2011-10-30

 

L'amour et le sexe

Non, ceci n'est pas une tentative d'augmenter la cote de ce blogue. Mais j'ai de nouveau succombé (c'est décidément irrésistible) à l'attrait de la base de données des Ngram de Google. Sans grande prétention d'originalité, j'ai commencé par obtenir l'évolution des mots « love » et « sex » dans le corpus numérisé de la littérature anglaise. Ce qui a donné le diagramme suivant, où on constate une convergence remarquable de la fréquence des deux termes depuis 1929 environ. Comme quoi le krach n'a pas été que boursier à la fin des années vingt...Ensuite, j'ai fait de même avec les mots « amour » et « sexe » pour le corpus de langue française. Ce qui a donné le diagramme suivant, où le sexe a certes pris de l'importance depuis cinquante ans, mais sans que l'amour perde de sa popularité.Conclusion ? Faudrait-il en conclure que les Français au sang chaud restent plus romantiques que les Anglo-Américains ? Ou tout simplement que la traduction de « to have sex » par « faire l'amour », en français, doit nous empêcher de comparer l'évolution des deux paires de mots ? Puisque ce seraient en fin de compte des faux amis, comme disent les traducteurs...

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2011-10-26

 

L'endettement des pays riches, un autre point de vue

Une étude (.PDF) récente de la Bank for International Settlements (BIS), signée par Stephen G. Cecchetti, M. S. Mohanty et Fabrizio Zampolli, offre une autre perspective sur la crise de la dette, en Europe et ailleurs. Les auteurs ont additionné l'endettement des gouvernements, celui des ménages et celui des entreprises hors du secteur financier. Le résultat m'a surpris, et je crois qu'il en surprendra d'autres. L'endettement total des pays qui inquiètent le plus dans la crise de l'euro n'est pas nécessairement supérieur à celui d'autres pays. Et les Canadiens qui se font dire par les Conservateurs de Harper que le Canada est en meilleure position que d'autres auraient intérêt à faire attention, comme d'habitude, à leur véracité.L'endettement est calculé ici en fonction du produit intérieur brut. Il s'agit ici de l'endettement brut, sans tenir compte des richesses éventuelles d'un pays (épargne, autres avoirs). L'omission de l'endettement financier (ce qui me semble correspondre à celui des banques) supprime toutefois un élément crucial de la comparaison. Cela dit, que retrouve-t-on dans la figure ci-dessus ?

Tout d'abord, la grande économie qui survole toutes les autres sur le plan de l'endettement, c'est celle du Japon, avec un endettement total qui représente plus de 4 fois son PIB. Ce n'est pas une surprise et cet endettement est supportable pour des raisons particulières à la réalité japonaise, mais il reste associé à un taux de croissance de l'économie plutôt stagnant.

Viennent ensuite un trio de pays dont l'endettement en 2010 représentait plus de 350% de leur PIB, soit le Portugal, la Belgique et l'Espagne, dans un mouchoir de poche. La mauvaise posture des finances portugaises et espagnoles est bien connue, mais la présence de la Belgique dans ce trio de tête peut surprendre, même si le niveau élevé de sa dette gouvernementale est notoire.

Suivent un quatuor de mauvais élèves dont l'endettement dépasse les 300% de leur PIB, soit la Grande-Bretagne, la France, le Canada (la ligne brisée bleue) et l'Italie. La Grande-Bretagne a beaucoup souffert de la crise de 2008 et l'État français aligne les déficits depuis des décennies, de sorte que leur présence dans ce peloton ne surprend guère, en particulier si on tient compte des bulles immobilières qui ont sans doute poussé aussi les ménages à l'emprunt dans les deux pays. L'État italien fait pire, et depuis longtemps, mais la présence du Canada peut surprendre. Elle s'explique sans doute par l'endettement très élevé des ménages (maintes fois stigmatisé par les dirigeants de la Banque du Canada) ainsi que par l'endettement élevé de certaines provinces (comme le Québec) et de certaines villes. La Grande-Bretagne et le Canada, toutefois, ont l'avantage de disposer de leur propre monnaie et de leur propre banque centrale, alors que la Banque centrale européenne, comme le souligne cet article du Globe and Mail, est trop tiraillée par ses commettants pour agir de manière décisive.

Malgré la décote récente des États-Unis (la ligne unie bleu pâle), l'endettement de la superpuissance mondiale demeure actuellement parmi les moins excessifs des pays riches, à la hauteur de celui de... la Grèce. Enfin, on retrouve l'Allemagne en dernier lieu.

Les motifs d'inquiétude des investisseurs apparaissent peut-être un peu plus clairement si on ne tient compte que du taux de croissance de cet endettement entre 1980 et 2009-2010. Ce palmarès de l'imprudence a l'air de ce qui suit :

Grèce — 185 %
Italie — 184 %
Portugal — 154 %
Belgique — 109 %
Espagne — 106 %
Grande-Bretagne — 101 %
France — 101 %
États-Unis — 77 %
Allemagne — 77 %
Japon — 57 %
Canada — 33 %

Qu'en conclure? En l'absence de chiffres sur l'épargne nationale et sur l'endettement des secteurs financiers, il faut se montrer prudent. On ne peut pas comparer ces pays sur cette base pour en déduire lesquels ont les reins plus solides que les autres. Néanmoins, dans la mesure où cette évaluation de l'endettement reflète majoritairement les décisions collectives, celles des individus en tant qu'agents autonomes et celles des gouvernement démocratiquement élus, on peut juger que les sages et les fous n'ont pas nécessairement été ceux que l'on croit. Ou plutôt que les habitants de presque tous les pays industrialisés ont succombé, individuellement ou collectivement, à l'attrait du crédit.

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2011-10-21

 

Une solution pour la Davie

Si les chantiers de la Davie ont raté une occasion en laissant filer les contrats de construction de navires militaires et scientifiques pour le Canada, il se profile à l'horizon une autre occasion, mais il va falloir que les nouveaux patrons de la Davie (et que le Québec) se montrent un peu plus prévoyants, cette fois, au lieu de s'y prendre à la dernière minute.

Les contrats alloués cette semaine par le gouvernement canadien vont essentiellement renouveler la flotte canadienne au complet. C'est pourquoi la Davie se lamente à juste raison d'avoir raté une occasion unique.

Mais si on regarde les chiffres de plus près, il ne s'agit que de la flotte de surface de la Marine royale canadienne. Rien n'est prévu dans le cas des quatre sous-marins canadiens. Ceux-ci ont connu plus que leur part de déboires et le Canada a été obligé de dépenser des sommes énormes pour les retaper. Or, même si ni les chantiers de Halifax ni ceux de Vancouver ne se sont distingués, on peut supposer qu'un certain savoir-faire a été acquis et que, le cas échéant, il serait transférable si jamais le Canada voulait se lancer dans la construction de ses propres sous-marins.

Par conséquent, le consortium qui détient désormais les chantiers de la Davie devrait se mettre à réfléchir tout de suite à ce qu'il leur faudrait pour fabriquer des sous-marins canadiens. Et le NPD devrait en faire un élément de sa prochaine plate-forme électorale : construire au Canada des sous-marins canadiens. Si le consortium de la Davie commençait à réunir dès maintenant les ressources humaines, scientifiques et techniques qui seraient nécessaires, il pourrait sûrement soumissionner avec les meilleures chances de succès...

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2011-10-20

 

Charest, émule de Harper

Jean Charest est un homme dangereux. Il l'est de plus en plus pour le parti Libéral du Québec, qui commence à s'apercevoir que son chef est un boulet qui pourrait entraîner tout le parti dans sa course folle... Et il le devient pour la vie politique même au Québec. La commission Bastarache avait déjà instrumentalisé une institution publique reconnue ainsi qu'un juge jusqu'alors respecté pour tenter de redorer le blason de Charest tout en enfonçant pour de bon un adversaire. La nouvelle commission Charbonneau, qui ne sera pas plus une commission d'enquête qu'elle n'est une commission scolaire, témoigne d'un pas de plus dans le cynisme le plus éhonté. L'entreprise, dont les pouvoirs et les privilèges ont été rognés au plus juste, n'est clairement qu'une machine destinée à repousser aux calendes grecques, ou du moins jusqu'au lendemain d'élections à venir, tout bilan de la collusion et de la corruption dans l'industrie de la construction.

De plus, ce manque de respect pour les institutions politiques du pays commence à rappeler la façon de faire de Stephen Harper qui a fait la sourde oreille aux conseils des scientifiques sur tous les sujets possibles, s'est moqué du Parlement et a détruit l'intégrité de Statistique Canada. (Un jour, on comprendra que le démantèlement de Statistique Canada aura été plus tragique pour la res publica au Canada que l'annulation de l'Arrow d'Avro par un autre gouvernement conservateur.) S'il existe une critique anti-institutionnelle du gouvernement Charest, il est de plus en plus évident que ce gouvernement doit aussi être critiqué pour ce qu'il est en train de faire aux institutions du Québec.

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2011-10-12

 

Platon et le prince Harry

On annonçait récemment la venue du prince Harry en Amérique du Nord pour lui permettre de perfectionner sa maîtrise du pilotage. Ceci m'a rappelé la tournée antérieure du prince William et de son épouse. Si leur odyssée canadienne était soigneusement calculée pour que son impact politique soit le plus grand possible, elle procurait aussi au couple princier de nombreuses occasions de s'initier à des activités canadiennes et de découvrir plusieurs régions du pays. Du coup, la visite apparaissait aussi comme une entreprise éducative d'une telle envergure qu'on se demande pourquoi les politiciens canadiens n'en bénéficieraient pas aussi. Osons demander combien de députés parlementaires canadiens ont une aussi bonne connaissance de la diversité du pays que ces aristocrates britanniques !

Platon avait préconisé l'éducation des jeunes monarques de son époque par des philosophes de manière à donner le pouvoir à des rois philosophes qui seraient des despotes éclairés... Très curieusement, le Canada semble mettre en pratique les idées de Platon, à ceci près qu'il ne donne pas le pouvoir aux produits de cette formation. En fait, l'idéal politique de Platon souffrait du même défaut que les régimes monarchiques en général : le manque de flexibilité. La meilleure formation au monde peut s'avérer incomplète ou imparfaite si les circonstances changent. La démocratie mise plutôt sur un échantillonnage aléatoire des savoir-faire afin, en un sens, de parer à l'imprévisible.

Néanmoins, l'exploration du Canada offerte au prince William relève clairement d'une tentative de canadianiser, au moins un peu, celui qui pourrait devenir un jour le roi du Canada. À défaut de l'avoir sur place assez longtemps pour qu'il se frotte vraiment au pays et à ses habitants, on a entassé un maximum d'activités en quelques jours. Cela dit, on ne peut s'empêcher de penser que si la monarchie doit avoir un avenir au Canada, il ne fait aucun doute qu'elle devra se canadianiser encore plus pour survivre. La fiction d'une double monarchie (du Royaume-Uni et du Canada) incarnée dans la même personne est ingénieuse, mais la réalité d'une famille royale britannique est trop évidente. À défaut de créer une monarchie canadienne de toutes pièces, il faudrait inviter tout héritier de la Couronne britannique à immigrer au Canada afin de fonder une branche canadienne. Un roi immigré : quoi de plus canadien ?

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2011-10-11

 

Les vestiges de la préhistoire

Dans le septième livre de son Histoire naturelle, Pline l'Ancien écrit : « Danaüs arriva le premier sur un vaisseau d'Égypte en Grèce ; auparavant on naviguait sur des radeaux inventés dans la mer Rouge pour la navigation entre les îles, par le roi Érythras. »

Comme je l'ai déjà fait remarquer, les mythes les plus anciens pourraient, selon certains, remonter non seulement à la dernière période glaciaire mais à l'époque, il y a cinquante ou soixante mille ans, qui vit les premiers Homo sapiens quitter l'Afrique et essaimer sur tous les continents, sauf l'Antarctique. Le passage ci-dessus soulève également la question de la pérennité de certaines traditions. Se pourrait-il que Pline transmette le souvenir des premières embarcations à braver la mer quand les humains de la préhistoire ont quitté l'Afrique en empruntant ce que certains anthropologues appelleraient la route du sud ? Pour traverser le détroit de la mer Rouge, les paléontologues suggèrent que les premiers émigrants africains auraient pu utiliser des radeaux afin de naviguer d'île en île...

Certes, on sait grâce à de très anciens vestiges archéologiques égyptiens que de véritables navires voguaient sur la mer Rouge il y a près de cinq mille ans, mais cela n'exclurait pas la survie de radeaux. La vraie question, c'est celle de la continuité puisque le niveau des mers a baissé et monté sur la période de cinquante mille ans qui sépare Pline des premiers émigrants africains, mais il est permis de rêver à ce qui rapprochait peut-être les gens de l'Antiquité de leurs ancêtres par-dessus ce gouffre temporel...

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2011-10-10

 

Un logiciel sachant inventer...

Le 25 janvier 2005, un programme informatique a obtenu pour la première fois (à ma connaissance) un brevet d'invention, le numéro 6847851 dans le système de brevets des États-Unis. Le père de la programmation génétique, John Koza, est en quelque sorte le responsable de cette invention, mais la conception est le fruit immédiat de l'opération d'un logiciel... Dans cet article et dans ce livre, Koza et ses collaborateurs évoquent la mise au point d'un programme capable de concevoir une invention originale et inédite. Il s'agit en l'occurrence d'un régulateur PID (proportionnel, intégral, dérivé) amélioré et ce n'est pas dénué d'ironie que l'invention relève de la cybernétique, au sens propre...

Les inventeurs officiels sont Martin A. Keane, John R. Koza et Matthew J. Streeter, les droits sur le brevet étant assignés à Koza, mais le travail a été réalisé par un logiciel. En un sens, il s'agit d'une nouvelle forme de la machinisation du travail humain, et rien de plus. Pourtant, l'invention relève du travail intellectuel, voire de la créativité jusqu'à maintenant considérée comme le domaine réservé de l'esprit humain. Certes, l'éthologie a identifié quelques animaux capables d'inventer une solution technique quand on les place dans des situations à la fois inédites et compliquées, mais on a affaire ici à un dispositif relativement complexe. Ce qui semble clair, c'est que si des animaux empiètent sur nos plates-bandes d'inventeur à un bout et que les logiciels font de même à l'autre bout, il va rester de moins en moins de place au milieu pour l'affirmation d'une inventivité authentiquement humaine.

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2011-10-09

 

La vague orange au Québec

La pilule était amère pour les souverainistes québécois. Le 2 mai dernier, une vague orange délogeait le Bloc québécois de sa place au Parlement d'Ottawa en faveur du NPD. Les chantres du mouvement souverainiste ne l'ont toujours pas avalée, comme en témoigne l'élan acrimonieux de Joseph Facal publié dans Le Journal de Péladeau.

Pourquoi la pilule ne passe-t-elle pas ? Pourquoi s'attrister de la « renversante légèreté » des Québécois qui ont voté pour le NPD ? En partie, c'est que cela rappelle le verdict d'un fédéraliste quelque peu honni par la bien-pensance souverainiste, servi par Wilfrid Laurier en guise de réplique à Henri Bourassa au sujet de la guerre des Boers : « La province de Québec n'a pas d'opinions, elle n'a que des sentiments. » Laurier aurait-il eu raison ? En partie, c'est ce que cela remet en question les grandes heures de l'indépendantisme québécois. Si les électeurs québécois ont pu accorder leurs voix au NPD sur un coup de tête, conquis par le charisme de Jack Layton, dans quelle mesure n'en a-t-il pas été de même en 1976, quand le charme de René Lévesque a supplanté la Trudeaumanie ? Et si l'enthousiasme souverainiste des années soixante-dix n'avait été qu'une passade ? Envisager cette hypothèse ébranlerait les piliers de plusieurs temples...

On n'y échappe pas. Soit le Québec s'est montré inconséquent dans les deux cas, soit il a posé un choix démocratique légitime dans les deux cas, soit il s'est avéré plus réfléchi dans un cas que dans l'autre — mais se montrer irréfléchi de temps en temps, c'est faire preuve à tout le moins d'inconstance... Mieux vaudrait accepter que le peuple est souverain et qu'il choisit au mieux de ses connaissances.

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2011-10-08

 

La frontière de nos connaissances

Si l'informatique et le cyberespace ne sont plus aussi exotiques qu'il y a vingt ou trente ans, il reste toutefois des frontières associées à des mystères et aussi à la possibilité de les élucider. Je me souviens de l'époque pas si ancienne quand les naines brunes étaient des astres hypothétiques. De nos jours, il existe des listes de naines brunes. Et une équipe de chercheurs de mon alma mater astronomique, l'Université de Toronto, vient d'annoncer qu'elle a observé de gigantesques perturbations atmosphériques à la surface d'une naine brune distante d'une quarantaine d'années-lumière.

Pendant ce temps, les observations les plus récentes du pulsar dans la nébuleuse du Crabe (né de la supernova aperçue sur Terre en 1054) ne seraient plus explicables par les théories habituelles. L'astrophysique ou la physique sont-elles prises en défaut ? Ou s'agit-il d'un phénomène qui permettra d'améliorer sous peu la compréhension des pulsars ?

Dans certains cas, on se dit que la seule façon d'en savoir plus long, sur la météo des naines brunes ou la physique des pulsars, ce sera d'aller voir. Le jour où la fusion inertielle permettra de propulser des astronefs dans l'espace interstellaire ?

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2011-10-07

 

L'ère du cyberpunk

La mort de Steve Jobs n'est pas la mort d'Apple, mais la compagnie d'aujourd'hui n'est plus nécessairement la compagnie qui, en 1984, s'opposait aux IBM de ce monde. Néanmoins, sa mort met en un sens un point final à l'ère du cyberpunk.

Souvenons-nous que c'est en 1984 que William Gibson faisait paraître Neuromancer, un roman qui allait accélérer la cristallisation d'une tendance en aidant à définir la sensibilité du cyberpunk. Et c'est la même année que cette pub célèbre d'Apple (qu'il me semble bien avoir vue, comme quoi un intérêt pour le football mène à tout...) annonçait la sortie du Macintosh. La coïncidence n'était pas fortuite. Les ordinateurs personnels allaient devenir des biens de consommation dont pourraient s'emparer des passionnés moins férus de langages informatiques (BASIC!) ou de microprocesseurs que des applications (déjà!) fournies par Apple. Tout en faisant écho aux visionnaires des années soixante-dix (Nelson, Rheingold), Gibson anticipait la création d'une culture rendue possible par des ordinateurs plus accessibles. Dans le cadre de cette culture cyberpunk, les ordis auraient le cachet des motos et des voitures bricolées par des fous de mécanique aux États-Unis depuis les années quarante ou avant — mis en scène par Heinlein, en son temps, dans Rocketship Galileo, il me semble, quand les fous de mécanique passaient allègrement des voitures reconstruites aux fusées... Les « cyberpunks » étaient donc bien les dignes descendants des fans de radio qui avaient été les premiers lecteurs de Hugo Gernsback, auquel Gibson avait rendu un hommage, euh, dévastateur dans « The Gernsback Continuum ». La personnalisation de la technologie — postes à galène et radios à ondes courtes des fans, autos et motos modifiées des hotrodders, fusées des scientifiques en herbe, ordinateurs personnels des Maqueux — a permis à des générations successives d'investir le futur et de s'y projeter de par leur maîtrise de la mécanique, de l'électronique ou de l'informatique. Si la science-fiction est en perte de vitesse, c'est peut-être bien parce que ni la biotechnologie ni la nanotechnologie ne sont encore manipulables dans un garage ou un sous-sol... En même temps, tant que ces technologies restaient un domaine réservé aux véritables passionnés, ces derniers pouvaient passer non seulement pour des marginaux mais aussi pour des rebelles. D'où la pub d'Apple. Et d'où les « console cowboys » de Gibson (qui exploitait ce faisant un mythe encore plus ancien).

Les ordinateurs d'Apple et les créations ultérieures de Steve Jobs ont longtemps conservé cette image de marque qui faisait de leurs possesseurs des êtres à part, cowboys solitaires ou rebelles réfractaires aux règles du Système. Mais, dans un monde où grand-mères et petits-fils sont tous sur Facebook, il est devenu de plus en plus difficile de se cacher que le piratage informatique n'est qu'une nouvelle forme de criminalité (ou d'espionnage) qui n'a rien de très glorieux, et que les ordinateurs d'aujourd'hui sont désormais aussi banalisés que les radios, motos et autos qui font encore partie de notre quotidien. Le décès de Steve Jobs n'annonce pas la mort du cyberpunk, il nous la rappelle.

Dans une de mes nouvelles inédites (et incomplètes) de l'ère cyberpunk, intitulée « Arctica ICE », un des personnages est un hacker qui a fait ses classes à l'Institut Wozniak. Les références sont claires. Mais je m'étais sans doute trompé, puisque Jobs passera peut-être à l'histoire comme celui qui aura non seulement façonné l'informatique personnelle des années quatre-vingt mais aussi accouché du mythe technologique le plus capable d'entrer en résonnance avec les archétypes (vaudous ou non) du cyberpunk...

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