2010-05-31
Une thèse universitaire sur la science-fiction canadienne (et beaucoup d'autres)
Les auteurs étudiés ne surprennent guère : Octavia Butler (thèse de Sarah Wood), Joanna Russ, James Tiptree, Jr., et encore Butler (thèse d'Amanda Butler), J. G. Ballard (thèse de Mark John Jones), Philip K. Dick (thèses d'Andrew M. Butler et Jeffrey W. Peacock), Gene Wolfe (thèse de Peter Wright), Michael Moorcock (thèse de Jeff Gardiner), H. G. Wells (thèse de Fernando Porta) et Burroughs, J. G. Ballard et Gibson (thèse de Mark Forshaw). Les sujets sont plus variés. Outre cinq thèses sur la SF et les femmes, il y en a aussi sur Babylon 5, le cyberpunk, l'influence de la science-fiction sur la littérature étatsunienne contemporaine, la construction des mondes de la SF par les lecteurs et la littérature jeunesse. Deux thèses (seulement?) s'intéressent aux sciences, dont Hyperspace : parallel versions of multidimensionality in literature and science de Shu-Shun Herbert Chan. La plus ancienne est celle de Brian M. Stableford, The Sociology of Science Fiction, complétée en 1978.
Quant à la science-fiction canadienne, elle est traitée par Michelle Reid dans National identity in contemporary Australian and Canadian science fiction (Université de Reading, 2005). Je ne l'ai pas encore lue, mais je m'occupe de me la procurer...
Libellés : Science-fiction, Université
2010-05-30
Transgressions littéraires
Dans le commentaire de Berthelot, la référence à la « transgression » et les vocables connexes (transgressifs, etc.) reviennent dix-huit fois. Certes, Berthelot intègre dans son bilan la définition d'un nouveau concept, celui des fictions transgressives, mais tout cela n'est guère convaincant. À l'époque, je n'avais pas été impressionné non plus : si j'avais beaucoup aimé les romans individuels de plusieurs auteurs du groupe (en particulier, ceux de Berthelot, Jouanne et Volodine) ainsi que certaines de leurs nouvelles individuelles, les textes de Malgré le monde ne m'avaient pas convaincu.
Le plus amusant dans cette volonté transgressive, c'est l'absence de reconnaissance par les auteurs de Limite du fait qu'ils enfonçaient des portes ouvertes, du moins en France. Berthelot soutient que « [f]ace à une SF tournée vers la science et l'action, les auteurs de Limite ont chercher [sic] à créer des univers, non en se basant sur le progrès technologique, mais plutôt en abordant de façon poétique les domaines liés à l'inconscient, individuel ou collectif.» Mais soyons sérieux : qui donc, en France, écrivait durant les années 70 et 80 des récits de science-fiction tournés vers la science ou célébrant le progrès technologique? Il aurait fallu que Limite écrive en anglais pour véritablement trancher sur un quelconque consensus de ce genre...
Plus sérieusement, le concept même de transgression traite la règle comme la norme et embrasse, comme le fait Berthelot, aussi bien les transgressions de l'ordre du monde (qui mettent en scène des phénomènes contraires à l'ordre naturel — et spécifiquement voulus comme invraisemblables puisque la science-fiction le fait aussi) que les transgressions des lois du récit. Quelque part, c'est très français de poser ces deux types de transgressions comme équivalents. Dans la réalité, les événements obéissent rarement aux lois du récit, sauf dans la mesure où nous arrivons à imposer un certain ordre sur nos propres vies. Mais un effort d'organisation peut-il se confondre avec des lois jugées si lourdes et contraignantes que les transgresser semble audacieux? Je ne crois pas. Au contraire, il me semble que ce sont les règles narratives qui sont transgressives.
Une parole ou une écriture vraiment libre sauterait, comme on le fait dans une conversation ou un soliloque intérieur, du coq à l'âne, ferait intervenir des inconnus et des faits incongrus dans la suite des événements, passerait de la vulgarité à l'abstraction en une fraction de seconde, mêlerait les superstitions et les observations les plus concrètes, ne chercherait pas à tout expliciter ou expliquer... Les règles du récit subvertissent l'ordre du monde. Par conséquent, les auteurs qui cherchent à les transgresser ne font que se plier au désordre de l'existence vécue. Ce n'est donc ni très audacieux ni très intéressant — du moins si on n'y intègre pas un effort artistique additionnel, en sous-main, qui ressuscite alors une expérience structurée (narrative ?) mais en ajoutant l'hypocrisie à l'incohérence... La cohérence et l'organisation du chaos restent les plus grands défis.
Libellés : Réflexion, Science-fiction
2010-05-29
Quand les savants socialisent
En matinée, je participais à la séance de l'Association pour l'histoire de la science et de la technologie au Canada, sur le thème du savoir branché (Connected Understanding). Après avoir parlé des fabricants et distributeurs d'instruments scientifiques au Canada au XIXe siècle, j'ai pu écouter à tête reposé les présentations de Rénald Fortier (du Musée canadien de l'aviation et de l'espace) sur la Grande semaine d'aviation de Montréal, du 25 juin au 5 juillet 1910, dont on fêtera bientôt le centième anniversaire. Bharat Punjabi (UWO/Université de Toronto) a enchaîné avec une communication sur le rôle des ingéneiurs britanniques dans la planification de l'approvisionnement en eau de Mumbai, « Science and the Role of Engineering Visions in the Planning of Mumbai's Water Supply, 1854-1956 ». Sur une période d'un siècle, la priorité donnée à l'efficacité et, disons-le brutalement, la facilité de spoliation des populations indigènes des collines ont gouverné le développement de ces infrastructures hydrauliques.
Hugh McQueen, professeur émérite de l'Université Concordia, a présenté ensuite une communication très instructive sur l'histoire technique du pont Victoria à Montréal. Enfin, Jay Young du département d'histoire de l'Université York a rappelé le débat qui a fait rage à Toronto au moment de choisir le tracé de la nouvelle ligne de métro est-ouest.
En après-midi, j'ai changé de crémerie pour assister aux séances de la Société canadienne d'histoire et de philosophie des sciences. J'ai commencé par une séance bilingue. Nicolas Leclair-Dufour a présenté sur le statut de l'astronomie et de la mathématique physique chez Aristote, substituant une analyse subtile mais pas toujours claire à la communication prévue à l'origine sur l'évolution de la théorie mathématique des proportions chez Aristote. Amy Wuest a livré une communication d'un niveau moins exigeant (et grevé d'un nombre ahurissant de coquilles) sur le statut de la vis viva dans la physique d'Émilie du Châtelet, mais dont la conclusion était nettement plus convaincante. Enfin, Michael Cuffaro a conclu en soutenant, si je me souviens bien, que Kant aurait pu intégrer les géométries non-euclidiennes à sa philosophie du monde.
Enfin, j'ai opté pour ce qui était annoncé comme une table ronde sur les politiques de la science gouvernementale. En définitive, les trois participants ont tout simplement présenté des communications sur le même thème. Tout d'abord, Jonathan Turner, doctorant de l'IHPST, s'est penché sur l'évolution de ce qui était le Defence Research Board (DRB) en 1947, organisme consacré à la recherche à des fins militaires qui est devenu une agence subsidiaire en 1974, le Defence Research and Development Board (DRDB).
En 1947, le DRB jouissait d'un statut égal à celui de l'armée, de la marine et de l'aviation au sein du ministère canadien de la Défense. Son président, Omond Solandt, cumulait les chapeaux, servant aussi comme conseiller scientifique du ministre, chef du personnel, président du conseil d'administration et directeur-général des installations. En 1947, le DRB était l'une des deux sources les plus généreuses de financement de la recherche.
En 1974, toutefois, le nouveau DRDB est relégué plusieurs degrés plus bas dans la hiérarchie, relevant d'un chef de la recherche, Eddy Bobyn, qui appartient à un groupe du matériel militaire relevant lui-même du chef du personnel de la Défense. En 1974, le DRDB n'est plus que dans les cinq premières sources de financement, en partie parce que le gouvernement fédéral dépense plus pour la science et la recherche, désormais.
Les raisons de ce déclassement ne sont pas claires. Des personnalités influentes, comme Bob Uffen ou Bud Drury, un membre du DRB de 1948 à 1955 devenu un député, puis ministre, puis responsable du Trésor, n'auraient pas pipé mot. Omond Solandt aurait objecté, mais seulement après coup.
Pour expliquer ce changement de statut, Turner invoque le contexte international. En 1947, le monde est bipolaire et la Guerre Froide débute, sur fond d'affaire Gouzenko, de Plan Marshall, de la fondation de l'OTAN et de la guerre de Corée. En 1974, le monde est multipolaire, la guerre du Viêt-nam tire à sa fin, la décolonisation s'achève et le Canada explore une Troisième Option en politique étrangère. Les besoins canadiens en matière militaire ne sont plus les mêmes : après la crise de Suez, l'annulation de l'Arrow d'Avro, la commission Glassco et l'unification des forces armées, la politique scientifique du Canada a changé d'orientation. De 1940 à 1957, cette politique scientifique était largement déterminé par Omond Solandt du DRB, le ministre C. D. Howe et C. J. Mackenzie. En 1974, de nouvelles voix se faisaient entendre.
Ensuite, Jeff Kinder a discuté des avantages et désavantages de la localisation d'établissements de recherche financés par le gouvernement à proximité des universités.
Finalement, Philip Enros est resté plus pratique en discutant de son expérience comme fonctionnaire au sein d'Environnement Canada, qui fait partie des agences gouvernementales qui financent le plus la recherche scientifique. Il a souligné l'importance décisionnaire des sous-ministres qui ont les moyens de donner non seulement une impulsion nouvelle mais aussi une orientation inédite aux recherches scientifiques. Malgré l'importance indéniable des recherches dans les domaines de la météorologie et de la climatologie, la science demeure subordonnée aux priorités de l'appareil d'État.
Libellés : Congrès, Histoire, Sciences, Technologie
2010-05-26
Dix raisons de revenir à Boréal
Numéro 9 : Parce que c'est le seul moyen d'assister à l'assemblée générale annuelle afin de me reporter au poste de secrétaire-trésorier pour une vingt-troisième année consécutive (ce qui doit bien représenter un quelconque record post-soviétique dans le genre).
Numéro 8 : Les cravates de David Hartwell (elles sont légendaires !).
Numéro 7 : Parce que vous n'aurez jamais de meilleure occasion de manger à la foire alimentaire la plus proche avec une célébrité anglophone qui a récolté plusieurs prix Hugo et Nebula... et ne parle pas un mot de français.
Numéro 6 : Les cheveux frisés de Joël Champetier (non, ce n'est pas une légende, l'homme ne vieillit pas !).
Numéro 5 : Parce que vous n'aurez jamais de meilleure occasion de manger à la foire alimentaire la plus proche avec une célébrité francophone qui parlera de tout sauf la science-fiction ou le fantastique.
Numéro 4 : Parce que vous collectionnez amoureusement le macaron officiel de chaque congrès (non?).
Numéro 3 : Parce que ce sera la première remise de la version jumelée des Prix Aurora et Boréal (vous pourrez raconter par le menu cette occasion historique à vos petits-enfants !).
Numéro 2 : Le festival de la bande-annonce de Christian Sauvé.
Et la raison numéro 1, la meilleure de toutes, qui se passe de commentaires malgré toute ma prolixité, parce que c'est le seul congrès canadien de SF principalement en français — le premier, le meilleur et le seul vrai !
Libellés : Boréal
2010-05-25
Le sol qui rend intelligent
Ceci pourrait expliquer de nombreux phénomènes. Les effets calmants d'un séjour au vert ou d'une promenade en plein bois. L'attrait d'une balade à la campagne. Les efforts concertés pour adjoindre des parcs aux villes de l'ère industrielle. Le jardinage et l'introduction de plantes vertes dans les demeures... Sans parler des observations répétées de populations rurales qui, relativement aux populations urbaines, se montrent moins pressées et moins stressées, et donc moins anxieuses.
Comme l'effet des mycobactéries est temporaire, des vacances régulières s'imposent. Quand on revient d'un séjour à la plage ou à la montagne, se sent-on revigoré, plus reposé mais aussi plus alerte, pour des raisons purement psychologiques — ou parce que le vacancier de la ville est désormais infecté par les mycobactéries de la campagne ?
Du point de vue science-fictif, on peut imaginer à terme l'élimination des vacances, des parcs et des jardins par des cures régulières de mycobactéries... Mais ce serait dommage!
Libellés : Sciences
2010-05-23
Les Prix Aurora 2010
Les Prix Aurora 2010 ont été décernés aux lauréats suivants (si possible, j'inclus une photo du lauréat ou de la lauréate après l'annonce) :
Prix Aurora du meilleur roman en français
Suprématie, Laurent McAllister (Bragelonne)
(Jean-Louis Trudel, une moitié de Laurent McAllister, avec son trophée et celui de l'autre moitié, Yves Meynard — Photo prise par Val Grimm)
Prix Aurora du meilleur roman en anglais
Wake, Robert J. Sawyer (Penguin Canada)
(Robert J. Sawyer au lutrin, affublé par Hayden Trenholm de la guirlande fleurie des vainqueurs)
Prix Aurora de la meilleure nouvelle en français
« Ors blancs », Alain Bergeron, in Solaris 171
Prix Aurora de la meilleure nouvelle en anglais
« Pawns Dreaming of Roses », Eileen Bell, in Women of the Apocalypse (Absolute Xpress)
Prix Aurora du meilleur ouvrage en français (autre)
Solaris, Joël Champetier, réd. (P.b.l.i.Q.)
Prix Aurora du meilleur ouvrage en anglais (autre)
Women of the Apocalypse, Roxanne Felix, Eileen Bell, Billie Milholland et Ryan McFadden (Absolute Xpress)
Prix Aurora de l'accomplissement artistique
Dan O'Driscoll, couverture de Steel Whispers (Bundoran Press)
Prix Aurora de l'accomplissement fanique (fanzine)
Richard Graeme Cameron, WCFSAZine
Prix Aurora de l'accomplissement fanique (organisation)
David Hayman, pour le Filk Hall of Fame
Prix Aurora de l'accomplissement fanique (autre)
Ray Badgerow, conférence sur l'astronomie pour le club USS Hudson Bay
En acceptant le Prix Aurora de Laurent McAllister, j'ai remercié les votants, Jean-Claude Dunyach, notre directeur littéraire, les éditions Bragelonne et aussi le congrès mondial de Montréal, Anticipation, qui avait fourni l'occasion de la publication de ce roman en travail depuis dix-huit ans environ. J'ai aussi rendu hommage à tous les amis et tous les proches qui nous avaient soutenus.
Le trophée, comme d'habitude, était l'œuvre de Frank Johnson qui en avait signé le socle. Cette année, les finalistes avaient aussi droit à une épinglette tandis que les gagnants recevaient aussi un calepin (présenté dans un sachet de tissu) relié en cuir de bison.
Libellés : Canada, Congrès, Science-fiction
2010-05-21
Winnipeg, le retour du Voyageur
2010-05-20
Les Prix Aurora 2010
Ceux qui ne sont pas sur place au congrès Keycon à Winnipeg peuvent néanmoins encore voter en-ligne jusqu'à midi (heure manitobaine) le samedi 22 mai.
Dans la catégorie du meilleur roman en français, les finalistes sont :
Le protocole Reston, Mathieu Fortin (Coups de tête)
La Quête de Chaaas (3. L'axe de Koudriss), Michèle Laframboise (Médiaspaul)
Suprématie, Laurent McAllister (Bragelonne)
Un tour en Arkadie, Francine Pelletier (Alire)
Filles de lune (3. Le talisman de Maxandre), Élisabeth Tremblay (De Mortagne)
Dans la catégorie de la meilleure nouvelle en français, les finalistes sont :
« Ors blancs », Alain Bergeron (Solaris 171)
« De l'amour dans l'air », Claude Bolduc (Solaris 172)
« La vie des douze Jésus », Luc Dagenais (Solaris 172)
« Billet de faveur », Michèle Laframboise (Galaxies 41)
« Grains de silice », Mario Tessier (Solaris 170)
« La mort aux dés », Élisabeth Vonarburg (Solaris 171)
Dans la catégorie du meilleur autre travail en français, les finalistes sont :
Critiques : Jérôme-Olivier Allard (Solaris 169-172)
Revue : Solaris, Joël Champetier, éditeur (P.b.i.q.)
Manga : Le jardin du général, Michèle Laframboise (Montréal, Fichtre)
Article : "Rien à voir avec la fantasy", Thibaud Sallé (Solaris 169)
Chronique : « Les Carnets du Futurible », Mario Tessier (Solaris 169-171)
Libellés : Canada, Congrès, Science-fiction
2010-05-19
Pourquoi revenir à la science-fiction
Le prix attribué par les votants du congrès Boréal 2010 au roman Suprématie de Laurent McAllister récompense un ouvrage de science-fiction pour la première fois depuis 2005. Comme il faut battre le fer pendant qu'il est chaud, il faudra saisir l'occasion de relancer la carrière du roman en profitant du fait que le calendrier de l'auteur se dégage un peu. (Un peu, j'ai dit.)
De même, je vais pouvoir mettre la dernière main à un bref essai sur la science-fiction franco-ontarienne. Inévitablement, j'évoque des œuvres parfois obscures. Mais ne sommes-nous pas tous condamnés à l'oubli? Sans doute. Seulement, les tables rondes historiques du congrès Boréal en fin de semaine dernière ont soulevé la question de la continuité et des influences, et on ne peut l'éluder.
Les ouvrages précurseurs dans les genres de l'imaginaire au Canada francophone ont-ils été lus par les auteurs modernes? Parfois. Ont-ils eu une influence? Sans doute pas si on cherche une influence des textes antérieurs à 1960 sur les auteurs postérieurs. En revanche, on peut identifier des influences des textes postérieurs à 1960 sur les auteurs contemporains. Mais exige-t-on de Dickens ou Hugo qu'ils influencent les auteurs d'aujourd'hui avant d'admettre leurs mérites ou de les panthéoniser? Le fait est qu'il semble possible d'identifier des périodes de la littérature canadienne-française où des auteurs antérieurs ont influencé leurs héritiers. Ainsi, tout un pan des lettres québécoises témoigne de l'influence du Jean Rivard de Gérin-Lajoie, roman de la terre et de la colonisation qui est devenu une pierre de touche des textes prospectifs, tout au moins jusqu'à Défricheur de hammada (1953). Comme je l'ai montré dans Solaris 167, plusieurs textes prospectifs allant de « La tête de saint Jean-Baptiste » (1880) jusqu'à « Visions!... 1929 » (1920) s'inscrivent dans un sous-ensemble particulièrement concerné par l'avenir de la ville de Québec, en attente de relance après son déclassement par Montréal comme métropole économique du Canada. Ce sous-ensemble inclut des satires des idées exprimées par les auteurs les plus sérieux de cette tendance, comme « Le réveil de Québec » de Damase Potvin. Il se démarque toutefois des écrits inspirés par Jean Rivard, qui ont eux aussi acquis la consistance d'un corpus circonscrit que La Chesnaie de Desmarchais n'hésitera pas à critiquer.
Certes, la cohérence de ces deux corpus est assurée en partie par des discours qui ne sont pas uniquement littéraires, l'un sur les avantages de la colonisation et l'autre sur le développement de Québec, mais pour qui se donne la peine de les lire à la suite, il sera clair que ces ouvrages s'inscrivent consciemment dans ces mouvements de pensée. Les allusions et les récurrences, voire les références explicites, sont assez nombreuses pour écarter toute ambiguïté.
Dans la mesure où il existe une césure dans l'histoire canadienne-française entre 1920 et 1960 qui correspond à l'urbanisation majoritaire, à l'effritement de l'autorité religieuse, à l'ouverture au monde et à l'Étatisation des institutions collectives, le passage d'un mode littéraire axé sur un projet de société local à un autre privilégiant des valeurs universelles ne saurait nous surprendre.
Or, les textes conjecturaux et prospectifs incarnent depuis au moins la Seconde Guerre mondiale ces valeurs universalistes qui tendent à reléguer au second rang les préoccupations purement locales. Est-ce à dire que la science-fiction de la seconde moitié du vingtième siècle est devenue plus philosophique? Sans exagérer outre-mesure, il est facile de concevoir que l'instrumentalisation des sciences et des techniques à des fins patriotiques n'avaient plus autant la cote après la Seconde Guerre mondiale tandis que les questions de la survie de l'humanité (guerre atomique), de l'asservissement de l'humanité à ses machines (robots, ordinateurs), des conséquences de l'industrialisation (surpopulation, pollution) et de la co-existence avec l'Autre (robots, clones, extraterrestres, etc.) se posaient avec une acuité sans précédent. En dépit de la continuité des sujets et des thèmes (dont le futur et les voyages extraordinaires), une incompatibilité fondamentale distingue les deux époques de la science-fiction, de sorte qu'il n'est guère surprenant que les auteurs modernes ne se réfèrent pas aux auteurs de l'époque antérieure.
Certes, Joël Champetier faisait remarquer à Boréal qu'on lit encore Verne aujourd'hui. En fait, ce n'est pas contradictoire. Malgré son ancienneté, Verne annonçait la science-fiction moderne en accordant à la science et aux techniques une autorité incontestable tout en mettant en scène dans ses récits toutes les nationalités et origines, sans donner plus d'importance que nécessaire à des personnages français ou au devenir de la France comme nation. Cet universalisme nous permet de lire encore Verne aujourd'hui et d'apprécier les thématiques qui relient les deux grandes époques de la science-fiction, alors que ses contemporains québécois (tout comme les auteurs européens de récits de Zukunftskrieg) n'ont plus grand-chose à nous dire, et nous sont étrangers par leur esprit de clocher.
Le potentiel universel de la science-fiction en fait une littérature à part entière, dotée de la même capacité de durer que les valeurs universalistes et que le souci de l'avenir dont elle se nourrit, même si les aléas de l'Histoire peuvent engendrer des contextes moins propices que d'autres à l'épanouissement de la science-fiction.
S'il est donc temps de revenir à la science-fiction, c'est aussi parce que d'autres sujets m'en ont détournés au fil des mois, à commencer par l'arrestation de Peter Watts aux États-Unis. Heureusement, ses démêlés avec la justice étatsunienne se terminent aussi bien que possible eu égard aux circonstances.
Les temps sont incertains. Les bourses vacillent une fois de plus et le vieillissement démographique rattrape l'Europe avant de rattraper le Québec.
Il serait possible de soutenir que la science-fiction a encaissé deux grands coups au tournant des années quatre-vingt-dix. D'abord, Francis Fukuyama a proclamé la fin de l'Histoire (1989), verrouillant à jamais les évolutions socio-politiques à venir. Ensuite, Vernor Vinge a proclamé l'avènement inéluctable d'une Singularité (1993), qui non seulement verrouillait l'avenir mais assignait une borne à l'existence même de l'humanité. Ni l'un ni l'autre avenir ne promettait à l'humanité une liberté plus grande que celle dont l'Occident jouissait déjà. Le monde s'occidentaliserait peut-être, jusqu'à ce que l'humanité soit dépassée. Mais nous n'aurions sans doute pas le temps d'envoyer des humains sur Mars, de plonger dans les nuées de Jupiter, de nager dans des univers virtuels en immersion complète, d'avoir des robots comme compagnons de jeu ou de s'envoler pour une autre étoile.
Épitaphe pour une génération qui avait voulu que l'imagination soit au pouvoir? De nombreuses personnes ont cru à ces verrous de l'avenir et de nombreuses autres ont douté de la pertinence d'imaginer qu'un monde différent était possible. Mais les temps incertains nous libèrent des certitudes d'antan et nous obligent à placer désormais nos espérances en des lendemains encore inconnus et toujours indéterminés.
Oui, il est temps de revenir à la science-fiction.
Libellés : Science-fiction
2010-05-18
Suprématie, la revanche !
C'est un beau point d'orgue dans la carrière du roman, dont l'auteur espère qu'elle n'est point terminée et connaîtra d'autres exploitations, voire des suites... Était-ce donc de cela que l'auteur parlait l'autre jour au congrès Boréal avec ses fans... euh, son fan?
Libellés : Boréal, Science-fiction
2010-05-11
L'obésité et la syndicalisation
Watson remet en doute cette affirmation, en s'attachant au lien établi entre l'inégalité socio-économique dans plusieurs pays et leurs taux d'obésité. Faisant allusion (entre autres) aux travaux de Goldin et Katz sur les causes de l'inégalité grandissante dans les sociétés occidentales depuis trente ou quarante ans, Watson conclut donc : « In fact, most economic studies suggest the rise in inequality in the last three decades has more to do with changing technology and the consequent higher payoff to education than with declining rates of unionization. »
Dans le cas du Canada, ceci suggère toutefois un test intéressant, qui consiste à comparer les taux d'obésité et de syndicalisation selon les provinces. J'ai donc retenu les taux de syndicalisation en 2004 cités en page 2 de cette étude (.PDF) et les taux d'obésité en 2004 donnés en page 30 de l'étude Measured Obesity (.PDF) de Statistique Canada. Pour les dix provinces canadiennes, la corrélation des deux séries de taux donne la figure suivante.Effectivement, une corrélation entre les taux d'obésité au Canada et les taux de syndicalisation (pris comme des indicateurs d'une plus ou moins grande égalité socio-économique) n'est pas facile à voir. Cela dit, les taux de syndicalisation ne diffèrent pas énormément au Canada, pas plus que les taux d'obésité, de sorte qu'il n'y a pas de tendance claire. Et pas de verdict tranché non plus.