinces). J'en avais parlé dans le cas des coupures de l'époque de Lucien Bouchard au Québec.

Ailleurs, on invoque aussi l'augmentation des budgets alloués aux administrateurs et aux bureaucraties universitaires, ainsi qu'aux services de soutien (résidences plus confortables, mini-centres commerciaux, centres informatiques, aide à l'écriture, aide psychologique) et, en particulier aux États-Unis, aux sports...
 
Les enseignants laïcs ayant pris la place d'anciens membres de communautés religieuses, il me semble aussi y avoir une certaine attente, de la part des l'administrations, à ce qu'on travaille par vocation plutôt que pour un salaire.

Et là je ne mentionne pas la difficulté d'attirer l'attention de l'opinion publique sur notre rémunération... Qui ne s'est pas déjà fait répondre : "Ouais mais vous avez quatre mois de congé?"
 
Le remplacement des clercs ne vaudrait que pour le Québec; or, le problème s'observe à l'échelle du continent.

Il pourrait y avoir des mécanismes parallèles mais non identiques à l'œuvre. Aux États-Unis, les universités ont enchéri et renchéri pour avoir les meilleurs professeurs, ce qui aurait tiré vers le haut les salaires des profs. Au Québec, les syndicats de profs ont négocié d'excellentes conditions, en cherchant toujours à rattraper ou égaler les mieux payés. La combinaison de ces deux mécanismes a permis aux profs inamovibles et essentiels de faire jouer à plein leur pouvoir de nuisance et d'influence, au détriment des profs à temps partiel. Le résultat est une spécialisation qui n'avoue pas son nom : les profs à temps plein font des pieds et des mains pour enseigner le moins possible et faire de la recherche (ou du moins de la rédaction...) le plus souvent possible, devenant des chercheurs avant tout, tandis que les profs à temps partiel ne sont que des enseignants, par la force des choses. Dans un marché libre, le spécialiste tend à l'emporter sur le généraliste. Les universités ne sont pas exactement des marchés libres, mais de nombreuses forces concourent à favoriser au moins une de ces spécialisations, celle de la recherche, en convainquant les universités qu'il est dans leur intérêt de favoriser cette spécialisation. Si ce n'est que parce que la spécialisation de chercheur rapporte potentiellement à l'université (budgets de recherche, partenariats avec le privé) tandis que la spécialisation d'enseignant n'est pas vraiment récompensé puisque les étudiants forment un marché quasi captif... Par conséquent, les universités sont au service des chercheurs qui peuvent enrichir leurs budgets.

Le New York Times a mis en-ligne un article qui explique pourquoi les frais continuent à augmenter dans certains cas aux États-Unis, même en pleine récession.

Cela dit, les profs, enseignants et chargés de cours québécois ne sont pas les plus à plaindre. Le salaire moyen des profs à temps plein (toutes catégories) aux États-Unis, en 2008-2009, était de 60 à 90 000 $ (selon l'institution, excluant les primes et autres paiements en sus). Compte tenu du taux de change, ceci se compare très bien aux chiffres québécois pour les profs (qui seront moins nombreux à décrocher les plus hauts salaires, mais moins nombreux à traîner dans les bas-fonds).

Par contre, les chargés de cours québécois sont nettement mieux payés qu'aux États-Unis, et parfois qu'en Ontario. À l'Université d'Ottawa, les chargés de cours commencent tout juste à talonner ceux de l'UQÀM. (Évidemment, c'est en partie parce que les contribuables de l'Ontario paient à la fois pour les salaires des enseignants ontariens et des enseignants québécois...) La question, c'est vraiment celle du rapport entre les profs à temps partiel et ceux à temps plein.
 
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