2006-09-04

 

Souvenirs de Nigelle

J'ai déjà livré des photos de Nigelle sur ce blogue, mais il me restait à illustrer les escaliers étagés des jardins de la maison de Stavisky. Ceux-ci figurent au passage dans mes romans pour jeunes de la série des « Saisons de Nigelle », mais il n'est sans doute pas si facile de les imaginer. Pourtant, des années plus tard, il est très aisé pour moi de m'en souvenir. Les marches étaient faites de briques posées sur la tranche ; quand l'été tirait à sa fin et que le temps des cerises était depuis longtemps fini, des queues et des noyaux jonchaient les degrés des escaliers. Les murs de soutènement, de part et d'autre, étaient moussus et les pierres étaient creusées d'anfractuosités irrégulières qui attiraient l'attention. Le premier palier abritait une remise à outils, et pas grand-chose d'autre. Des fraises poussaient dans l'herbe folle — et la dépouille du lapin apprivoisé (odieusement occis par un chat) d'une cousine y avait été enterrée. Le dernier palier était le plus étroit, surplombant de peu le cours de la rivière qui coulait au pied de la dénivellation. Entre ces deux paliers, mon grand-père cultivait ses jardins. L'été, il se promenait en chapeau de paille, et je le voyais souvent avec un arrosoir ou une bêche à la main. L'hiver ou les autres saisons... je n'ai guère eu l'occasion de lui rendre visite l'hiver.

Comme beaucoup de petites villes françaises, Nigelle avait sa gare. Édifice tout simple, surtout à l'intérieur. À l'époque, on y trouvait quand même un petit kiosque à journaux qui ouvrait un peu avant l'arrêt des trains et qui fermait un peu après. Je n'avais pas tardé à repérer des romans de science-fiction à bon prix — des éditions de poche, sans doute du Fleuve Noir. Bref, de la littérature de gare, du genre dont on ne parle pas dans les journaux ou les périodiques... Pour moi, ce n'était pas un critère. Je voulais lire de la science-fiction, un point c'est tout. En allant à la gare chercher quelqu'un qui arrivait de Paris, on croisait des appelés qui débarquaient, en uniforme, avec leurs effets dans un grand sac. Ce n'était sans doute pas un hasard si une salle de cinéma (la seule du patelin?) et un estaminet ou deux se trouvaient à deux pas...

Quelques années plus tard, je crois que le kiosque a cessé d'ouvrir. Soit parce que moins de gens prenaient le train, soit parce que les charges ou les marges de profit rendaient inintéressant le boulot de kiosquier. Comme beaucoup de gares en France, celle-ci se trouvait plus ou moins en lisière de l'agglomération, dans une zone qui devenait industrielle et commerciale. Quand on arrivait du centre du bourg, la gare était un dernier point de repère avant le carrefour de la rocade de la route nationale, après quoi débutait la campagne. En quelques minutes, un bon marcheur pouvait se retrouver au milieu des champs...Dans la photo ci-dessus, un Christ en croix prolonge une clôture au milieu des champs labourés. En arrière-plan, on aperçoit le quartier des Gauchetières de Nogent-le-Rotrou. Comme beaucoup de nouveaux quartiers érigés après la guerre et composés de petits immeubles, il n'avait pas nécessairement bonne réputation. On pouvait aussi s'aventurer plus loin et perdre de vue tout à fait les maisons de Nigelle. Un chemin creux en plein bois, fin décembre, devenait une piste mystérieuse à souhait... Mais celle que j'ai photographiée à droite s'allongerait près de la ferme de l'Aunay — je crois me souvenir que celle-ci se trouvait suffisamment près de l'agglomération pour qu'il ne soit pas entièrement certain qu'elle existe encore... Quant à ce chemin jonché de feuilles mortes, je crois bien qu'il permettait de traverser un petit bois et d'aboutir dans le bocage normand. Dans un calme absolu, le marcheur s'éloignait aussitôt des bruits de la ville ou de la circulation sur la route nationale. Sinon, fin décembre, ce qui impressionnait le plus un Canadien visitant la France, c'était bien entendu l'absence de neige et le fond de l'air encore doux, rappelant plutôt une journée de novembre à Ottawa ou Toronto. Le temps est relatif, l'hiver aussi...

Plus qu'une bourgade mais loin d'être une ville, Nigelle était une petite ville avec un beau square, un jardin public du côté des Gauchetières, deux places publiques (l'une servant au marché le samedi et l'autre au stationnement des voitures des clients), plusieurs églises et un château. On en faisait assez vite le tour, même si j'ai parfois été surpris de faire encore des découvertes à l'occasion, en allant me promener dans des recoins ignorés de l'agglomération. C'est ainsi que j'étais tombé sur cette maison en ruines visible ci-contre. Debout dans l'herbe folle, la demeure ruinée m'avait irrésistiblement attiré vers elle. Il n'y avait pas une seule clôture pour m'empêcher de succomber... Je n'avais même pas eu à pousser la porte. Il n'y en avait plus. Une fois à l'intérieur, je n'étais pas allé loin, car je me méfiais du plancher, mais je regrette surtout de n'avoir pas noté quelque part mes impressions détaillées en revenant à la maison.

Au fil des ans, j'ai pris goût aux promenades sur les petits chemins de campagne des environs. En vélo à l'occasion, mais le plus souvent à pied. C'était plus facile de s'arrêter et de prendre une photo. Du lieu-dit le Val sur la route de Dancé, ci-contre, non loin du lieu-dit La Botagne, par exemple. Et on s'arrête aussi un instant pour rêver... Ces maisons blotties sous un ciel menaçant ont l'air capables de résister à tout. Combien de saisons, de siècles ont-elles duré? Leurs formes simples, leurs fenêtres chichement comptées, les pièces de renfort qui consolident leurs murs, leurs toitures minérales, leurs cheminées trapues, tout concourt à leur donner un caractère d'évidence aussi marqué que celui d'un élément du relief naturel.

Un peu plus loin, c'était peut-être une rangée d'arbres au garde-à-vous, les branches encombrées de boules de gui, qui m'interpellait. Quoi? Le gui n'avait pas été inventé par Goscinny pour les besoins de Panoramix, le druide du village d'Astérix? Eh bien, non : si ce parasite se faisait discret l'été, caché par toute l'épaisseur du feuillage, il devenait parfaitement visible quand l'automne dégarnissait les branches. La photo n'avait pas tardé... Mes voyages en France, dès l'enfance, m'avaient rassuré que ces livres de la Bibliothèque Rose ou Verte que nous lisions quand nous étions petits n'étaient pas de simples inventions. Ils décrivaient un monde bien réel, quoiqu'un peu décalé. De quoi donner foi en la science-fiction, donc...

« The Road goes ever on », a écrit Tolkien. Cette photo prise à la sortie d'un petit hameau du Perche qui porte le joli nom de Saint-Pierre-la-Bruyère peut en donner le sentiment...

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Comments:
Bonjour,
Je suis native de Nigelle et habite la maison ronde,les photos vues sur votre blog me sont donc très familières! J'aimerais partager vos souvenirs,si vous voulez bien donner suite à ce message... A bientôt,j'espère
 
Que le monde est petit, quand il est rapproché par internet...

Je ne sais pas si j'ai envie (et je n'ai pas beaucoup le temps en ce moment) de continuer à dévider mes souvenirs. Vous trouverez quand même sur ce blogue plusieurs autres billets sur Nigelle, et parfois sur mes souvenirs de mes anciens séjours : si vous tapez « Nigelle » dans le moteur de recherche de la page d'accueil du blogue, vous devriez obtenir tous les billets où figure le nom.

Bien entendu, cela inclut plusieurs références à mes romans pour jeunes qui se passent à Nigelle. Et auxquels on vient de consacrer un livre.

Il n'est d'ailleurs pas exclus que je signe d'autres billets sur mes souvenirs de Nigelle, mais c'est toujours un peu une question d'humeur...

En tout cas, si jamais je repasse par Nigelle, je viendrai peut-être sonner à la porte...

P.S.: Comment êtes-vous tombée sur mon blogue? En cherchant des références sur internet à la « maison ronde » de Nogent?
 
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