2012-03-18
Carré rouge
Faut-il faire payer les étudiants ?
C'est le débat qui fait rage en ce moment au Québec. Les hausses cumulatives des frais de scolarité universitaires vont augmenter de près de 75% sur cinq ans les frais payés par les étudiants.
Comment le gouvernement arrive-t-il à les justifier? En gros, il soutient que la contribution étudiante au fonctionnement des universités passera de 12,7% à 16,9% de 2008-2009 à 2016-2017 alors que ce pourcentage était de 26,4% en 1964-1965 ; qu'en 2016-2017, les frais ne feront que rejoindre les frais de 1968 compte tenu de l'inflation ; qu'en 2016-2017, les frais resteront plus bas que dans sept des autres provinces en 2009-2010 ; et que l'endettement étudiant est plus bas qu'ailleurs au Canada grâce à des bourses plus généreuses, à des frais plus bas et au raccourcissement des études rendu possible par l'existence des cégeps. Pour ce qui de l'amélioration des universités, le gouvernement soutient qu'il investira d'ici 2016-2017 de l'argent neuf représentant 144% des fonds obtenus grâce à la hausse des frais de scolarité tout en comptant sur les universités pour apporter de l'argent neuf représentant 62% des fonds générés par la hausse. Ceci doit financer un plan d'amélioration du positionnement concurrentiel des universités (20%), de leur administration (15%) et de l'enseignement-recherche (65%) — ce dernier poste devant couvrir (pour environ 50% du total) une amélioration de l'infrastructure pour l'enseignement et de l'encadrement des étudiants par des profs réguliers.
Or, si les étudiants sont moins endettés, c'est parce que les frais sont plus bas, mais si les frais montent, l'endettement risque de monter aussi... Or, on peut discuter de la validité de 1968 : si les frais ne rejoindront ce seuil qu'en 2016, cela signifie que tous les étudiants québécois entre 1968 et 2015 auront payé moins cher pour aller à l'université, compte tenu de l'inflation, que les étudiants d'après 2016-2017. Or, on peut calculer que le pouvoir d'achat du Québécois moyen est plus petit que celui de l'Ontarien moyen, la différence représentant plus de 4000 $ ; par conséquent, on ne peut pas comparer les frais de scolarité dans chaque province sans tenir compte du pouvoir d'achat. (En revanche, cette même source note que le pouvoir d'achat des Québécois les plus pauvres est sans doute équivalent à celui des Ontariens les plus pauvres, ce qui suggère que, comparativement, une hausse des frais de scolarité découragerait — ceteris paribus — plus particulièrement les classes moyennes et les riches que les pauvres.) Or, il est permis de douter que les universités arriveront à recueillir plus de fonds (les contribuables québécois accepteront-ils de donner plus? les étudiants accepteront-ils de payer plus de fonds afférents? les inventions des universitaires québécois seront-elles tout d'un coup plus payantes?). Or, sans l'apport des universités (comptant pour 20% de l'argent neuf), le gouvernement donnera-t-il tout ce qu'il a promis — et que privilégiera-t-il si le plan n'est financé qu'en partie ?
Bref, certains des arguments du gouvernement Charest ne sont ni pertinents ni convaincants ni même crédibles parfois dans la mesure où ils évitent souvent le fond de la question.
Tout d'abord, les universités méritent-elles d'être mieux financées ? Le fiasco immobilier de l'UQÀM n'est pas seulement un exemple de dépenses malavisées, mais il témoignait aussi d'un échec flagrant de la gouvernance des universités québécoises. L'assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec a donné son accord plus ou moins les yeux fermés. Qui fait partie (actuellement) de cette assemblée? Selon cette page, on parle : (a) du président de l'Université; (b) du recteur de chaque université constituante; (c) d'au plus quatre personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, parmi les directeurs généraux des instituts de recherche et des écoles supérieures; (d) de cinq personnes nommées par le gouvernement dont trois membres du corps professoral des universités constituantes, des écoles supérieures et des instituts de recherche et deux étudiants de ces universités, écoles et instituts ; (e) de sept personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, après consultation des groupes les plus représentatifs des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail; et (f) d'une personne provenant du milieu de l'enseignement collégial, nommée par le gouvernement, sur la recommandation du ministre.
Une véritable imputabilité aurait sans doute exigé qu'on poursuive non seulement les dirigeants de l'UQÀM pour leur gestion défaillante mais qu'on limoge aussi en bloc tous les membres des conseils ayant manqué de diligence dans l'exécution de leurs fonctions. On peut soupçonner que la future gouvernance des universités en aurait été plus améliorée qu'avec le changement de la composition de leurs conseils d'administration voulu par le gouvernement actuel. Mais cela n'a pas été fait et la prodigalité des administrateurs universitaires québécois continue à s'étaler sur les premières pages des journaux.
Si on veut responsabiliser les étudiants en haussant leurs frais, cela ne signifie-t-il pas qu'on va déresponsabiliser les universités en leur donnant plus d'argent ? La multiplication des campus satellites a démontré que les universités dépensent déjà allègrement en tenant uniquement compte de leurs propres intérêts, et non de ceux des contribuables québécois. Tiens, un exemple... L'UQTR a mis sur pied une antenne dans la ville de Québec, par exemple, pour offrir un baccalauréat en psychoéducation puisque le programme n'était pas offert dans la région. Cette décision se défendait, mais, depuis l'automne 2010, l'Université Laval offre son propre baccalauréat en psychoéducation pour attirer les étudiants qui s'inscrivaient autrefois à l'UQTR. Soyons clair : cette duplication de l'offre sur un même territoire, c'est l'argent des contribuables qu'on jette par les fenêtres.
On pourrait parler aussi du sous-financement des bibliothèques universitaires québécoises, qui sont rarement aussi bien montées qu'en Ontario ou qui offrent rarement des heures d'ouverture comparables à celles des meilleures universités — parce que les universités québécoises donnent la priorité à autre chose. Ou bien, on pourrait évoquer la sous-utilisation des locaux universitaires. En Ontario, les universités offrent beaucoup plus de cours d'été (et le climat n'est pas plus frais l'été en Ontario) et les locaux pourvus de consoles multimédia à l'Université d'Ottawa sont souvent occupés de 8 h du matin à 22 h durant les trimestres d'automne et d'hiver. En va-t-il de même dans les universités québécoises ? J'attends de voir des chiffres, mais qui déambule au hasard dans une université québécoise, un après-midi de semaine d'automne, un vendredi d'hiver ou une journée d'été, a fréquemment l'impression d'errer dans un vaste désert...
Une autre question cruciale, c'est de savoir si cette hausse des frais est susceptible d'améliorer la fréquentation universitaire. Dans une certaine mesure, les chiffres sont ambigus. D'une part, on peut soutenir que les frais de scolarité réduits au Québec sont associés à de plus bas taux de fréquentation qu'en Ontario, de 1971 à aujourd'hui. D'autre part, on peut faire observer que ces frais réduits ont permis une hausse de la fréquentation et un rattrapage du Québec relativement à l'ensemble du Canada.
En effet, jusqu'en 2001, la fréquentation universitaire au Québec est restée plus basse qu'en Ontario malgré des frais de scolarité plus bas. Pour la population des 20-24 ans, voici les taux de fréquentation scolaire/universitaire :
Année — Québec — Ontario — Canada
1971 — 16,5 % — 20,2 % — 18,0 %
1981 — 18,4 % — 22,3 % — 18,6 %
1991 — 32,4 % — 36,5 % — 32,4 %
2001 — 41,4 % — 43,5 % — 39,6 %
Jusqu'en 2001, le Québec rattrape et dépasse les taux de fréquentation dans l'ensemble du Canada, mais il demeure à la traîne de l'Ontario. Les données de 2011 ne sont pas encore disponibles, et celles de 2006 ne permettent pas de distinguer les élèves du secondaires, les inscrits des cégeps et les étudiants universitaires. Néanmoins, la tendance reste pareille. Le Québec affiche un taux de fréquentation de 68,9% pour les 15-24 ans, l'Ontario de 70,1% et le Canada dans son ensemble de 66,9%. Quand on parle du reste du Canada, il convient de se rappeler que, dans les provinces plus riches dominées par l'extraction des matières premières, la fréquentation universitaire est moins intéressante que le marché du travail, ce qui pousse les chiffres à la baisse. Le Québec a tendance à se comparer à l'Ontario en partant du principe que leurs économies sont semblables, mais il faudrait sans doute comparer plus exactement l'attrait du secteur primaire dans chaque province.
De manière plus précise, une étude de 2005 a permis de préciser le taux de fréquentation universitaire des jeunes de 24-26 ans, tous cycles confondus. La moyenne canadienne était de 40% et le classement des provinces était comme suit :
Terre-Neuve et Labrador — 48%
Nouvelle-Écosse — 47%
Manitoba, Saskatchewan — 44%
Ontario, Île du Prince-Édouard — 43 %
Nouveau-Brunswick — 41%
Québec, Colombie-Britannique — 38%
Alberta — 34%
Bref, pour ce groupe d'âge en 2005, le Québec restait à la traîne de la moyenne canadienne et de l'Ontario.
Toutefois, la fréquentation n'est pas tout. Selon cet article, le taux de diplomation en 2006, « tous cycles confondus, était de 21,4 % au Québec, contre 22,6 % au Canada et 24,7 % en Ontario ». Dans quelle mesure des frais de scolarité relativement bas encouragent-ils les étudiants à entamer des études sans la détermination nécessaire pour les compléter ?
C'est toute la question de l'accessibilité qu'il faut soulever. Et de l'équité inter-générationnelle.
En ce qui concerne l'accessibilité, tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est possible mais sans doute peu probable dans l'immédiat qu'une hausse des frais pousse plus de jeunes québécois à fréquenter l'université en donnant plus de valeur à une éducation universitaire, mais ceux qu'une hausse (relativement modeste dans le cadre d'un budget étudiant) risque le plus de décourager sont précisément les étudiants de première génération qui surestiment déjà les coûts et sous-estiment les avantages d'une éducation universitaire.
En ce qui concerne l'équité entre les générations, examinons de nouveau la courbe des frais de scolarité au Québec.
Ceux-ci ont été gelés de 1968 à 1989, de sorte que les baby-boomers (nés de 1946 à 1966) ont pu bénéficier de frais réduits. Dès leur départ, les frais ont commencé à remonter, et beaucoup plus raidement que ce que le gouvernement propose actuellement, de sorte que la génération X a goûté à des frais d'étude plus proches des niveaux de 1968 qu'ils ne l'avaient été depuis la fin des années soixante-dix. Puis, ils ont été gelés de nouveau, juste à temps pour accueillir les premiers enfants des baby-boomers au milieu des années quatre-vingt-dix. Maintenant que la génération des enfants de boomers est sur le point de quitter l'université vers 2016, les frais de scolarité remonteront au niveau de 1968... Si l'accessibilité aux études est une question d'équité entre les classes sociales, celle du montant comparatif des frais est une question d'équité entre les générations. Si trois générations ont pu bénéficier de frais inférieurs à ceux de 1968, pourquoi la génération post-2016 devrait-elle payer plus ?
La réponse est en partie politique. Les jeunes ne votent pas ou peu. Qui ne dit mot consent. Les baby-boomers votent. Ils font payer les autres. Pour leur éducation et pour leurs pensions. Le même budget Bachand établira sans doute un nouveau plan d'épargne-retraite destiné à entrer en vigueur vers 2013, de sorte qu'il ne profitera sans doute qu'aux travailleurs qui prendront leur retraite vers 2023 — alors que la plupart des baby-boomers auront déjà pris leur retraite (âge moyen actuel de la retraite au Québec : entre 60 et 61 ans). Ceux-ci auront profité de pensions à prestations déterminées et de paiements financés par l'assiette fiscale de tous, mais leurs successeurs auront à payer pour les boomers, à renflouer la caisse de la RRQ (dont les revenus s'épuiseront vers 2025, tiens, ce qui obligera l'État à écorner le capital ou augmenter les cotisations...) et à payer plus pour préparer leur propre retraite. Selon le principe des vases communicants, il est permis de se demander dans quelle mesure la hausse des frais de scolarité doit aussi financer les trous à venir.
En guise de conclusion, il ne demeure qu'une question fondamentale : existe-t-il d'autres solutions qu'une hausse des frais de scolarité ?
Tout d'abord, pour améliorer la gestion des universités, il faudrait sans doute une instance de coordination centralisée. Une pour toutes les universités francophones et une pour toutes les universités anglophones. Un tel organisme serait chargé d'éviter les duplications et les chevauchements qui gaspille l'argent des contribuables — et des étudiants. Ajoutons que cet organisme aurait peut-être le poids et la poigne qu'il faudrait pour négocier avec les ordres professionnels qui alourdissent parfois les exigences pour l'exercice d'une profession en faisant payer la note aux étudiants, aux universités et au public — afin de pouvoir pratiquer ce qui ressemble fort à un contingentement et un corporatisme à peine déguisés.
Ensuite, pour améliorer l'accessibilité, on pourrait instaurer la gratuité de la première année d'études universitaires afin d'encourager les étudiants de première génération et les plus pauvres à tenter leur chance. On exige beaucoup des étudiants qui commencent leurs études : à la fois s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement, changer de ville dans plus d'un cas, apprendre à vivre de manière autonome pour la première fois et se dénicher un travail payant pour financer leurs études en plus de solliciter les aides de l'État. En supprimant les frais la première année, on faciliterait cette adaptation (en augmentant la persévérance espérée par le gouvernement) tout en réduisant les coûts de l'expérience pour les jeunes qui ne sont pas certains que l'université leur conviendra. Au besoin, on pourrait augmenter les frais des années subséquentes. Dans le même ordre d'idées, il faudrait examiner de plus près les possibilités d'aide au logement pour les étudiants provenant de régions où il n'existe pas d'université offrant le programme les intéressant.
Pour ce qui est de favoriser la mobilité sociale, une hausse des frais ne facilitera pas l'accès aux études. On ne peut pas nécessairement affirmer grand-chose de plus, mais si on voulait à la fois encourager la mobilité sociale et augmenter l'attrait des études universitaires, on devrait songer à des frais différenciés selon les programmes. Certains programmes coûtent plus cher (la médecine ou le génie, par exemple) et on suggère parfois de faire payer plus aux étudiants. Pourtant, nous avons besoin de médecins et d'ingénieurs, voire d'avocats et de notaires, qui paieront sans doute des impôts plus élevés afin de financer les universités. Et ce sont des professions où une meilleure représentativité sociale ne serait pas mauvaise... Par conséquent, a contrario de l'idée reçue, je proposerais qu'on baisse les frais de scolarité de génie, de médecine, de droit et de sciences. (De sorte que les étudiants issus de milieux modestes auraient plus de chances d'accéder à des emplois bien payés. Résultat : plus de mobilité sociale.) Et qu'on hausse pour compenser les frais des programmes des arts et sciences humaines, dont les diplômés seront toujours assez nombreux pour alimenter les écoles, cégeps et universités en personnel. Il s'agit d'une proposition modeste qui a pour but de relancer le débat sans nécessairement affirmer que c'est la seule solution possible.
C'est le débat qui fait rage en ce moment au Québec. Les hausses cumulatives des frais de scolarité universitaires vont augmenter de près de 75% sur cinq ans les frais payés par les étudiants.
Comment le gouvernement arrive-t-il à les justifier? En gros, il soutient que la contribution étudiante au fonctionnement des universités passera de 12,7% à 16,9% de 2008-2009 à 2016-2017 alors que ce pourcentage était de 26,4% en 1964-1965 ; qu'en 2016-2017, les frais ne feront que rejoindre les frais de 1968 compte tenu de l'inflation ; qu'en 2016-2017, les frais resteront plus bas que dans sept des autres provinces en 2009-2010 ; et que l'endettement étudiant est plus bas qu'ailleurs au Canada grâce à des bourses plus généreuses, à des frais plus bas et au raccourcissement des études rendu possible par l'existence des cégeps. Pour ce qui de l'amélioration des universités, le gouvernement soutient qu'il investira d'ici 2016-2017 de l'argent neuf représentant 144% des fonds obtenus grâce à la hausse des frais de scolarité tout en comptant sur les universités pour apporter de l'argent neuf représentant 62% des fonds générés par la hausse. Ceci doit financer un plan d'amélioration du positionnement concurrentiel des universités (20%), de leur administration (15%) et de l'enseignement-recherche (65%) — ce dernier poste devant couvrir (pour environ 50% du total) une amélioration de l'infrastructure pour l'enseignement et de l'encadrement des étudiants par des profs réguliers.
Or, si les étudiants sont moins endettés, c'est parce que les frais sont plus bas, mais si les frais montent, l'endettement risque de monter aussi... Or, on peut discuter de la validité de 1968 : si les frais ne rejoindront ce seuil qu'en 2016, cela signifie que tous les étudiants québécois entre 1968 et 2015 auront payé moins cher pour aller à l'université, compte tenu de l'inflation, que les étudiants d'après 2016-2017. Or, on peut calculer que le pouvoir d'achat du Québécois moyen est plus petit que celui de l'Ontarien moyen, la différence représentant plus de 4000 $ ; par conséquent, on ne peut pas comparer les frais de scolarité dans chaque province sans tenir compte du pouvoir d'achat. (En revanche, cette même source note que le pouvoir d'achat des Québécois les plus pauvres est sans doute équivalent à celui des Ontariens les plus pauvres, ce qui suggère que, comparativement, une hausse des frais de scolarité découragerait — ceteris paribus — plus particulièrement les classes moyennes et les riches que les pauvres.) Or, il est permis de douter que les universités arriveront à recueillir plus de fonds (les contribuables québécois accepteront-ils de donner plus? les étudiants accepteront-ils de payer plus de fonds afférents? les inventions des universitaires québécois seront-elles tout d'un coup plus payantes?). Or, sans l'apport des universités (comptant pour 20% de l'argent neuf), le gouvernement donnera-t-il tout ce qu'il a promis — et que privilégiera-t-il si le plan n'est financé qu'en partie ?
Bref, certains des arguments du gouvernement Charest ne sont ni pertinents ni convaincants ni même crédibles parfois dans la mesure où ils évitent souvent le fond de la question.
Tout d'abord, les universités méritent-elles d'être mieux financées ? Le fiasco immobilier de l'UQÀM n'est pas seulement un exemple de dépenses malavisées, mais il témoignait aussi d'un échec flagrant de la gouvernance des universités québécoises. L'assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec a donné son accord plus ou moins les yeux fermés. Qui fait partie (actuellement) de cette assemblée? Selon cette page, on parle : (a) du président de l'Université; (b) du recteur de chaque université constituante; (c) d'au plus quatre personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, parmi les directeurs généraux des instituts de recherche et des écoles supérieures; (d) de cinq personnes nommées par le gouvernement dont trois membres du corps professoral des universités constituantes, des écoles supérieures et des instituts de recherche et deux étudiants de ces universités, écoles et instituts ; (e) de sept personnes nommées par le gouvernement, sur la recommandation du ministre, après consultation des groupes les plus représentatifs des milieux sociaux, culturels, des affaires et du travail; et (f) d'une personne provenant du milieu de l'enseignement collégial, nommée par le gouvernement, sur la recommandation du ministre.
Une véritable imputabilité aurait sans doute exigé qu'on poursuive non seulement les dirigeants de l'UQÀM pour leur gestion défaillante mais qu'on limoge aussi en bloc tous les membres des conseils ayant manqué de diligence dans l'exécution de leurs fonctions. On peut soupçonner que la future gouvernance des universités en aurait été plus améliorée qu'avec le changement de la composition de leurs conseils d'administration voulu par le gouvernement actuel. Mais cela n'a pas été fait et la prodigalité des administrateurs universitaires québécois continue à s'étaler sur les premières pages des journaux.
Si on veut responsabiliser les étudiants en haussant leurs frais, cela ne signifie-t-il pas qu'on va déresponsabiliser les universités en leur donnant plus d'argent ? La multiplication des campus satellites a démontré que les universités dépensent déjà allègrement en tenant uniquement compte de leurs propres intérêts, et non de ceux des contribuables québécois. Tiens, un exemple... L'UQTR a mis sur pied une antenne dans la ville de Québec, par exemple, pour offrir un baccalauréat en psychoéducation puisque le programme n'était pas offert dans la région. Cette décision se défendait, mais, depuis l'automne 2010, l'Université Laval offre son propre baccalauréat en psychoéducation pour attirer les étudiants qui s'inscrivaient autrefois à l'UQTR. Soyons clair : cette duplication de l'offre sur un même territoire, c'est l'argent des contribuables qu'on jette par les fenêtres.
On pourrait parler aussi du sous-financement des bibliothèques universitaires québécoises, qui sont rarement aussi bien montées qu'en Ontario ou qui offrent rarement des heures d'ouverture comparables à celles des meilleures universités — parce que les universités québécoises donnent la priorité à autre chose. Ou bien, on pourrait évoquer la sous-utilisation des locaux universitaires. En Ontario, les universités offrent beaucoup plus de cours d'été (et le climat n'est pas plus frais l'été en Ontario) et les locaux pourvus de consoles multimédia à l'Université d'Ottawa sont souvent occupés de 8 h du matin à 22 h durant les trimestres d'automne et d'hiver. En va-t-il de même dans les universités québécoises ? J'attends de voir des chiffres, mais qui déambule au hasard dans une université québécoise, un après-midi de semaine d'automne, un vendredi d'hiver ou une journée d'été, a fréquemment l'impression d'errer dans un vaste désert...
Une autre question cruciale, c'est de savoir si cette hausse des frais est susceptible d'améliorer la fréquentation universitaire. Dans une certaine mesure, les chiffres sont ambigus. D'une part, on peut soutenir que les frais de scolarité réduits au Québec sont associés à de plus bas taux de fréquentation qu'en Ontario, de 1971 à aujourd'hui. D'autre part, on peut faire observer que ces frais réduits ont permis une hausse de la fréquentation et un rattrapage du Québec relativement à l'ensemble du Canada.
En effet, jusqu'en 2001, la fréquentation universitaire au Québec est restée plus basse qu'en Ontario malgré des frais de scolarité plus bas. Pour la population des 20-24 ans, voici les taux de fréquentation scolaire/universitaire :
Année — Québec — Ontario — Canada
1971 — 16,5 % — 20,2 % — 18,0 %
1981 — 18,4 % — 22,3 % — 18,6 %
1991 — 32,4 % — 36,5 % — 32,4 %
2001 — 41,4 % — 43,5 % — 39,6 %
Jusqu'en 2001, le Québec rattrape et dépasse les taux de fréquentation dans l'ensemble du Canada, mais il demeure à la traîne de l'Ontario. Les données de 2011 ne sont pas encore disponibles, et celles de 2006 ne permettent pas de distinguer les élèves du secondaires, les inscrits des cégeps et les étudiants universitaires. Néanmoins, la tendance reste pareille. Le Québec affiche un taux de fréquentation de 68,9% pour les 15-24 ans, l'Ontario de 70,1% et le Canada dans son ensemble de 66,9%. Quand on parle du reste du Canada, il convient de se rappeler que, dans les provinces plus riches dominées par l'extraction des matières premières, la fréquentation universitaire est moins intéressante que le marché du travail, ce qui pousse les chiffres à la baisse. Le Québec a tendance à se comparer à l'Ontario en partant du principe que leurs économies sont semblables, mais il faudrait sans doute comparer plus exactement l'attrait du secteur primaire dans chaque province.
De manière plus précise, une étude de 2005 a permis de préciser le taux de fréquentation universitaire des jeunes de 24-26 ans, tous cycles confondus. La moyenne canadienne était de 40% et le classement des provinces était comme suit :
Terre-Neuve et Labrador — 48%
Nouvelle-Écosse — 47%
Manitoba, Saskatchewan — 44%
Ontario, Île du Prince-Édouard — 43 %
Nouveau-Brunswick — 41%
Québec, Colombie-Britannique — 38%
Alberta — 34%
Bref, pour ce groupe d'âge en 2005, le Québec restait à la traîne de la moyenne canadienne et de l'Ontario.
Toutefois, la fréquentation n'est pas tout. Selon cet article, le taux de diplomation en 2006, « tous cycles confondus, était de 21,4 % au Québec, contre 22,6 % au Canada et 24,7 % en Ontario ». Dans quelle mesure des frais de scolarité relativement bas encouragent-ils les étudiants à entamer des études sans la détermination nécessaire pour les compléter ?
C'est toute la question de l'accessibilité qu'il faut soulever. Et de l'équité inter-générationnelle.
En ce qui concerne l'accessibilité, tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est possible mais sans doute peu probable dans l'immédiat qu'une hausse des frais pousse plus de jeunes québécois à fréquenter l'université en donnant plus de valeur à une éducation universitaire, mais ceux qu'une hausse (relativement modeste dans le cadre d'un budget étudiant) risque le plus de décourager sont précisément les étudiants de première génération qui surestiment déjà les coûts et sous-estiment les avantages d'une éducation universitaire.
En ce qui concerne l'équité entre les générations, examinons de nouveau la courbe des frais de scolarité au Québec.
Ceux-ci ont été gelés de 1968 à 1989, de sorte que les baby-boomers (nés de 1946 à 1966) ont pu bénéficier de frais réduits. Dès leur départ, les frais ont commencé à remonter, et beaucoup plus raidement que ce que le gouvernement propose actuellement, de sorte que la génération X a goûté à des frais d'étude plus proches des niveaux de 1968 qu'ils ne l'avaient été depuis la fin des années soixante-dix. Puis, ils ont été gelés de nouveau, juste à temps pour accueillir les premiers enfants des baby-boomers au milieu des années quatre-vingt-dix. Maintenant que la génération des enfants de boomers est sur le point de quitter l'université vers 2016, les frais de scolarité remonteront au niveau de 1968... Si l'accessibilité aux études est une question d'équité entre les classes sociales, celle du montant comparatif des frais est une question d'équité entre les générations. Si trois générations ont pu bénéficier de frais inférieurs à ceux de 1968, pourquoi la génération post-2016 devrait-elle payer plus ?
La réponse est en partie politique. Les jeunes ne votent pas ou peu. Qui ne dit mot consent. Les baby-boomers votent. Ils font payer les autres. Pour leur éducation et pour leurs pensions. Le même budget Bachand établira sans doute un nouveau plan d'épargne-retraite destiné à entrer en vigueur vers 2013, de sorte qu'il ne profitera sans doute qu'aux travailleurs qui prendront leur retraite vers 2023 — alors que la plupart des baby-boomers auront déjà pris leur retraite (âge moyen actuel de la retraite au Québec : entre 60 et 61 ans). Ceux-ci auront profité de pensions à prestations déterminées et de paiements financés par l'assiette fiscale de tous, mais leurs successeurs auront à payer pour les boomers, à renflouer la caisse de la RRQ (dont les revenus s'épuiseront vers 2025, tiens, ce qui obligera l'État à écorner le capital ou augmenter les cotisations...) et à payer plus pour préparer leur propre retraite. Selon le principe des vases communicants, il est permis de se demander dans quelle mesure la hausse des frais de scolarité doit aussi financer les trous à venir.
En guise de conclusion, il ne demeure qu'une question fondamentale : existe-t-il d'autres solutions qu'une hausse des frais de scolarité ?
Tout d'abord, pour améliorer la gestion des universités, il faudrait sans doute une instance de coordination centralisée. Une pour toutes les universités francophones et une pour toutes les universités anglophones. Un tel organisme serait chargé d'éviter les duplications et les chevauchements qui gaspille l'argent des contribuables — et des étudiants. Ajoutons que cet organisme aurait peut-être le poids et la poigne qu'il faudrait pour négocier avec les ordres professionnels qui alourdissent parfois les exigences pour l'exercice d'une profession en faisant payer la note aux étudiants, aux universités et au public — afin de pouvoir pratiquer ce qui ressemble fort à un contingentement et un corporatisme à peine déguisés.
Ensuite, pour améliorer l'accessibilité, on pourrait instaurer la gratuité de la première année d'études universitaires afin d'encourager les étudiants de première génération et les plus pauvres à tenter leur chance. On exige beaucoup des étudiants qui commencent leurs études : à la fois s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement, changer de ville dans plus d'un cas, apprendre à vivre de manière autonome pour la première fois et se dénicher un travail payant pour financer leurs études en plus de solliciter les aides de l'État. En supprimant les frais la première année, on faciliterait cette adaptation (en augmentant la persévérance espérée par le gouvernement) tout en réduisant les coûts de l'expérience pour les jeunes qui ne sont pas certains que l'université leur conviendra. Au besoin, on pourrait augmenter les frais des années subséquentes. Dans le même ordre d'idées, il faudrait examiner de plus près les possibilités d'aide au logement pour les étudiants provenant de régions où il n'existe pas d'université offrant le programme les intéressant.
Pour ce qui est de favoriser la mobilité sociale, une hausse des frais ne facilitera pas l'accès aux études. On ne peut pas nécessairement affirmer grand-chose de plus, mais si on voulait à la fois encourager la mobilité sociale et augmenter l'attrait des études universitaires, on devrait songer à des frais différenciés selon les programmes. Certains programmes coûtent plus cher (la médecine ou le génie, par exemple) et on suggère parfois de faire payer plus aux étudiants. Pourtant, nous avons besoin de médecins et d'ingénieurs, voire d'avocats et de notaires, qui paieront sans doute des impôts plus élevés afin de financer les universités. Et ce sont des professions où une meilleure représentativité sociale ne serait pas mauvaise... Par conséquent, a contrario de l'idée reçue, je proposerais qu'on baisse les frais de scolarité de génie, de médecine, de droit et de sciences. (De sorte que les étudiants issus de milieux modestes auraient plus de chances d'accéder à des emplois bien payés. Résultat : plus de mobilité sociale.) Et qu'on hausse pour compenser les frais des programmes des arts et sciences humaines, dont les diplômés seront toujours assez nombreux pour alimenter les écoles, cégeps et universités en personnel. Il s'agit d'une proposition modeste qui a pour but de relancer le débat sans nécessairement affirmer que c'est la seule solution possible.
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Une seule question : pourquoi baisser les frais de programmes où les frais sont déjà très bas comparé au coût de formation? (génie, médecine, etc)
Le problème de la diversité sociale dans ces programmes ne vient pas du coût des études (ils coûtent la même chose que d'autres programmes où on trouve plus de diversité), mais plutôt des moyennes générales astronomiques qui sont demandées pour y entrer.
Or, il a déjà été prouvé par maintes études que les étudiants venant de milieux défavorisés ont plus de mal à obtenir de hautes moyennes générales au secondaire et au cégep, notes sur lesquelles se basent les fameuses cote-R qui ouvrent ou non la porte des programmes contingentés.
Le problème de la diversité sociale dans ces programmes ne vient pas du coût des études (ils coûtent la même chose que d'autres programmes où on trouve plus de diversité), mais plutôt des moyennes générales astronomiques qui sont demandées pour y entrer.
Or, il a déjà été prouvé par maintes études que les étudiants venant de milieux défavorisés ont plus de mal à obtenir de hautes moyennes générales au secondaire et au cégep, notes sur lesquelles se basent les fameuses cote-R qui ouvrent ou non la porte des programmes contingentés.
Comme tu le dis, ces étudiants ont « plus de mal ». C'est donc une affaire de probabilités. S'il y a au moins quelques étudiants de milieux défavorisés qui ont les notes requises, la barrière suivante est celle du coût — réel ou fantasmé (parce que surestimé) et il y a aussi des études qui suggèrent que la surestimation du coût des études universitaires (ou la sous-estimation des bénéfices) joue aussi un rôle dans le manque de diversité sociale. En baissant les frais de scolarité, on agirait à la fois sur le calcul du coût réel et sur la perception du coût de ces études.
En partie à cause de tout le bruit créé par les revendications étudiantes, les frais sont devenus l'indicateur dominant du coût des études (en partie à tort). Par conséquent, même si on offrait des bourses plus généreuses pour les étudiants défavorisés, cela n'aurait pas nécessairement le même effet d'annonce (ce qui ne veut pas dire qu'il ne faudrait pas le faire).
Cela dit, je ne crois pas que la moyenne requise pour faire des études en génie soit si élevée que ça. Mais bon, j'enseigne à des étudiants en génie... s'ils sont parfois plus brillants et organisés que les étudiants en arts, ce ne sont pas tous des phénix.
En partie à cause de tout le bruit créé par les revendications étudiantes, les frais sont devenus l'indicateur dominant du coût des études (en partie à tort). Par conséquent, même si on offrait des bourses plus généreuses pour les étudiants défavorisés, cela n'aurait pas nécessairement le même effet d'annonce (ce qui ne veut pas dire qu'il ne faudrait pas le faire).
Cela dit, je ne crois pas que la moyenne requise pour faire des études en génie soit si élevée que ça. Mais bon, j'enseigne à des étudiants en génie... s'ils sont parfois plus brillants et organisés que les étudiants en arts, ce ne sont pas tous des phénix.
Là on entre dans une difficile réalité du milieu scolaire : c'est pas nécessairement les plus brillants qui ont les meilleures notes. L'organisation joue un grand rôle et la capacité à apprendre par coeur aussi.
Et je sais de quoi je parle : j'ai fini mes études avec une moyenne astronomique, alors que des gens beaucoup plus brillants que moi galéraient.
Et je sais de quoi je parle : j'ai fini mes études avec une moyenne astronomique, alors que des gens beaucoup plus brillants que moi galéraient.
En effet. Et puis il y a le tempérament. L'anxiété, qui est le nouveau mal du siècle, peut aussi empêcher les étudiants qui maîtrisent la matière de le montrer.
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