2016-11-25

 

Dernières photos du pavillon MacDonald de l'Université d'Ottawa

En septembre 1986, j'arrivais à l'Université d'Ottawa pour étudier la physique, ce qui m'amènerait à passer beaucoup de temps dans le pavillon MacDonald, vingt ans après son inauguration en avril 1966 par Pauline Vanier, première femme chancelier de l’Université (1966 à 1972).  Le pavillon MacDonald hébergeait le département de physique et prit le nom du professeur David Keith Chalmers MacDonald (1920-1963), fondateur du département de physique.  Celui-ci avait également été directeur de la section de physique des solides et de la section de physique des basses températures au Conseil national de recherches. Atteint de dystrophie musculaire, il était mort quelques années avant l'ouverture du pavillon qu'on écroulait cette semaine (de manière écologique, car les matériaux seront recyclés).

L'Université d'Ottawa avait jeté les bases dès 1874 d'un programme d'études en génie civil qui profitait de l'accent accru mis dès cette date sur l'apprentissage des sciences et des mathématiques.  Un incendie destructeur en 1903 avait obligé toutefois l'administration à s'installer pour plusieurs années dans les locaux affectés aux sciences tandis que l'université repartait presque de zéro.  Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que l'établissement s'adjoint une école de médecine et une École des sciences appliquées, celle-ci devenant une école des sciences pures et appliquées en 1953.

Les cours de physique étaient alors logés dans les anciennes baraques de l'armée le long de King Edward.  Parmi les professeurs de l'époque, il y avait Jacques Hébert, ancien élève de Pierre Demers à l'Université de Montréal, qui avait participé aux travaux de développement de la bombe atomique durant la guerre et qui fut un de mes professeurs durant mon baccalauréat en physique.  Arrivé au début des années 1950, Hébert « assemble, dans un local qui n'avait rien d'un laboratoire de recherche, l'équipement basique essentiel pour étudier les rayons cosmiques dans les émulsions ionographiques.  Par la suite, cet embryon de laboratoire se développera et deviendra un véritable centre pour la recherche en physique des hautes énergies », pour citer l'histoire du département de Gilles Lamarche dans Physics in Canada en 2001.  Je me souviens d'ailleurs d'avoir travaillé durant les années 1980 avec ces émulsions que le professeur Hébert utilisait encore, mais en les faisant irradier dans des accélérateurs de particules et non plus avec des rayons cosmiques.

C'est en 1955 que Pierre Gendron, le doyen des sciences pures et appliquées, convainquit MacDonald de prendre la direction du nouveau département de physique.  Un noyau de professeurs se constitue alors en 1957-1958 avec l'embauche de Cyril Benson, Gilles Lamarche et Robert Benson, sous la direction de MacDonald dont la santé se détériore, l'obligeant à céder son poste en 1960.  La grande affaire de la décennie sera le déménagement dans le nouveau pavillon MacDonald.  Au petit générateur de neutrons déjà utilisé devait succéder un accélérateur de particules, le Dynamitron, qui était censé développer des énergies de 3 MeV mais qui ne remplirait pas ses promesses.  Vingt ans plus tard, on désignerait encore au département le niveau souterrain aménagé pour recevoir cet accélérateur sous le sobriquet de « fosse à neutrons » (neutron pit), en suggérant quelque peu qu'il avait été une fosse à dollars puisque l'accélérateur installé en 1966-1967 en collaboration avec l'Université Carleton allait s'avérer un fiasco presque complet...

Il y a quelques semaines encore, le pavillon conservait encore sa façade d'origine, même si les palissades des démolisseurs l'avaient désormais ceinturé.

Mercredi soir, par contre, la démolition avait commencé et cette dernière photo, prise de nuit, illustre l'avancement des travaux.  Non seulement le revêtement du mur arrière avait disparu, mais l'aile ouest de l'édifice était déjà à terre.



Le pavillon MacDonald aura donc existé pendant cinquante ans.  Une partie de l'ancien sous-sol servira à la future ligne de train léger.  Le reste de l'espace libéré servira à la « construction d’une nouvelle installation qui révolutionnerait les études au premier cycle [en sciences, technologies, génie et mathématiques],dont les espaces consacrés à l’enseignement seraient radicalement différent des installations existantes et seraient à la fine pointe des nouvelles tendances en éducation. »

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2016-11-11

 

Souvenirs de guerre

En 1931, le Canada a fait du jour de l'Armistice, le 11 novembre, le jour du Souvenir des morts, non pas seulement des victimes de la Grande Guerre, en fait, mais de toutes les guerres.  Aujourd'hui encore, c'est l'occasion pour moi de songer aux vétérans de la guerre dans ma propre famille.  J'ai déjà évoqué les expériences de mes grands-parents paternels durant la Première Guerre mondiale.  Mon grand-père et ma grand-mère n'avaient pas encore fait connaissance.  Tandis que mon grand-père pratiquait la médecine de guerre en France, non loin du front, ma grand-mère terminait ses études dans une académie de Winnipeg.

Parmi les souvenirs ramenés par mon grand-père, j'ai retrouvé cette semaine une médaille qui semble avoir été distribué à de nombreux soldats et officiers (jusqu'à 200 000) par la ville de Verdun en reconnaissance pour leur contribution à la défense de la ville.  En principe, seuls «  ont droit à cette médaille les anciens combattants des armées françaises ou alliées qui se sont trouvés en service commandé entre le 31 juillet 1914 et le 11 novembre 1918, dans le secteur de Verdun, compris entre l'Argonne et Saint-Mihiel, dans la zone soumise au bombardement par canon. »  À ma connaissance, pourtant, mon grand-père n'a pas été présent dans ce secteur.  À Valmy, en juin 1917, il n'est toutefois pas loin de l'Argonne.  A-t-il poussé un peu plus loin ?  Était-il en service commandé ?  Est-il retourné plus tard, dans d'autres circonstances ?  Ou bien, a-t-il récupéré la médaille d'un patient qu'il aurait traité ?
  


Le côté face de la médaille porte un buste du sculpteur Émile Séraphin Vernier (1852-1927), qui intervertit ses initiales pour signer, semble-t-il.  Vernier était un spécialiste de la taille pour les médailles.  Bien avant le siège de Madrid, le message de la médaille est clair : « On ne passe pas ».



Le côté pile de la médaille est moins belliqueux.  Tout ce qu'on découvre, ce sont des fortifications historiques de la ville et une date : « 21 février 1916 » (qui correspond au début de la bataille).  La couronne de lauriers renvoie sans doute à la couronne des triomphateurs romains pour bien marquer un affrontement qui sera perçu comme une victoire défensive des Français.

Quant à mon père, enrôlé dans l'armée canadienne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a conservé jusqu'à sa mort une médaille sans doute remise à tous les soldats canadiens qui avaient servi durant ce conflit.  Lui-même n'avait eu dix-huit ans qu'en 1944 et il n'a jamais combattu.  Le temps de compléter sa formation, la guerre s'achevait et il est resté au Canada pour agir comme instructeur des nouvelles recrues.
Ces deux grandes guerres ont marqué l'histoire du siècle dernier.  Si le Canada a, pour l'essentiel, échappé à la violence sur son territoire, les Canadiens ont été touchés par les affrontements.  Il est tentant de faire un parallèle avec les expériences de mon père et de mon grand-père paternel, qui ont été au cœur de l'aventure militaire sans être sur le champ de bataille.  Dans le contexte des guerres totales du vingtième siècle, les combattants n'ont été qu'un rouage des gigantesques machines déployées, de l'usine aux lignes de front, pour emporter la victoire.  S'il convient de rappeler aujourd'hui le sacrifice suprême des morts, il ne faut pas oublier non plus tous les autres sacrifices, consentis ou non, des peuples en guerre.

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2016-11-09

 

Les Clinton, fossoyeurs du New Deal

Le progressisme étatsunien — né à l'aube du XXe siècle, à l'époque des trusts, de l'urbanisation, de l'immigration massive et de la ségrégation — a vécu.

Déterminer qui l'a tué ne sera pas facile.  De nombreux coups lui avaient été portés au fil des ans, mais leurs effets mortels ont mis du temps à se faire sentir.  Si on veut blâmer les médias pour la victoire de Trump, il faut alors se pencher sur le principe d'impartialité (Fairness Doctrine) qui avait été imposé aux médias étatsuniens en 1949 et qui avait été essentiellement abrogé par le gouvernement Reagan en 1987 — et finalement liquidé sous Obama.  Son abrogation avait permis aux médias de droite (Fox News) de défendre une vision du monde de plus en plus partiale, voire carrément divorcée de la réalité, qui semble bien avoir fait le lit de Trump.

Ce qui est certain, c'est que la victoire de Trump menace de renverser les acquis progressistes des quarante dernières années — voire depuis l'époque de la Reconstruction après la Guerre civile.  Ceci concernerait, pour les progrès les plus récents, le droit à l'avortement, les reculs de la peine capitale, l'assurance-santé (plus précisément l'Obamacare) et le mariage homosexuel.  Un gouvernement Trump cherchera sans doute à renverser aussi certains acquis remontant parfois jusqu'au New Deal de Roosevelt : salaire minimum, protection de la syndicalisation, réglementation des activités boursières (par la Securities and Exchange Commission) et protection de l'environnement.  Ajoutons que le cercle de Trump a même évoqué la révocation du 19e amendement de la constitution qui a donné le droit de vote aux femmes en 1920 et qui a représenté une des grandes percées progressistes de l'époque.  Quant au droit de vote des minorités non-blanches, en particulier les plus pauvres, il était déjà battu en brèche dans plusieurs États grâce à l'affaiblissement du Voting Rights Act de 1965 par les tribunaux et par des mesures législatives ces dernières années.

C'est une contre-révolution annoncée, mais devenue possible parce que les élites du parti Démocrate avaient depuis longtemps cessé de croire à ce progressisme.  Bill Clinton avait resserré l'accessibilité au système de sécurité sociale mis en place par le gouvernement de Franklin D. Roosevelt, puis renforcé sous Lyndon B. Johnson.  Le gouvernement de Bill Clinton avait également misé sur la loi et l'ordre, le libre-échange, la spéculation boursière et surtout la déréglementation bancaire, abolissant un des ultimes garde-fou créés sous Roosevelt.  Obama, partisan acharné de la négociation et du compromis, a investi ses énergies dans un système d'assurance-santé bancal, a soutenu un encadrement des institutions financières plutôt qu'un retour aux règles de 1933 et a fini par soutenir, certes, les droits des homosexuels, essentiellement quand les tribunaux lui ont forcé la main.

Il faut rappeler que le New Deal de Roosevelt était l'aboutissement au niveau fédéral de l'activité militante des Progressistes étatsuniens depuis le tournant du siècle.  C'est donc plus d'un siècle de luttes progressistes que les succès électoraux des Républicains mettent en danger aux États-Unis.

Le programme de Hillary Rodham Clinton incarnait ce long siècle de progressisme sur tous les points importants, y compris un resserrement des règles pour Wall Street — à l'exception de l'encadrement des médias.  Ce programme devait beaucoup aux pressions de Bernie Sanders et c'est peut-être pour cette raison, ou parce qu'elle était trop associée à des centristes plus ou moins progressistes, comme Bill Clinton et Barack Obama, ou parce qu'elle semblait incapable d'en parler avec passion et sincérité (et peut-être un peu de haine), que Hillary n'était pas une porte-parole entièrement crédible pour son propre programme.  Sans parler de son association aux élites gouvernementales et financières des États-Unis depuis vingt ans...

Si elle a réellement été une progressiste obligée d'avancer masquée (presque) toute sa vie parce qu'elle était une femme, et surtout la femme de Bill Clinton, l'histoire de Hillary Rodham serait une des grandes tragédies politiques modernes.  Toutefois, la question de ses convictions réelles se pose en raison de son appui de jeunesse au candidat ultra-conservateur Barry Goldwater, de son appui apparemment sincère à certaines des mesures les moins progressistes de Bill Clinton et de sa politique comme Secrétaire d'État.  L'ensemble de l'œuvre la classe plutôt dans la catégorie des prétendus « modernisateurs » du progressisme, comme Tony Blair au Royaume-Uni ou Paul Martin au Canada.

Ce qu'il est maintenant possible de conclure, c'est que face aux ennemis du progressisme aux États-Unis, dans un contexte où le statu quo était discrédité à droite comme à gauche, la candidature de Hillary a représenté un geste empreint d'arrogance.  Les soi-disant « scandales » qu'on lui reprochait n'étaient pas graves en soi, mais, chaque fois qu'on les réveillait, ils la rattachaient au système dont elle était l'émanation et c'est peut-être bien ce qui lui a nui le plus jusqu'aux dernières heures de la campagne.  Une partie de la population des États-Unis a préféré voter pour l'homme qui achète les politiciens que pour la politicienne qui se vend à Wall Street.

L'échec de Hillary Rodham Clinton risque de sceller pour longtemps le sort du progressisme étatsunien.  Ce qui aura commencé avec la lutte pour le vote et l'émancipation des femmes se termine avec la défaite de la première candidate sérieuse à la présidence des États-Unis.  Pour des années à venir, la Cour suprême et de nombreuses autres institutions des États-Unis seront contrôlées par une minorité de l'électorat, mais une minorité qui, en raison de la couleur de sa peau, croit avoir le droit de tout faire pour les conserver à sa botte.  Si l'importance de cette minorité est condamnée à diminuer au fil des ans, cela ne signifie pas que ce sera automatique.  Si Trump met à exécution ses projets pour déporter les immigrants illégaux et réduire l'immigration, les tendances démographiques pourraient changer.  Si les États individuels mettent en place des mesures additionnelles pour décourager les votes des plus pauvres, le succès de Trump pourrait se prolonger sur de nombreuses années.  La victoire électorale du Parti national réuni en Afrique du Sud en 1948 a institué un système d'apartheid qui a préservé la suprématie blanche jusqu'en 1994.

Aujourd'hui, le progressisme étatsunien est appelé à renaître.  Des millions de citoyens des États-Unis en ont goûté les fruits et ils goûteront peut-être bientôt l'amertume de son élimination de la vie publique.  Ce sera la clé de sa renaissance, mais qui devra être porté par d'autres personnes que la génération responsable de son naufrage.

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