2006-05-28

 

L'université du « sprawl »

Aujourd'hui, je suis d'humeur à espérer que le congrès anciennement dit des sociétés savantes ne retournera pas à l'Université York avant quatre ou cinq décennies. (La dernière fois remontait à 1969.)

La plupart des autres universités du pays — et j'en ai visité plus que ma part — sont mieux situées pour recevoir les gens. À moins d'avoir une voiture ou de loger sur place, se rendre à l'Université York est des plus pénibles, en particulier le dimanche matin. J'avais oublié qu'un des seuls vestiges de Toronto la coincéeToronto the Good ») s'observe le dimanche matin, quand les transports en commun ne démarrent pas avant 8h, ou même 9h dans certains cas.

Le comble de l'ironie, c'est sûrement que le congrès 2006 a choisi pour thème « La ville », ce qui vaut aux congressistes une flopée de matériel promotionnel connexe, dont l'annonce de l'onzième conférence internationale Metropolis.

Or, s'il y a au Canada des universités à la ville et des universités à la campagne, York est peut-être bien le meilleur exemple d'une université qui est anti-urbaine. Il paraît qu'elle a la plus grande emprise territoriale de toutes les universités canadiennes; on y croit sans peine. Elle est entourée de bois et de prairies, à des kilomètres du centre-ville, dans un quartier dont les commerces intéressants sont rares et dispersés. Il est tout juste possible de s'y rendre en bicyclette; à pied, seuls les voisins immédiats s'y risqueront.

C'est l'université du sprawl gibsonien, enclavée dans une agglomération indifférenciée sans monuments, sans lieux de rassemblement, sans concentration notable de musées ou de librairies ou de bibliothèques ou de restaurants, en somme, l'habitat naturel des automobiles à l'état sauvage, galopant sur les autoroutes immenses, errant d'une station service à l'autre, se prélassant dans d'immenses stationnements asphaltés ou s'arrêtant pour la nuit dans un garage presque aussi grand que la maison qu'il jouxte.

Le temps que je me rende, j'ai donc manqué le début des séances de l'AHSTC, mais j'ai pu livrer ma communication à l'heure dite. J'ai retrouvé quelques anciens collègues, dont Dave Pantalony, et fait la connaissance de nouveaux, comme Edward Imhotep-Jones, des plus sympathiques. Comme les choses se terminaient tôt à l'AHSTC, j'ai pu assister à une séance de l'Association canadienne d'études francophones du XIXe siècle.

Maxime Prévost a présenté une communication intitulée « Alexandre Dumas mythographe : l'invention du mousquetaire ». Il a distingué la sociocritique, qui s'intéresse à la réception immédiate d'une œuvre ainsi qu'au contexte contemporain qui a présidé à sa genèse, et la mythocritique, qui s'intéresse au retentissement postérieur de l'œuvre. En tant que mythographe, Dumas offre selon lui une lecture héroïque de l'histoire nationale française, lecture qui rejette les valeurs de la monarchie de Juillet puisque les personnages de Dumas gagnent de l'argent sans travailler et le dépensent sans tarder. Il y aurait une promesse implicite dans cette valorisation de l'héroïsme, celle qui a été énoncée sous la forme d'une menace dans le jardin d'Eden, « Vous serez comme des dieux ».

Mais je m'étais surtout déplacé pour la communication de Donald Bruce, « La fabulation vernienne : étapes vers la création d'une mythologie moderne ». Il présente l'œuvre de Jules Verne comme « multidimensionnelle, transdisciplinaire » et il soutient que la mythologisation passe par la transfiguration — le déplacement de Verne et de ses ouvrages dans un nouvel espace. (Même si Bruce souligne la stature mythique acquise par des personnages comme le capitaine Nemo, Phileas Fogg ou Cyrus Smith, il faut reconnaître que le concept de tel ou tel voyage est parfois resté dans les mémoires beaucoup plus que les personnages associés.) Toutefois, Bruce se prive de nombreuses possibilités d'approfondir la question en niant tout rapprochement de Verne et de la science-fiction, qui elle aussi a parfois été qualifiée de mythologie moderne... Bruce invoque l'excuse habituelle selon laquelle Verne se démarque à peine de la réalité, alors que Wells et la science-fiction moderne sont nettement plus fantaisistes ou coupés de la réalité. Sans parler de l'inédit vernien Paris au XXe siècle, il faudrait pourtant rappeler que des romans comme De la Terre à la Lune ou L'Invasion de la mer reposent sur le refus de faits parfaitement connus de Verne. Et que dire de Hector Servadac ? Verne n'est pas toujours réaliste, et il le sait.

Après la réception du président où je profite volontiers des sushis et desserts servis aux invités, je file voir X-Men: The Last Stand. Premier vrai triomphe hollywoodien de 2006, X-Men III méritait d'être vu dans un cinéplexe de la banlieue torontoise, semblable aux autres complexes qui drainent les fans. Encore que le centre commercial Yorkdale ne soit pas si banlieusard : il se dresse au sud de la ligne de démarcation constituée par la 401 (mais tout juste). Il est même desservi par le métro, ce qui fait de lui une partie de la même ville que le Centre Eaton, le Sky-Dome ou la rue Spadina. Un hôtel à l'ouest du centre commercial a d'ailleurs accueilli Ad Astra il y a une dizaine d'années, simplifiant de beaucoup la tâche de se rendre sur place pour les Torontois.

Le centre était bondé samedi soir quand j'y avais fait un tour, mais il venait de fermer quand je suis arrivé pour voir le film.

The Last Stand est plein de bruit et de fureur, d'effets spéciaux et de surprises. N'ayant jamais été un lecteur ou fan de la BD, je n'ai aucune opinion sur la canonicité des événements du récit. Néanmoins, l'intrigue m'a paru mieux construite que dans les films précédents et le film joue de manière parfois assez poignante sur la solitude des marginaux, aliénés par ce qu'ils ont d'unique ou rejetés par une société qui les tient pour anormaux, voire malades.

Les rangs des personnages familiers s'éclaircissent au cours du film. Même Wolverine semble plus vulnérable qu'auparavant; le retour de celle qu'il aimait le laisse dépourvu. S'il demeure enclin à faire cavalier seul, il ne couve plus la même colère, semble-t-il. Les scènes d'action sont nombreuses, excitantes et souvent spectaculaires. On pourrait chipoter sur tel ou tel accroc à la cohérence interne, mais on n'en a pas vraiment envie. Les auteurs du scénario n'ont pas lésiné sur les rebondissements. Pour ce genre de film, on n'en demande pas plus.

Lecture du soir : Oryx and Crake de Margaret Atwood. Je n'achève pas ce retour à la science-fiction d'Atwood, peut-être parce qu'affleure un peu trop souvent le ton moralisateur de la maîtresse d'école vieillissante.

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