2012-03-22
Ce qui serait une juste part
Les jeunes sont bêtes. Au sens propre. C'est pourquoi ils doivent aller à l'école, afin de devenir des humains dignes de ce nom. Cette vérité ancienne, qui affirme que l'humanité ne s'acquiert pas sans avoir pratiqué un peu les humanités, c'est-à-dire les multiples formes et expériences de l'existence humaine depuis la nuit des temps, est dédaignée par ceux qui méprisent les études et les étudiants.
Certes, les étudiants québécois qui protestent aujourd'hui au nom de l'accessibilité sont bêtes. Ils prêtent un peu trop facilement le flanc à la critique, car ils ne peuvent prétendre être à ce point plus pauvres que les étudiants des autres provinces qui paient plus en frais de scolarité — et certains étudiants québécois démontrent quotidiennement, à force de rouler en auto, de sortir dans les bars et d'étaler un attirail électronique prétendument essentiel, qu'ils sont loin d'accorder nécessairement la priorité aux études quand vient le temps de dépenser ce qu'ils gagnent en travaillant. De plus, le rapport entre la fréquentation universitaire et le montant des frais de scolarité est loin d'être clair, alors qu'il est plus clair que les origines familiales comptent pour beaucoup dans la trajectoire scolaire avant même d'arriver à l'université et que le dédain populaire relatif pour les études universitaires au Québec pèse encore. (Soit dit en passant, on ne peut rien conclure du sondage de Léger Marketing présenté dans ce document (.PDF), puisqu'il amalgame les répondants qui considèrent Extrêmement important et Assez important de fréquenter l'université.)
Cependant, devenir humain n'est jamais insignifiant. Posons donc qu'il importe de fréquenter l'université et qu'il faut financer cette fréquentation. Mais qui va la financer?
Qu'est-ce qui serait une juste part étudiante du financement universitaire, pour reprendre le langage du gouvernement québécois ? La question est complexe. Premièrement, cette part ne saurait être de 100% puisque les universités ont plusieurs missions, dont certaines ne concernent que très lointainement l'enseignement et que les étudiants n'ont pas à subventionner. Deuxièmement, cette part pourrait difficilement être nulle puisque les étudiants retirent des bénéfices concrets, en moyenne, de leur passage à l'université et qu'ils ne reversent pas l'entièreté de ces gains à l'ensemble de la population qui financerait alors leur éducation. Par conséquent, il semble juste que les étudiants paient leur quote-part.
Le gouvernement considère que cette juste part correspond au niveau des frais payés en 1968, compte tenu de l'inflation (voir le diagramme). Mais il n'a pas vraiment justifié en quoi les frais de 1968 représenteraient le montant optimal.
En revanche, le gouvernement Charest a fait de ce montant (indexé) un plafond, qui serait rejoint en 2016 et qui serait le nouveau standard des frais universitaires au Québec. Ce montant pourrait-il être encore plus élevé si on suppose que l'économie a augmenté plus que l'inflation depuis 1968 ? Toutefois, la capacité de payer de la plupart des Québécois n'a pas nécessairement augmenté depuis 1968... Selon cette étude (.PDF), de 1976 à 2006, 80% de la population du Québec a pu empocher des gains de revenu disponible variant entre -10% et un peu plus de 5%. (Le 10% de la population qui est la plus riche a fait mieux.) Sur une période de trente ans, c'est peu et il est permis de supposer que la situation ne s'est pas améliorée depuis 2008. Par conséquent, il semble peu probable que la capacité de payer ait beaucoup augmenté par rapport au début des années soixante-dix — sauf celle des plus riches qui, de toutes façons, pouvaient se permettre de payer des frais universitaires plus élevés...
Comme je l'ai fait remarquer précédemment, tous les étudiants arrivés à l'université au Québec depuis 1968 ont payé moins que le seuil retenu par le gouvernement. Du point de vue de l'équité entre les générations, vouloir revenir à ce seuil maintenant représente donc une injustice.
Peut-on chiffrer cette injustice ? Le diagramme du gouvernement du Québec illustre l'écart variable entre les frais chaque année depuis 1968 et les frais de 1968 indexés en fonction de l'inflation. Si on fait la somme des différences, on détermine alors qu'en moyenne, les étudiants québécois de 1968 à 2011 ont bénéficié d'une économie annuelle de 938 $ par rapport au standard de 1968. C'est cette économie moyenne que la hausse de 1625 $ veut faire disparaître. D'ailleurs, ce chiffre n'est pas fidèle puisqu'il résulte de la moyenne des montants d'années différentes. Il faut rapporter ces montants à un étalon pour déterminer qu'en fait, les étudiants québécois depuis 1968 ont bénéficié d'une économie moyenne de 1507 $ environ en dollars de 2011. Certaines années, l'économie a été plus grande et d'autres moins. La figure ci-dessous montre que ce rabais a été plus élevé que la moyenne entre 1977 et 1991, puis entre 2002 et 2008. Les boomers tardifs (1958-1966) ont été particulièrement privilégiés, puis le gros de la génération X a goûté à la décroissance jusqu'à ce que les enfants des boomers arrivent à l'université et profitent des fruits du nouveau gel.Quoi qu'il en soit, cette observation suggère que la juste part des étudiants d'aujourd'hui et de demain consisterait en des frais universitaires fixés à 1500 $ environ en-deçà du standard retenu par le gouvernement. Assez curieusement, il s'agit à peu de choses près du niveau actuel, ce qui me fait penser que la hausse précédente des frais universitaires visait peut-être consciemment à retrouver ce niveau.
Du coup, en adoptant (comme le gouvernement) l'horizon de 2016-2017 et en supposant un taux d'inflation de 2%, il est aisé de calculer qu'il suffirait de hausses d'à peu près 3 dollars par année pour y arriver. Soit cent fois moins que la hausse prévue ! Après 2016-2017, en indexant les frais universitaires à l'inflation, on maintiendrait l'écart moyen des quarante dernières années entre les frais payés et les frais de 1968. Dans la figure ci-dessous, on mesure bien la différence entre les deux scénarios. L'augmentation voulue par le gouvernement Charest hisserait les frais à hauteur de ceux de 1968 tandis qu'un scénario plus équitable observerait un quasi-gel suivi d'une montée graduelle après 2016-2017. Une dernière remarque : dans le cadre du plan de financement des universités du gouvernement Charest, la hausse des frais étudiants représente à peu près le tiers de l'argent neuf alors que cette proportion est à peu près le double de la part des frais étudiants dans le budget de fonctionnement des universités. Et si, comme je suis prêt à le prédire, les universités et les particuliers n'arrivent pas à fournir les fonds prévus, la part étudiante représenterait jusqu'à 40% de l'argent neuf. C'est nettement exagéré. En revanche, le gouvernement Charest aurait pu soutenir que des hausses reflétant la part étudiante dans le budget de fonctionnement des universités aurait été équitables. Un calcul rapide suggère que le tiers environ de la hausse actuelle aurait été défendable sur cette base, même si une telle hausse aurait été quand même inéquitable.
Certes, les étudiants québécois qui protestent aujourd'hui au nom de l'accessibilité sont bêtes. Ils prêtent un peu trop facilement le flanc à la critique, car ils ne peuvent prétendre être à ce point plus pauvres que les étudiants des autres provinces qui paient plus en frais de scolarité — et certains étudiants québécois démontrent quotidiennement, à force de rouler en auto, de sortir dans les bars et d'étaler un attirail électronique prétendument essentiel, qu'ils sont loin d'accorder nécessairement la priorité aux études quand vient le temps de dépenser ce qu'ils gagnent en travaillant. De plus, le rapport entre la fréquentation universitaire et le montant des frais de scolarité est loin d'être clair, alors qu'il est plus clair que les origines familiales comptent pour beaucoup dans la trajectoire scolaire avant même d'arriver à l'université et que le dédain populaire relatif pour les études universitaires au Québec pèse encore. (Soit dit en passant, on ne peut rien conclure du sondage de Léger Marketing présenté dans ce document (.PDF), puisqu'il amalgame les répondants qui considèrent Extrêmement important et Assez important de fréquenter l'université.)
Cependant, devenir humain n'est jamais insignifiant. Posons donc qu'il importe de fréquenter l'université et qu'il faut financer cette fréquentation. Mais qui va la financer?
Qu'est-ce qui serait une juste part étudiante du financement universitaire, pour reprendre le langage du gouvernement québécois ? La question est complexe. Premièrement, cette part ne saurait être de 100% puisque les universités ont plusieurs missions, dont certaines ne concernent que très lointainement l'enseignement et que les étudiants n'ont pas à subventionner. Deuxièmement, cette part pourrait difficilement être nulle puisque les étudiants retirent des bénéfices concrets, en moyenne, de leur passage à l'université et qu'ils ne reversent pas l'entièreté de ces gains à l'ensemble de la population qui financerait alors leur éducation. Par conséquent, il semble juste que les étudiants paient leur quote-part.
Le gouvernement considère que cette juste part correspond au niveau des frais payés en 1968, compte tenu de l'inflation (voir le diagramme). Mais il n'a pas vraiment justifié en quoi les frais de 1968 représenteraient le montant optimal.
En revanche, le gouvernement Charest a fait de ce montant (indexé) un plafond, qui serait rejoint en 2016 et qui serait le nouveau standard des frais universitaires au Québec. Ce montant pourrait-il être encore plus élevé si on suppose que l'économie a augmenté plus que l'inflation depuis 1968 ? Toutefois, la capacité de payer de la plupart des Québécois n'a pas nécessairement augmenté depuis 1968... Selon cette étude (.PDF), de 1976 à 2006, 80% de la population du Québec a pu empocher des gains de revenu disponible variant entre -10% et un peu plus de 5%. (Le 10% de la population qui est la plus riche a fait mieux.) Sur une période de trente ans, c'est peu et il est permis de supposer que la situation ne s'est pas améliorée depuis 2008. Par conséquent, il semble peu probable que la capacité de payer ait beaucoup augmenté par rapport au début des années soixante-dix — sauf celle des plus riches qui, de toutes façons, pouvaient se permettre de payer des frais universitaires plus élevés...
Comme je l'ai fait remarquer précédemment, tous les étudiants arrivés à l'université au Québec depuis 1968 ont payé moins que le seuil retenu par le gouvernement. Du point de vue de l'équité entre les générations, vouloir revenir à ce seuil maintenant représente donc une injustice.
Peut-on chiffrer cette injustice ? Le diagramme du gouvernement du Québec illustre l'écart variable entre les frais chaque année depuis 1968 et les frais de 1968 indexés en fonction de l'inflation. Si on fait la somme des différences, on détermine alors qu'en moyenne, les étudiants québécois de 1968 à 2011 ont bénéficié d'une économie annuelle de 938 $ par rapport au standard de 1968. C'est cette économie moyenne que la hausse de 1625 $ veut faire disparaître. D'ailleurs, ce chiffre n'est pas fidèle puisqu'il résulte de la moyenne des montants d'années différentes. Il faut rapporter ces montants à un étalon pour déterminer qu'en fait, les étudiants québécois depuis 1968 ont bénéficié d'une économie moyenne de 1507 $ environ en dollars de 2011. Certaines années, l'économie a été plus grande et d'autres moins. La figure ci-dessous montre que ce rabais a été plus élevé que la moyenne entre 1977 et 1991, puis entre 2002 et 2008. Les boomers tardifs (1958-1966) ont été particulièrement privilégiés, puis le gros de la génération X a goûté à la décroissance jusqu'à ce que les enfants des boomers arrivent à l'université et profitent des fruits du nouveau gel.Quoi qu'il en soit, cette observation suggère que la juste part des étudiants d'aujourd'hui et de demain consisterait en des frais universitaires fixés à 1500 $ environ en-deçà du standard retenu par le gouvernement. Assez curieusement, il s'agit à peu de choses près du niveau actuel, ce qui me fait penser que la hausse précédente des frais universitaires visait peut-être consciemment à retrouver ce niveau.
Du coup, en adoptant (comme le gouvernement) l'horizon de 2016-2017 et en supposant un taux d'inflation de 2%, il est aisé de calculer qu'il suffirait de hausses d'à peu près 3 dollars par année pour y arriver. Soit cent fois moins que la hausse prévue ! Après 2016-2017, en indexant les frais universitaires à l'inflation, on maintiendrait l'écart moyen des quarante dernières années entre les frais payés et les frais de 1968. Dans la figure ci-dessous, on mesure bien la différence entre les deux scénarios. L'augmentation voulue par le gouvernement Charest hisserait les frais à hauteur de ceux de 1968 tandis qu'un scénario plus équitable observerait un quasi-gel suivi d'une montée graduelle après 2016-2017. Une dernière remarque : dans le cadre du plan de financement des universités du gouvernement Charest, la hausse des frais étudiants représente à peu près le tiers de l'argent neuf alors que cette proportion est à peu près le double de la part des frais étudiants dans le budget de fonctionnement des universités. Et si, comme je suis prêt à le prédire, les universités et les particuliers n'arrivent pas à fournir les fonds prévus, la part étudiante représenterait jusqu'à 40% de l'argent neuf. C'est nettement exagéré. En revanche, le gouvernement Charest aurait pu soutenir que des hausses reflétant la part étudiante dans le budget de fonctionnement des universités aurait été équitables. Un calcul rapide suggère que le tiers environ de la hausse actuelle aurait été défendable sur cette base, même si une telle hausse aurait été quand même inéquitable.
Libellés : Québec, Université
2012-03-18
Carré rouge
Faut-il faire payer les étudiants ?
C'est le débat qui fait rage en ce moment au Québec. Les hausses cumulatives des frais de scolarité universitaires vont augmenter de près de 75% sur cinq ans les frais payés par les étudiants.
Comment le gouvernement arrive-t-il à les justifier? En gros, il soutient que la contribution étudiante au fonctionnement des universités passera de 12,7% à 16,9% de 2008-2009 à 2016-2017 alors que ce pourcentage était de 26,4% en 1964-1965 ; qu'en 2016-2017, les frais ne feront que rejoindre les frais de 1968 compte tenu de l'inflation ; qu'en 2016-2017, les frais resteront plus bas que dans sept des autres provinces en 2009-2010 ; et que l'endettement étudiant est plus bas qu'ailleurs au Canada grâce à des bourses plus généreuses, à des frais plus bas et au raccourcissement des études rendu possible par l'existence des cégeps. Pour ce qui de l'amélioration des universités, le gouvernement soutient qu'il investira d'ici 2016-2017 de l'argent neuf représentant 144% des fonds obtenus grâce à la hausse des frais de scolarité tout en comptant sur les universités pour apporter de l'argent neuf représentant 62% des fonds générés par la hausse. Ceci doit financer un plan d'amélioration du positionnement concurrentiel des universités (20%), de leur administration (15%) et de l'enseignement-recherche (65%) — ce dernier poste devant couvrir (pour environ 50% du total) une amélioration de l'infrastructure pour l'enseignement et de l'encadrement des étudiants par des profs réguliers.
Or, si les étudiants sont moins endettés, c'est parce que les frais sont plus bas, mais si les frais montent, l'endettement risque de monter aussi... Or, on peut discuter de la validité de 1968 : si les frais ne rejoindront ce seuil qu'en 2016, cela signifie que tous les étudiants québécois entre 1968 et 2015 auront payé moins cher pour aller à l'université, compte tenu de l'inflation, que les étudiants d'après 2016-2017. Or, on peut calculer que le pouvoir d'achat du Québécois moyen est plus petit que celui de l'Ontarien moyen, la différence représentant plus de 4000 $ ; par conséquent, on ne peut pas comparer les frais de scolarité dans chaque province sans tenir compte du pouvoir d'achat. (En revanche, cette même source note que le pouvoir d'achat des Québécois les plus pauvres est sans doute équivalent à celui des Ontariens les plus pauvres, ce qui suggère que, comparativement, une hausse des frais de scolarité découragerait — ceteris paribus — plus particulièrement les classes moyennes et les riches que les pauvres.) Or, il est permis de douter que les universités arriveront à recueillir plus de fonds (les contribuables québécois accepteront-ils de donner plus? les étudiants accepteront-ils de payer plus de fonds afférents? les inventions des universitaires québécois seront-elles tout d'un coup plus payantes?). Or, sans l'apport des universités (comptant pour 20% de l'argent neuf), le gouvernement donnera-t-il tout ce qu'il a promis — et que privilégiera-t-il si le plan n'est financé qu'en partie ?
Bref, certains des arguments du gouvernement Charest ne sont ni pertinents ni convaincants ni même crédibles parfois dans la mesure où ils évitent souvent le fond de la question.
Tout d'abord, les universités méritent-elles d'être mieux financées ? Le fiasco immobilier de l'UQÀM n'est pas seulement un exemple de dépenses malavisées, mais il témoignait aussi d'un échec flagrant de la gouvernance des universités québécoises. L'assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec a donné son accord plus ou moins les yeux fermés. Qui fait partie (actuellement) de cette assemblée? Selon cette page, on parle : (a) du président de l'Université; (b) du recteur de chaque université constituante; (c) d'au plus quatre personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, parmi les directeurs généraux des instituts de recherche et des écoles supérieures; (d) de cinq personnes nommées par le gouvernement dont trois membres du corps professoral des universités constituantes, des écoles supérieures et des instituts de recherche et deux étudiants de ces universités, écoles et instituts ; (e) de sept personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, après consultation des groupes les plus représentatifs des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail; et (f) d'une personne provenant du milieu de l'enseignement collégial, nommée par le gouvernement, sur la recommandation du ministre.
Une véritable imputabilité aurait sans doute exigé qu'on poursuive non seulement les dirigeants de l'UQÀM pour leur gestion défaillante mais qu'on limoge aussi en bloc tous les membres des conseils ayant manqué de diligence dans l'exécution de leurs fonctions. On peut soupçonner que la future gouvernance des universités en aurait été plus améliorée qu'avec le changement de la composition de leurs conseils d'administration voulu par le gouvernement actuel. Mais cela n'a pas été fait et la prodigalité des administrateurs universitaires québécois continue à s'étaler sur les premières pages des journaux.
Si on veut responsabiliser les étudiants en haussant leurs frais, cela ne signifie-t-il pas qu'on va déresponsabiliser les universités en leur donnant plus d'argent ? La multiplication des campus satellites a démontré que les universités dépensent déjà allègrement en tenant uniquement compte de leurs propres intérêts, et non de ceux des contribuables québécois. Tiens, un exemple... L'UQTR a mis sur pied une antenne dans la ville de Québec, par exemple, pour offrir un baccalauréat en psychoéducation puisque le programme n'était pas offert dans la région. Cette décision se défendait, mais, depuis l'automne 2010, l'Université Laval offre son propre baccalauréat en psychoéducation pour attirer les étudiants qui s'inscrivaient autrefois à l'UQTR. Soyons clair : cette duplication de l'offre sur un même territoire, c'est l'argent des contribuables qu'on jette par les fenêtres.
On pourrait parler aussi du sous-financement des bibliothèques universitaires québécoises, qui sont rarement aussi bien montées qu'en Ontario ou qui offrent rarement des heures d'ouverture comparables à celles des meilleures universités — parce que les universités québécoises donnent la priorité à autre chose. Ou bien, on pourrait évoquer la sous-utilisation des locaux universitaires. En Ontario, les universités offrent beaucoup plus de cours d'été (et le climat n'est pas plus frais l'été en Ontario) et les locaux pourvus de consoles multimédia à l'Université d'Ottawa sont souvent occupés de 8 h du matin à 22 h durant les trimestres d'automne et d'hiver. En va-t-il de même dans les universités québécoises ? J'attends de voir des chiffres, mais qui déambule au hasard dans une université québécoise, un après-midi de semaine d'automne, un vendredi d'hiver ou une journée d'été, a fréquemment l'impression d'errer dans un vaste désert...
Une autre question cruciale, c'est de savoir si cette hausse des frais est susceptible d'améliorer la fréquentation universitaire. Dans une certaine mesure, les chiffres sont ambigus. D'une part, on peut soutenir que les frais de scolarité réduits au Québec sont associés à de plus bas taux de fréquentation qu'en Ontario, de 1971 à aujourd'hui. D'autre part, on peut faire observer que ces frais réduits ont permis une hausse de la fréquentation et un rattrapage du Québec relativement à l'ensemble du Canada.
En effet, jusqu'en 2001, la fréquentation universitaire au Québec est restée plus basse qu'en Ontario malgré des frais de scolarité plus bas. Pour la population des 20-24 ans, voici les taux de fréquentation scolaire/universitaire :
Année — Québec — Ontario — Canada
1971 — 16,5 % — 20,2 % — 18,0 %
1981 — 18,4 % — 22,3 % — 18,6 %
1991 — 32,4 % — 36,5 % — 32,4 %
2001 — 41,4 % — 43,5 % — 39,6 %
Jusqu'en 2001, le Québec rattrape et dépasse les taux de fréquentation dans l'ensemble du Canada, mais il demeure à la traîne de l'Ontario. Les données de 2011 ne sont pas encore disponibles, et celles de 2006 ne permettent pas de distinguer les élèves du secondaires, les inscrits des cégeps et les étudiants universitaires. Néanmoins, la tendance reste pareille. Le Québec affiche un taux de fréquentation de 68,9% pour les 15-24 ans, l'Ontario de 70,1% et le Canada dans son ensemble de 66,9%. Quand on parle du reste du Canada, il convient de se rappeler que, dans les provinces plus riches dominées par l'extraction des matières premières, la fréquentation universitaire est moins intéressante que le marché du travail, ce qui pousse les chiffres à la baisse. Le Québec a tendance à se comparer à l'Ontario en partant du principe que leurs économies sont semblables, mais il faudrait sans doute comparer plus exactement l'attrait du secteur primaire dans chaque province.
De manière plus précise, une étude de 2005 a permis de préciser le taux de fréquentation universitaire des jeunes de 24-26 ans, tous cycles confondus. La moyenne canadienne était de 40% et le classement des provinces était comme suit :
Terre-Neuve et Labrador — 48%
Nouvelle-Écosse — 47%
Manitoba, Saskatchewan — 44%
Ontario, Île du Prince-Édouard — 43 %
Nouveau-Brunswick — 41%
Québec, Colombie-Britannique — 38%
Alberta — 34%
Bref, pour ce groupe d'âge en 2005, le Québec restait à la traîne de la moyenne canadienne et de l'Ontario.
Toutefois, la fréquentation n'est pas tout. Selon cet article, le taux de diplomation en 2006, « tous cycles confondus, était de 21,4 % au Québec, contre 22,6 % au Canada et 24,7 % en Ontario ». Dans quelle mesure des frais de scolarité relativement bas encouragent-ils les étudiants à entamer des études sans la détermination nécessaire pour les compléter ?
C'est toute la question de l'accessibilité qu'il faut soulever. Et de l'équité inter-générationnelle.
En ce qui concerne l'accessibilité, tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est possible mais sans doute peu probable dans l'immédiat qu'une hausse des frais pousse plus de jeunes québécois à fréquenter l'université en donnant plus de valeur à une éducation universitaire, mais ceux qu'une hausse (relativement modeste dans le cadre d'un budget étudiant) risque le plus de décourager sont précisément les étudiants de première génération qui surestiment déjà les coûts et sous-estiment les avantages d'une éducation universitaire.
En ce qui concerne l'équité entre les générations, examinons de nouveau la courbe des frais de scolarité au Québec.
Ceux-ci ont été gelés de 1968 à 1989, de sorte que les baby-boomers (nés de 1946 à 1966) ont pu bénéficier de frais réduits. Dès leur départ, les frais ont commencé à remonter, et beaucoup plus raidement que ce que le gouvernement propose actuellement, de sorte que la génération X a goûté à des frais d'étude plus proches des niveaux de 1968 qu'ils ne l'avaient été depuis la fin des années soixante-dix. Puis, ils ont été gelés de nouveau, juste à temps pour accueillir les premiers enfants des baby-boomers au milieu des années quatre-vingt-dix. Maintenant que la génération des enfants de boomers est sur le point de quitter l'université vers 2016, les frais de scolarité remonteront au niveau de 1968... Si l'accessibilité aux études est une question d'équité entre les classes sociales, celle du montant comparatif des frais est une question d'équité entre les générations. Si trois générations ont pu bénéficier de frais inférieurs à ceux de 1968, pourquoi la génération post-2016 devrait-elle payer plus ?
La réponse est en partie politique. Les jeunes ne votent pas ou peu. Qui ne dit mot consent. Les baby-boomers votent. Ils font payer les autres. Pour leur éducation et pour leurs pensions. Le même budget Bachand établira sans doute un nouveau plan d'épargne-retraite destiné à entrer en vigueur vers 2013, de sorte qu'il ne profitera sans doute qu'aux travailleurs qui prendront leur retraite vers 2023 — alors que la plupart des baby-boomers auront déjà pris leur retraite (âge moyen actuel de la retraite au Québec : entre 60 et 61 ans). Ceux-ci auront profité de pensions à prestations déterminées et de paiements financés par l'assiette fiscale de tous, mais leurs successeurs auront à payer pour les boomers, à renflouer la caisse de la RRQ (dont les revenus s'épuiseront vers 2025, tiens, ce qui obligera l'État à écorner le capital ou augmenter les cotisations...) et à payer plus pour préparer leur propre retraite. Selon le principe des vases communicants, il est permis de se demander dans quelle mesure la hausse des frais de scolarité doit aussi financer les trous à venir.
En guise de conclusion, il ne demeure qu'une question fondamentale : existe-t-il d'autres solutions qu'une hausse des frais de scolarité ?
Tout d'abord, pour améliorer la gestion des universités, il faudrait sans doute une instance de coordination centralisée. Une pour toutes les universités francophones et une pour toutes les universités anglophones. Un tel organisme serait chargé d'éviter les duplications et les chevauchements qui gaspille l'argent des contribuables — et des étudiants. Ajoutons que cet organisme aurait peut-être le poids et la poigne qu'il faudrait pour négocier avec les ordres professionnels qui alourdissent parfois les exigences pour l'exercice d'une profession en faisant payer la note aux étudiants, aux universités et au public — afin de pouvoir pratiquer ce qui ressemble fort à un contingentement et un corporatisme à peine déguisés.
Ensuite, pour améliorer l'accessibilité, on pourrait instaurer la gratuité de la première année d'études universitaires afin d'encourager les étudiants de première génération et les plus pauvres à tenter leur chance. On exige beaucoup des étudiants qui commencent leurs études : à la fois s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement, changer de ville dans plus d'un cas, apprendre à vivre de manière autonome pour la première fois et se dénicher un travail payant pour financer leurs études en plus de solliciter les aides de l'État. En supprimant les frais la première année, on faciliterait cette adaptation (en augmentant la persévérance espérée par le gouvernement) tout en réduisant les coûts de l'expérience pour les jeunes qui ne sont pas certains que l'université leur conviendra. Au besoin, on pourrait augmenter les frais des années subséquentes. Dans le même ordre d'idées, il faudrait examiner de plus près les possibilités d'aide au logement pour les étudiants provenant de régions où il n'existe pas d'université offrant le programme les intéressant.
Pour ce qui est de favoriser la mobilité sociale, une hausse des frais ne facilitera pas l'accès aux études. On ne peut pas nécessairement affirmer grand-chose de plus, mais si on voulait à la fois encourager la mobilité sociale et augmenter l'attrait des études universitaires, on devrait songer à des frais différenciés selon les programmes. Certains programmes coûtent plus cher (la médecine ou le génie, par exemple) et on suggère parfois de faire payer plus aux étudiants. Pourtant, nous avons besoin de médecins et d'ingénieurs, voire d'avocats et de notaires, qui paieront sans doute des impôts plus élevés afin de financer les universités. Et ce sont des professions où une meilleure représentativité sociale ne serait pas mauvaise... Par conséquent, a contrario de l'idée reçue, je proposerais qu'on baisse les frais de scolarité de génie, de médecine, de droit et de sciences. (De sorte que les étudiants issus de milieux modestes auraient plus de chances d'accéder à des emplois bien payés. Résultat : plus de mobilité sociale.) Et qu'on hausse pour compenser les frais des programmes des arts et sciences humaines, dont les diplômés seront toujours assez nombreux pour alimenter les écoles, cégeps et universités en personnel. Il s'agit d'une proposition modeste qui a pour but de relancer le débat sans nécessairement affirmer que c'est la seule solution possible.
C'est le débat qui fait rage en ce moment au Québec. Les hausses cumulatives des frais de scolarité universitaires vont augmenter de près de 75% sur cinq ans les frais payés par les étudiants.
Comment le gouvernement arrive-t-il à les justifier? En gros, il soutient que la contribution étudiante au fonctionnement des universités passera de 12,7% à 16,9% de 2008-2009 à 2016-2017 alors que ce pourcentage était de 26,4% en 1964-1965 ; qu'en 2016-2017, les frais ne feront que rejoindre les frais de 1968 compte tenu de l'inflation ; qu'en 2016-2017, les frais resteront plus bas que dans sept des autres provinces en 2009-2010 ; et que l'endettement étudiant est plus bas qu'ailleurs au Canada grâce à des bourses plus généreuses, à des frais plus bas et au raccourcissement des études rendu possible par l'existence des cégeps. Pour ce qui de l'amélioration des universités, le gouvernement soutient qu'il investira d'ici 2016-2017 de l'argent neuf représentant 144% des fonds obtenus grâce à la hausse des frais de scolarité tout en comptant sur les universités pour apporter de l'argent neuf représentant 62% des fonds générés par la hausse. Ceci doit financer un plan d'amélioration du positionnement concurrentiel des universités (20%), de leur administration (15%) et de l'enseignement-recherche (65%) — ce dernier poste devant couvrir (pour environ 50% du total) une amélioration de l'infrastructure pour l'enseignement et de l'encadrement des étudiants par des profs réguliers.
Or, si les étudiants sont moins endettés, c'est parce que les frais sont plus bas, mais si les frais montent, l'endettement risque de monter aussi... Or, on peut discuter de la validité de 1968 : si les frais ne rejoindront ce seuil qu'en 2016, cela signifie que tous les étudiants québécois entre 1968 et 2015 auront payé moins cher pour aller à l'université, compte tenu de l'inflation, que les étudiants d'après 2016-2017. Or, on peut calculer que le pouvoir d'achat du Québécois moyen est plus petit que celui de l'Ontarien moyen, la différence représentant plus de 4000 $ ; par conséquent, on ne peut pas comparer les frais de scolarité dans chaque province sans tenir compte du pouvoir d'achat. (En revanche, cette même source note que le pouvoir d'achat des Québécois les plus pauvres est sans doute équivalent à celui des Ontariens les plus pauvres, ce qui suggère que, comparativement, une hausse des frais de scolarité découragerait — ceteris paribus — plus particulièrement les classes moyennes et les riches que les pauvres.) Or, il est permis de douter que les universités arriveront à recueillir plus de fonds (les contribuables québécois accepteront-ils de donner plus? les étudiants accepteront-ils de payer plus de fonds afférents? les inventions des universitaires québécois seront-elles tout d'un coup plus payantes?). Or, sans l'apport des universités (comptant pour 20% de l'argent neuf), le gouvernement donnera-t-il tout ce qu'il a promis — et que privilégiera-t-il si le plan n'est financé qu'en partie ?
Bref, certains des arguments du gouvernement Charest ne sont ni pertinents ni convaincants ni même crédibles parfois dans la mesure où ils évitent souvent le fond de la question.
Tout d'abord, les universités méritent-elles d'être mieux financées ? Le fiasco immobilier de l'UQÀM n'est pas seulement un exemple de dépenses malavisées, mais il témoignait aussi d'un échec flagrant de la gouvernance des universités québécoises. L'assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec a donné son accord plus ou moins les yeux fermés. Qui fait partie (actuellement) de cette assemblée? Selon cette page, on parle : (a) du président de l'Université; (b) du recteur de chaque université constituante; (c) d'au plus quatre personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, parmi les directeurs généraux des instituts de recherche et des écoles supérieures; (d) de cinq personnes nommées par le gouvernement dont trois membres du corps professoral des universités constituantes, des écoles supérieures et des instituts de recherche et deux étudiants de ces universités, écoles et instituts ; (e) de sept personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, après consultation des groupes les plus représentatifs des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail; et (f) d'une personne provenant du milieu de l'enseignement collégial, nommée par le gouvernement, sur la recommandation du ministre.
Une véritable imputabilité aurait sans doute exigé qu'on poursuive non seulement les dirigeants de l'UQÀM pour leur gestion défaillante mais qu'on limoge aussi en bloc tous les membres des conseils ayant manqué de diligence dans l'exécution de leurs fonctions. On peut soupçonner que la future gouvernance des universités en aurait été plus améliorée qu'avec le changement de la composition de leurs conseils d'administration voulu par le gouvernement actuel. Mais cela n'a pas été fait et la prodigalité des administrateurs universitaires québécois continue à s'étaler sur les premières pages des journaux.
Si on veut responsabiliser les étudiants en haussant leurs frais, cela ne signifie-t-il pas qu'on va déresponsabiliser les universités en leur donnant plus d'argent ? La multiplication des campus satellites a démontré que les universités dépensent déjà allègrement en tenant uniquement compte de leurs propres intérêts, et non de ceux des contribuables québécois. Tiens, un exemple... L'UQTR a mis sur pied une antenne dans la ville de Québec, par exemple, pour offrir un baccalauréat en psychoéducation puisque le programme n'était pas offert dans la région. Cette décision se défendait, mais, depuis l'automne 2010, l'Université Laval offre son propre baccalauréat en psychoéducation pour attirer les étudiants qui s'inscrivaient autrefois à l'UQTR. Soyons clair : cette duplication de l'offre sur un même territoire, c'est l'argent des contribuables qu'on jette par les fenêtres.
On pourrait parler aussi du sous-financement des bibliothèques universitaires québécoises, qui sont rarement aussi bien montées qu'en Ontario ou qui offrent rarement des heures d'ouverture comparables à celles des meilleures universités — parce que les universités québécoises donnent la priorité à autre chose. Ou bien, on pourrait évoquer la sous-utilisation des locaux universitaires. En Ontario, les universités offrent beaucoup plus de cours d'été (et le climat n'est pas plus frais l'été en Ontario) et les locaux pourvus de consoles multimédia à l'Université d'Ottawa sont souvent occupés de 8 h du matin à 22 h durant les trimestres d'automne et d'hiver. En va-t-il de même dans les universités québécoises ? J'attends de voir des chiffres, mais qui déambule au hasard dans une université québécoise, un après-midi de semaine d'automne, un vendredi d'hiver ou une journée d'été, a fréquemment l'impression d'errer dans un vaste désert...
Une autre question cruciale, c'est de savoir si cette hausse des frais est susceptible d'améliorer la fréquentation universitaire. Dans une certaine mesure, les chiffres sont ambigus. D'une part, on peut soutenir que les frais de scolarité réduits au Québec sont associés à de plus bas taux de fréquentation qu'en Ontario, de 1971 à aujourd'hui. D'autre part, on peut faire observer que ces frais réduits ont permis une hausse de la fréquentation et un rattrapage du Québec relativement à l'ensemble du Canada.
En effet, jusqu'en 2001, la fréquentation universitaire au Québec est restée plus basse qu'en Ontario malgré des frais de scolarité plus bas. Pour la population des 20-24 ans, voici les taux de fréquentation scolaire/universitaire :
Année — Québec — Ontario — Canada
1971 — 16,5 % — 20,2 % — 18,0 %
1981 — 18,4 % — 22,3 % — 18,6 %
1991 — 32,4 % — 36,5 % — 32,4 %
2001 — 41,4 % — 43,5 % — 39,6 %
Jusqu'en 2001, le Québec rattrape et dépasse les taux de fréquentation dans l'ensemble du Canada, mais il demeure à la traîne de l'Ontario. Les données de 2011 ne sont pas encore disponibles, et celles de 2006 ne permettent pas de distinguer les élèves du secondaires, les inscrits des cégeps et les étudiants universitaires. Néanmoins, la tendance reste pareille. Le Québec affiche un taux de fréquentation de 68,9% pour les 15-24 ans, l'Ontario de 70,1% et le Canada dans son ensemble de 66,9%. Quand on parle du reste du Canada, il convient de se rappeler que, dans les provinces plus riches dominées par l'extraction des matières premières, la fréquentation universitaire est moins intéressante que le marché du travail, ce qui pousse les chiffres à la baisse. Le Québec a tendance à se comparer à l'Ontario en partant du principe que leurs économies sont semblables, mais il faudrait sans doute comparer plus exactement l'attrait du secteur primaire dans chaque province.
De manière plus précise, une étude de 2005 a permis de préciser le taux de fréquentation universitaire des jeunes de 24-26 ans, tous cycles confondus. La moyenne canadienne était de 40% et le classement des provinces était comme suit :
Terre-Neuve et Labrador — 48%
Nouvelle-Écosse — 47%
Manitoba, Saskatchewan — 44%
Ontario, Île du Prince-Édouard — 43 %
Nouveau-Brunswick — 41%
Québec, Colombie-Britannique — 38%
Alberta — 34%
Bref, pour ce groupe d'âge en 2005, le Québec restait à la traîne de la moyenne canadienne et de l'Ontario.
Toutefois, la fréquentation n'est pas tout. Selon cet article, le taux de diplomation en 2006, « tous cycles confondus, était de 21,4 % au Québec, contre 22,6 % au Canada et 24,7 % en Ontario ». Dans quelle mesure des frais de scolarité relativement bas encouragent-ils les étudiants à entamer des études sans la détermination nécessaire pour les compléter ?
C'est toute la question de l'accessibilité qu'il faut soulever. Et de l'équité inter-générationnelle.
En ce qui concerne l'accessibilité, tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est possible mais sans doute peu probable dans l'immédiat qu'une hausse des frais pousse plus de jeunes québécois à fréquenter l'université en donnant plus de valeur à une éducation universitaire, mais ceux qu'une hausse (relativement modeste dans le cadre d'un budget étudiant) risque le plus de décourager sont précisément les étudiants de première génération qui surestiment déjà les coûts et sous-estiment les avantages d'une éducation universitaire.
En ce qui concerne l'équité entre les générations, examinons de nouveau la courbe des frais de scolarité au Québec.
Ceux-ci ont été gelés de 1968 à 1989, de sorte que les baby-boomers (nés de 1946 à 1966) ont pu bénéficier de frais réduits. Dès leur départ, les frais ont commencé à remonter, et beaucoup plus raidement que ce que le gouvernement propose actuellement, de sorte que la génération X a goûté à des frais d'étude plus proches des niveaux de 1968 qu'ils ne l'avaient été depuis la fin des années soixante-dix. Puis, ils ont été gelés de nouveau, juste à temps pour accueillir les premiers enfants des baby-boomers au milieu des années quatre-vingt-dix. Maintenant que la génération des enfants de boomers est sur le point de quitter l'université vers 2016, les frais de scolarité remonteront au niveau de 1968... Si l'accessibilité aux études est une question d'équité entre les classes sociales, celle du montant comparatif des frais est une question d'équité entre les générations. Si trois générations ont pu bénéficier de frais inférieurs à ceux de 1968, pourquoi la génération post-2016 devrait-elle payer plus ?
La réponse est en partie politique. Les jeunes ne votent pas ou peu. Qui ne dit mot consent. Les baby-boomers votent. Ils font payer les autres. Pour leur éducation et pour leurs pensions. Le même budget Bachand établira sans doute un nouveau plan d'épargne-retraite destiné à entrer en vigueur vers 2013, de sorte qu'il ne profitera sans doute qu'aux travailleurs qui prendront leur retraite vers 2023 — alors que la plupart des baby-boomers auront déjà pris leur retraite (âge moyen actuel de la retraite au Québec : entre 60 et 61 ans). Ceux-ci auront profité de pensions à prestations déterminées et de paiements financés par l'assiette fiscale de tous, mais leurs successeurs auront à payer pour les boomers, à renflouer la caisse de la RRQ (dont les revenus s'épuiseront vers 2025, tiens, ce qui obligera l'État à écorner le capital ou augmenter les cotisations...) et à payer plus pour préparer leur propre retraite. Selon le principe des vases communicants, il est permis de se demander dans quelle mesure la hausse des frais de scolarité doit aussi financer les trous à venir.
En guise de conclusion, il ne demeure qu'une question fondamentale : existe-t-il d'autres solutions qu'une hausse des frais de scolarité ?
Tout d'abord, pour améliorer la gestion des universités, il faudrait sans doute une instance de coordination centralisée. Une pour toutes les universités francophones et une pour toutes les universités anglophones. Un tel organisme serait chargé d'éviter les duplications et les chevauchements qui gaspille l'argent des contribuables — et des étudiants. Ajoutons que cet organisme aurait peut-être le poids et la poigne qu'il faudrait pour négocier avec les ordres professionnels qui alourdissent parfois les exigences pour l'exercice d'une profession en faisant payer la note aux étudiants, aux universités et au public — afin de pouvoir pratiquer ce qui ressemble fort à un contingentement et un corporatisme à peine déguisés.
Ensuite, pour améliorer l'accessibilité, on pourrait instaurer la gratuité de la première année d'études universitaires afin d'encourager les étudiants de première génération et les plus pauvres à tenter leur chance. On exige beaucoup des étudiants qui commencent leurs études : à la fois s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement, changer de ville dans plus d'un cas, apprendre à vivre de manière autonome pour la première fois et se dénicher un travail payant pour financer leurs études en plus de solliciter les aides de l'État. En supprimant les frais la première année, on faciliterait cette adaptation (en augmentant la persévérance espérée par le gouvernement) tout en réduisant les coûts de l'expérience pour les jeunes qui ne sont pas certains que l'université leur conviendra. Au besoin, on pourrait augmenter les frais des années subséquentes. Dans le même ordre d'idées, il faudrait examiner de plus près les possibilités d'aide au logement pour les étudiants provenant de régions où il n'existe pas d'université offrant le programme les intéressant.
Pour ce qui est de favoriser la mobilité sociale, une hausse des frais ne facilitera pas l'accès aux études. On ne peut pas nécessairement affirmer grand-chose de plus, mais si on voulait à la fois encourager la mobilité sociale et augmenter l'attrait des études universitaires, on devrait songer à des frais différenciés selon les programmes. Certains programmes coûtent plus cher (la médecine ou le génie, par exemple) et on suggère parfois de faire payer plus aux étudiants. Pourtant, nous avons besoin de médecins et d'ingénieurs, voire d'avocats et de notaires, qui paieront sans doute des impôts plus élevés afin de financer les universités. Et ce sont des professions où une meilleure représentativité sociale ne serait pas mauvaise... Par conséquent, a contrario de l'idée reçue, je proposerais qu'on baisse les frais de scolarité de génie, de médecine, de droit et de sciences. (De sorte que les étudiants issus de milieux modestes auraient plus de chances d'accéder à des emplois bien payés. Résultat : plus de mobilité sociale.) Et qu'on hausse pour compenser les frais des programmes des arts et sciences humaines, dont les diplômés seront toujours assez nombreux pour alimenter les écoles, cégeps et universités en personnel. Il s'agit d'une proposition modeste qui a pour but de relancer le débat sans nécessairement affirmer que c'est la seule solution possible.
Libellés : Québec, Université
2012-03-09
Plus borgésien que Borges
Plus mécanique qu'organique, le premier roman de Daniel Canty, Wigrum (La Peuplade, 2011), témoigne de son intérêt de longue date pour les êtres artificiels qui singent les êtres vivants. De là à suggérer que Wigrum est un roman artificiel qui tente de vivre la vie des fictions en empruntant des idées, des inspirations et des pièces rapportées à toute une galaxie de fictions antérieures, tel le monstre de Frankenstein ou une Ève future ou un quelconque automate assemblé à l'image de son créateur, il n'y aurait sans doute qu'un pas. Mais c'est un pas qu'il faut refuser de sauter.
La complexité des enchâssements narratifs et diégétiques du roman a déjà été cartographiée par cet article de Sébastien Ste-Croix Dubé. Est-ce l'aspect qui compte le plus dans ce livre ou est-ce une simple mécanique du vertige? L'impossibilité de trancher fait sans doute partie des charmes de cet ouvrage, en fait. Celui-ci est à la fois un catalogue d'idées ingénieuses, de vignettes incomplètes et de variations sur des thèmes empruntés à d'autres ouvrages, un beau livre orné de dessins aux contours estompés et l'histoire d'un mystérieux collectionneur qui ne prend pas vraiment vie dans les pages de ce livre, mais qui est l'objet d'une enquête fascinante. En tant que tel, Wigrum fait figure de livre agréable et ambitieux, à conserver dans sa collection aussi longtemps qu'on conservera le goût de lire et de collectionner...
La complexité des enchâssements narratifs et diégétiques du roman a déjà été cartographiée par cet article de Sébastien Ste-Croix Dubé. Est-ce l'aspect qui compte le plus dans ce livre ou est-ce une simple mécanique du vertige? L'impossibilité de trancher fait sans doute partie des charmes de cet ouvrage, en fait. Celui-ci est à la fois un catalogue d'idées ingénieuses, de vignettes incomplètes et de variations sur des thèmes empruntés à d'autres ouvrages, un beau livre orné de dessins aux contours estompés et l'histoire d'un mystérieux collectionneur qui ne prend pas vraiment vie dans les pages de ce livre, mais qui est l'objet d'une enquête fascinante. En tant que tel, Wigrum fait figure de livre agréable et ambitieux, à conserver dans sa collection aussi longtemps qu'on conservera le goût de lire et de collectionner...
Libellés : Livres
2012-03-04
L'escalade des génocides
Le roman Marseguro (Daw, 2008) du Canadien Ed Willett n'est pas une suite de son roman antérieur, Lost in Translation, mais les deux ouvrages ne sont pas si différents. Dans les deux cas, des individus doivent choisir leur camp et leur parti dans le contexte d'un affrontement plus vaste. La situation est toutefois plus complexe dans le cas du roman Marseguro. D'une part, la colonie de Marseguro, à des années-lumière de la Terre, héberge une double communauté qui inclut des humains génétiquement modifiés afin de vivre plus facilement dans un milieu aquatique — les Selkies — ainsi que des humains au génome d'origine qui sont les héritiers du concepteur des Selkies, Victor Hansen. D'autre part, la Terre est devenue un État unique gouverné par une dictature religieuse qui honnit les modifications génétiques et que les colons de Marseguro ont fui.
Lorsqu'un jeune colon marginalisé décide qu'il en a assez de se faire intimider par les Selkies de son âge, il envoie un message qui révèle aux Terriens l'emplacement demeuré secret de Marseguro. Une expédition se met en route pour décimer la colonie et faire subir aux Selkies le sort qu'ils méritent : une forme d'extermination, à plus ou moins court terme. Richard Hansen est un des membres de l'expédition. Il croit être le petit-fils de Victor Hansen (alors qu'il est en fait son clone), ce qui l'oblige à faire la preuve de sa loyauté au nouveau régime encore et encore. Mais la brutalité de l'occupation de Marseguro l'amène à remettre en question ses propres convictions.
Du coup, il rejoint le camp des Selkies, mais ceux-ci avaient prévu une riposte de la dernière chance en cas d'invasion terrienne. Ils déchaînent une arme biologique qui n'était censée cibler que les humains de l'expédition, mais qui va menacer en fin de compte presque toute l'humanité.
Willett exploite des idées parfois vieilles de cinquante ans (modifications génétiques pour adapter les humains à de nouveaux mondes, exécration religieuse et populaire des modifications humaines — ce qui remonte, dans la science-fiction, au moins à Slan), mais il a le don de les intégrer à des récits trépidants, qui ne manquent ni d'action ni de rebondissements et qui parviennent à renouveler des thèmes classiques en les enrichissant d'une sensibilité plus moderne. Dans Marseguro, les méchants restent parfois caricaturaux, mais les dilemmes des protagonistes se compliquent, au point où ils doivent envisager de devenir eux-mêmes ce qu'ils souhaitent combattre... En définitive, personne ne sort indemne de l'invasion de Marseguro, pas même le lecteur.
Lorsqu'un jeune colon marginalisé décide qu'il en a assez de se faire intimider par les Selkies de son âge, il envoie un message qui révèle aux Terriens l'emplacement demeuré secret de Marseguro. Une expédition se met en route pour décimer la colonie et faire subir aux Selkies le sort qu'ils méritent : une forme d'extermination, à plus ou moins court terme. Richard Hansen est un des membres de l'expédition. Il croit être le petit-fils de Victor Hansen (alors qu'il est en fait son clone), ce qui l'oblige à faire la preuve de sa loyauté au nouveau régime encore et encore. Mais la brutalité de l'occupation de Marseguro l'amène à remettre en question ses propres convictions.
Du coup, il rejoint le camp des Selkies, mais ceux-ci avaient prévu une riposte de la dernière chance en cas d'invasion terrienne. Ils déchaînent une arme biologique qui n'était censée cibler que les humains de l'expédition, mais qui va menacer en fin de compte presque toute l'humanité.
Willett exploite des idées parfois vieilles de cinquante ans (modifications génétiques pour adapter les humains à de nouveaux mondes, exécration religieuse et populaire des modifications humaines — ce qui remonte, dans la science-fiction, au moins à Slan), mais il a le don de les intégrer à des récits trépidants, qui ne manquent ni d'action ni de rebondissements et qui parviennent à renouveler des thèmes classiques en les enrichissant d'une sensibilité plus moderne. Dans Marseguro, les méchants restent parfois caricaturaux, mais les dilemmes des protagonistes se compliquent, au point où ils doivent envisager de devenir eux-mêmes ce qu'ils souhaitent combattre... En définitive, personne ne sort indemne de l'invasion de Marseguro, pas même le lecteur.
Libellés : Livres, Science-fiction
2012-03-03
Le fantôme du Salon de l'Outaouais
C'était un peu son salon, ou du moins il y était aussi à l'aise que s'il avait été chez lui. Il déambulait de son pas tranquille et la foule lui ouvrait un passage sans avoir l'air de s'écarter. Il saluait de vieilles connaissances, leur serrait la pince et s'enquérait de leur santé, ou des nouvelles parutions. Depuis sa mort, il n'est pas tout à fait disparu de nos souvenirs et son fantôme se promène encore dans les allées du Salon de l'Outaouais, entre les étals et tablettes, entouré par les livres qui ponctuaient sa vie depuis sa jeune vingtaine.
C'est à Jean-François Somain (1943-2011) qu'une table ronde a rendu hommage, place Jacques-Poirier, samedi soir. Il y avait là Robert Soulières, en tant qu'animateur, Lysette Brochu, Jean-Louis Grosmaire et sa veuve, Micheline. Et il y avait foule.
Une vidéo a précédé le tour de table en nous présentant un homme bien vivant à l'écran, qui répondait aux questions posées dans le cadre d'une entrevue réalisée il y a quelques années à peine sur le sujet de sa carrière littéraire. Les commentaires ont rappelé la gentillesse de l'homme et sa participation discrète mais incontournable à la vie des milieux littéraires des deux bords de la rivière des Outaouais.
En 2008, Jean-François Somycnsky a signé son autobiographie amoureuse, avec l'aide de Micheline. Publié par les Éditions du Vermillon, Le plus bel amour du monde révèle un homme qui, sans restreindre ses élans de tendresse à une seule personne, a fait de sa femme l'objet de toutes ses possibilités d'affection et d'attachement.
L’ouvrage repose en partie sur un journal tenu par l’auteur dans sa jeunesse et sur des extraits de la correspondance des deux amants devenus mari et femme en 1968. Les écrits amoureux du jeune Jean-François témoignent d'une ardeur et d'une verve qui ne se sont pas toujours retrouvés dans ces ouvrages postérieurs. Ce sont les meilleurs chapitres du livre qui égrènent ces souvenirs d'une jeunesse sentimentalement enflammée et déjà occupée par de nombreux voyages. La seconde moitié du livre rappelle surtout les étapes de la carrière du diplomate et de la vie à deux du couple, sans oublier leur acquisition d'un vieux chalet sur le lac Bell qui avait appartenu à ma grand-tante. Pour les amateurs de l'histoire de la science-fiction au Canada, il s'agit néanmoins d'une source irremplaçable sur la vie d'un auteur qui a marqué cette histoire.
C'est à Jean-François Somain (1943-2011) qu'une table ronde a rendu hommage, place Jacques-Poirier, samedi soir. Il y avait là Robert Soulières, en tant qu'animateur, Lysette Brochu, Jean-Louis Grosmaire et sa veuve, Micheline. Et il y avait foule.
Une vidéo a précédé le tour de table en nous présentant un homme bien vivant à l'écran, qui répondait aux questions posées dans le cadre d'une entrevue réalisée il y a quelques années à peine sur le sujet de sa carrière littéraire. Les commentaires ont rappelé la gentillesse de l'homme et sa participation discrète mais incontournable à la vie des milieux littéraires des deux bords de la rivière des Outaouais.
En 2008, Jean-François Somycnsky a signé son autobiographie amoureuse, avec l'aide de Micheline. Publié par les Éditions du Vermillon, Le plus bel amour du monde révèle un homme qui, sans restreindre ses élans de tendresse à une seule personne, a fait de sa femme l'objet de toutes ses possibilités d'affection et d'attachement.
L’ouvrage repose en partie sur un journal tenu par l’auteur dans sa jeunesse et sur des extraits de la correspondance des deux amants devenus mari et femme en 1968. Les écrits amoureux du jeune Jean-François témoignent d'une ardeur et d'une verve qui ne se sont pas toujours retrouvés dans ces ouvrages postérieurs. Ce sont les meilleurs chapitres du livre qui égrènent ces souvenirs d'une jeunesse sentimentalement enflammée et déjà occupée par de nombreux voyages. La seconde moitié du livre rappelle surtout les étapes de la carrière du diplomate et de la vie à deux du couple, sans oublier leur acquisition d'un vieux chalet sur le lac Bell qui avait appartenu à ma grand-tante. Pour les amateurs de l'histoire de la science-fiction au Canada, il s'agit néanmoins d'une source irremplaçable sur la vie d'un auteur qui a marqué cette histoire.
Libellés : Salon du livre