2013-05-27
Quand la science-fiction française se penche sur son passé
La nouvelle collection poche Hélios des éditions Mnémos lance plusieurs romans en ce moment. J'ai lu hier un des titres de cette collection, Françatome : Aujourd'hui l'atome, demain l'espace de Johan Heliot. Acheté à Geekopolis, commencé dans le métro et terminé sur une île de la Seine, tandis que des joueurs de pétanque et skaters se disputaient le reste de l'île et que la Seine roulait des flots d'un vert mi-brun mi-gris au pied du quai où s'amarrent des péniches habitées...
Un peu comme dans le cas de Rêves de gloire de Roland C. Wagner, il s'agit d'une uchronie gaullienne. Non que le général de Gaulle soit un personnage à part entière. Simplement, le roman se déroule durant la période de l'histoire récente qui a été dominée par lui, même si l'uchronie commence à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand la France met la main (on ne sait pas vraiment comment) sur les principaux spécialistes nazis des fusées.
Le protagoniste, Vincent Clain, est le fils d'un ingénieur chargé du développement de fusées atomiques, puis d'un réacteur à fusion, dans un base en plein désert algérien. Fouettés par le lancement du Spoutnik et encouragés par le nouveau régime gaulliste, les savants français mettent au point une fusée surpuissante qui leur permettra d'assembler en orbite la Roue : une station spatiale dont la rotation génère une gravité factice, semblable à un concept ancien que Wernher von Braun avait rendu célèbre aux États-Unis. Comme dans certains des premiers romans de Heinlein, ce qui correspondait d'ailleurs à une idée de von Braun, cette station est armée de missiles nucléaires, ce qui va garantir dans un premier temps la puissance de la France avant d'entraîner la chute du régime gaulliste lorsque le commandant de la station, Magnus Maximilian, décide de faire sécession. Comme la Roue est également appelée l'Orbe, cette double nomination fait penser au roman de Michel Jeury, L'Orbe et la Roue, pourtant consacré à un futur nettement plus lointain. Heliot ne précise-t-il pas que Vincent apprécie la lecture d'Albert Higon?
De fait, si Vincent est appelé des années plus tard à la rescousse de la France qui craint l'écrasement de la station à la dérive, il replonge sans cesse dans un passé à la fois douloureux et exaltant. Sa mère est morte des conséquences d'une expérience ratée de son père et Vincent a dû l'aider à mourir avant de quitter la France gaulliste pour de bon. Elle n'aimait plus son père depuis longtemps, lui préférant un pilote plus fringant, et Vincent lui-même a souffert de l'amour distant d'un père absorbé par la tâche prestigieuse de faire accéder la France d'après-guerre à l'espace.
Heliot distille progressivement les révélations sur le passé et le présent, mais il est clair que le passé de son uchronie est le réel sujet de ce roman. Les descriptions de la vie à la base d'Hammaguir ne sont pas sans rappeler l'atmosphère du roman pour jeunes La Porte des étoiles (1954) de Paul Berna, voire de l'Objectif Lune de Hergé. À la fièvre d'une course à l'espace vécue en direct s'allient les rêves d'un futur spatial de plus en plus grandiose, mais Heliot s'ingénie aussi à ramener le lecteur sur Terre en dévoilant le passé sordide du grand Maximilian, la jalousie mesquine et meurtrière du professor Clain, ainsi que la décision du général de Gaulle de larguer une bombe atomique sur la Kabylie pour étouffer les velléités autonomistes de l'Afrique du Nord. C'est la loi d'airain des uchronies que j'ai souvent évoquée : elles ne peuvent pas camper un monde radicalement meilleur que le nôtre. L'euchronie est rarissime et c'est pourquoi l'uchronie échappe en partie à la condamnation prononcée il y a longtemps par Emmanuel Carrère, que celui-ci cite lui-même dans sa préface à L'Uchronie d'Éric B. Henriet, où il rappelle avoir juré autrefois de se « détourner de l'uchronie, des univers parallèles, du regret qui les obsède, et de m'aventurer au pays du réel ». Le prix de la popularité de l'uchronie, c'est de ne jamais céder entièrement au regret et à la rêverie désirante afin de sans cesse rappeler que le ver est toujours dans le fruit.
Au-delà de l'aventure située dans le présent du personnage (vers 1988) et de l'uchronie, l'intérêt principal de l'ouvrage est sans doute d'exhumer l'optimisme plus ou moins candide partagé par l'astrofuturisme d'une époque révolue et par une partie de la science-fiction contemporaine. Les principaux personnages du roman qui appartiennent à la même famille... nucléaire ne portent-ils pas un nom qui est l'homonyme de Klein, le patronyme d'un auteur marquant de cette même période ? Affection critique ou critique affectueuse ? Au lecteur de trancher quant à l'attitude exacte adoptée par l'auteur face à ce passé pas si lointain et pourtant tellement étranger...
Un peu comme dans le cas de Rêves de gloire de Roland C. Wagner, il s'agit d'une uchronie gaullienne. Non que le général de Gaulle soit un personnage à part entière. Simplement, le roman se déroule durant la période de l'histoire récente qui a été dominée par lui, même si l'uchronie commence à la fin de la Seconde Guerre mondiale quand la France met la main (on ne sait pas vraiment comment) sur les principaux spécialistes nazis des fusées.
Le protagoniste, Vincent Clain, est le fils d'un ingénieur chargé du développement de fusées atomiques, puis d'un réacteur à fusion, dans un base en plein désert algérien. Fouettés par le lancement du Spoutnik et encouragés par le nouveau régime gaulliste, les savants français mettent au point une fusée surpuissante qui leur permettra d'assembler en orbite la Roue : une station spatiale dont la rotation génère une gravité factice, semblable à un concept ancien que Wernher von Braun avait rendu célèbre aux États-Unis. Comme dans certains des premiers romans de Heinlein, ce qui correspondait d'ailleurs à une idée de von Braun, cette station est armée de missiles nucléaires, ce qui va garantir dans un premier temps la puissance de la France avant d'entraîner la chute du régime gaulliste lorsque le commandant de la station, Magnus Maximilian, décide de faire sécession. Comme la Roue est également appelée l'Orbe, cette double nomination fait penser au roman de Michel Jeury, L'Orbe et la Roue, pourtant consacré à un futur nettement plus lointain. Heliot ne précise-t-il pas que Vincent apprécie la lecture d'Albert Higon?
De fait, si Vincent est appelé des années plus tard à la rescousse de la France qui craint l'écrasement de la station à la dérive, il replonge sans cesse dans un passé à la fois douloureux et exaltant. Sa mère est morte des conséquences d'une expérience ratée de son père et Vincent a dû l'aider à mourir avant de quitter la France gaulliste pour de bon. Elle n'aimait plus son père depuis longtemps, lui préférant un pilote plus fringant, et Vincent lui-même a souffert de l'amour distant d'un père absorbé par la tâche prestigieuse de faire accéder la France d'après-guerre à l'espace.
Heliot distille progressivement les révélations sur le passé et le présent, mais il est clair que le passé de son uchronie est le réel sujet de ce roman. Les descriptions de la vie à la base d'Hammaguir ne sont pas sans rappeler l'atmosphère du roman pour jeunes La Porte des étoiles (1954) de Paul Berna, voire de l'Objectif Lune de Hergé. À la fièvre d'une course à l'espace vécue en direct s'allient les rêves d'un futur spatial de plus en plus grandiose, mais Heliot s'ingénie aussi à ramener le lecteur sur Terre en dévoilant le passé sordide du grand Maximilian, la jalousie mesquine et meurtrière du professor Clain, ainsi que la décision du général de Gaulle de larguer une bombe atomique sur la Kabylie pour étouffer les velléités autonomistes de l'Afrique du Nord. C'est la loi d'airain des uchronies que j'ai souvent évoquée : elles ne peuvent pas camper un monde radicalement meilleur que le nôtre. L'euchronie est rarissime et c'est pourquoi l'uchronie échappe en partie à la condamnation prononcée il y a longtemps par Emmanuel Carrère, que celui-ci cite lui-même dans sa préface à L'Uchronie d'Éric B. Henriet, où il rappelle avoir juré autrefois de se « détourner de l'uchronie, des univers parallèles, du regret qui les obsède, et de m'aventurer au pays du réel ». Le prix de la popularité de l'uchronie, c'est de ne jamais céder entièrement au regret et à la rêverie désirante afin de sans cesse rappeler que le ver est toujours dans le fruit.
Au-delà de l'aventure située dans le présent du personnage (vers 1988) et de l'uchronie, l'intérêt principal de l'ouvrage est sans doute d'exhumer l'optimisme plus ou moins candide partagé par l'astrofuturisme d'une époque révolue et par une partie de la science-fiction contemporaine. Les principaux personnages du roman qui appartiennent à la même famille... nucléaire ne portent-ils pas un nom qui est l'homonyme de Klein, le patronyme d'un auteur marquant de cette même période ? Affection critique ou critique affectueuse ? Au lecteur de trancher quant à l'attitude exacte adoptée par l'auteur face à ce passé pas si lointain et pourtant tellement étranger...
Libellés : Livres, Science-fiction
2013-05-25
Philippe Aubert de Gaspé, fils, auteur frénétique romantisant ?
De passage aux Ulis en banlieue de Paris, j'ai assisté à une réunion du club local de science-fiction, fantastique et cie à la médiathèque, animé par le sympathique Sylvain Fontaine. Celui-ci a abordé le sujet du roman noir, ou roman gothique, en citant un ouvrage récent, La littérature frénétique (2009), du critique canadien Anthony Glinoer. L'ouvrage a bénéficié d'une large réception, doont une critique dans Le Monde. Son auteur inscrit le roman gothique dans une histoire longue et identifie en particulier des épigones français qui, après avoir imité la première vague du roman gothique caractérisé par sa prédilection pour le macabre et le surnaturel, ses lieux étranges, son choix de cadres géographiques souvent empruntés à l'Europe du Sud, ses péripéties ténébreuses et ses mises en scène aussi pathétiques que cruelles, ont adopté les caractéristiques du nouveau roman gothique exploré par des auteurs qui s'intéressent plus au personnage du méchant. Émilie Pezard le résume ainsi dans cette critique de Glinoer :
C'est à tout le moins une hypothèse qu'il faudrait confirmer, mais elle aurait pour intérêt d'enraciner ce premier roman canadien-français dans une veine littéraire plus récente que celle du roman gothique invoqué le plus souvent — sans parler des interprétations plus biographiques ou allégoriques, comme celle de Louis Lasnier dans Les Noces chymiques de Philippe Aubert de Gaspé dans L'Influence d'un livre (2002). Outre la proximité dans le temps et dans le thème, il serait sans doute envisageable de glaner des indices dans les allusions et références du texte. Les exergues des chapitres combinent des citations de plusieurs auteurs et plusieurs époques. Parmi les plus récentes, il y a l'extrait du poème « Le Départ » de Casimir Delavigne (1793-1843), publié dans Les Messéniennes en 1835 mais dont la sortie première pourrait remonter aux années 1820. Parmi les plus anciennes, il y a celles de Shakespeare, mais aussi celles de Thomas Otway (1652-1685) ou de Crispin Médecin, une comédie du XVIIe siècle de Noël Lebreton de Hauteroche (1617-1707). Les sources des citations des dénommés Bertaud et Gratot restent à déterminer, toutefois...
Il en va tout autrement du « roman frénétique romantisant » étudié ensuite, qui correspond au « genre frénétique » visé par Nodier dans ses articles. Ce « nouveau type de roman frénétique » se développe à partir de 1818, sous la quadruple influence de The Vampire de Polidori, Frankenstein de Mary Shelley, Melmoth ou l’homme errant de Maturin et Jean Sbogar de Charles Nodier. La principale différence avec le type précédent réside dans « un type nouveau de protagoniste ». Alors que le « roman radcliffien » — assimilé ici, semble-t-il, au « roman frénétique classique » — « n’envisageait l’histoire que sous l’angle de la victime », les romans frénétiques romantisants « font ressortir la personnalité du bourreau ou du justicier ».Par conséquent, si le roman gothique classique s'était imposé entre 1764 et 1818, avec des auteurs comme Walpole et Radcliffe, les années 1820 voient apparaître, y compris en français, des romans plus complexes ou plus ambigus. Du coup, ceci rapproche chronologiquement le roman L'Influence d'un livre (1837) de Philippe Aubert de Gaspé, le jeune, des auteurs de cette seconde période de même que le choix d'un personnage principal alchimiste et détraqué dans L'Influence d'un livre apparenterait celui-ci aux auteurs en question. Un tel rapprochement, à la fois chronologique et thématique, permettrait de mieux comprendre la nouveauté radicale de l'ouvrage aux yeux des lecteurs canadiens contemporains tout en conférant au texte une modernité nouvelle.
C'est à tout le moins une hypothèse qu'il faudrait confirmer, mais elle aurait pour intérêt d'enraciner ce premier roman canadien-français dans une veine littéraire plus récente que celle du roman gothique invoqué le plus souvent — sans parler des interprétations plus biographiques ou allégoriques, comme celle de Louis Lasnier dans Les Noces chymiques de Philippe Aubert de Gaspé dans L'Influence d'un livre (2002). Outre la proximité dans le temps et dans le thème, il serait sans doute envisageable de glaner des indices dans les allusions et références du texte. Les exergues des chapitres combinent des citations de plusieurs auteurs et plusieurs époques. Parmi les plus récentes, il y a l'extrait du poème « Le Départ » de Casimir Delavigne (1793-1843), publié dans Les Messéniennes en 1835 mais dont la sortie première pourrait remonter aux années 1820. Parmi les plus anciennes, il y a celles de Shakespeare, mais aussi celles de Thomas Otway (1652-1685) ou de Crispin Médecin, une comédie du XVIIe siècle de Noël Lebreton de Hauteroche (1617-1707). Les sources des citations des dénommés Bertaud et Gratot restent à déterminer, toutefois...
Libellés : Canada, Fantastique
2013-05-24
Un hommage à Michel Jeury à Issigeac
Tout ce mois de juin, la commune d'Issigeac accueille une exposition consacrée à Michel Jeury, qui a écrit l'essentiel de son œuvre de science-fiction sur le territoire de la commune entre 1960 et 1987 (et certains de ses premiers écrits à Plaisance, dans le canton voisin). La presse a déjà annoncé cette exposition hébergée par l'Office de tourisme qui s'accompagne de plusieurs manifestations de l'intérêt porté par Issigeac à un de ses citoyens les plus illustres. Un segment de la départementale, communément appelée route de Bergerac, change de nom pour s'appeler rue Michel-Jeury. (En effet, Bergerac n'est pas loin et l'exposition rappellera aussi les origines locales de Cyrano de Bergerac, pionnier de la proto-science-fiction.) Le sud de la France comptera donc une nouvelle rue baptisée en l'honneur d'un auteur de science-fiction, puisque Béziers a donné le nom de Richard-Bessière à une rue de l'agglomération un peu plus tôt.
La rue Michel-Jeury sera inaugurée le 1er juin tandis que Gérard Klein et Natacha Vas-Deyres prononceront des conférences inaugurales le même jour. La fin de semaine des 8 et 9 juin comptera sur une conférence de Simon Bréan et deux tables rondes, avec Joseph Altairac, Jean-Claude Dunyach, Jean-Luc Rivera et Joëlle Wintrebert, notamment. Les 15 et 16 juin, Jean-Daniel Baltassat et Christian Grenier prononceront également des conférences en rapport avec le thème. Tous les détails sont disponibles dans un dossier de presse (.PDF) en ligne.
2013-05-21
Paris, les tons gris
Le temps gris de Paris efface le ciel,
délave les crépis, estompe les nuages,
étouffe tous les cris et l'élan des rouages
de la bruissante vie de la machine à zèle
Entre crachin et pluie, il ouvre les ombrelles,
car le jour ralentit pour que durent les pages
car les enfants s'ennuient comme au premier âge
et les moments fuient en un claquement d'aile
d'un pigeon noir et gris, angelot excavé
d'une triste féerie, gras et jamais pressé,
tel un fragment meurtri de l'amère grisaille.
Nulle part et ici, la ville hésite et part
sans aucun but précis, face au vent qui cisaille,
quittant ses bancs moussus pour l'été qui répare
délave les crépis, estompe les nuages,
étouffe tous les cris et l'élan des rouages
de la bruissante vie de la machine à zèle
Entre crachin et pluie, il ouvre les ombrelles,
car le jour ralentit pour que durent les pages
car les enfants s'ennuient comme au premier âge
et les moments fuient en un claquement d'aile
d'un pigeon noir et gris, angelot excavé
d'une triste féerie, gras et jamais pressé,
tel un fragment meurtri de l'amère grisaille.
Nulle part et ici, la ville hésite et part
sans aucun but précis, face au vent qui cisaille,
quittant ses bancs moussus pour l'été qui répare
Libellés : Poème