2008-11-12

 

La Grande Rencontre (1)

Depuis quelques années, pour éviter de faire penser au petit pain honni pour lesquels étaient nés les Québécois, on fait les choses en grand au Québec. En 2001, on commémorait la Grande Paix de Montréal. En 2005, on ouvrait la Grande Bibliothèque. Et, cette année, il y avait la Grande Traversée de l'Atlantique pour le 400e de Québec, qui avait aussi sa Grande Place pour les spectacles... Tout naturellement, l'ACFAS a dénommé « la Grande Rencontre » son rendez-vous de représentants des sciences, de la société et des communicateurs scientifiques, organisé de concert avec l'Institut du Nouveau Monde à l'instar de ses rendez-vous stratégiques sur la culture auxquels j'avais participé l'an dernier.

La rencontre de la science et de la société avait lieu au Jardin Botanique, fondé en 1931 à l'instigation du Frère Marie-Victorin (dont la statue se dresse maintenant aux portes de l'édifice principal, avec la tour du Stade Olympique en arrière-plan, ci-contre). Aujourd'hui, cela se passait dans l'auditorium d'époque, aux murs arborant les noms des grands biologistes de l'Histoire — excepté Darwin. Au programme de la matinée, il y avait la présentation par le professeur Yves Gingras des résultats d'un sondage de l'ACFAS et du CIRST mené auprès des chercheurs québécois. Les points saillants étaient tirés en partie de mon dépouillement et analyse des résultats, ainsi que de la comparaison avec les résultats d'un sondage antérieur complété en France par le CNRS. Entre autres, on note au Québec l'absence de conviction de l'existence d'une crise de confiance dans les rapports entre les chercheurs et la société. Le militantisme contre est jugé avec une relative indulgence par les chercheurs tant au Québec qu'en France, mais le militantisme pour laisse nettement plus tiède en France qu'au Québec. Le positivisme a maintenant une patrie, et ce n'est plus la France!

Mireille Mathieu (présidente sortante de l'ACFAS et vice-rectrice aux relations internationales de l'Université de Montréal) présentait ensuite une cartographie des liens entre science et société de douze organismes de recherche en sciences sociales et humaines, dont huit regroupements stratégiques, deux centres en émergence et deux centres en renouvellement. J'ai noté que les ponts avec la société s'établissaient à la faveur de formations ciblées, de contrats d'expert-conseil, de recherche en partenariat, de consultations et d'activités de transfert des connaissances (conférences, journées portes ouvertes, travaux de vulgarisation, expositions, ateliers publics, participations à des festivals, sites internet, manuels, etc.).
Huit entrevues auraient permis ensuite de dégager les facteurs qui faisaient obstacle à l'intensification de ces rapports entre les milieux de la recherche et les autres : la reconnaissance (ou son absence) par les universités et/ou les organismes subventionnaires du travail de vulgarisation, la disponibilité (ou le manque de temps), le financement (ou ses carences), les aptitudes (ou inaptitudes) et l'intérêt (ou désintérêt) des pairs.

Le public a réagi. Normand Mousseau (prof de physique à l'Université de Montréal) a avoué n'avoir pas répondu au questionnaire de l'ACFAS/CIRST parce qu'il ne savait pas ce qu'il fallait entendre par « crise ». Il est conscient de tensions et de problèmes, toutefois, alors que la science est de plus en plus essentielle à la bonne conduite des affaires publiques par nos politiciens. Michel Venne a souligné la question de la disponibilité des chercheurs et l'absence d'incitatifs. D'autres sont intervenus pour s'interroger sur le besoin de communiquer : est-il plus aigu? est-il conjoncturel? On suggère alors que la plus grande sensibilité des chercheurs québécois pourrait trouver son origine dans la multiplication des stipulations émanant des comités d'éthique de la recherche depuis une dizaine d'années. Quelqu'un note qu'un centre de recherches a été pénalisé pour avoir fait trop de vulgarisation et pas assez de recherche. Yvette Tremblay (ministère de l'Éducation) répond que la mission de base des chercheurs reste celle de faire de la recherche, même si les transferts de connaissances devraient bénéficier d'une plus grande valorisation. Peter Lévesque, financé par la Fondation Trillium en Ontario, intervient pour expliquer son travail en « mobilisation des connaissances » et diagnostiquer une demande de connaissances utiles et pratiques qui n'est pas comblée actuellement : faudrait-il des structures intermédiaires? On lui répond que le CLIPP existe et que les universités ont souvent des bureaux offrant des services à la collectivité.

En fin de matinée, les résultats du sondage (1002 entrevues téléphoniques) sur les attentes des citoyens québécois vis-à-vis du monde de la recherche ont été présentés, en faisant ressortir que le taux de confiance du public pour les scientifiques et la science (84%) et les professeurs (92%) a nettement augmenté depuis la dernière enquête de ce genre en 2002 (68%) par le Conseil de la Science et de la Technologie. Une proportion également élevée (81%) croit que les scientifiques ont un plus grand rôle à jouer aujourd'hui dans les débats publics, mais le public croit à 52% que les chercheurs ne participent pas assez de leur propre chef et que les médias ne leur accordent pas une couverture suffisante. (Quelqu'un fait remarquer dans la salle que les citoyens le disent mais regardent les télé-réalités et Le Banquier.) Si le public se considère bien informé sur les sciences (64%), c'est moins que pour la culture, la politique, les sports, etc. Et c'est loin d'être clair s'il tient compte uniquement du volume d'informations sans égard à la qualité ou s'il se contente de peu parce qu'il tient la science pour intrinsèquement plus difficile à comprendre. En revanche, les citoyens exigent des scientifiques qu'ils tiennent compte de leurs attentes (77%) et des risques (64%) de leur recherche. Sans grande surprise, la scolarité a un effet patent sur le niveau de confiance et d'optimisme; les plus scolarisés font plus confiance à la science et à ses experts, soutiennent davantage la recherche pure et réclament un plus grand rôle public pour la science. Des résultats se dégagent un constat possible : il faudrait faire participer les citoyens plus directement à la recherche.

Le public a réagi ensuite. Claude Roberge a demandé si le sondage avait eu lieu avant ou après la crise de la listériose. Après, lui a-t-on répondu. Il maintient qu'en matière d'évaluation et de gestion des risques, les scientifiques devraient se prononcer et se faire entendre. Jérôme Élissalde (UQÀM) note que le taux de confiance lui fait peur et souligne que la vulgarisation des sciences ne doit pas seulement être promue mais critiquée. Le chercheur Michel Bergeron intervient pour dire qu'il faut des experts et des citoyens bien formés pour faire le tri et la part des choses face aux informations véhiculées par internet. Mathieu Robert-Sauvé, journaliste et président de l'ACS, demande ce que font les médias pour parler plus souvent de science. Marie Larochelle, prof en Éducation à l’Université Laval, trouve le sondage trop idéalisé : il aurait fallu situer les scientifiques dont il était question plus spécifiquement (au besoin comme chercheurs stipendiés de Monsanto) et elle critique la supposition implicite d’un « déficit cognitif » des profanes que la vulgarisation est censée combler. Johanne Charbonneau rappelle l’existence de plus en plus fréquente ces dernières années de clauses léonines dans les contrats signés par les scientifiques avec des partenaires, de sorte que l’accessibilité et le contrôle des résultats en souffrent. On lui fait remarquer que tous les partenaires, publics et privés, essaient de s’approprier la production intellectuelle.

En après-midi, deux spécialistes français, Jean-Pierre Alix et Dominique Pestre, ont la parole. Alix rappelle que la science vue comme base des progrès (selon le linear model ) et que la vulgarisation comprise comme comblement d’un déficit cognitif s’inscrivent en fait dans un dialogue au minimum bidirectionnel, mais qui prend de manière plus réaliste la forme d’un tissu de relations interactives où la culture, l’éducation, les médias, le politique, la sécurité et l’économie (de l’innovation) se pressent autour de la recherche. Pestre identifie trois acteurs retenus par l’ACFAS : la recherche, le privé et la société civile, ce qui implique une quête d’équilibre de la recherche et de l’exploitation ainsi qu’une coproduction des savoirs. Mais la recherche est-elle source de savoir, de menaces, ou quoi encore? En France, les chercheurs sont soumis à une triple exigence : tout à la fois exceller, transférer leurs résultats vers le privé et dialoguer avec la société civile. Le discours dominant met de l’avant l’économie/société des connaissances qui sera sauvé par la science — quoique la référence à la Silicon Valley permet de dater quelque peu ce discours... Mais s’il a été question en matinée de promouvoir la science et le dialogue, Pestre propose de promouvoir plutôt la science et toutes les autres formes de savoirs dans le social, et de promouvoir la diversité des espaces de rencontre.

Le public a également pu réagir. Marc-André Simard de l’Université Laval pose la question de la communication avec les jeunes. On lui répond que les jeunes en France expriment des aspirations idéalistes et le désir de participer à la construction de l’Université de demain. Bref, une journée sans doute plus intéressante en matinée quand on apportait de nouvelles données au moulin qu'en après-midi, quand on a dérivé dans l'abstraction et les généralités.

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Comments:
Je n'étais pas là le premier jour, mais à en juger par ton résumé, il s'agissait d'une rencontre de chercheurs qui s'interrogent sur la façon dont ils pourraient "rejoindre" (jeter des ponts, s'approcher, communiquer) la "société", bien davantage que d'une "rencontre science et société". Est-ce que c'est ton impression, ou si ton chapeau de chercheur te fait voir les choses différemment?
 
Je dirais les choses autrement : il s'agissait surtout de chercheurs ou autres personnes (membres de l'ACFAS, les journalistes) intéressés par la rencontre entre science et société. C'est cette rencontre qui était étudiée sous toutes les coutures, et théorisée.

Ni les chercheurs en sciences naturelles ni les membres du public ne s'exprimaient vraiment durant cette première journée, sauf pour poser quelques questions (comme Normand Mousseau).

Bref, l'événement n'était pas nécessairement une « rencontre » de la science (sauf sociale) et de la société, mais plutôt une occasion de se pencher sur cette rencontre pour des professionnels concernés par l'interface/intersection : sociologues, journalistes, muséologues, vulgarisateurs, communicateurs institutionnels, etc.
 
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