2011-03-27

 

Pensées diaboliques (1)

Et si un éventuel doublement, disons, des frais universitaires au Québec était le prix à payer pour améliorer... l'éducation secondaire?

Écartons un instant les chiffres (.PDF) qui laissent croire que le montant des frais universitaires n'est pas le facteur le plus important qui détermine la fréquentation universitaire dans les pays riches. Admettons même qu'une augmentation des frais découragerait d'avance une proportion significative des étudiants potentiels au Québec, au cégep ou avant. Et demandons-nous quel serait l'effet alors d'une fermeture partielle des portes de l'université?

De toute évidence, l'éducation (relativement) gratuite à l'école et au cégep gagnerait en importance pour une partie de la population. Celle-ci n'aurait pas d'autre choix. Quand on met tous ses œufs dans le même panier, on a intérêt à prendre soin de ce panier. Observerait-on une hausse du vote pour les commissions scolaires? Observerait-on une baisse du décrochage sous la pression des parents? L'éducation deviendrait-elle un véritable enjeu électoral? Au point d'augmenter les exigences en français, en anglais, en sciences, en maths? Peut-être... La promesse des Libéraux d'améliorer l'enseignement de l'anglais serait un coup de sonde dans cette direction, qui sait, et une prémice d'une telle transformation.

De manière encore anecdotique pour l'instant, j'entends dire que les enfants de la réforme ne se débrouillent pas si mal que ça au cégep. Pensée diabolique : se pourrait-il que ce soit une première conséquence en amont des hausses récentes des frais universitaires, qui motiveraient aussi bien les parents que les étudiants eux-mêmes?

Du coup, on peut comprendre pourquoi beaucoup de profs universitaires soutiennent tacitement les hausses de frais universitaires. Non seulement les universités en profiteraient (et les profs, par ricochet), mais ce serait aussi la tâche des professeurs et des chargés de cours qui serait facilitée parce qu'ils accueilleraient des étudiants plus motivés et mieux formés parce qu'ils auraient été poussés à faire mieux dans un cadre plus exigeant, dans leur propre intérêt, qu'ils terminent alors leurs études au cégep ou qu'ils poursuivent à l'université en payant plus.

Resterait à cesser de financer l'école privée pour que l'école publique devienne l'unique objet des priorités de la société québécoise...

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2011-03-26

 

Petit guide du citoyen canadien

Le record sera-t-il battu? La participation aux élections nationales ne cesse de baisser, atteignant moins de 60% aux dernières élections et se rapprochant des niveaux observés aux États-Unis. (Cela dit, il reste qu'une proportion nettement plus grande de la population vote qu'à l'époque où le vote était interdit aux femmes, aux moins de 21 ans, aux autochtones ou limité aux seuls propriétaires.)Je profite donc du déclenchement des élections pour réunir un petit guide de l'électeur canadien. D'abord, le site d'Élections Canada permet à l'électeur de savoir à quelle circonscription il est rattaché. (La page d'accueil fournit un petit moteur de recherche fonctionnant avec les codes postaux.) Ensuite, pour faire son choix, on peut faire le tour des sites officiels des grands partis : Le site du « Bloc Québécois » de Gilles Duceppe, qui arrive premier en vertu de l'ordre alphabétique (et qui est le seul parti à ne pas suivre les recommandations de l'OQLF ainsi que l'usage habituel en ce qui concerne l'usage des majuscules dans la dénomination des partis, comme quoi la défense du français...). Le site du Nouveau Parti démocratique du Canada de Jack Layton. Le site du Parti conservateur du Canada de Stephen Harper. Le site du Parti libéral du Canada de Michael Ignatieff. Le site du Parti vert du Canada d'Elizabeth May.

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2011-03-25

 

La stratégie des chocs

En 2008, un des conseillers de Barack Obama, Rahm Emmanuel, faisait sienne la stratégie du choc expliquée par Naomi Klein dans The Shock Doctrine. En apparence, il s'agissait de transplanter à gauche ce qui avait si bien servi les idées de droite depuis le Chili de Pinochet. En soutenant qu'il ne fallait pas gaspiller les possibilités de changement qui se dégagent quand une crise explose, Emmanuel illustrait toutefois une des faiblesses de l'analyse de Klein. En effet, celle-ci fait certes allusion à l'exploitation de crises passées par la gauche pour imposer son programme (le « New Deal » de Roosevelt, par exemple, mis en place à la faveur de la Dépression), mais elle passait sous silence le fait que l'exploitation des moments de crise est une constante de l'Histoire. L'opportunisme politique a une très longue histoire (la France a vu deux hommes appelés Napoléon s'emparer du pouvoir à la faveur de bouleversements politiques) et même la philosophie de l'action rapide qui prend de vitesse ses adversaires en profitant de leur stupeur est parfaitement contenue dans l'expression française « coup d'État ». L'exemple le plus fragrant de cette stratégie est sans doute fourni par la conduite de Lénine, Trotsky et Staline en Russie au début du siècle dernier.

Si la droite néo-libérale de l'École de Chicago a découvert la stratégie du choc, c'est peut-être avec un certain retard, donc... Le livre de Naomi Klein, The Shock Doctrine, recense les cas d'adoption brutale des politiques néo-libérales de privatisation et de déréglementation depuis le Chili de Pinochet. S'il lui est possible de déceler l'influence des épigones de l'École de Chicago dans la plupart des cas (ce qui devient plus difficile quand ces idées de libéralisation des marchés ont été adoptées par des économistes d'autres origines, comme Jeffrey Sachs), elle n'arrive pas aussi bien à mettre en lumière une véritable stratégie commune autre que la recherche d'une grande rapidité dans la transformation. Entre les dictatures latino-américaines des années soixante-dix (Argentine, Brésil, Chili) et les privatisations ou déréglementations ou encarcanements néo-libéraux des années quatre-vingt-dix (en Afrique du Sud, en Pologne ou en Russie), les points communs tiennent plus à une idéologie commune qu'à une démarche véritablement unifiée. Peut-on véritablement parler de crise ou de choc dans les cas de l'Afrique du Sud ou de la Pologne, où les événements s'échelonnent parfois sur des mois avant d'aboutir à des revirements?

Quant à l'École de Chicago, l'importance que lui accorde Klein laisse songeur. Dans un ouvrage signé par une Nord-Américaine, cela semble entériner une vision des choses qui dépossède les pays en cause de toute possibilité de choisir. Et quand ce sont les pays en cause qui se défaussent en imputant à l'École de Chicago la principale responsabilité pour ces événements, on se demande si ce n'est pas un peu commode. Si on lit entre les lignes, on a parfois l'impression que les économistes formés à Chicago ont été parfois des marionnettistes, oui, mais aussi des alibis commodes, voire des dupes. Car, en définitive, il ne faudrait pas perdre de vue à qui ont rapporté la privatisation sauvage et la déréglementation. L'École de Chicago en a peut-être retiré un certain prestige et pouvoir d'influence, mais les premiers bénéficiaires ont été des oligarques locaux, des élites traditionnelles et des multinationales (pas toujours étatsuniennes). Du coup, les économistes de Chicago étaient-ils vraiment les maîtres du jeu, comme Klein aimerait le penser, ou ont-ils été instrumentalisés pour servir de couverture à des intérêts plus immédiats et plus bassement matériels?

Bref, il s'agit d'une polémique plutôt que d'une analyse. Dans The Shock Doctrine comme dans No Logo, les chiffres servent à démontrer la thèse centrale de Klein, mais il n'y a jamais de démonstration formelle de ce que Klein avance. Si la stratégie du choc doit être rejetée, même dans les cas de transition pacifique de l'économie planifiée à l'économie de marché, par quoi faudrait-il la remplacer? L'étapisme allemand a donné lieu à des taux de chômage élevés et durables en ancienne Allemagne de l'Est, par exemple.

En fin de compte, Klein admet que l'économie planifiée de type soviétique ou nord-coréen n'est plus envisageable. En guise de solution de rechange au néo-libéralisme, elle prône l'économie mixte pratiquée encore aujourd'hui par un certain nombre de pays. Sur ce point, elle est moins convaincante qu'une de ses sources, Joseph Stiglitz, dans Globalization and its Discontents, dont l'analyse était nettement plus pointue, éclairante et convaincante. Reste aussi la question du renversement de tendance que l'on peut souhaiter. Quand il est clair que presque aucun pays isolé ne peut rejeter les édits des maîtres de la finance mondiale, il ne reste qu'à espérer une action concertée de plusieurs pays (dont l'envergure en ferait quelque chose comme une Troisième Guerre mondiale opposant la démocratie aux fondamentalistes du libre-marché... ce qui me rappelle un scénario de Brin dans son roman Earth) ou un revirement des principaux pays en cause — ceux qui accueillent les grandes places financières, à New York, Londres et Francfort. Or, l'administration de Barack Obama, noyautée par l'École de Chicago, a opté pour des réformes purement cosmétiques. Le nouveau gouvernement britannique a opté pour l'orthodoxie, infligeant à la Grande-Bretagne le traitement de cheval déjà essayé ailleurs. Reste l'Allemagne de Merkel, dont ont filtré quelques bruits laissant entendre que la haute finance gagnerait à être réformée, ou du moins à payer le prix de ses erreurs sans se faire renflouer par les contribuables. Qui vivra verra...

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2011-03-23

 

Histoire visuelle de la SF aux États-Unis

Cette immense illustration résume de manière visuelle l'histoire de la SF vue des États-Unis. Des commentateurs ont déjà relevé quelques coquilles (Erlic au lieu d'Elric, Joe plutôt que Jack McDevitt) et une lacune de taille, soit l'absence de l'uchronie, mais l'ensemble se défend. Les rapports de la science-fiction avec les autres mouvements et humeurs littéraires, ainsi qu'avec la littérature populaire et les autres médias que le livre, sont assez bien rendus. On jugera aussi que l'artiste néglige certains courants de la science-fiction actuelle (la sf « Mundane », la sf féministe) et certains auteurs plus littéraires ou plus décalés. Ainsi, même si Alice Sheldon apparaît, elle est noyée dans le magma indifférencié de la sf dite « soft ». Bien entendu, la sf étrangère brille surtout par son absence, à quelques exceptions près (Stanislas Lem), une fois qu'on se détache du passé ancien de la science-fiction. Par conséquent, on peut juger que c'est une vision dominée par la sf commerciale avant tout.

Resterait à faire de même avec la SF dans le domaine francophone. Il y aurait beaucoup de recoupements, mais une spécificité certaine apparaîtrait...

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2011-03-22

 

Stratégies d'une fin de siècle

Lire No Logo de Naomi Klein avec un décalage de dix ans (par rapport à la seconde édition qui date de 2001-2002) produit un curieux effet. Dès les années 90, j'étais suffisamment débranché de l'économie de consommation (manque d'argent et manque de temps pour m'inquiéter des marques des vêtements que je porte ou de la plupart des biens indifférenciés que je consomme) pour avoir du mal à m'énerver à ce sujet. Dix ans plus tard, le branding apparaît d'autant plus comme une tendance qui fut sans doute importante, mais pas vraiment décisive ou déterminante, à l'aune des événements qui ont marqué l'actualité depuis, que l'on songe à l'invasion de l'Irak, à la crise économique de 2008, aux vicissitudes du projet européen ou au réchauffement climatique.

De plus, la méthode de Naomi Klein (qui me donnait déjà de l'urticaire quand elle écrivait dans le journal étudiant de l'Université de Toronto) demeure essentiellement polémique. Quand elle cite des statistiques, ce n'est pas pour éclairer, c'est pour convaincre. Ainsi, quand elle fournit des courbes démontrant l'augmentation des frais de publicité des super-marques sur près de vingt ans, elle ne cite que les chiffres absolus, sans indiquer si c'est en dollars constants et sans les rapporter à la croissance de l'économie (ou de la taille des compagnies en cause) durant cette période. Du coup, le lecteur a du mal à décider s'il s'agit vraiment d'un phénomène significatif, ou de quelque chose de relativement marginal.

L'ouvrage n'est pas exempt de contradictions et d'aveux escamotés aussi rapidement que possible. Après avoir souligné comment les compagnies qui ont investi dans leurs marques ont délégué l'« encombrante logistique » de la fabrication à des pays pauvres, Klein consacre plusieurs pages à évoquer l'insoutenable légèreté de ces usines de misère, aptes à s'envoler d'un pays pauvre à l'autre, en cherchant le mieux offrant. Il aurait suffi de dix camions pour en déménager une... Éventuellement, le chat sort du sac : ces établissements ne monopolisent pas toute la chaîne de la fabrication et de la production, comme au temps des vastes usines de Henry Ford. Il s'agit souvent de simples usines d'assemblage qui installent dans un pays pauvre les étapes de la production qui exigent le moins d'équipement lourd ou de savoir-faire, et le plus grand apport de travail manuel.

Klein établit une équation entre la valeur des biens mis en vente et l'addition de l'assemblage et du branding, comme s'il n'existait que ces deux derniers termes, de sorte que si une compagnie consacre plus d'argent au branding, il faudra qu'elle en consacre moins à l'assemblage. Du coup, elle néglige les apports des innovations techniques, du design ou de la gestion scientifique tayloriste à la valeur finale des biens, ce qui complique l'histoire. Sans parler de la rémunération (stock options, etc.) des cadres et PDG. Le problème, c'est que la fabrication a été systématiquement vidée de ce qui était l'apport essentiel des ouvriers d'il y a un peu plus d'un siècle : le savoir-faire. C'est précisément parce que le savoir-faire s'est dissous dans la planification des tâches et l'automatisation machinique qu'il est maintenant possible de déplacer les usines à volonté et de faire de cette étape de la production quelque chose d'éminemment portatif. Le rôle du branding dans cette transformation est loin d'aller de soi.

Dans No Logo, Klein ne cherche pas d'ailleurs à démonter les mécanismes qui ont influencé cette transformation. Elle se concentre surtout sur les stratégies, d'abord celles des compagnies investissant dans leur branding, puis celles des résistants. Ce retour en arrière sur les opposants de l'époque me laisse aussi sceptique qu'à l'époque. Le problème, lorsqu'on ciblait des compagnies en cherchant à nuire à leur image de marque, c'était que des pressions affectant leur profitabilité affectaient aussi leur capacité d'influencer la politique. Et si des compagnies isolées changaient de comportement, le changement serait-il systémique ? Les détournements publicitaires, les événements spontanés, les boycotts et les prétentions des autres moyens de consommer restaient souvent épidermiques. Les racines du mal étaient souvent ailleurs, dans une culture qui avait fait de la consommation un moyen d'expression et qui avait érigé le repli sur soi en vertu, fondant un mouvement politique de grande ampleur axé non sur le partage mais sur un maximum d'accumulation. Les manifs politiques de ces dernières années, en particulier aux États-Unis, ont employé des slogans, dont « If you're a millionaire, pay your fair share », qui trahissent une conscience plus aiguisée des sources du problème. Quand ils ne seront plus nécessaires parce qu'ils auront été compris et assimilés, on assistera à un tournant véritable.

Les identités salvatrices

Pour Klein, qui critique le branding des multinationales de l'intérieur d'une culture mondialisée, il va de soi que la résistance tout autant que la tendance en question doivent être mondialisées. Pourtant, les cultures propres sont sans doute ce qu'il y a de plus local et de plus susceptible de contrer la mondialisation des emplois ainsi que la dévalorisation des connaissances et savoirs trop facilement reproductibles ailleurs. En effet, si même les métiers les plus qualifiés ne sont plus à l'abri de la compétition internationale ou de la concurrence robotisée, il va falloir se rabattre sur des spécialistions trop bien enracinées pour être maîtrisées ailleurs. Pourtant, le branding repose en partie sur une mondialisation du prestige ; une culture capable de produire ses propres sources de prestige serait sans intérêt pour les stratégies de commercialisation des marques internationales. Mais la délégitimation des cultures trop marginales a aussi accompagné la marche de la privatisation depuis le début des années 80 ; dans ce cas aussi, des choix politiques ont été à l'origine de ce tassement des voix trop originales ou trop particulières (que l'on parle de cultures régionales ou de cultures trop ardues pour être plébiscitées), mais c'est aussi passé inaperçu d'observateurs comme Klein, trop facilement gagnés par les mouvements culturels récupérés — même quand elle s'en défend.

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2011-03-21

 

Sonnets albriens (8)

Acclamons les exploits du preux chevalier,
lui qui a fait honneur au nom de sa maison,
aux dames de son cœur et même aux oraisons
qu'il murmurait tout bas, droit sur son destrier !

Lui que le peuple aima pour l'avoir fait crier
sous le coup de la peur quand il avait raison,
tel d'un chien jappeur ou d'un méchant oison,
du champion du roi ou de maints guerriers

Car il avait la foi qui ne fléchit jamais
et la force du bras qui signe les hauts faits
jusqu'au soir de sa vie, accablé dans le noir

Saluons enfin l'esprit qui seul encor survit
lorsque l'épée se rompt et que faillit l'espoir :
à lui l'ultime prouesse que tous envient !

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2011-03-14

 

Le mystère apicole

Le silence des abeilles... Ce qui était déjà une image choc — la campagne au printemps, verte, ensoleillée et... muette — au temps du Silent Spring de Rachel Carson est en voie de devenir une réalité, du moins en ce qui concerne le bourdonnement des abeilles domestiques.

Depuis le début de la mortalité accrue des abeilles aux alentours de 2006, de nombreux responsables possibles ont été incriminés, depuis le surmenage (car on fait voyager et travailler les abeilles sans leur laisser beaucoup de répit) jusqu'à des parasites (comme un acarien, le varroa). Aux États-Unis, l'infection simultanée des abeilles par un virus et une moisissure a été observée en 2010 dans toutes les ruches frappées par le syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles. Les pesticides n'ont pas échappé à l'attention des apiculteurs. Ainsi, l'imidacloprid (un néonicotinoïde fabriqué par Bayer) a été soupçonné. Plus récemment, l'attention se tourne vers le clothianidin (qui est aussi un néonicotinoïde mis en marché par Bayer). Surtout que l'Agence de la protection de l'environnement des États-Unis (EPA) a rendu public un mémoire (.PDF) qui semble donner raison aux détracteurs de Bayer, puisque l'EPA tient pour invalide l'étude principale qui établissait l'innocuité du pesticide pour les abeilles.

Avaaz.org a lancé une pétition en-ligne pour faire pression sur le gouvernement français afin qu'il impose un moratoire sur l'utilisation des pesticides de type néonicotinoïde qui seraient particulièrement nocifs pour les abeilles. Même si ces pesticides ne sont pas seuls en cause, on peut soupçonner qu'ils n'aident pas les abeilles à résister aux autres agressions...

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2011-03-06

 

Le nouveau Metropolis

Retour dans le temps : il est désormais possible de voir le film Metropolis tel qu'il a été montré à sa sortie en 1927, ou presque. La découverte en Argentine d'une version presque complète de ce film mythique a fait les manchettes en 2008 puisque la seule version qui avait survécu était amputée de presque une demi-heure. Même si cette nouvelle version était abîmée et n'existait qu'en 16 mm, son existence a rendu possible la reconstitution d'une version numérique à laquelle il ne manquerait qu'une poignée de minutes.

De passage à Trois-Rivières, nous nous sommes payés un petit voyage à l'époque du cinéma muet et de l'expressionnisme allemand. Le film demeure fascinant du point de vue de sa vision du futur. L'urbanisme de l'avenir est dominé par les tours et les grandes barres, les viaducs et les voies ferrées aériennes, le ciel sillonné d'aéroplans et les profondeurs de la terre dévolues aux ouvriers qui font fonctionner les machines. Tout cela n'était pas neuf en 1927 : ces visions du futur circulaient depuis deux ou trois décennies. Robida avait dessiné des villes survolées par des essaims d'avions. Des architectes comme Perret et Le Corbusier en France ou Hilberseimer en Allemagne avaient imaginé des villes faites d'édifices tout en hauteur. Et Wells avait décrit un avenir où les bas-fonds étaient occupés par les descendants des ouvriers et des miséreux — les Morlocks.

La nouveauté de Metropolis, c'est peut-être bien le mariage d'une vision du futur à un scénario relativement trépidant, qui combine certaines des ficelles du romanesque traditionnel (les amours contrariées d'un fils de propriétaire et d'une ouvrière, l'inversion des rôles d'un prince et d'un pauvre, l'enlèvement de la bien-aimée et le combat héroïque pour la sauver — de fait, les ultimes péripéties rappellent un peu Notre-Dame de Paris de Victor Hugo) avec les ressources narratives de la science-fiction (l'usurpation de l'identité d'un être aimé par un être synthétique et la catastrophe artificielle, qui permet à des individus d'intervenir pour sauver la situation, ce qui est plus compliqué dans le cas des désastres naturels). Les films de science-fiction antérieurs, il me semble, tenaient soit de l'aventure exotique (dans des enclaves inconnues de la Terre, sur la Lune ou Mars), de la guerre du futur (avec des Martiens, au besoin) ou de la mise en scène d'une catastrophe naturelle dont l'envergure dépassait les protagonistes. Faut-il préciser que Metropolis a fait beaucoup de petits?

La qualité moins grande de l'image permet d'identifier les parties restaurées du film, semble-t-il, et donc de se faire une idée des coupures. Dans la plupart des cas, elles ne portaient guère à conséquence. Ce sont des longueurs et des redites qui ont disparu. Néanmoins, un certain nombre de personnages auparavant secondaires prennent toute leur ampleur dans la version complète.

Bref, Metropolis s'inscrit clairement dans la grande tradition de la fiction populaire, à mi-chemin entre Notre-Dame de Paris et Titanic. Le paradoxe, c'est qu'en tant que film muet, une œuvre relativement récente est plus difficile à apprécier aujourd'hui qu'un roman comme Notre-Dame de Paris par la faute de son format suranné. Mais, à tout le moins, c'est maintenant possible de découvrir le film à peu près sous la forme que son créateur lui a donné.

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